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École des chartes » thèses » 2000

Les voyages français à la Chine (1720-1793) : vaisseaux et équipages


Introduction

A la Chine des missionnaires succéda progressivement une Chine des négociants dont l’histoire longue et mouvementée débuta en 1698 avec le voyage de la frégate L’Amphitrite. Ce n’est cependant qu’au terme de nombreuses péripéties que le commerce français en Chine s’organisa, la deuxième Compagnie des Indes, créée le 23 mai 1719, lui apportant un cadre institutionnel stable propice à son plein développement. A partir de 1720, les expéditions françaises gagnèrent ainsi en régularité ; elles connurent une croissance exceptionnelle sous le régime de la liberté commerciale institué en 1769, puis s’éteignirent en 1793 avec la cessation d’activité de la troisième Compagnie des Indes.

Eléments indispensables aux pérégrinations maritimes, le vaisseau et son équipage se situaient au xviiie siècle au cœur de toutes les préoccupations des compagnies comme des armateurs ; la réussite d’une expédition dépendait en grande partie de leur choix et de leur préparation. Les voyages à la Chine n’échappaient pas à la règle et requéraient même un peu plus d’attention, comptant parmi les traversées les plus longues, les plus délicates et par conséquent les plus périlleuses qu’il soit donné d’accomplir.


Sources

Parmi les trois principaux fonds consultés, celui du Service historique de la marine à Lorient constitue sans aucun doute l’une des principales sources documentaires puisque y sont conservées non seulement les archives de la deuxième Compagnie des Indes (sous-série 1 P) mais aussi la majeure partie des rôles à l’armement et au désarmement dressés tout au long du xviiie siècle par le bureau des classes du département du Port-Louis, puis de Lorient (sous-série 2 P). Le Centre des archives d’outre-mer offre, pour sa part, deux fonds essentiels : celui des Colonies et plus particulièrement la sous-série C2 réunissant une série de documents très divers relatifs à l’histoire des compagnies des Indes et au commerce, et celui de la troisième Compagnie des Indes conservé dans la sous-série 8 AQ. Enfin, la consultation du fonds Marine du Centre historique des Archives nationales reste indispensable, avec notamment les sous-séries B 3 pour la correspondance reçue par le secrétaire d’Etat de la marine, C6 pour les rôles d’équipages complétant ceux de Lorient, C7 pour les dossiers individuels des officiers de vaisseau et 4 JJ pour les journaux de bord.

Un certain nombre de services d’archives départementales ont par ailleurs très avantageusement complété ces trois premiers fonds, tels ceux du Morbihan ou d’Ille-et-Vilaine où sont respectivement conservées les archives des amirautés de Vannes et de Lorient et celles de Saint-Malo, ou encore ceux de la Gironde et de la Loire-Atlantique qui conservent des documents fondamentaux pour la compréhension des deux expéditions en Chine de 1783-1784 et de 1784-1785.

Enfin, les collections de nombreuses bibliothèques françaises offrent des documents inédits, comme des journaux de bord.


Première partie
Compagnies des Indes et armateurs particuliers


Chapitre premier
De la société Jourdan à la compagnie royale de la Chine

Née d’intérêts politiques, religieux et économiques, la première expédition maritime française en Chine est due à l’initiative du père jésuite Joachim Bouvet, tout juste revenu de Chine. Elle fut organisée par un homme d’affaires marseillais, Jean Jourdan de Groucé, qui, obtenant une autorisation ponctuelle de la Compagnie des Indes, créa à cette occasion la Société Jourdan. La première campagne débuta ainsi au début de l’année 1698, avec l’appareillage de la frégate L’Amphitriteà destination de Canton. Le succès de cette expédition persuada les directeurs de la Société Jourdan de préparer L’Amphitrite pour un second voyage et les engagea à fonder définitivement leurs droits sur un commerce riche de promesses, en créant la Compagnie royale de la Chine le 9 novembre 1700. Afin de surmonter des difficultés financières, la nouvelle compagnie s’associa à la demande du secrétaire d’Etat de la marine à de riches armateurs malouins le 7 novembre 1701. Toutefois, très rapidement, des dissensions survinrent entre les directeurs et aboutirent à la création d’une nouvelle Compagnie royale de la Chine le 28 novembre 1712, qui à son tour périclita à partir de 1715.

Chapitre II
La deuxième compagnie des Indes

Désirant lutter contre la crise économique du royaume, John Law créa le 23 mai 1719 une vaste et nouvelle Compagnie des Indes regroupant plusieurs anciennes compagnies moribondes, dont celle de la Chine. L’échec du programme de Law rendit difficiles les premières années de fonctionnement de la compagnie, avant qu’une importante réforme du contrôleur général Philibert Orry lui assurât à partir des années 1730 une croissance importante. A la suite de la guerre de Sept Ans, elle dut cependant faire face à une nouvelle crise financière qui l’affaiblit beaucoup et relança le débat sur la pertinence même de son existence et de son monopole. Ayant perdu entre temps l’appui jusqu’alors inébranlable de l’Etat et étant sujette à de nombreuses critiques tant de la part des armateurs particuliers que des physiocrates, elle finit par succomber : son privilège fut suspendu par l’arrêt du Conseil d’Etat du 13 août 1769.

Chapitre III
Le règne de la liberté commerciale

Le monopole exclusif de la Compagnie des Indes ayant été levé au profit d’une liberté commerciale fondée désormais sur l’initiative privée, il convint d’en définir les principes et d’assurer la continuité de l’approvisionnement du royaume en produits asiatiques. Le gouvernement royal posa les règles du libre commerce par deux arrêts datés du 13 août et du 5 septembre 1769 et s’occupa ainsi d’organiser les premiers armements à destination de l’Inde et de la Chine. Néanmoins, dès 1771, quatorze armateurs particuliers reprirent à leur compte le commerce français de Canton, lui conférant un développement jusqu’alors inconnu. L’internationalisation de la guerre d’indépendance de l’Amérique à la fin de 1777 porta cependant un coup funeste à cet élan commercial. Avec le retour de la paix en 1783, les armateurs particuliers furent contraints de renoncer à leurs prérogatives commerciales au profit d’un rétablissement du régime de l’exclusif, dont l’application se traduisit par les expéditions successives de Pierre-Jacques Mesié de Grandclos en 1783-1784 puis d’une association de villes maritimes en 1784-1785 et qui conduisit finalement à la formation d’une nouvelle et troisième Compagnie des Indes.

Chapitre IV
La troisième compagnie des Indes

Créée le 14 avril 1785 sur le modèle de la deuxième compagnie, la troisième Compagnie des Indes fut dotée du privilège exclusif du commerce de tous les territoires situés au-delà du cap de Bonne-Espérance, à l’exception des Mascareignes. Elle entreprit de se doter progressivement d’une flotte, ayant recours dans un premier temps à l’affrètement des vaisseaux de l’armateur lorientais Nicolas Arnous Dessaulsays, puis à ses propres bâtiments. Ses armements demeurèrent néanmoins insuffisants, ce qui provoqua l’indignation des armateurs du royaume et alimenta un discours désormais favorable à la suppression du privilège de la compagnie. Cette suppression fut prononcée le 3 avril 1790 par un décret rendant libre et accessible à tous les Français le commerce des Indes. Enfin, les décrets du 8 octobre 1793 et du 15 avril 1794 décidèrent successivement la suppression de la compagnie et la liquidation de ses affaires.


Deuxième partie
Vaisseaux et expéditions


Chapitre premier
Dénombrement des vaisseaux et des armements

Recherche et identification des vaisseaux  — Au-delà des critères même de la destination des vaisseaux et de la date de leurs armements, les expéditions françaises organisées à destination de la Chine entre 1720 et 1793 ont été choisies en fonction des éléments suivants : un armement dans un port français par et pour le compte de compagnies monopolistiques ou d’armateurs particuliers d’origine française. Quatre-vingt-huit bâtiments ont ainsi été retenus, correspondant en tout à cent trente-sept voyages dont le détail est exposé sous la forme d’un tableau. Les différentes expéditions y sont classées selon l’ordre chronologique du départ des vaisseaux avec, pour chacune d’entre elles, la mention du nom du vaisseau, de son tonnage, du nom de l’armateur et de celui du capitaine, du port où eut lieu l’armement, de la date de départ et de celle d’arrivée et, enfin, du port où se fit le désarmement.

Fréquence des armements  — Dès l’année 1721, les expéditions françaises à destination de la Chine furent victimes des difficultés financières de la Compagnie des Indes. Elles reprirent cependant un cours régulier à partir de 1729 avec l’envoi en moyenne de deux vaisseaux par an jusqu’en 1745, les guerres de Succession d’Autriche puis de Sept Ans suspendant à chaque fois les relations commerciales entre la France et la Chine et causant, à leurs termes, un nouveau regain. A la suite de la suspension du privilège de la compagnie, ces relations connurent une nouvelle croissance à partir de 1770 sous l’effet de la libre concurrence : quatre à six vaisseaux partaient alors chaque année vers la Chine. Le rythme des armements diminua finalement après la création de la troisième Compagnie des Indes en 1785, passant de trois à un vaisseau par an.

Chapitre II
Evolution et choix des vaisseaux

Un accroissement significatif des tonnages  — Tout au long de l’exercice de la deuxième Compagnie des Indes, le tonnage des vaisseaux expédiés en Chine ne cessa de progresser passant d’une moyenne de 578 tonneaux entre 1721 et 1738 à 880 tonneaux entre 1762 et 1769. Cette augmentation ne se démentit pas durant la période de liberté commerciale, mais une diminution du tonnage moyen s’amorça avec le retour du régime de l’exclusif (813 tonneaux entre 1783 et 1785) et s’accentua tout particulièrement sous la troisième Compagnie des Indes (700 tonneaux entre 1786 et 1792).

Vers une spécialisation des vaisseaux destinés au voyage de la Chine  — Ce n’est qu’à partir du règlement du 16 septembre 1733 que la deuxième Compagnie des Indes définit clairement l’emploi de ses vaisseaux en fonction de leur destination. Les expéditions en Chine bénéficièrent ainsi des plus gros navires de la compagnie, souvent sortis depuis peu de l’arsenal de Lorient, afin de répondre à des exigences commerciales et nautiques particulières. Loin de se détourner du modèle défini par la compagnie, les armateurs particuliers s’efforcèrent de s’y conformer, achetant en priorité les vaisseaux dont les qualités avaient déjà été éprouvées dans le passé.

Chapitre III
Le voyage à la Chine

Le calendrier des expéditions  — Tributaires du régime des vents et plus particulièrement du cycle saisonnier de la mousson, les expéditions en Chine imposaient aux navigateurs qui les entreprenaient le respect d’un calendrier très précis et rigoureux. Grâce aux observations des équipages et à l’expérience acquise aux cours des voyages, les départs de France évoluèrent progressivement d’un appareillage plutôt hivernal à un appareillage plutôt printanier, tandis que le retour des vaisseaux en France était avancé du mois de juillet au mois de juin. La durée de la traversée à l’aller comme au retour diminuait ainsi significativement du fait d’une maîtrise toujours plus affirmée des mers.

Itinéraires et escales  — La seule route pratiquée par les vaisseaux pour gagner la Chine durant la période étudiée resta celle du cap de Bonne-Espérance, dont le tracé et les points de relâche étaient connus et maîtrisés par les navigateurs depuis la fin du xviie siècle, du moins jusqu’en Inde. A partir de la zone des détroits marquant l’entrée des mers de Chine, la navigation devenait en revanche plus délicate et empirique.


Troisième partie
Equipages et Etats-majors


Chapitre premier
Méthode d’identification et étude des équipages

Recherche et identification des officiers majors  — L’identification des officiers majors ayant servi sur les bâtiments français expédiés en Chine a été essentiellement réalisée à partir des cent vingt-neuf rôles d’équipage conservés (seuls huit rôles n’ont pu être retrouvés).

Formation et évolution des équipages  — Les équipages embarqués étaient extrêmement variables tant par leur composition que par leur nombre. La tendance était plutôt à une diminution du nombre d’hommes, à l’exception néanmoins de la période de liberté commerciale.

Chapitre II
Les officiers majors

Composition de l’état-major  — Selon le règlement du 16 septembre 1733, l’état-major des vaisseaux de la première navigation dont faisait partie la Chine devait être composé d’un capitaine, d’un premier et d’un second lieutenant, d’un premier et d’un second enseigne, d’un enseigne surnuméraire, d’un écrivain, d’un aumônier et d’un chirurgien-major. Cet effectif restait très peu respecté (7 %), la majorité des vaisseaux envoyés en Chine ayant un état-major numériquement supérieur (61,2 %).

Les officiers  — Un recrutement maîtrisé ne survint qu’en 1733 avec l’entrée en vigueur du règlement de la Compagnie des Indes qui organisa non seulement la formation des élèves officiers, mais aussi le déroulement de leur carrière. Majoritairement originaires de la généralité de Rennes (71,1 %), les jeunes recrues provenaient essentiellement de familles travaillant déjà pour le compte de la compagnie. Leur avancement était dicté par deux paramètres : le nombre des campagnes accomplies et l’ancienneté. A la suite de la suspension du privilège de la Compagnie des Indes, les armateurs particuliers enrôlèrent de façon privilégiée nombre de ces officiers, bénéficiant ainsi de leur expérience.

Le personnel auxiliaire  — L’écrivain, proche collaborateur des officiers, était chargé de la tenue des registres durant la campagne concernant non seulement l’équipage, mais aussi la gestion des vivres. Recrutés principalement dans les provinces maritimes de la Bretagne (68,4 %), les écrivains étaient enrôlés au gré des expéditions, ne réalisant bien souvent qu’une seule campagne avant de trouver un autre emploi dans la marine, l’épée ou encore la plume.

Chargés du salut des âmes de l’équipage, les aumôniers provenaient d’origines très diverses voire étrangères (25,6 % d’Irlandais) avec cependant une primauté des diocèses bretons (47,2 %). Tout comme les écrivains, ils ne participaient souvent qu’à une seule expédition avant de retrouver leur ministère dans leur diocèse ou leur communauté, un voyage en Chine leur apportant des ressources financières intéressantes.

Le plus souvent assistés de deux acolytes, les chirurgiens-majors avaient pour mission de soigner les membres malades de l’équipage et de former les apprentis chirurgiens placés sous leurs ordres. Certains faisaient carrière au sein de la marine, aussi bien à terre qu’en mer, alors que d’autres profitaient de la solide expérience professionnelle acquise et de leurs appointements pour s’installer définitivement à terre, en France ou dans les comptoirs. Ils étaient également majoritairement originaires de la généralité de Rennes (72,2 %).


Pièces justificatives

Arrêt du Conseil d’Etat portant règlement pour le commerce de l’Inde (6 septembre 1769). ­ Soumission de l’armateur lorientais René Foucaud pour l’armement du vaisseau du roi Le Laverdy(21 juillet 1770). ­ Arrêt du Conseil d’Etat concernant le commerce de la Chine (2 février 1783). ­ Arrêt du Conseil d’Etat concernant l’expédition de commerce à faire à la Chine de 1783 à 1784 (21 juillet 1783). ­ Ordonnance du roi concernant les officiers de marine de la Compagnie des Indes (13 novembre 1770).


Annexes

Catalogue des bâtiments français expédiés en Chine entre 1720 et 1793  — Le catalogue des bâtiments est composé de quatre-vingt-huit notices de vaisseaux présentant, pour chacun d’entre eux, ses qualités matérielles et son identité (nom et nature du bâtiment, port en tonneaux, nombre de canons, lieu et date de construction et de mise à l’eau, nom du ou des propriétaires), ainsi que le détail de ses armements et désarmements jusqu’à sa condamnation, son naufrage ou plus simplement sa dernière expédition. Un état des sources se rapportant au vaisseau complète chaque notice.

Catalogue biographique des officiers majors ayant servi sur les bâtiments français expédiés en Chine entre 1720 et 1793  — Le catalogue biographique des officiers majors présente la carrière de neuf cent vingt-deux officiers, répartis en six cent vingt-deux officiers supérieurs, quatre-vingt-cinq écrivains, quatre-vingt-six aumôniers et cent vingt-neuf chirurgiens-majors. Complétée par un état des sources détaillé, chaque notice mentionne la région d’origine de l’officier et le détail de ses campagnes tant à destination de la Chine que vers d’autres pays.

Tableaux des expéditions françaises à destination de la Chine de 1698 à 1719 et de 1720 à 1792. ­ Cartes des itinéraires suivis par les vaisseaux français à l’aller comme au retour entre la France et la Chine. ­ Cartes des origines géographiques des officiers majors, des écrivains, des aumôniers et des chirurgiens-majors. ­ Index des noms de personne et de société d’armement, des noms de vaisseau et des noms de lieu.