« »
École des chartes » thèses » 2000

Du sceau à la signature : histoire des signes de validation en France (xiiie-xvie siècle)


Introduction

A partir du xixe  siècle, et sous le Second Empire en particulier, les historiens ont commencé à prêter davantage attention aux sceaux, aux cachets qui validaient les actes et les missives. Ces observations minutieuses et méthodiques ont abouti à la rédaction d’inventaires importants, souvent richement illustrés, et la sigillographie n’a cessé depuis lors de s’affirmer comme une discipline à part entière, abandonnant peu à peu son statut de « science annexe » de l’histoire. Parmi les signes de validation ou, à tout le moins d’authentification, la signature n’a pas suscité autant de recherches, hormis quelques ouvrages peu documentés et désespérément généraux. Il a fallu attendre en fait ces dernières décennies pour que des travaux précis et argumentés abordent le sujet.

La confrontation de l’histoire de ces deux modes de validation met en évidence une évolution fondamentale : l’abandon progressif du sceau au profit de la signature. Les causes et les modalités de cette transformation sont analysées ici en rapprochant et comparant les pratiques des rois, des princes, des professionnels de l’écrit, mais aussi des gens de guerre, des artisans ou des peintres. Cette évolution des signes de validation débouche sur l’histoire des sensibilités et des mentalités ; à l’instar de l’avènement d’une nouvelle emblématique et du portrait, la diffusion de la signature reflète la naissance de l’individu et de la personnalité.


Sources

Les documents signés ou scellés sont d’une richesse et d’une diversité presque infinies. Définir un corpus d’étude est donc un préalable indispensable. La méthode la plus expédiente consistait à privilégier des séries chronologiques,  souvent factices, qui permettent une étude suivie. La Bibliothèque nationale de France offre ainsi de nombreux recueils intéressants, comme les lettres originales, minutes et pièces réunies par Gaignières (fr. 20427 à 20482), les papiers de Jean Bourré (fr. 20483 à 20499), la série des chartes royales (fr. 25696 à 25726 pour la période concernée) et celle des montres des gens de guerre (fr. 25765 à 25778 en particulier), ainsi que des quittances et pièces diverses (fr. 26006 à 26122). La richesse de ce dernier ensemble interdisait tout dépouillement exhaustif et obligeait à procéder par sondages. Aux Archives nationales, ont été consultées les séries du Trésor des chartes et des Cartons des rois (respectivement J et K). De nombreux dépouillements ponctuels dans les deux institutions ont permis de compléter ce corpus. L’étude portant sur le notariat toulousain a été réalisée grâce aux registres de matricules (Toulouse, Arch. mun., 9 vol.), renfermant un corpus d’une richesse exceptionnelle : plus de dix mille signatures (1271-1536).


Première partie
Sceau et signature dans l’intimité du pouvoir


Chapitre premier
Du monogramme à la signature ?

Le monogramme  — De manière générale, il est admis, tacitement du moins, que le monogramme est une signature royale. Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens en usent pour manifester solennellement leur approbation ; ensuite, les Valois signent simplement de leur nom, associé au début à un paraphe. La pratique de ces derniers s’inscrirait donc dans la continuité d’une tradition riche et séculaire : la signature royale trouverait ainsi son origine dans le monogramme. Si cette vision, logique et rassurante, peut séduire de prime abord, elle ne résiste pas cependant à une étude attentive. C’est donc d’un œil neuf et critique qu’il faut envisager cette continuité pour le moins discutable, en recourant sans cesse à la diplomatique. Il ne s’agit pas ici de faire l’histoire du monogramme, mais d’examiner les liens qui le rapprochent de la signature, ou au contraire, les différences qui l’en éloignent, en partant de sa description et en suivant son évolution au cours des siècles. Au terme de cette analyse, l’idée du « monogramme comme origine de la signature royale » apparaît comme une pensée facile et réductrice, que l’on songerait à ajouter à la longue liste du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert. Tout au plus peut-on prendre en compte le Vollziehungsstrisch, le signe (point ou trait) que le souverain trace de sa main pour compléter le monogramme dessiné par un clerc.

Signet, sceau du secret et lettres closes  — Un peu à la manière de la croix autographe ou du Vollziehungsstrich, le signet et le sceau du secret se veulent l’expression directe de la volonté du souverain. Il faut cependant se garder de les mettre sur le même plan. C’est Octave Morel qui, le premier, a établi une distinction entre les deux. En effet, ces deux sceaux de petites dimensions sont d’un aspect bien différent et sont, par conséquent, réservés à des pratiques spécifiques, comme le montre l’analyse diplomatique. De fait, il faut rechercher l’origine de la signature du côté du signet, plutôt que du côté du monogramme. Bien plus qu’un simple joyau, le signet est le meilleur témoignage de la volonté du souverain.

Des signatures et des rois  — L’histoire de la signature royale, depuis sa première apparition sous Jean le Bon (1350-1364) jusqu’au courant du xvie  siècle, connaît une évolution progressive et linéaire. Le modèle initial se fige à partir du règne de Charles VIII. Le paraphe de la signature des premiers Valois, en manière d’encadrement, est directement inspiré de celui des notaires et secrétaires. Il disparaît peu à peu, à mesure que s’affirme l’« Etat moderne ». Le nom du souverain finit par subsister seul. Plusieurs changements de signature méritent des développements plus importants, notamment ceux opérés par Charles VI, Louis XI et Charles VIII.

Chapitre II
Les signautres de Louis XI

Les signatures du roi  — Si le contenu de la correspondance a largement inspiré le propos des chercheurs, la signature de Louis XI n’a, en revanche, retenu l’attention jusqu’à un article de Michel François. Une première signature perdure pendant presque tout le règne ; elle associe le nom et un paraphe. Mais, à la toute fin du règne, Louis XI se met occasionnellement à signer de son seul nom. Michel François voit dans le paraphe une signification religieuse et mystique, un témoignage de dévotion à saint Michel. En définitive, il apparaît que les trois éléments du paraphe de Louis XI, simples motifs hérités d’une longue et brillante tradition de chancellerie, se vident peu à peu de leur substance jusqu’à être finalement dépourvus de toute signification, lorsqu’ils sont adoptés par le roi.

Du dauphin de Viennois au roi de France  — Afin de réaliser une étude chronologique précise de la signature de Louis XI, il importe avant tout de constituer des séries cohérentes et continues. Les dimensions de la signature augmentent très sensiblement pour refléter l’histoire du règne : au fur et à mesure que le pouvoir royal s’étend et s’affirme, la signature prend de l’ampleur. Son étude minutieuse, associée bien entendu à d’autres paramètres, permet de dater une missive ou, à tout le moins, de proposer une fourchette chronologique assez serrée.

L’autographie : vrai ou faux problème  — Plusieurs témoignages indiquent que Louis XI avait à sa disposition des « secrétaires de la main ». L’identification de certains d’entre eux apporte un regard nouveau sur l’exercice du pouvoir. Les signatures royales tracées par Nicole Tilhart ont pu être identifiées avec certitude, en conjuguant les critères formels, diplomatiques et biographiques. Jean Bourré et Ymbert de Batarnay ont exercé des fonctions identiques, sans qu’il soit pour autant possible de cerner leur activité avec la même précision.

Chapitre III
Signature et portrait : la royauté mise en scène

Portrait et signature : une même origine ?  — Le premier portrait d’un roi de France est celui de Jean le Bon. C’est aussi le premier roi dont nous conservons la signature. Cette corrélation de faits dépasse la simple coïncidence et conduit à mettre en regard la signature et l’évolution artistique. La comparaison s’impose d’autant plus si l’on considère l’essence même de la signature : l’affirmation d’une volonté, et, par-delà, d’un individu. En effet, un contexte nouveau, à la fois politique et artistique, explique l’épanouissement de la représentation de la figure royale à partir du milieu du xive  siècle. L’apparition du portrait « au vif », c’est-à-dire « réaliste », marque une étape importante dans le processus d’affirmation de l’individu et de la personnalité et représente à la fois une chance et un enjeu pour les premiers Valois, dont le pouvoir est encore bien fragile. Art et politique sont plus proches que jamais.

La pierre, le bois et le parchemin, supports de la mise en scène  — Charles V est représenté à de nombreuses reprises dans un ambitieux programme de sculpture funéraire et civile. Les effigies de pierre expriment l’altération des traits due à la souffrance et à la maladie. La peinture sur panneau participe aussi de cet effort de mise en scène. Le portrait individuel reste encore rare ; la peinture cherche surtout à immortaliser des événements politiques majeurs qui marquent l’histoire du règne et proclament les succès politiques des rois. Les manuscrits richement enluminés parachèvent ce programme politique.

Entre ciel et terre : lions, anges et fleurs de lis, une constellation symbolique à la gloire de la royauté  — Aux représentations figurées s’ajoutent les emblèmes et les devises qui connaissent la faveur des cours royales et princières dans la seconde moitié du xive  siècle. Charles V réduit le nombre de fleurs de lis à trois. La couronne est à la fois un symbole personnel et un symbole dynastique. Les premiers Valois sont très attachés au lion et à sa légende. Au-delà de ces thèmes récurrents (fleurs de lis, anges, évangélistes...), chaque souverain développe une emblématique plus personnelle.

Les chartes historiées ou la « mise en scène totale »  — Les chartes royales les plus solennelles sont de véritables manifestes à la gloire du pouvoir et du souverain. Philippe VI est le premier roi à se faire représenter sur un document de portée politique. Progressivement, toute la symbolique et la thématique royales apparaissent sur le parchemin. L’âge d’or de la charte historiée est incontestablement le règne de Charles V.


Seconde partie
Sceau et signature dans les cercles du savoir


Chapitre premier
Les notaires et secrétaires du roi : Aux origines de la signature ?

Les notaires et secrétaires du roi, praticiens de l’écrit et hommes de culture  — Au moment où les rois de France commencent à signer, les notaires et secrétaires de la chancellerie apposent leur signature sur les actes depuis déjà plusieurs décennies. L’institution se met peu à peu en place ; le nombre de notaires et secrétaires du roi ne cesse de croître. Loin d’être seulement des praticiens de l’écrit consciencieux et besogneux, confinés dans les bureaux de la chancellerie, ils sont aussi des mécènes raffinés et des collectionneurs avertis. Certains secrétaires se révèlent aussi être de véritables écrivains. Dans ce contexte intellectuel et culturel particulier, la signature occupe une place privilégiée.

La signature des notaires et secrétaires du roi  — Ce n’est que dans les années 1270-1280 que les clercs de la chancellerie et du Châtelet se mettent à signer. Cette pratique nouvelle s’impose rapidement et devient systématique. La signature des notaires et secrétaires connaît une évolution différente de celle des rois : l’encadrement est progressivement abandonné et remplacé par différents paraphes repris en même temps par l’immense majorité des notaires et secrétaires. Ces modes successives révèlent un véritable esprit de corps, qui se reconnaît et se manifeste dans un type de signature donné.

Le secrétaire du roi, personne publique, personne privée  — Le notaire et secrétaire du roi passe une grande partie de son temps en chancellerie, ou, à tout le moins, à s’occuper des affaires du roi ; il écrit aussi des mémoires ou conduit des ambassades. Pour autant, il a toujours une autre signature, destinée à signer les documents d’ordre privé, personnel. De la même manière, un secrétaire du roi qui est aussi notaire apostolique ou impérial dispose d’une signature réservée à cette charge. Certains notaires et secrétaires du roi étant issus de véritables dynasties, la contrainte de s’inscrire dans la tradition familiale s’ajoute à l’impératif de reprendre plus ou moins un modèle type. L’exemple des trois Blanchet est à ce titre très intéressant.

Les officiers royaux : quelques pistes de recherche  — L’analyse approfondie de la signature des officiers royaux dépassait le cadre de l’étude ; si les notaires et secrétaires du roi sont quelques milliers pendant les trois siècles concernés, les hommes au service du roi se comptent en effet par dizaine de milliers. Il apparaît toutefois que les officiers royaux adoptent presque immédiatement des signatures identiques à celles des notaires et secrétaires du roi. Ce mimétisme volontaire dépasse les différences régionales. Enfin l’étude du brevet et de la lettre du Châtelet permet encore un peu mieux d’appréhender le rôle de la signature. D’auxiliaire, elle se fait rapidement indispensable et suffisante.

Chapitre II
Acte authentique et seing manuel

Le notariat toulousain  — S’il ne faut pas trop vieillir l’institution du notariat toulousain, ce dernier n’en est pas moins ancien puisqu’il remonte aux toutes premières années du xiiie  siècle. Or, à partir des années 1270, à l’occasion de leur prestation de serment, les notaires nommés par les capitouls déposent leur seing manuel dans les registres de matricules. Grâce à cette source exceptionnelle, les signatures de plus de dix mille notaires toulousains nommés entre 1271 et 1536 ont pu être étudiées, en recourant à des grilles de dépouillement.

Les seings manuels des notaires toulousains : une histoire de près de trois siècles  — En feuilletant à la suite les registres, l’évolution générale s’impose d’emblée avec évidence. Certaines tendances déclinent, des modes nouvelles s’affirment. Il est des motifs qui semblent conserver la faveur des notaires tout au long de la période ; cette pérennité témoigne de leur succès. D’autres en revanche n’ont qu’une existence éphémère ; nés de l’imagination ou de l’intuition rare d’un esprit, ils ne durent que le temps d’une vie pour disparaître à la mort du notaire. Certains notaires n’hésitent pas à s’inspirer largement des seings manuels de leur prédécesseurs immédiats. En fin de compte, les motifs figurés disparaissent au profit de dessins géométriques et le nom se fait de plus en plus présent. Les seings manuels des notaires toulousains, si originaux au xiiie et au début du xive  siècle, ressemblent de plus en plus aux signatures des notaires et secrétaires du roi, au point qu’il devient impossible pour nombre d’entre elles d’en identifier l’auteur à la fin du xve  siècle.

Chapitre III
L’art et la manière de signer

Représentations politiques, symboles de pouvoir  — Les notaires toulousains choisissent souvent pour seing manuel un symbole de l’autorité municipale, puisqu’ils sont nommés par les capitouls. C’est donc à dessein qu’ils reproduisent la croix perlée ou, dans une moindre mesure, la cloche. La croix et la cloche représentent en effet la ville de Toulouse, avec ses prérogatives et ses richesses ; avec ses faiblesses aussi. Face au pouvoir insolent des notaires, habilités à exercer « sur toute la surface de la terre », le pouvoir royal ne pouvait guère rester indifférent. A mesure que les croix et les cloches se font rares, les fleurs de lis se multiplient. Il ne pouvait en être autrement : la disparition des unes et l’apparition des autres reflètent parfaitement l’évolution de la situation politique, la lutte pour le pouvoir et les conflits d’intérêt.

Les « seings mystiques » et d’inspiration religieuse  — Le thème religieux, voire mystique, connaît un succès croissant. Peu développé au début de la période, il est de plus en plus présent. On retrouve la croix, qui n’est pas seulement un signe de pouvoir, mais aussi un témoignage de dévotion. Il est aussi des seings manuels en manière d’ostensoir, de crosse ou de clé.

Plantes, animaux, objets et édifices  — Tous les seings manuels figurés ne font pas allusion au politique ou au religieux. Certains figurent des plantes, des animaux, des objets et des édifices. Ce sont de véritables petits dessins ; ils sont moins nombreux que les motifs précédents et ont aussi une existence plus éphémère.

Les « seings géométriques »  — Comme pour les seings manuels figurés, plusieurs groupes peuvent être distingués. La disparition des seings figurés au profit des seings géométriques montre une fois de plus que l’opposition entre les deux types est réductrice. Il faut davantage voir une complémentarité, puis, en avançant dans le temps, une évolution du figuratif à l’abstrait, comme en peinture, toutes proportions gardées.


Troisième partie
Le « droit à la signature »


Chapitre premier
Les princes des fleurs de lis : la signature, entre devises et armoiries

Jean de Berry : les fêtes de la représentation  — Jean de Berry est représenté de nombreuses fois sur ses sceaux les plus grands et les plus beaux. Il est frappant de constater que ces sceaux retracent l’évolution des traits du duc, qui changent à mesure que passe le temps, à la manière des statues de Charles V. Les sceaux de Jean de Berry sont à l’image de sa signature magnifique. L’usage de ces signes de validation se conforme aux pratiques de la chancellerie royale. Les chartes historiées du duc n’ont rien à envier à celles du roi. Les sceaux de Jean de Berry introduisent dans l’univers symbolique du duc où deux animaux, l’ours et le cygne, occupent une place privilégiée. Il convient de leur associer le chiffre énigmatique EV, les deux lettres s’inscrivant l’une dans l’autre. Le duc prend plaisir à se voir représenté sur le parchemin, le bois ou la pierre. Le portrait, la signature et l’emblématique participent de la même volonté de mettre en scène le personnage, avec force et unanimité.

Signature, portrait et emblématique  — Louis Ier d’Anjou est célèbre pour sa collection d’orfèvrerie et de joyaux, d’une richesse inégalée. C’est donc parmi cette multitude d’objets précieux qu’il faut avant tout rechercher les témoignages de l’emblématique, ancienne et nouvelle ; le duc y insiste sur son origine prestigieuse, même si sa signature ne s’inspire pas de celle de son frère régnant. La magnificence de la cour de Philippe le Hardi s’inscrit dans le sillage du mécénat des Valois. Aucune signature du duc de Bourgogne ne nous est parvenue ; sans doute n’a-t-il jamais signé aucun document. La signature de Charles de Navarre illustre en quelque sorte ses prétentions à la couronne de France. Celle de Gaston Fébus reflète des pratiques locales, mais aussi le témoignage d’une politique d’indépendance et d’autonomie.

Emblématique et signature au xve  siècle  — René d’Anjou est sans doute l’un des princes qui a le plus marqué son temps. Malheureux en politique, il se console en écrivant et en favorisant l’épanouissement des arts. Il développe une constellation emblématique sans précédent, qui évoque des royaumes incertains et inaccessibles. La signature et la typologie des actes participent pleinement de cette attitude. Philippe le Bon et les princes Louis et Charles d’Orléans attachent tous une grande importance à leur signature, pour des raisons néanmoins différentes.

Chapitre II
L’épée ou la plume La signature des gens de guerre

Montres de gens de guerre, envois et quittance  — Les nobles, les capitaines et les hommes de guerre cherchent avant tout la victoire. Par les armes, ils tentent d’obtenir le succès et la gloire. Le fait militaire, guerres et batailles, a toujours suscité l’intérêt ; quelques destins de meneurs d’hommes exceptionnels aussi. On a pu récemment s’interroger sur les rapports qu’entretiennent ces hommes avec l’écrit. On a posé la question de leur analphabétisme : vérité avérée ou mythe réducteur Les gens de guerre sont peu à peu amenés à posséder un minimum d’éducation : il leur faut lire une instruction, écrire un ordre, signer une quittance ou un serment.

Les signatures des gens de guerre : étude formelle  — Les signatures des nobles et des autres gens de guerre se font plus nombreuses à mesure que l’on avance dans le temps. Elles présentent une grande diversité. Le plus souvent, le nom seul est écrit, d’une main souvent hésitante ; parfois, un encadrement sommaire ou un paraphe très simple complète l’ensemble. D’autres signatures, à partir des années 1440-1450, semblent davantage maîtrisées. Les nobles et les capitaines signent tantôt du nom de baptême, tantôt du surnom ; il leur arrive aussi d’user du sobriquet ou du titre de la seigneurie principale. Il est intéressant de mettre en regard les signatures de soldats étrangers, anglais en particulier. Les mises en scène du nom, et sans doute la perception du nom lui-même, sont alors bien différentes.

La signature des gens de guerre (1468-1480)  — Les hommes de guerre, nobles et simples gens d’armes, sont amenés à signer de plus en plus fréquemment. Rare dans les dernières décennies du xive  siècle, ce geste devient courant dès le milieu du xve  siècle. Alors que s’affirme l’individu, les signatures se ressemblent de plus en plus. Mais ce paradoxe n’est qu’apparent : le développement de la culture nobiliaire va de pair avec une diffusion plus large de modèles communs, qui conservent chacun une marque personnelle discrète.

Chapitre III
Signer un tableau, signer une œuvre

Les signatures du peintre  — On se propose de reprendre la question de la signature du peintre en l’éclairant d’un regard nouveau, en l’abordant sous l’angle de la diplomatique. Il importe en effet de considérer le tableau comme un document, en analysant ses « caractères externes ». Cette méthode permet de multiplier les points de vue et les comparaisons, de révéler des analogies. Ainsi, la pratique des peintres s’inscrit dans l’univers plus vaste des rapports entre le symbole et la lettre. En effet, on est immédiatement frappé par la grande variété des pratiques de signer les panneaux, puis les toiles. Mais les artistes ne signent pas que des tableaux. Au quotidien, ils vivent, passent des marchés et reçoivent des commandes ; ils signent des documents, apposent leurs sceaux. La diversité des supports et des techniques laissent supposer que les signatures peuvent être différentes ou, à tout le moins, présenter des variantes, comme le confirme l’étude de leur aspect formel et la comparaison avec les signatures des autres groupes sociaux envisagés ici. La place de la signature dans le tableau, bien plus variable que sur un document, a une grande importance.

Artisans, marchands et autres gens de métier  — Chez les peintres verriers, les orfèvres et les tapissiers, la signature tient lieu de marque d’artisan et ne va pas sans rappeler les poinçons. Ces rapprochements méritent une attention particulière et peuvent contribuer à expliquer la surprenante renaissance du monogramme sur les tableaux, après sa disparition des actes royaux en 1330.


Conclusion

II est faux de présenter comme une vérité établie, et délicieusement paradoxale, que la signature a été inventée par ceux qui ne savaient pas écrire. Au contraire, la signature appartient au cercle des praticiens de l’écrit, des personnages cultivés ; elle s’épanouit dans les cercles de la connaissance et dans l’intimité des puissants. Mais la signature ne reste pas confinée dans les bureaux et les tours ; elle se diffuse progressivement vers le bas de l’échelle sociale. On aimerait dire qu’il y a aussi un « droit à la signature », comme il y a un « droit au portrait ».

La signature se développe dans un contexte particulier, au même moment que l’emblématique. Elle prend place dans des constellations qui défient encore parfois l’interprétation, pour y tenir sa place. La signature révèle les sensibilités, elle lève le voile sur les mentalités du passé. En affirmant l’individu et la personnalité, elle est une véritable mise en scène. Celle-ci peut être délibérée, dans les cas des princes, ou au contraire involontaire, dans le cas des hommes de guerre. Les recherches que l’on a menées inclinent à penser qu’il en va encore de même aujourd’hui. Par-delà les siècles, la signature possède toujours sa richesse, que l’on aurait tort de considérer comme appartenant inexorablement à l’ancien temps.


Illustrations

Figures dans le texte. ­ Cinquante planches hors-texte. ­ Album de deux cents reproductions.