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École des chartes » thèses » 2000

Les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton, aux xviie et xviiie siècles


Introduction

Les Carmes déchaussés se sont installés à Paris et à Charenton au début du xviie  siècle, respectivement en 1611 et 1617. Ces deux communautés monastiques connurent une rapide expansion et restèrent actives jusqu’à la Révolution. Leur étude tout d’abord repose sur l’histoire des deux établissements, depuis leur fondation jusqu’à leur fermeture. Elle analyse précisément leur vie quotidienne, sous tous ses aspects : cadre de vie, approvisionnement en eau et en nourriture, recettes et dépenses, vie intellectuelle... Enfin, l’étude des relations entre les Carmes déchaussés et la société, proche ou plus lointaine, permet de considérer leur recrutement, mais surtout les services que les moines pouvaient rendre à la société locale.


Sources

L’essentiel des archives des couvents de Paris et de Charenton sont aujourd’hui conservées aux Archives nationales, principalement dans les séries L et S. En outre, on retrouve des documents importants pour l’histoire des Carmes déchaussés au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et à la bibliothèque de l’Arsenal, qui détient notamment un volume, coté 1155, recensant les profès entrés dans l’ordre des Carmes déchaussés.


Première partie
Histoire des communautés de 1611 à la Révolution


Chapitre premier
L’ordre des Carmes déchaussés

Les Carmes déchaussés sont issus de la réforme des Carmes mise en œuvre par sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, au XVI e  siècle. Cette réforme visait à restaurer l’idéal primitif des ermites qui avaient vécu sur le mont Carmel au XII e  siècle, idéal perverti par l’insertion des moines dans le monde. Elle aboutit le 20 décembre 1593 à une scission officielle entre Grands Carmes et Carmes déchaussés, désormais érigés en un ordre à part entière. Les Carmes déchaussés furent ensuite divisés en 1600 en deux congrégations : celle d’Espagne, dont l’expansion géographique était limitée à ce pays et à ses colonies, et celle d’Italie, qui avait, quant à elle, la possibilité de fonder de nouveaux monastères dans le reste du monde et dont allaient relever les couvents de Paris et de Charenton. Malgré ce partage géographique, les Carmes déchaussés suivaient tous une seule et même règle qui prônait le respect de trois vœux : obéissance, chasteté et pauvreté, et régissait leur vie quotidienne dans les moindres détails.

Chapitre II
L’installation à Paris et à Charenton

Les Carmes déchaussés de la congrégation d’Italie décidèrent peu après leur création de s’implanter dans le royaume de France. Après avoir fondé un premier couvent à Avignon en 1608, ils entreprirent de s’installer à Paris et à Lyon. Thomas de Jésus, Denis de la Mère de Dieu et Bernard de Saint-Joseph furent les principaux acteurs de l’implantation des Carmes déchaussés à Paris. Après avoir obtenu les autorisations nécessaires, ils s’établirent le 14 mai 1611 dans une maison qui leur avait été offerte par Nicolas Vivien et qui était située rue Cassette, tout près du Palais du Luxembourg alors en construction. La nouvelle communauté se développa très vite grâce à l’afflux de nombreux novices. Les Carmes déchaussés parisiens entreprirent alors non seulement de se constituer un enclos dont la taille serait davantage adaptée à leurs besoins, mais aussi de créer un noviciat en dehors de Paris. Grâce à la générosité de Charles Bailly, les religieux purent installer un nouveau couvent à Charenton, sur un terrain dont ils prirent possession le 2 avril 1617. Le but de cette fondation était de servir de noviciat aux Carmes déchaussés pour l’ensemble de la province de Paris, qui était créée la même année.

Chapitre III
Histoire des couvents (1650-1793)

Tout au long de leur existence, les monastères de Paris et de Charenton ne connurent que très peu de difficultés. Les principaux conflits qui les agitèrent eurent lieu dans la deuxième moitié du xvie  siècle  et portèrent surtout sur le gouvernement de la province de Paris, que l’ambition de quelques Carmes et la taille démesurée de la province rendaient parfois difficile. Relativement épargnés par les questions jansénistes, les couvents de Paris et de Charenton vécurent en toute tranquillité jusqu’à la Commission des Réguliers, épisode dont ils se sortirent par ailleurs relativement bien. Le monastère de Charenton réussit même à obtenir du roi, le 4 mai 1772, des lettres patentes lui permettant de continuer à suivre les anciennes constitutions de l’ordre, alors que le couvent parisien était, lui, contraint d’adopter les textes élaborés par la Commission. Seule la Révolution française s’avéra réellement dramatique pour les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton, puisqu’elle fut à l’origine de la fermeture définitive des deux couvents et de la dispersion des moines.


Seconde partie
Les couvents vus de l’intérieur


Chapitre premier
L’église et les bâtiments conventuels

Après s’être installés rue Cassette à Paris, les Carmes déchaussés entreprirent la construction d’une grande église, consacrée à saint Joseph. La première messe y fut célébrée le 19 mars 1620, avant même l’achèvement de l’édifice en 1629. Toutes les chapelles de l’église furent progressivement dédiées soit à des saints pour lesquels les moines avaient une dévotion particulière, soit aux saints patrons des bienfaiteurs qui achetèrent les concessions de ces chapelles. Parallèlement, les Carmes déchaussés firent bâtir dans leur enclos un monastère apte à accueillir toutes leurs jeunes recrues. Le couvent était composé de plusieurs ailes disposées autour de deux cloîtres et entourées de grands jardins. Son architecture était sobre et devait avant tout répondre aux besoins des religieux. Chaque pièce avait ainsi une destination précise : la préparation et la consommation des repas, l’étude, les soins aux malades, etc. Les Carmes déchaussés réussirent à financer ces coûteuses constructions grâce à l’appui de nombreux bienfaiteurs qui les aidèrent, chacun à leur manière.

Chapitre II
Vie quotidienne

Dès leur arrivée à Paris et à Charenton, les Carmes déchaussés durent faire face à différents problèmes, notamment à celui de l’approvisionnement en eau. Les religieux parisiens bénéficièrent de l’appui du prévôt et des échevins de Paris qui les autorisèrent à utiliser l’eau de la fontaine Saint-Michel, qui venait de Rungis. La question de l’alimentation des moines était elle aussi cruciale et mobilisait de grosses sommes d’argent. Là encore plusieurs privilèges accordés en 1635 sur le vin, le beurre ou le poisson de mer, vinrent alléger ces charges. S’il est difficile de cerner avec précision la façon dont les moines se nourrissaient, on peut cependant affirmer qu’ils respectaient leurs constitutions qui prônaient la modération et la frugalité.

Chapitre III
Vie matérielle

Les communautés de Paris et de Charenton devaient faire face à de nombreuses autres dépenses : entretien de leur église et de leurs bâtiments, décimes et impositions royales, rentes constituées. Tout cela les poussa à rechercher des revenus fixes et réguliers. Si le couvent de Charenton ne disposa guère que des ressources strictement nécessaires à son fonctionnement, celui de Paris y réussit, quant à lui, au-delà de toute espérance, en constituant un patrimoine immobilier riche, au moment de la Révolution, de quatorze hôtels particuliers. Ces immeubles se trouvaient tout autour de leur enclos monastique dans la rue Cassette, la rue du Regard et la rue du Cherche-Midi. L’argent que les moines tiraient de leurs locations représentait l’essentiel de leurs revenus, que complétaient des rentes sur l’hôtel de ville de Paris et le produit de la vente de l’eau de mélisse qui avait fait leur réputation.

Chapitre IV
Vie intellectuelle et spirituelle

Les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton menaient une vie partagée entre la prière et l’étude. La présence de très riches bibliothèques à l’intérieur de leurs couvents prouve l’importance de leurs activités intellectuelles. Après de très longues années d’études, consacrées à la philosophie puis à la théologie, à la morale et à l’écriture sainte, certains Carmes déchaussés décidaient parfois de mettre à profit leur culture pour écrire un ou plusieurs ouvrages. Si la plupart des moines s’illustrèrent dans des genres religieux, vies de saints ou œuvres théologiques, d’autres en revanche écrivirent des livres d’histoire ou même de littérature. Plusieurs Carmes déchaussés réussirent ainsi à se distinguer : Louis de Sainte-Thérèse, Cyprien de la Nativité ou encore Dominique de la Trinité.


Troisième partie
Carmes déchaussés et société


Chapitre premier
Le recrutement des novices

Le recrutement des novices conditionnait le développement des couvents de Paris et de Charenton. C’est pour cette raison que les Carmes déchaussés prenaient grand soin de recevoir en religion des postulants aptes à supporter les rigueurs de la vie monastique et à devenir de bons religieux. Si une première sélection avait lieu avant la prise d’habit, c’était la période du noviciat qui permettait réellement aux moines de tester la vocation de leurs postulants. Les religieux n’hésitaient pas en effet à renvoyer tous ceux qu’ils jugeaient indignes de rester. Les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton reçurent de très nombreux novices à la profession, tout particulièrement au XVII e  siècle avant 1635. On peut relever une grande différence d’âge à la profession entre les choristes et les convers : les convers prononçaient en effet leurs vœux à l’âge de 27 ans, tandis que les choristes avaient en moyenne seulement 21 ans. Des différences existaient aussi quant à l’origine géographique des novices.

Chapitre II
La place des carmes déchaussés dans la société locale

Les religieux de Paris et de Charenton entretenaient de bonnes relations avec leur voisinage, auquel ils s’efforçaient, dans la mesure de leur possible, de rendre divers services. L’un de ces services était l’accueil des morts et leur commémoration. Les religieux acceptaient en effet de donner des sépultures à de très nombreux défunts, que ces derniers en aient fait la demande avant leur mort ou non. Ces personnes de conditions sociales assez différentes étaient ainsi enterrées dans la nef ou les chapelles de leur église, à Paris mais aussi à Charenton. Des offices étaient célébrés à l’intention de défunts, quel que soit le lieu de leur sépulture. Les religieux acceptaient en effet de nombreuses fondations de messes, en échange de sommes d’argent. Si les Carmes déchaussés s’intéressaient de près aux âmes des morts, leurattention se portait aussi sur celles des vivants par le biais des prédications. Les moines prêchaient en effet dans différentes églises lors des périodes du Carême et de l’Avent. Ils eurent également l’occasion de participer, bien que de façon assez modeste, à la réforme de plusieurs autres ordres monastiques.

Chapitre III
L’activité missionnaire des Carmes déchaussés

Les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton eurent également l’occasion de rendre des services à des catholiques qui ne résidaient pas dans leur diocèse, mais dans des régions beaucoup plus lointaines. Ils n’hésitèrent pas en effet à entreprendre parfois de très longs voyages et à aller au-devant de nombreuses difficultés afin de promouvoir leur religion et d’apporter de l’aide aux catholiques qui habitaient dans des pays étrangers. Ils participèrent ainsi à des missions en Inde et dans les pays du Levant, mais surtout en Hollande, où ils ouvrirent successivement trois postes à La Haye, Leyde et Amsterdam.


Conclusion

De nombreux témoignages contemporains incitent fortement à penser que les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton furent de tout temps très appréciés par leur entourage, pour leur piété et leur dévotion. Ils surent en effet se rendre utiles et apporter aide et soutien à ceux qui en avaient besoin. Quelques critiques virent cependant le jour à partir de la seconde moitié du xviiie  siècle, mais elles restèrent ponctuelles et assez peu nombreuses. On peut ainsi affirmer que les Carmes déchaussés de Paris et de Charenton surent se distinguer par leur vie exemplaire à une époque où les communautés religieuses étaient fort décriées par les milieux « éclairés ».


Annexe

Un dictionnaire biographique recense les moines ayant accompli leur noviciat à Charenton et fait profession dans le couvent de Paris. Pour chaque moine, figurent le nom de famille, les noms des parents, les date et lieu de naissance, les dates de prise d’habit et des vœux, et enfin les date et lieu de décès.