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École des chartes » thèses » 2000

Le roman en prose Guy de Warewyk(xve siècle)

Édition et commentaire.


Introduction

L’histoire de Guy de Warewyk, aujourd’hui méconnue en France, a cependant joui en Angleterre  d’une vogue extraordinaire jusqu’au xixe  siècle. Ce succès repose en partie sur la mise en prose réalisée au xve  siècle d’un roman en vers du xiiie  siècle, qui a remis au goût du jour, sous la forme de la chanson de geste, une vieille légende anglo-saxonne.

Guy, fils du comte d’Oxford, est envoyé dès son plus jeune âge à la cour du comte Roalt de Warwick, pour y apprendre l’art de la chevalerie. Il s’éprend de Felice, fille du comte Roalt, qui consent à l’épouser à condition qu’il acquière la réputation d’un preux. Alors commence pour Guy, accompagné de son mentor Herolt d’Ardenne, une longue suite d’aventures qui sont autant d’épreuves initiatiques. Parvenu en Allemagne, il défait les chevaliers les plus illustres, si bien que l’empereur envisage de lui donner sa fille en mariage. Fidèle à Felice, il repart soutenir d’autres combats acharnés en Lombardie contre le duc Othes, qui est de toutes les traîtrises. A Constantinople, il soutient l’empereur contre les Sarrasins dirigés par un géant. De retour en Angleterre, il parvient à anéantir un dragon qui terrorisait le Northumberland. La main de Felice lui est enfin acquise. Mais ayant pris conscience de la vanité de ses précédents exploits, il décide de se rendre en Terre Sainte. Ce pèlerinage est prétexte à d’autres nombreux combats où il défend le droit des chrétiens. De retour en Angleterre, il apprend que le roi est engagé dans une guerre sans merci contre les Danois. Guy parvient à tuer le géant africain, Colebrand, qui combattait au service des Danois. Après cette ultime prouesse, le héros se retire dans un bois pour y vivre en ascète. Sentant sa fin prochaine, il fait remettre son alliance à Felice qui, venue recueillir son dernier souffle, ne lui survit pas.

L’édition fournie par Conlon (1971) du roman en prose n’étant pas satisfaisante, il est apparu nécessaire de reprendre l’ensemble des manuscrits et d’en donner une nouvelle édition. Ce travail préalable devrait contribuer à enrichir l’étude des adaptations apportées au texte de base lors de sa mise en prose et, ainsi, de mieux cerner l’évolution du goût littéraire.


Première partie
Présentation


Chapitre premier
L’arrière-plan historique du roman

Au xiiie  siècle une légende traditionnelle saxonne a suffisamment retenu les esprits pour paraître digne d’être mise par écrit. Le récit des aventures de Guy de Warwick est censé reposer sur un événement réel, le combat singulier que se seraient livré Guy et Colebrand au cours de la bataille de Brunanburgh, mais prend une liberté certaine avec la réalité historique.

Certes il y eut bien une bataille opposant le chef danois Olaf Cuaran au roi anglais Athelstan (924-939) à Brunanburgh, comme le rapporte un poème anglo saxon du xiie  siècle. Toutefois, même si la localisation exacte du site de Brunanburgh est encore sujette à débat, il est du moins certain que cette bataille ne s’est pas déroulé au pied de la ville de Winchester comme l’indique le roman, certainement par confusion avec une autre bataille qui aurait eu pour cadre les alentours de cette ville sous le roi Ethelred (968-1016). Il est probable que la confusion entre ces deux événements découle en fait de l’homonymie d’Olaf Cuaran avec un autre chef danois Olaf Tryggvason, contemporain d’Ethelred.

Surtout l’épisode du combat singulier semble devoir beaucoup au talent du rédacteur du roman et être inspiré directement du Moniage Guillaume, dont le héros, déguisé en pèlerin, combat les Danois.

Chapitre II
La tradition du roman

La mise en vers au xiiie  siècle  — La mise en vers de la légende au XIII e siècle fait la part belle aux maisons comtales de Warwick et de Wallingford, dont les terres s’étendaient sur les comtés de Warwick, d’Oxford et de Buckingham et que d’étroites relations de parenté liaient. Il faut admettre à la suite des démonstrations d’Ewert que le roman Guy de Warewyk a été composé entre 1232 et 1242 par un familier de l’abbaye d’Oseney, établissement protégé par les comtes de Wallingford, auxquels succèdent en 1232 les comtes de Warwick. Quoi de plus naturel pour les moines d’Oseney ou pour leur entourage que de saisir l’occasion de cette succession pour glorifier la mémoire de leurs anciens patrons et pour chanter la louange de ceux dont ils escomptent protection et bienfaits. L’intérêt des moines rejoint bien sûr le souci des comtes de Warwick de se rattacher au passé de l’Angleterre avant la conquête normande et de faire oublier les expropriations qui ont fondé leur patrimoine.

La mise en prose au xve  siècle  — Les modalités de la transposition du roman en prose française sont loin d’être éclaircies. Sur la foi du témoignage de John Bale (1495-1563) qui, dans son Index Maioris Britannicae scriptorum,évoque la rédaction par un certain Walter d’Exeter d’une vie de Guy de Warwick, D. J. Conlon (1971) attribue à cet auteur la mise en prose du roman et la date entre 1300 et 1310. Toutefois, du fait du succès du thème et des nombreuses adaptations et résumés qui en ont été faits, rien ne prouve que ce soit bien la mise en prose qu’ait rédigée Walter d’Exeter.

Des considérations linguistiques semblent exclure cette datation, trop ancienne : l’état du français employé dans le roman date plutôt du début du XVe siècle . En outre, sa qualité plaide pour une rédaction sur le sol français. Il paraît donc plus probable que la mise en prose du roman soit intervenue en France à la faveur des « relations forcées » entre les deux pays pendant la guerre de Cent Ans, peut-être à l’instigation d’un seigneur insulaire qui s’intéressait à la légende.

Permanence et diffusion du thème  — L’histoire de Guy de Warwick est demeurée vivace aux siècles suivants. Elle est utilisée par des écrivains élisabéthains nomme Skelton, Udall, Puttenhal, Drayton, ou encore Beaumont et Fletcher ; Shakespeare y fait allusion à deux reprises dans son œuvre. Grâce aux nombreuses éditions de Speculum Guy de Warewyk, la littérature populaire anglaise fait de Guy un personnage aussi célèbre que Roland. Le succès entraîne la diffusion du roman dans toute l’Europe : il passe dans la littérature allemande où le roman Gydo und Thyrus perpétue la mémoire du comte de Warwick ; il gagne  l’Espagne au travers du roman catalan Tirant lo Blanch, composé vers 1490, et fournit à Jean Louvet la matière d’un de ses mystères, édité à Paris en 1537.

Raisons du succès  — Ce succès ne doit rien aux qualités littéraires du roman : rien de plus pauvre du point de vue de l’invention que Guy de Warewyk. L’auteur s’est contenté de bâtir son intrigue en empruntant des éléments à de nombreux textes antérieurs, qu’il s’agisse des légendes de saint Alexis et de saint Eustache, du Montage Guillaume, de Jourdain de Blaives ou d’Amis et Amile ; à titre d’exemple, le début du roman est directement inspiré de Geoffroy de Monmouth (Historia  regum Britannie, IX, 13). Le succès de Guy de Warewyk tient tout compte fait au talent avec lequel son auteur enchaîne les événements et en amène le dénouement.


Seconde partie
Edition


L’édition du roman en prose est basée sur deux manuscrits du xve  siècle, dont le texte est confronté à celui de deux éditions imprimées parisiennes du xvie  siècle.

Les sources manuscrites  — Un premier manuscrit, ici appelé P, est conservé à Paris, à la Bibliothèque nationale de France, sous la cote fr. 1476. L’écriture serrée qui court sur les quatre-vingt-six feuillets du manuscrit date sans conteste du xve  siècle et provient d’une seule main. La décoration du premier feuillet, qui inclut notamment un écusson parti d’Orléans et de Rohan, nous renseigne sur l’identité du commanditaire du manuscrit. En effet, le manuscrit a appartenu à Jean d’Orléans, comte d’Angoulême, et à sa femme Marguerite de Rohan. Prisonnier des Anglais de 1412 à 1445, Jean d’Orléans profita de son séjour forcé dans ce pays pour y apprendre l’anglais et pour faire transcrire par le scribe John Duxworth des manuscrits, qu’il fit mettre an propre à son retour dans son château de Cognac.

Le second manuscrit, conservé à Londres (Brit. Libr., Old Royal 15.E.VI) et appelé L, remonte aussi au XV e  siècle et contient, aux côtés du Gui de Warwick(fol. 227-272v), de nombreux autres romans comme, entre autres, le Roman d’Alexandre, Fierabras, Ogier le Danois. Offert par John Talbot, premier comte de Shrewsbury, à Marguerite d’Anjou à l’occasion de son mariage avec Henry VI d’Angleterre, afin qu’elle n’oublie pas le français, ce manuscrit a été réalisé entre 1444 et 1445.

Des inventaires de bibliothèque rédigés au xve  siècle à la cour de Bourgogne prouvent que les ducs bourguignons possédaient du roman au moins deux autres manuscrits, qui n’ont malheureusement pu être identifiés.

Les sources imprimées  — Deux éditions parisiennes traduisent le succès populaire du roman au xvie  siècle. Il est imprimé une première fois en 1525 par François Regnault, puis à nouveau, en 1550, par Jean Bonfons. Cette version imprimée, commune aux deux éditions, présente de nombreuses modifications par rapport aux manuscrits du xve  siècle : ainsi disparaît la fin de l’histoire qui correspond aux aventures du fils de Guy. Il est très probable que ces aménagements soient le fait du libraire Jean Regnault, désireux de remettre le récit au goût du jour, sans qu’il faille soupçonner l’existence de témoins manuscrits antérieurs.

La tradition manuscrite  — Contrairement à l’opinion de Conlon, qui estimait que P et Létaient basés sur des originaux différents, il est probable que P et L dérivent d’une même origine, comme donne  à le penser l’existence par endroits des mêmes fautes ; L est toutefois beaucoup plus développé que  P. En revanche, le texte imprimé au xvie  siècle a davantage de parenté avec P qu’avec L.


Annexes

Index. ­ Glossaire.