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École des chartes » thèses » 2000

Le cardinal de Granvelle et la Franche-Comté : la correspondance comme instrument de gouvernement


Introduction

La correspondance du cardinal de Granvelle avec son cousin le prieur de Bellefontaine peut être envisagée du point de vue de l’apport biographique. En effet, le degré de parenté et l’amitié  permettent au cardinal d’employer dans ses lettres autographes un style direct et un ton familier propices aux confidences. Le cardinal s’y présente en homme d’Etat impartial, préoccupé du seul intérêt public et du service du roi. Au-delà du désir de paraître sous son meilleur aspect aux yeux de son cousin, le cardinal sait aussi que son parent relaie cette image auprès des institutions dont il est membre, à savoir le chapitre cathédral de Besançon et le parlement de Dole. La franchise affichée par le cardinal ne peut donc être parfaitement sincère ou, tout au moins, dénuée d’arrière-pensées politiques.

La correspondance privée du cardinal de Granvelle acquiert ainsi une dimension publique et pose une question : comment le cardinal s’est-il efforcé de pallier son absence d’une province dont il est considéré comme le patron En effet, contraint de quitter les Pays-Bas sous la pression d’un mouvement d’opinion hostile suscité par les nobles flamands et répercuté en Franche-Comté par Simon Renard et la famille de Rye, le cardinal pouvait craindre que son absence de sa province natale ne suscite trouble et défections parmi ses fidèles. Sa mise en représentation à distance par le clientélisme et le mécénat s’est donc révélée nécessaire pour conserver son influence en Franche-Comté.


Sources

La collection de lettres et de documents rassemblée par l’abbé Jean-Baptiste Boisot et conservée à la bibliothèque municipale de Besançon sous le titre générique de « collection Granvelle » concerne la famille Perrenot de Granvelle en général, dont les membres les plus illustres sont Nicolas Perrenot (1484-1550), garde des sceaux impérial, et son fils, Antoine, le cardinal de Granvelle (1517-1586). Cependant, à travers la foule des correspondants de cette famille de diplomates, elle est à la dimension de l’empire de Charles Quint et embrasse la presque totalité des sujets de politique européenne du xvie  siècle ; elle est donc une source essentielle pour l’histoire de ce siècle, bien qu’un peu oubliée depuis les travaux d’édition de Charles Weiss en France, d’Edmond Poullet et de Charles Piot en Belgique. Reliée en une centaine de volumes, cette collection englobe quelques ensembles cohérents, dont les lettres adressées par le cardinal de Granvelle à son cousin le prieur de Bellefontaine (volumes 83 et 84).


Première partie
Eléments de biographie


Chapitre premier
Les années de formation (1517-1550)

La famille Perrenot de Granvelle  — Les ancêtres du cardinal de Granvelle étaient forgerons. Ces origines lointaines suscitèrent une rumeur sur la bassesse de son extraction, alors même que son arrière grand-père et son grand-père avaient permis l’ascension sociale de la famille par le service des armes et surtout par les offices de justice et le notariat à Ornans. La promotion de la famille s’est accélérée avec la carrière du père du cardinal, Nicolas Perrenot, devenu le conseiller le plus écouté de Charles Quint.

La jeunesse et les études d’Antoine Perrenot  — Nicolas Perrenot a organisé les études de son fils Antoine en vue de la carrière qu’il lui préparait à la cour. Juridique et humaniste, sa formation avait pour but de faire d’Antoine un parfait courtisan, habile diplomate et conseiller avisé de son souverain.

L’apprentissage du pouvoir en collaboration avec son père (1538-1550)  — De son entrée à la cour en 1538, obtenue par son père, à la mort de ce dernier en 1550, l’initiation politique d’Antoine Perrenot est indissociable de l’action de son père en faveur de l’unité impériale.

Chapitre II
L’exercice du pouvoir (1550-1564)

Conseiller de l’empereur  — Formé par son père, Antoine Perrenot lui succède naturellement dans la confiance de Charles Quint. Cependant, son action et sa position à la cour sont fragilisées par des attaques personnelles et pâtissent de l’atmosphère de fin de règne qui empoisonne alors la cour impériale.

Ministre de Philippe II  — L’avènement du roi d’Espagne entraîne un renouvellement de la cour, où la présence des Espagnols est renforcée. Le cardinal de Granvelle ne fait plus partie de l’entourage royal, bien qu’il bénéficie toujours de la confiance du roi, qui le nomme au nombre des négociateurs du traité du Cateau-Cambrésis et le maintient comme principal conseiller de la gouvernante générale des Pays-Bas, Marguerite de Parme. Toutefois, l’impopularité de la politique de Philippe II, notamment la réorganisation de l’Eglise aux Pays-Bas, entraîne en 1564 l’exil du cardinal, camouflé en départ volontaire.

Chapitre III
Les séjours Franc-Comtois et Italiens (1564-1579)

L’exil en Franche-Comté  — Accueilli par ses parents et amis en Franche-Comté, le cardinal s’emploie à les rassurer et à dissimuler une disgrâce qu’il a du mal à accepter. La mort du pape lui permet de se rendre sur ordre royal à Rome, sans paraître aux yeux de ses fidèles avoir perdu son crédit.

Le premier séjour à Rome  — Arrivé à Rome, le cardinal de Granvelle prend part aux activités de la Curie et reprend contact avec le milieu humaniste italien qu’il a connu et apprécié lors de ses études à Padoue. Il soutient le mouvement de redécouverte de l’Antiquité païenne romaine, notamment en mettant en relation ses amis humanistes avec l’imprimeur Christophe Plantin.

Les négociations de la Sainte Ligue et la vice-royauté de Naples  — Philippe II, qui l’a exilé mais lui garde sa confiance, le charge de négocier la formation d’une ligue avec le pape et Venise contre les Turcs, la Sainte Ligue proclamée en mai 1571. Entre-temps, le cardinal a été nommé vice-roi de Naples ; il fait preuve dans ce poste de ses capacités d’administration et de sa fidélité totale au service du roi, même contre le pape.

Le retour à Rome  — A l’issue de sa mission à Naples, le cardinal reprend sa place dans les milieux humanistes romains, mais cherche aussi à reconquérir sa position à la cour royale, en se tenant toujours informé et en dispensant ses conseils au roi. Par ailleurs, la dégradation de la situation en Franche-Comté et les velléités d’autonomie politique des Etats de la province redonnent de l’importance au cardinal et à sa clientèle comtoise.

Chapitre IV
A la cour espagnole (1579-1586)

Le retour en grâce  — En 1579, Philippe II procède à un renouvellement de son ministère et appelle le cardinal à Madrid pour lui confier la présidence du Conseil d’Italie. Mais le cardinal a du mal à s’adapter au processus de décision du roi. L’état de grâce dure peu : s’il lui garde toute sa confiance, le roi demeure très libre vis-à-vis de ses conseils.

L’élection à l’archevêché de Besançon  — Elu par le chapitre en 1584, le cardinal de Granvelle, en accord avec le roi, accepte la charge d’archevêque de Besançon. Il s’y montre, par correspondance, ardent propagateur de la Contre-Réforme dans tous ses aspects, notamment la prédication.

La mort et la succession  — Le cardinal meurt à Madrid le 21 septembre 1586, sans jamais être retourné en Franche-Comté après 1564. Après s’être brouillé avec son neveu, qu’il avait choisi pour héritier, il a changé l’ordre prévu pour sa succession afin d’assurer au mieux la pérennité de la maison Granvelle.

Chapitre V
Aspects de la personnalité du cardinal de Granvelle

La pensée politique du cardinal de Granvelle  — Un trait dominant de la pensée politique du cardinal est la méfiance à l’égard de tout changement de l’ordre ancien. Il s’agit en grande part d’une attitude de repli vers le règne idéalisé de Charles Quint, âge d’or des Granvelle, et d’une réaction instinctive et commune à son époque à l’égard des nouveautés. Sa conception du politique est donc à la fois traditionnelle, dans le rôle qu’il assigne à l’Etat de conserver l’ordre établi ou de garantir la paix, et moderne, dans la forme absolutiste qu’il veut donner au pouvoir royal. Peu solidaire avec la noblesse d’épée, le cardinal souhaite voir le roi entouré d’un conseil de robes longues, avisé et docile. Respectueux à l’extrême de l’autorité royale, il est partisan d’une obéissance absolue au roi, tempérée cependant par le droit de remontrance que les sujets peuvent exercer par l’intermédiaire de leurs représentants aux corps institués. Enfin, face à l’échec du politique, il prône alors la résignation et la patience, dans l’attente ultime d’une intervention divine, seule concession d’une pensée politique largement laïcisée.

L’état ecclésiastique  — Destiné à la carrière ecclésiastique par son père, Antoine Perrenot a assumé ce choix. S’il n’est ni théologien ni mystique, il n’est pas le politique sec que l’on s’est plu à dépeindre. Conscient des fautes passées du clergé, il adhère pleinement aux idéaux de la Contre-Réforme qu’il contribue à diffuser, là aussi dans le respect du principe d’autorité.

La Rome du cardinal de Granvelle  — Sans mission assignée par le roi, le cardinal dispose à Rome de loisirs et participe pendant une dizaine d’années à la vie du mouvement humaniste romain. Conscient de la mission civilisatrice et pédagogique de Rome, le cardinal prend part à l’élaboration du sentiment d’un lien essentiel entre l’œuvre et son contexte, sentiment qui a largement contribué à imposer la nécessité du voyage à Rome pour tout artiste ou homme de lettres.

Le cardinal de Granvelle et les collections romaines  — Collectionneur, lettré, le cardinal dispose, grâce à ses amis humanistes et cardinaux, d’un accès privilégié aux collections d’antiquités romaines qui correspondent à l’idée qu’il se fait du rôle de Rome comme «  scola publica del mondo. »

Les goûts livresques du cardinal  — Le cardinal de Granvelle est connu pour son amour des livres. Le catalogue de ses livres italiens reflète son goût marqué pour l’Antiquité et l’histoire. Cet attrait pour l’Antiquité grecque et romaine n’est pas seulement historique et débouche aussi sur un souci philologique de recherche de textes rares. Sa bibliothèque est à l’image de l’homme, prélat diplomate, ouvert et pénétré d’humanisme.

Le cardinal de Granvelle humaniste  — Sesétudes et ses goûts personnels ont fait du cardinal de Granvelle un bon connaisseur de l’Antiquité païenne, et lorsque ses activités le permettent, il s’y consacre de manière privilégiée. Mais il ne s’agit que d’un loisir, comme le révèle par exemple son manque de pratique du grec. De sa formation humaniste, le cardinal a gardé le goût des textes antiques et rares, ainsi qu’une attention particulière pour les travaux humanistes d’érudition, mais il s’est contenté de les apprécier en amateur et de favoriser la recherche, sans y prendre part lui-même.

La petite patrie du cardinal de Granvelle  — Formé pour et à la cour, le cardinal correspond au type du parfait courtisan attaché à la suite de son souverain, ce qui, sous Charles Quint, signifiait une itinérance quasi permanente. Par conséquent, le temps passé par le cardinal en Franche-Comté ne représente qu’une quinzaine d’années, en incluant sa prime jeunesse. Cependant, il n’a jamais rompu le lien avec sa province natale, dont il promeut par exemple les vins avec fierté. Son exil en Franche-Comté lui permet de reprendre contact avec le pays et avec ses fidèles et d’affermir les bases de sa politique personnelle.


Seconde partie
Le cardinal de Granvelle et la Franche-Comté


Chapitre premier
Famille, alliés et clients

Les stratégies de Nicolas Perrenot de Granvelle  — Le garde des sceaux impérial a cherché à consolider son crédit en cour et à asseoir la fortune de sa nombreuse famille par divers moyens. Les mariages de ses enfants, dont onze sont parvenus à l’âge adulte, sont l’occasion de renforcer la maison par des alliances solides selon le principe moderata durant. Le propre mariage de Nicolas Perrenot avec Nicole Bonvalot, d’une influente famille noble de Besançon, correspondait déjà à cette stratégie.

Le cardinal et la « maison » Granvelle  — Suivant les principes paternels, le cardinal de Granvelle a continué à favoriser les carrières de ses frères et de ses neveux et à rechercher les meilleures alliances possibles au profit de la branche choisie par son père pour perpétuer le nom des Granvelle. Toutefois la conduite de son héritier désigné l’amènera à changer l’ordre de sa succession, ce qui révèle une certaine fragilité de la maison Granvelle.

Clientèle et parents au service du cardinal  — Le cardinal de Granvelle emploie sa parenté proche pour la gestion de ses biens et s’efforce d’obtenir de la faveur royale charges et pensions pour elle et ses clients. La tiédeur de ses relations avec Philippe II le conduit à assumer sur ses propres ressources les récompenses des fidèles serviteurs de la maison et à réserver ses interventions à sa seule famille.

Un rôle d’intermédiaire  — Charles Quint a probablement favorisé l’ascension des Granvelle afin de maintenir Besançon dans son obéissance et dans le giron de la religion catholique. En 1537, Nicolas Perrenot s’est opposé aux visées de deux notables d’une orthodoxie catholique douteuse, Simon Gauthiot d’Ancier et Jean Lambelin, qui tentaient de prendre le pouvoir sur la ville. Le cardinal de Granvelle se préoccupe toujours du sort des élections qui renouvellent le gouvernement de Besançon et n’hésite pas à faire intervenir ses parents dans les joutes électorales. Son élection à l’archevêché est, du reste, un moyen supplémentaire de contrôler la cité.

Chapitre II
Les biens du cardinal en Franche-Comté

Les bénéfices ecclésiastiques  — Son père ayant destiné Antoine à la carrière ecclésiastique, il s’est chargé de lui procurer les bénéfices nécessaires à sa position à la cour. Les quelques données chiffrées qui sont encore conservées permettent d’estimer entre 20 000 et 25 000 francs comtois les revenus de ces bénéfices ecclésiastiques entre 1565 et 1575.

Les revenus et biens « laïcs »  — Il est encore plus difficile d’estimer la fortune « laïque » du cardinal. Les quelques seigneuries comtoises qu’il possède ne lui assurent que de faibles revenus ; il s’agit avant tout d’investissements symboliques autour d’Ornans, le « fief » de la famille. Le cardinal de Granvelle préfère les revenus que lui procurent les prêts d’argent, en achetant des rentes sur la saunerie de Salins ou à des particuliers. A la fin de sa vie, il perçoit ainsi chaque année au moins 2 635 francs comtois de rentes.

Estimations globales  — Les procès intervenus dans le cadre du règlement de la succession du cardinal de Granvelle ont donné lieu à des estimations globales de sa fortune. Celles-ci varient du simple au double et la vérité se situe probablement entre 100 000 et 200 000 francs comtois. Quant au revenu de ses biens en Franche-Comté, il peut être estimé à environ 30 000 francs comtois par an.

Chapitre III
Evergétisme et mécénat comtois du cardinal de Granvelle

Manifestations symboliques du patronage du cardinal de Granvelle  — La notion d’évergétisme permet d’introduire la dimension publique et politique des actes de mécénat du cardinal de Granvelle. Celui-ci manifeste son patronage en Franche-Comté par l’entretien et l’embellissement des lieux de culte dont il a la charge. En leur procurant de belles églises en bon état, le cardinal s’assure le soutien du clergé et des paroissiens. Il apparaît rapidement comme le protecteur privilégié du clergé comtois, de sorte qu’il est tout naturellement choisi par le chapitre pour succéder à l’archevêque de Besançon mort en 1584.

Une tentative de patronage des études  — Nicolas Perrenot et sa femme Nicole avaient fondé un collège à Besançon, afin notamment d’assurer la formation des prêtres. Le cardinal entretient la fondation de ses parents et cherche à la développer, en soutenant notamment en 1584 le projet de transfert à Besançon de l’université de Dole. Ses motivations en faveur de la création d’une université bisontine sont claires ; il s’agit de veiller à la formation des futures élites de la cité et du comté afin de « réduire la cité en l’ancienne dévotion et la conserver en la religion catholique, et pour maintenir la bonne correspondence entre le comté et lad. cité. »

La célébration de la mémoire des Granvelle  — Le cardinal de Granvelle essaie de donner à sa maison l’épaisseur historique qui fonde la réputation des familles aristocratiques. Dans le souci d’assurer la pérennité du nom de sa maison, il célèbre la mémoire de ses grands-parents, en leur faisant construire une chapelle dans l’église Saint-Laurent d’Ornans. La réalisation d’un décor semblable à celui de la chapelle funéraire de ses parents en l’église des Carmes de Besançon prétend souligner le lien entre Ornans et Besançon et poser les repères nécessaires à l’établissement de la lignée des Granvelle. Par ailleurs, en envoyant un tableau peint par Pierre d’Argent à l’église de Brou, fondée par Marguerite d’Autriche, le cardinal entend rappeler à la postérité le lien privilégié qui unit les Granvelle à la famille des Habsbourg.

Les demeures du cardinal de Granvelle, manifestes de son pouvoir  — La construction du palais bisontin d’Antoine Perrenot, entre 1534 et 1540, avait fortement marqué l’architecture civile comtoise. Le cardinal lui-même avait fait construire à Bruxelles une demeure d’inspiration italienne. Après son départ des Pays-Bas, il met à profit son passage en Franche-Comté pour lancer la construction d’une villa à Ornans. Il a probablement choisi lui-même le site, un promontoire rocheux dominant la vallée de la Loue et offrant une vue magnifique. Le nom donné à cette résidence, « la Fontaine », reprend celui d’un château du cardinal situé dans les environs de Bruxelles, où l’aménagement des jardins avait été particulièrement soigné. Bien que la destruction de cette résidence, déjà ruinée au xviie  siècle, ne permette plus de juger du parti-pris architectural et ornemental, l’envoi par le cardinal depuis Borne des plans de la fontaine du jardin et la plantation d’une vigne à proximité semblent accréditer l’hypothèse de la construction d’une résidence d’agrément inspirée des précédents bruxellois. La durée même des travaux et le faste des bâtiments et des jardins contribuaient à rassurer les fidèles du cardinal sur sa richesse.

L’hôtel de Montmartin, symbole du retour en grâce du cardinal de Granvelle  — La construction de l’hôtel de Montmartin à Besançon correspond au retour en grâce du cardinal de Granvelle. Elle sert aussi à masquer le déclin de l’influence du cardinal à la cour. Les plans, que le cardinal a approuvés au fur et à mesure de leur élaboration par l’architecte Richard Maire, sont très simples et reflètent la volonté du cardinal de privilégier la commodité, la modération et la solidité, comme une fidèle application de sa devise « Durate ». Le bâtiment présente ainsi très peu d’éléments décoratifs et le cardinal a veillé lui-même à en supprimer certains sur les plans pour mieux atteindre son souhait de conjuguer symétrie et fonctionnalité. L’hôtel de Montmartin donne ainsi une impression d’ensemble assez composite : son plan général est plutôt médiéval avec son bâtiment central rectangulaire cantonné aux angles de quatre tourelles carrées, alors que le parti d’organiser l’espace de manière rationnelle et symétrique témoigne de préoccupations résolument modernes.


Troisième partie
La correspondance Granvelle-Bellefontaine


L’édition de 292 lettres ou extraits de lettres de la correspondance entre le cardinal de Granvelle et le prieur de Bellefontaine couvre la période 1555-1586, et plus particulièrement les dernières années de la vie du cardinal. En effet, 202 lettres sont postérieures à 1580 et correspondent à la période où le cardinal se trouve à la cour de Philippe II. Les lettres envoyées par le cardinal sont en bonne majorité des autographes (161 sur 279) et celles de son cousin le sont pratiquement toutes (12 sur 13). S’il apparaît normal que le prieur de Bellefontaine écrive lui-même ses lettres, il est plus étonnant que le cardinal se prive si souvent des services d’un secrétaire. La tournure très personnelle que prend fréquemment sa correspondance, où se lit son indignation devant l’attitude de son neveu, explique certainement cette situation. La correspondance Granvelle-Bellefontaine, outre son intérêt historique général, acquiert de la sorte un intérêt pratiquement autobiographique.


Conclusion

Son exil des Pays-Bas en 1564 fait brutalement prendre conscience au cardinal de Granvelle du caractère aléatoire de la faveur royale, sur laquelle repose la fortune de la maison Granvelle. Lors de son passage en Franche-Comté, entouré de ses parents et de ses fidèles, il reprend confiance, en prenant conscience des appuis dont il dispose dans cette province, qui le reconnaît volontiers comme son protecteur. Il décide alors d’assumer pleinement ce rôle et met en place un système de représentation qui lui permet de pallier les inconvénients de son absence. Mécénat privé et public viennent appuyer les liens de fidélité entretenus par correspondance avec ses parents et ses clients et concourent tous à affirmer le rôle d’intermédiaire avec le roi que joue le cardinal de Granvelle en Franche-Comté.

L’agitation suscitée par les ordonnances de réforme de l’administration de la justice publiées en 1573, que le roi doit suspendre en 1576 sous la pression des Etats de Franche-Comté et du parlement de Dole, contribue à rendre évidente aux yeux de Philippe II la nécessité de cette médiation. Le roi l’appelle donc à Madrid en 1579 et le cardinal prépare la province à accepter les nouvelles ordonnances, dont le texte, peu modifié par rapport à la version de 1573, est publié finalement sans résistance en 1586. En revanche, par souci de préserver les droits de l’archevêque de Besançon, le cardinal n’hésite pas à répondre par l’immobilisme à la volonté royale de prendre le contrôle des charges de maire et de vicomte de Besançon, qui étaient à la collation de l’archevêque mais étaient devenues héréditaires dans la famille de Chalon puis de Nassau.

Probablement instruit par son expérience des Pays-Bas, le cardinal a peut-être décidé de se ménager une marge de manœuvre dans l’exécution des décisions que Philippe II s’obstinait à vouloir imposer sans se déplacer. Le cardinal de Granvelle a donc fini par intégrer dans sa pratique du pouvoir la notion de distance géographique, qui constitue à la fois un obstacle et un élément moteur du développement de l’Etat moderne, en rendant nécessaire un système de représentation efficace pour la transmission et l’exécution des ordres.


Pièces justificatives et annexes

Extraits de la correspondance du cardinal de Granvelle avec diverses personnes, en particulier Claude de Chavirey, receveur-payeur du cardinal en Franche-Comté. ­ Plans du palais construit par le cardinal de Granvelle à Besançon (second étage, parterre). ­ Tableaux généalogiques de la famille de Granvelle.