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École des chartes » thèses » 2000

Éditions et adaptations de l’Histoire de Mélusine de Jean d’Arras (xve-xixe siècle)

Les aventures d’un roman médiéval.


Introduction

La diffusion de l’imprimerie a favorisé l’apparition, pour le livre, de nouveaux publics. Les imprimeurs ont vite pris conscience de leurs besoins, souvent éloignés des préoccupations humanistes du temps, et ont eu soin de diffuser des textes appropriés, parmi lesquels de nombreux romans d’aventure et de chevalerie du Moyen Age. Ces textes ont connu pour certains d’entre eux une importante postérité : ils ont continué d’être imprimés à Paris ou à Lyon au xvie  siècle et sont passés ensuite, pour partie et progressivement, à partir du xviie  siècle, dans le répertoire « populaire » de la Bibliothèque bleue.

Le travail accompli dans les ateliers d’imprimerie autour de l’édition des textes médiévaux est mal connu : l’étude comparative des éditions successives de l’un de ces romans en permet une approche. L’Histoire de Mélusine, composée par Jean d’Arras à la fin du xive  siècle, peut paraître à plusieurs titres un exemple privilégié : le roman a été l’un des tout premiers à être édité et le nombre de ses éditions est une preuve de son succès. L’étude du devenir du récit de Jean d’Arras est d’autant plus intéressante qu’il a par ailleurs donné lieu à de nombreuses réécritures ou adaptations, qui doivent être vues comme une autre forme de survie du roman médiéval.

Cette étude prend appui sur une méthode précise d’analyse des éditions : établissement de notices bibliographiques, sélection d’extraits et relevé des variantes sémantiques, morphologiques et syntaxiques se dégageant de leur comparaison, description de l’ensemble des illustrations dans l’optique d’une étude du rapport entre texte et image.


Première partie
Le roman de Jean d’Arras et ses premières éditions (XIVe -XV siècle)


Chapitre premier
Le roman de Jean d’Arras

Le roman de Jean d’Arras est bâti sur un conte porteur d’un mythe universel : celui de l’union d’un mortel et d’un être surnaturel. De nombreux récits se sont nourris de ce thème ; ils sont cependant difficiles à appréhender, car souvent restés au stade de la tradition orale. Le roman de Jean d’Arras est le premier à exploiter si longuement l’un de ces contes, et le premier à le faire en français, mais sa Mélusine a de nombreuses parentes dans la littérature latine.

Jean d’Arras lui-même reste mal connu : il pourrait avoir été un libraire-relieur travaillant au service du duc de Berry. Ses sources sont tout aussi mystérieuses. Son œuvre, l’Histoire de Mélusine est un texte long, peuplé de personnages nombreux et riche en péripéties. C’est un récit merveilleux, mais aussi un roman pour l’éducation des princes, dans lequel les beaux exemples chevaleresques tiennent une place importante. Les héros en sont cependant ambigus, et Mélusine en particulier : elle se montre bonne chrétienne, elle est une épouse avisée et une mère attentive, mais de nombreux détails la rattachent à un univers démoniaque.

Parce qu’elle a commis une grave faute dans sa jeunesse, Mélusine a été condamnée par sa mère à voir le bas de son corps se transformer en serpent tous les samedis. Cependant, si elle trouve un époux qui promette de ne jamais la voir ce jour-là, elle mourra en femme « naturelle ». Mélusine rencontre Raimondin, fils du comte de Forez et neveu du comte de Poitiers : le jeune homme promet à la fée de ne jamais la trahir ; ils se marient. La prospérité comble le couple : Mélusine bâtit villes et châteaux et donne à Raimondin huit fils, tous marqués au visage par des tares qui viennent rappeler leur origine surnaturelle. Le dénouement tragique du roman est provoqué par le frère de Raimondin : il l’incite à espionner sa femme le samedi. Cette rupture du pacte qui conditionnait son union avec un mortel provoque la disparition de Mélusine : elle s’envole par une fenêtre du château de Lusignan.

A partir du xvie  siècle, des historiens comme Jean Boucher (Annales d’Aquitaine,1531), Guillaume Rouillé (Seconde partie du Promptuaire des médailles,1553), ou le P. Etienne de Lusignan (Généalogies,1586), s’interrogent sur la réalité de la figure de Mélusine : si leurs conclusions diffèrent, aucun cependant ne nie l’existence du personnage. Par ailleurs, plusieurs témoignages ­ ceux de Noël du Fail, de Brantôme, de Rabelais, ou plus tard de Claude Perrault ­ attestent la survivance d’un folklore alimenté par les contes mélusiniens. Ils montrent que, du xvie au xviiie  siècle, le personnage de Mélusine est, sinon familier, du moins connu. Le maintien de légendes mélusiniennes vivaces et l’ambiguïté qui subsiste, même dans les groupes cultivés, quant à la réalité historique du personnage, peuvent expliquer en partie le succès remporté par le roman.

Chapitre II
Les premières éditions (1474-1503)

Dans les premières années du xve  siècle, Coudrette, chapelain des Parthenay, avait donné une version versifiée de l’histoire de Mélusine. En 1456, un diplomate suisse, Thuring de Ringoltingen, l’avait traduite en langue allemande. C’est cette version de l’histoire qui est la première à être imprimée, dès 1474, par Jean Bamier, et qui sera connue en Allemagne et dans le nord et l’est de l’Europe jusqu’au xixe  siècle. Le texte de Coudrette est également traduit et imprimé en flamand (1491), mais c’est le récit en prose de Jean d’Arras qui fait l’objet d’une édition en espagnol en 1489.

La première édition de l’œuvre de Jean d’Arras en langue française est imprimée par Adam Steinschaber à Genève en 1478. Elle semble suivre un manuscrit de la fin du xve  siècle, proche de celui conservé à la Bibliothèque nationale de France sous la cote ms. fr. 1484. Le roman est ensuite imprimé à Lyon par Martin Husz (entre 1478 et 1484), Gaspar Ortuin et Pierre Schenk (vers 1485-1486), Guillaume Le Roy (vers 1487), puis Mathieu Husz (1493-1494). Ces éditions présentent de fortes analogies, tant au plan de la mise en page que du point de vue du texte. On observe cependant un travail de modernisation assez important entre l’édition princeps de Genève et les éditions lyonnaises. L’édition Mathieu Husz par ailleurs apparaît comme beaucoup moins luxueuse que les précédentes : les dimensions des bois et des caractères sont réduites, la disposition du texte est plus serrée. Cette tendance se retrouve dans les deux premières éditions parisiennes, imprimées pour Jean Petit par Pierre Le Caron (vers 1498) et Thomas Du Guernier (vers 1503). On note également que le texte de la seconde de ces éditions parisiennes est allégé ou corrigé en de nombreux points.

Chapitre III
L’illistration des incunables de Mélusine

Dans les premières éditions du roman, l’image occupe une place privilégiée : les gravures sont nombreuses (chacun des soixante et un chapitres du roman est illustré) et, dans leur grande majorité, elles sont spécifiques à l’Histoire de Mélusine. Certaines gravures, ou même parfois des séries entières, se retrouvent dans plusieurs éditions : c’est le cas des bois gravés à l’origine pour l’édition allemande de Mélusine imprimée par Bernard Richel à Baie vers 1476. Ils sont copiés dans l’édition princeps d’Adam Steinschaber, repris dans l’édition de Gaspar Ortuin et Pierre Schenk, puis dans celle de Guillaume Le Roy, sans qu’on puisse déterminer exactement s’il s’agit des bois originaux ou de copies. Certains réapparaissent chez Mathieu Husz, puis sont imités dans les deux premières éditions parisiennes.

La place qu’occupent matériellement les images dans la page tend à évoluer avec le temps : dans l’édition Steinschaber et dans les trois premières éditions lyonnaises, les gravures sont toutes en pleine page. Dans l’édition Mathieu Husz en revanche, puis dans les deux éditions imprimées à Paris pour Jean Petit, l’image n’occupe plus, au mieux, qu’une demi-page, et ses dimensions sont même parfois plus réduites encore. Dans ces trois éditions, on assiste par ailleurs à l’apparition de bois « passe-partout ». Ce souci général d’économie de place et de matériel à l’extrême fin du xve  siècle s’exprime d’une manière originale dans les deux premières éditions parisiennes : leurs imprimeurs ont recours à des combinaisons de bois qui permettent, à partir d’un nombre limité de gravures, de composer une infinité d’images différentes.

Dans ces premières éditions, la fonction des images est essentiellement narrative : elles constituent des séries qui illustrent les différents épisodes du roman et leur seule lecture permet de suivre l’intrigue. Pourtant, elles peuvent occasionnellement s’écarter du texte, essentiellement dans la représentation du merveilleux : la Mélusine du roman est un être ambigu sur lequel le lecteur doit se faire sa propre idée. Les images des incunables ne rendent pas cette ambiguïté, elles sont moins équivoques et, ainsi, elles tempèrent le récit. Elles imposent aux lecteurs une représentation de Mélusine, celle d’une belle jeune femme, d’une épouse et d’une mère, et en aucun cas celle d’un être démoniaque : Mélusine, même métamorphosée en serpente, n’est guère effrayante. De même, les tares qui marquent le visage de ses fils sont atténuées : les gravures montrent de valeureux chevaliers, tout juste caractérisés, pour certains d’entre eux, par de légères particularités physiques qui rappellent leur origine merveilleuse.


Deuxième partie
Mélusine et Geoffroy à la grand dent : deux nouveaux romans et leurs éditions (XVIe -XVIIIe  siècle)


Chapitre premier
Les éditions parisiennes, lyonnaises et rouennaise (XVIe -début du XVII e  siècle) : Un prélude aux éditions « populaires »

Jean d’Arras faisait alterner dans son roman les aventures de Raimondin et de Mélusine avec celles de leurs fils, de Geoffroy à la Grand Dent en particulier. En 1517, l’imprimeur parisien Michel Le Noir dénoue habilement cet entrelacement, dégageant ainsi deux nouveaux romans. L’œuvre de Jean d’Arras ne sera plus publiée désormais que sous cette forme, divisée en deux récits distincts dont le lien de parenté, progressivement, aura tendance à s’effacer.

On connaît quinze éditions parisiennes, lyonnaises et rouennaises de ce nouveau roman de Mélusine jusqu’au début du XVIIe siècle et neuf du roman de Geoffroy à la grand dent. Dans la première moitié du XVI e  siècle, toutes les éditions présentent d’évidentes analogies ; certaines toutefois, telles celles imprimées à Lyon par Olivier Arnoullet, apparaissent plus soignées que d’autres. A la fin du siècle, plusieurs évolutions se font jour à Paris et à Lyon : quelques imprimeurs abandonnent la bâtarde gothique au profit du caractère romain, les textes sont réécrits et leur orthographe modernisée. La plupart de ces modifications ne sont cependant ni générales, ni systématiques, et les éditions normandes du début du XVII e  siècle présentent des traits particulièrement archaïques. La conservation fréquente de ces archaïsmes est un des facteurs qui peuvent expliquer le discrédit croissant qui frappe les romans médiévaux, ces textes devenant peu à peu, du moins dans l’esprit des lettres, la lecture exclusive des femmes, des enfants ou du petit peuple des villes.

Chapitre II
Mélusine et  Geoffroy à la grand dent dans la Bibliothèque bleue

Les romans d’aventure ou de chevalerie médiévaux constituent une part importante de la production de « livres bleus » ; parmi ces « vieux » romans, Mélusine a connu un succès durable ­ dix éditions troyennes et une édition lyonnaise entre 1624 et les années 1730 ­, ce qui ne semble pas avoir été le cas des aventures de son fils Geoffroy ­, trois éditions troyennes dans les années 1614-1630 et une édition rouennaise en 1681.

Ces éditions « populaires » des deux romans présentent des analogies évidentes avec les plus modernes des éditions de la fin du XVI e  siècle, en particulier avec celles imprimées à Lyon par Benoît Rigaud : les caractères gothiques, la présentation à deux colonnes sont définitivement abandonnés. De même, le travail de modernisation des textes, de leur vocabulaire comme de leurs graphies, amorcé par des imprimeurs tels que Rigaud ou les Ronfons, se poursuit jusqu’au début du xviiie  siècle. Un examen attentif des éditions troyennes, lyonnaise et rouennaise révèle cependant, de la part de leurs imprimeurs, des choix parfois différents : le texte de Mélusine réécrit par (ou pour) les Oudot de Troyes ne l’est pas chez Jean Huguetan à  Lyon ; le texte de l’édition de Geoffroy à la grand dent imprimé chez Jean Oursel à Lyon en 1681 est tronqué, mais son orthographe est relativement soignée. On remarque également que les deux romans ne connaissent pas le même traitement : les éditions de Geoffroy sont d’un format plus petit, vraisemblablement mieux adapté à la vente par colportage.

La question du public de ces romans dans leurs éditions dans la Bibliothèque bleue reste quant à elle délicate : on ne peut déterminer s’ils ont réellement été lus, ni par qui ils l’ont éventuellement été. Quelques témoignages semblent attester cette lecture, mais il semble dangereux de se laisser aller à les généraliser trop hâtivement.

Chapitre III
Place et fonction de l’image dans les éditions du xvie au xviiie  siècle

L’étude de l’illustration des éditions des deux romans imprimées du xvie au xviiie  siècle soulève des interrogations très différentes de celles suscitées par les images des incunables. A l’exception de certaines pages de titre, il n’y a plus désormais d’image spécifique. Les gravures utilisées sont de réemploi et les imprimeurs y ont recours indifféremment pour l’ensemble de leur production de romans de chevalerie. La question qui devient essentielle est celle du rapport qu’entretiennent ces images avec le texte qu’elles accompagnent ; l’analyse de ce rapport peut éclairer sur la fonction de ces images.

A première vue, l’illustration des éditions parisiennes et lyonnaises du xvie  siècle et celle des éditions de la Bibliothèque bleueétudiées présentent de nombreux points communs : dans les deux cas, l’usage de la gravure sur bois est  exclusif, le bois est de réemploi et il est souvent usé ; un titre de chapitre lui sert de  légende et l’image semble fournir au lecteur des repères dans un texte dont la longueur était susceptible de dérouter. On peut cependant distinguer une évolution de la fonction de l’image dans ces éditions : alors qu’au xvie  siècle, elle indiquait les grands thèmes généraux du récit (combats, mariages, audiences, etc.), il semble que dans la Bibliothèque bleue, elle soit davantage destinée à souligner les passages essentiels dans le déroulement de l’intrigue. La gamme des scènes représentées est d’ailleurs beaucoup plus étendue qu’elle ne l’était précédemment, même si cette variété sous-entend une grande hétérogénéité de la présentation. On constate également que la fonction de l’image semble évoluer au fur et à mesure des éditions dans la Bibliothèque bleue, et l’on est tenté de rapprocher cette évolution de la « popularisation » de ces éditions. Les images se font plus nombreuses à la fin du XVII e  siècle, mais aussi plus variées, et souvent, semble-t-il, d’une lecture plus facile ; par ailleurs, elles s’écartent progressivement du texte avec lequel elles n’entretiennent souvent qu’un rapport très lointain, voire aucun rapport : on peut se demander si les éditions du roman de Mélusine de la fin du xviie et du début du xviiie  siècle ne sont pas devenues essentiellement des livres d’images.


Troisième partie
Les adaptations du roman de Jean d’Arras


Chapitre premier
Les adaptations du xviie  siècle et la Mélusine historique et galante de François Nodot

Tandis que l’œuvre de Jean d’Arras continue d’être diffusée dans son état original, ou presque, la figure de Mélusine fait diverses apparitions dans la littérature française. Certes, les romans médiévaux, et parmi eux celui de Jean d’Arras, font l’objet de critiques sévères au XVII’ siècle, mais il semble que Mélusine continue de fasciner et que sa présence, ne serait-ce qu’au titre d’un ouvrage, soit un gage de succès. Les ouvrages en question n’ont souvent aucun rapport avec le récit de Jean d’Arras, tel le roman intitulé Le roman de Mélusine par M.L.M.D.M., publié en 1637, et attribué à la marquise Mosny des Ursins.

A la fin du XVII1 siècle, les contes de fées sont à la mode dans la littérature française, ainsi que les romans historiques et galants. L’Histoire de Mélusine composée par François Nodot et éditée en 1698 réunit les deux genres. Si Nodot déclare avoir cherché à « éclaircir » l’ancien roman, il fait en réalité la part belle aux intrigues les plus romanesques, n’hésitant pas à introduire des épisodes et des personnages nouveaux, des échanges épistolaires, etc. Son récit prend également un tour spectaculaire dans la représentation du merveilleux, et sa Mélusine apparaît comme un être diabolique dont la métamorphose devient un épisode particulièrement effroyable. Nodot écrit également une Histoire de Geoffroy, publiée en 1700, qui n’a plus qu’un rapport très lointain avec le roman original.

Chapitre II
De la dernière édition « populaire » de Mélusineà l’extrait de la Bibliothèque universelle des romans

Dans les années 1730, l’imprimeur troyen Pierre Garnier avait donné une première édition du roman de Mélusine qui suivait pas à pas le texte traditionnellement imprimé dans la Bibliothèque bleue. Mais il imprime également dans ces mêmes années ­ peut-être sous la pression du mouvement de censure qui frappe alors certains textes « populaires » ­ une version intégralement réécrite, et anonyme, du roman. Si le déroulement du récit suit globalement celui du texte de Jean d’Arras, tous les éléments merveilleux en sont atténués, voire effacés, telle la métamorphose de Mélusine. En revanche, l’accent est mis sur l’expression des sentiments des personnages.

Il est intéressant de comparer cette adaptation du roman avec l’« extrait » qui en paraît en 1775 dans la Bibliothèque universelle des romans, collection lancée à l’instigation du marquis de Paulmy, et qui est destiné à un public bien différent de celui de la Bibliothèque bleue. Cet extrait-résumé est précédé d’éléments bibliophiliques et truffé de précisions historiques ou géographiques : il se doit d’être récréatif, mais aussi instructif. Il présente cependant un point commun essentiel avec le roman de Nodot et le texte réécrit pour Pierre Garnier : son auteur semble également se méfier de Mélusine. Là encore, la plupart des épisodes merveilleux sont escamotés, ou du moins fortement édulcorés : le violent Geoffroy à la Grand Dent qui, dans le roman médiéval, n’hésite pas, dans un accès de fureur, à assassiner tous les moines d’une abbaye, n’apparaît plus que comme un chevalier soucieux du bon gouvernement de ses domaines.

Chapitre III
Le xixe  siècle, siècle de Mélusine ?

La fascination que le Moyen Age exerce au XIXe siècle semble avoir favorisé le retour de Mélusine dans la littérature française. La fée apparaît dans plusieurs œuvres courtes que l’on peut rattacher au genre « troubadour » : une Romance d’Edmond Géraud (1810), Les Chevaliers de la Table ronde de Creuzé de Lesser (1812), une des Nouvelles Légendes françaises d’Edouard d’Anglemont (1833). Avec ces trois textes, on est bien loin de la Mélusine ambiguë de Jean d’Arras diabolisée par Nodot : symbole de beauté et d’innocence, Mélusine apparaît comme une serpente pathétique, la victime d’un sort injuste. Dans ces mêmes années paraissent les premières éditions scientifiques du roman. Par ailleurs, des historiens, des érudits locaux se passionnent pour la fée Mélusine.

La dernière tentative d’adaptation originale du roman de Jean d’Arras est celle d’Alfred Delvau. Ce dernier tente de faire renaître une nouvelle Bibliothèque bleue. Il s’agit en réalité pour lui de réécrire la plupart des romans de chevalerie édités par les imprimeurs de la Bibliothèque bleue, et, entre autres, Mélusine(1859) et Geoffroy à la grand dent(1869). Delvau montre une grande fidélité au texte de Jean d’Arras : il en suit la structure narrative et tente même d’adapter en conséquence le style de son récit. Mais sa Mélusine, là encore, perd le caractère ambigu que lui avait donné son premier romancier : comme chez les poètes du genre troubadour, elle est une fée aimante, une bonne épouse que frappe un sort cruel.

Si les deux romans de Delvau constituent la dernière réelle adaptation du texte de Jean d’Arras, Mélusine quant à elle ne disparaît pas, loin s’en faut, de la littérature française. Elle s’émancipe du texte original, et même des nombreux contes et légendes qu’elle continue d’alimenter, pour accéder au rang de véritable mythe littéraire. Mélusine devient un motif récurrent dans la poésie symboliste, puis elle en vient à représenter la femme en général jusqu’à devenir, chez André Breton, un être providentiel qui pourrait sauver le monde déchiré par les guerres des hommes.


Annexes

Editions de Mélusine en langue allemande, flamande et espagnole au xve  siècle. ­ Catalogue des éditions de Mélusine et de Geoffroy à la grand dent. ­ Liste des illustrations. ­ Tableaux statistiques concernant l’illustration. ­ Titres des chapitres des deux romans. ­ Extraits de textes. ­ Tableaux de variantes lexicales, syntaxiques et orthographiques observées dans les extraits de textes relevés. ­ Index des noms d’imprimeurs, d’imprimeurs-libraires ou d’éditeurs cités.


Planches

Cinquante-cinq planches reproduisent des gravures ou des pages de texte d’éditions des romans de Mélusine et de Geoffroy à la grand dent(XVe -XIXe siècle).