Le Liber visionum et miraculorum
Édition du manuscrit de Troyes (Bibl. mun., ms. 946).
Introduction
Le genre littéraire de l’exemplum présente, pour l’étude de la prédication, du sentiment religieux et plus largement des mentalités médiévales, un intérêt qui désormais n’est plus à démontrer. Le rôle que joua, à la fin du xiie siècle, l’ordre de Cîteaux dans le regain de vitalité que connut l’utilisation de l’exemplum est également, depuis quelque temps, l’objet d’études approfondies, de sorte que la plupart des recueils cisterciens qui témoignent de ce renouveau sont, à ce jour, connus et édités au moins partiellement. Paradoxalement, c’est sans doute le plus ancien d’entre eux qui faisait exception jusqu’à présent. Ce recueil, conservé à la bibliothèque de Troyes, méritait à un double titre une édition et une étude détaillée : que ce soit en lui-même ou par comparaison avec les recueils mieux connus et plus diffusés qui le suivirent, il permet d’apporter un éclairage nouveau sur l’exemplum en tant que genre littéraire, mais aussi sur la vie et les préoccupations de l’ordre de Cîteaux quelques décennies après la mort de saint Bernard.
Première partiePrésentation générale
Chapitre premierContenu du manuscrit
Le manuscrit édité, le n° 946 de la bibliothèque municipale de Troyes, provient de l’abbaye de Clairvaux où il fut compilé à la fin du xiie siècle. Il était vraisemblablement destiné à l’usage interne de l’abbaye, et s’il fut, au début du siècle suivant, abondamment utilisé par plusieurs auteurs cisterciens, il ne fut en revanche jamais recopié. Ouvrage anonyme qui se présente, dans le prologue, comme le fruit d’un travail collectif, il ne porte pas non plus de titre ; le titre de Liber visionum et miraculorum que l’on emploiera par commodité, reprend les intitulés de la table des chapitres et rend assez bien compte, sinon du contenu réel de l’ouvrage, qu’il ne recouvre qu’imparfaitement, du moins de l’idée qu’en avaient les contemporains.
Le manuscrit est divisé en quatre grandes parties, de longueur très inégale. On peut déceler dans les deux premières une réelle volonté d’organisation et de cohérence narrative. Ces deux premières parties comportent chacune vingt-cinq chapitres et un titre qui résume partiellement, mais assez fidèlement, leur contenu.
La première partie est la plus abondante. Elle renferme quelques exempla tirés de sources hagiographiques comme la Vie de saint Grégoire et celle de saint Malachie, mais ce sont les récits de visions qui y tiennent la plus grande place : on y trouve notamment une partie des Visions de la moniale Elisabeth de Schönau, texte du milieu du xiie siècle, ainsi que les récits des visions de Tnugdal et de Drythelm. Ces deux derniers récits sont d’origine irlandaise : le premier fut rédigé vers 1150, le second est tiré de l’Historia ecclesiastica gentis Anglorum de Bède le Vénérable. Ces deux textes, qui jouèrent un rôle certain dans l’élaboration de l’idée de purgatoire, comportent tous deux une description détaillée de l’au-delà. C’est également dans cette première partie que l’on trouve le chapitre le plus abondant du Liber visionum et miraculorum, un commentaire de la liturgie de la messe qui emprunte beaucoup à l’Expositio misse de Florus de Lyon, texte du ixe siècle fondé sur des citations des Pères de l’Eglise.
La seconde partie est consacrée, d’après la table des chapitres, aux miracles eucharistiques et c’est sans doute, de tout le recueil, la partie qui présente la plus grande cohérence : à deux exceptions près, dont l’une est d’ailleurs justifiée par le rédacteur du manuscrit, le contenu réel est conforme à ce qui est annoncé dans la table. La plupart des récits sont de sources récentes et nombre d’entre eux sont visiblement issus d’un contexte cistercien.
On peut faire la même observation pour les récits qui composent la troisième partie, la plus courte du manuscrit. Sans doute copiée à part, sur un parchemin de moindre qualité, elle représente apparemment, en partie au moins, la première mise par écrit d’une tradition cistercienne récente. Quelques récits y sont rédigés à la première personne et pourraient être de la main même du compilateur.
La quatrième partie est celle qui comporte le plus grand nombre de chapitres. C’est aussi la plus hétéroclite. On y trouve pêle-mêle une suite de sentences de droit canonique, tirées pour la plupart du Décret de Gratien ; une lettre traitant de la liturgie de la messe ; une collection de miracles de la Vierge ; quelques épisodes empruntés à des Vies de saints(par exemple saint Annon, archevêque de Cologne) ; un récit de vision, la Visio Karoli, texte de la fin du IXe siècle qui raconte le voyage dans l’au-delà accompli par Charles le Gros, et de très nombreux exempla issus de l’ordre de Cîteaux ou concernant des moines. S’y trouvent également quelques exempla de sources plus anciennes, tirés par exemple des œuvres de saint Augustin et de saint Jean Chrysosthome.
Chapitre IIEtude codicologique et datation
La datation de l’ouvrage nécessite une étude codicologique détaillée, confrontée aux indications livrées par certains des récits. Le recueil comporte cent quatre vingt-un feuillets, répartis en vingt-quatre cahiers. A quatre exceptions près, tous les cahiers comportent huit feuillets. On note en premier lieu une relative homogénéité dans l’écriture et la mise en page du manuscrit, même si les rognures successives subies par le parchemin rendent les mesures quelque peu imprécises.
Quelques ensembles toutefois se distinguent très nettement. Ainsi les cahiers trois à dix du recueil, qui contiennent les Visions d’Elisabeth de Schönau et de Tnugdal, deux textes du milieu du xive siècle, contrastent avec les autres par leur décoration. De la même façon, le cahier correspondant à la troisième partie du Liber visionum et miraculorum ne comporte que sept feuillets et diffère du reste du manuscrit par la moindre qualité du parchemin employé et une mise en page moins soignée. On peut donc supposer que certains fragments du recueil furent copiés antérieurement à son élaboration.
Pour autant, il est impossible de parler d’un recueil factice, car l’effort accompli pour relier entre elles les diverses parties par un lien logique est très visible. De même, sur le plan matériel, l’impression d’ensemble qui se dégage lorsque l’on examine l’écriture reste celle d’une grande homogénéité. Les fragments préexistants de la première partie de l’ouvrage et la troisième furent sans doute réunis pour former un ouvrage plus ou moins organisé au début des années 1170, en tout cas à une date assez proche de la canonisation de saint Bernard, en 1174, ainsi qu’en témoigne la façon dont il est désigné dans les différentes parties du recueil. C’est probablement à cette occasion que furent rédigées la fin de la première partie, la seconde, et le début de la quatrième. Cette dernière devait subir par la suite un développement inopiné, par l’ajout de nombreux textes, dont certains très récents, et l’allongement qui en résulte, dans la table qui ouvre le recueil, contraignit le compilateur à remplacer un feuillet au début du manuscrit. Cependant, l’homogénéité de l’écriture dans la quatrième partie montre qu’elle fut rédigée assez rapidement, c’est-à-dire vraisemblablement avant la fin des années 1170.
On peut donc dater des années 1170-1180 l’élaboration de l’ouvrage, même si une partie des récits qu’il contient a pu être rédigée quelque temps auparavant. Cette datation vient étayer l’hypothèse selon laquelle le Liber visionum et miraculorum ne serait autre que le recueil compilé sur l’ordre du prieur Jean de Clairvaux, lequel était en fonction précisément pendant cette période (1171-1179).
Deuxième partieLes apports du Liber visionum et miraculorum
Chapitre premierMéthodologie
La lecture du Liber visionum et miraculorum a pour mérite essentiel de plonger le lecteur dans les préoccupations et la culture des moines cisterciens de la seconde moitié du xiie siècle. Dans cette optique, l’étude des sources utilisées dans le manuscrit est d’un intérêt primordial. S’il est possible de repérer de grands ensembles dans les textes auxquels vinrent puiser les rédacteurs du Liber visionum et miraculorum, il faut cependant remarquer que bien des récits semblent avoir leur histoire propre. C’est pourquoi est jointe à l’édition une table des récits, accompagnant l’étude menée sur les sources, qui fait le point sur les filiations qui ont pu être établies et les informations que l’on peut tirer de chacun d’entre eux. C’est à cette table que renvoie la numérotation en chiffres arabes employée pour citer les récits, numérotation qui figure également, entre crochets carrés, dans l’édition du manuscrit. Pour chaque chapitre, un résumé réunit les éléments les plus significatifs, puis est donnée la référence de la source utilisée, chaque fois que celle-ci a pu être déterminée. A défaut, on a fait figurer les textes que l’on peut mettre en parallèle avec l’exemplum concerné. Si l’utilisation du Liber visionum et miraculorum par un recueil postérieur paraît évidente, on précise également en quelques mots quel traitement a subi l’exemplum dans le recueil qui l’a utilisé. Sont enfin indiquées les références à divers outils de recherche comme l’Index exemplorum de F. C. Tubach, essentiel dans le domaine des exempta, et, lorsqu’il s’agit de textes déjà édités, les références des éditions existantes. Cette table permet enfin de souligner l’intérêt de tel ou tel texte et le rapport qu’il entretient avec des exempla présents dans d’autres recueils ou avec des récits que l’on trouve ailleurs dans le Liber visionum et miraculorum. Autant que cela était possible, on a aussi éclairé par des identifications, parfois quelques commentaires biographiques, les récits concernant tel ou tel personnage.
Chapitre IILes centres d’intérêt des moines cisterciens
L’étude des sources employées par le compilateur du Liber visionum et miraculorum donne un aperçu significatif des centres d’intérêt des moines cisterciens, une trentaine d’années après la mort de saint Bernard. On relèvera notamment le grand nombre de récits consacrés à l’eucharistie que l’on peut mettre en rapport avec les citations de droit canon (nos 105-121), dont beaucoup concernent le même sujet, et avec les deux abondants chapitres (nos 29 et 128) qui traitent de la liturgie de la messe.
L’intérêt porté à la géographie de l’au-delà et aux relations avec les défunts est également frappant, qu’il s’agisse de récits de visions, comme celles de Tnugdal, de Drytheim et de Charles le Gros (nos 10, 12 et 163), ou d’exempla monastiques : on trouve parmi ceux-ci, dans la quatrième partie surtout, de très nombreux récits de rencontre avec un moine disparu qui sont autant d’occasions de rappeler les vivants à leur devoir de solidarité avec les morts et de leur apporter quelques lumières sur leur devenir futur.
La Vierge Marie est également très présente dans la spiritualité des Cisterciens, ainsi qu’on peut le voir à travers les nombreux miracles dans lesquels elle intervient, mais également par la place particulière qui lui est accordée dans la version tronquée des Visions d’Elisabeth de Schönau qui figure dans le Liber visionum et miraculorum. Une collection entière de miracles mariaux fait l’objet d’un chapitre dans la quatrième partie (nos 142-153).
Chapitre IIILes liens entre les Liber visionum et miraculorum et le Liber
miraculorum D’Herbert de Clairvaux
L’analyse des relations entre le Liber visionum et miraculorum et les recueils ui le suivent est également du plus grand intérêt et apporte un éclairage nouveau ur la transmission et l’utilisation des récits au sein de l’Ordre. On a abondamment débattu de l’utilisation possible du Liber visionum et miraculorum par Herbert de Clairvaux, auteur d’un Liber miraculorum composé probablement à partir de la fin des années 1170 et qui, à la différence du Liber visionum et miraculorum, connut une diffusion très importante. Il semblait évident que, si le Liber visionum et miraculorumétait bien l’ouvrage compilé sous l’autorité du prieur Jean, Herbert, ancien moine de Clairvaux, n’aurait pu que s’en servir pour rédiger son propre ouvrage. En réalité, l’analyse des différents récits qui se retrouvent dans l’un et l’autre recueil conduit pratiquement à éliminer la possibilité d’une filiation.
En revanche, cette même analyse montre clairement que le Liber miraculorum et le Liber visionum et miraculorum puisent dans une tradition cistercienne commune, locale et récente, dont ils constituent, dès lors, deux mises par écrit quasiment contemporaines. Herbert ayant été, jusqu’en 1178, abbé du monastère de Mores, voisin de Clairvaux, nul besoin de s’appuyer sur une hypothétique filiation pour défendre l’identification du Liber visionum et miraculorum au recueil du prieur Jean. Il est bien plus opportun de s’interroger sur la raison pour laquelle, alors que le recueil d’Herbert connut une telle diffusion, le Liber visionum et miraculorum demeura un manuscrit unique. A cette question, l’examen de deux recueils du début du XIII e siècle permet d’apporter quelques éléments de réponse.
Chapitre IVLa postérité du Liber visionum et miraculorum
Le plus célèbre des deux est l’Exordium magnum Cisterciensis ordinis, composé dans les premières décennies du XIII e siècle par Césaire, moine d’Heisterbach. Cet ouvrage utilise en grand nombre les récits du Liber visionum et miraculorum, mais en les intégrant dans une élaboration littéraire dont l’envergure dépasse largement celle du manuscrit de Clairvaux. Les récits sont développés, refondus, polis, pour pouvoir prendre place dans un ouvrage dont l’objet essentiel est de défendre l’ordre de Cîteaux contre les critiques qui, déjà, se font jour. Tout ce qui n’est pas de l’ordre du récit exemplaire est donc laissé de côté par l’auteur de l’Exordium magnum.
Le second recueil, le manuscrit latin 15912 de la Bibliothèque nationale de France, se présente davantage comme un florilège de citations. Les récits du Liber visionum et miraculorum, qui y sont utilisés, là encore, en grand nombre, y sont sévèrement abrégés, pour se réduire soit à leur enseignement moral, soit à tel détail susceptible de marquer l’esprit du lecteur. Fait remarquable, lorsqu’un récit commun au Liber visionum et miraculorum et au Liber miraculorum d’Herbert de Clairvaux figure dans l’Exordium magnum ou dans le Bibl. nat. de Fr., lat. 15912, c’est toujours au Liber miraculorum que le texte est emprunté. Or, la comparaison entre le Liber miraculorum et le Liber visionum et miraculorum montre que ce dernier est en général plus fruste dans sa formulation et moins élaboré sur le plan moral et théologique. Par ailleurs, si la matière n’est guère plus organisée dans le Liber miraculorum que dans le Liber visionum et miraculorum, elle est cependant beaucoup moins hétéroclite. Il est bien compréhensible, dès lors, que l’ouvrage d’Herbert, un peu plus soigné que celui de son prédécesseur, ait eu plus de succès auprès des auteurs du début du siècle suivant et une diffusion plus grande. La façon dont le ms. Bibl. nat. de Fr., lat. 15912, fait référence au Liber visionum et miraculorum est également assez éclairante : ce dernier est plusieurs fois mentionné sous le titre de Liber deflorationum. C’est là un terme générique, qui peut désigner n’importe quel recueil d’extraits et ne s’applique pas essentiellement à des recueils d’exempla. Ce même terme désigne d’ailleurs bien d’autres ouvrages ayant servi à l’auteur du lat. 15912.
Le Liber visionum et miraculorum n’est donc pas véritablement, ou pas seulement, un recueil d’exempla.. Il a simplement accueilli, entre autres éléments, des récits exemplaires, parce qu’ils contribuaient, comme les textes liturgiques et les récits de visions, à l’édification des moines.
Chapitre VL’actualité au travers du Liber visionum et miraculorum : L’exemple des hérésies
Un autre intérêt du Liber visionum et miraculorum, et non le moindre, est que son ouverture au récit exemplaire tiré d’une expérience monastique récente s’accompagne d’un certain goût pour l’actualité, et de nombreux récits sont l’occasion d’évoquer des événements marquants de l’époque, sur lesquels ils apportent un témoignage inédit. Deux brefs exemples suffiront à illustrer cet apport. On trouve dans la quatrième partie (n° 157) un long récit concernant une hérésie qui se développa à partir de 1160 en Allemagne et atteignit les diocèses de Langres et de Besançon. Il s’agit probablement du mouvement auquel fait allusion, quelques décennies plus tard, Césaire de Heisterbach dans son Dialogus miraculorum. Le témoignage du Liber visionum et miraculorum, beaucoup plus proche des événements, est donc précieux, malgré le caractère stéréotypé de la description qu’il donne des hérétiques, car il fournit de nombreux détails sur l’extension géographique du mouvement, et l’évocation même de celui-ci dans le recueil est un indice de l’importance qu’il put avoir aux yeux des contemporains.
Plus précieux encore est le court récit, voisin du précédent (n° 155), qui concerne la conversion du marchand lyonnais Pierre Valdès. Sans conteste un des témoignages les plus anciens sur le fondateur du mouvement vaudois, ce bref épisode est également riche d’enseignements sur la circulation des informations à l’intérieur de l’Ordre lorsque l’on sait que l’archevêque de Lyon à cette époque, Guichard de Pontigny, était un ancien abbé de Clairvaux. Ce cas n’est d’ailleurs pas unique dans le Liber visionum et miraculorum et bien d’autres récits permettent d’entrevoir un réseau de relations et de transmission de l’expérience au sein de l’ordre de Cîteaux.
Conclusion
II est difficile de résumer en quelques mots les nombreux apports du Liber visionum et miraculorum pour la connaissance de l’ordre de Cîteaux à la fin du xiie siècle. Ce manuscrit est un témoin privilégié des préoccupations de l’Ordre à l’époque où avait lieu la canonisation de saint Bernard. C’est pourquoi la comparaison avec les recueils cisterciens du début du siècle suivant, plus particulièrement l’Exordium magnum, est si profitable. Les quelques décennies qui séparent ces deux ouvrages voient naître des tensions dont le Liber visionum et miraculorum ignore tout et voient également la production littéraire des Cisterciens s’adapter pour servir des besoins et des enjeux nouveaux.
Par ailleurs, on peut entendre dans le manuscrit de Clairvaux l’écho des événements marquants du temps et l’on peut suivre par moment son cheminement à l’intérieur de l’Ordre. Enfin la structure même du Liber visionum et miraculorum, ou, si l’on veut, son absence de structure, est digne d’intérêt, qui montre combien étaient multiples les points où se portait l’attention des moines, qu’il s’agisse de théologie, de liturgie, de récits miraculeux ou d’exempla. Sans être, au sens strict, un recueil d’exempla, le Liber visionum et miraculorum est sans nul doute, par tout ce qu’il donne à entrevoir de l’ordre et de l’époque qui l’ont vu naître, un recueil
Édition
Compte tenu du caractère unique du manuscrit, l’édition du texte se donne pour objectif d’en respecter, autant que cela est possible, le texte et la structure. Il était donc indispensable, en premier lieu, de donner une édition complète du manuscrit, bien que certains de ses chapitres fussent déjà connus par ailleurs et édités, en particulier les récits de visions. Le caractère hétéroclite de l’ouvrage n’était pas non plus un argument suffisant pour n’en donner qu’une édition partielle, car il fait du Liber visionum et miraculorum un témoin précieux de la diversité des préoccupations et des centres d’intérêt des moines cisterciens et, à ce titre, méritait d’être respecté.
Le respect du document original s’applique tout d’abord aux graphies particulières employées dans le manuscrit. Celles-ci dénotent en effet, de la part du ou des rédacteurs, un souci presque archéologique d’employer un latin aussi correct que possible, ce qui, du reste, les conduit parfois à des restitutions abusives. Les particularités les plus frappantes sont l’emploi du e cédille pour rendre la diphtongue œ, graphie traduite dans l’édition par e, et la restitution des préfixes con- et in- indépendamment du radical qui suit : on trouve ainsi dans le manuscrit conmunio et inmensus. Cette graphie est visiblement le fruit d’une réflexion sur la langue et devait donc être conservée dans l’édition, d’autant plus qu’elle n’est d’aucune gêne à la lecture.
De la même façon, on s’est efforcé de traduire dans l’édition les particularités de mise en page ou de mise en forme du texte, telles que les rubriques, transcrites en caractères gras, les gloses marginales, éditées en petits caractères ou encore l’usage des lettres capitales. Le manuscrit ayant fait, après sa rédaction, l’objet d’une relecture attentive, de nombreuses corrections ou variantes ont été indiquées dans les interlignes ou en marge. Plus tardivement, des lecteurs ont parfois proposé des corrections ou des identifications. L’ensemble de ces ajouts est reporté dans l’édition et commenté dans l’apparat critique.
La numérotation des chapitres posait problème : d’une part, il était impossible de négliger l’organisation du recueil en quatre parties, si inégales et hétéroclites fussent-elles, mais, d’autre part, la numérotation des chapitres dans le Liber visionum et miraculorumétait trop fréquemment fautive pour permettre de faire référence à tel ou tel récit sans ambiguïté. En outre, la numérotation utilisée par la table des chapitres et celle des récits ne correspondent pas toujours, car plusieurs récits mentionnés dans la table n’ont jamais été copiés et d’autres, qui figurent dans le recueil, n’ont pas été répertoriés. Pour pouvoir se référer sans erreur aux récits, on a donc mis en place une numérotation continue qui ne tient pas compte de la structure du recueil, mais marque simplement le passage d’une unité narrative à une autre. Cette numérotation est indiquée entre crochets dans l’édition et, par ailleurs, les numéros de chapitres du manuscrit ont été conservés sans aucune correction, même lorsque la numérotation était manifestement fautive, eu égard, une fois encore, à l’unicité du manuscrit. Enfin, la foliotation de celui-ci est indiquée entre barres obliques.
Dans l’édition elle-même sont identifiés les noms de lieu et de personne, lorsque cela est possible et qu’il ne s’agit pas de noms courants. Les citations bibliques et liturgiques sont également identifiées. Le long chapitre n° 29, l’Expositio misse tirée de l’ouvrage de Florus de Lyon, a fait l’objet d’un traitement particulier qui souligne les liens complexes qu’elle entretient avec l’ouvrage du diacre lyonnais : les passages tirés de celui-ci sont repérés et identifiés en note, avec un bref commentaire sur le traitement qu’ils ont subi.