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École des chartes » thèses » 2000

Louis II de la Trémoille ou la découverte de l’Italie (1480-1525)

Étude historique et édition de correspondance.


Introduction

Louis II de La Trémoille (1460-1525) représente à lui seul une époque, celle d’une France conquérante, encore chevaleresque et déjà moderne. Au service de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier , pendant près de cinquante ans, il occupa sans la moindre interruption ou éclipse un rôle de premier plan à la cour et aux armées. On a choisi de privilégier ici ses rapports avec l’Italie. En effet, il fut l’un des personnages principaux des premières Guerres d’Italie, du Voyage de Naples (1494-1495) à la bataille de Pavie, où, âgé de soixante quatre ans, il mourut d’un coup d’arquebuse. Il est intéressant de comprendre quels types de rapports il établit avec les princes et les villes de la Péninsule. Etaient-ils uniquement militaires et diplomatiques, ou peut-on parler d’échanges culturels

La question d’ailleurs prend tout son sens avec le règne de Louis XII (1498-1515), que l’historiographie tend à négliger, dans la mesure où l’année 1500, implicitement, sert de charnière entre le Moyen Age et la Renaissance. Or pendant les premières années du XVI e siècle, la domination française sur une grande partie de l’Italie parut solide et durable, et cette période de transition offre un intérêt particulier du point de vue des échanges entre les deux pays. On peut donc se demander quel rôle La Trémoille y joua, en tenant compte des différentes facettes de sa personnalité ; proche conseiller du roi et chef de guerre, il était également un grand seigneur, sensible aux plaisirs et aux modes d’une caste qui transcendait les frontières politiques (chasse, arts et lettres, etc.). A-t-il été un homme exceptionnel, un héros aussi brillant que Gaston de Foix ou Bayard Ou faut-il voir dans son personnage un aristocrate français parfaitement représentatif d’un milieu et d’une époque C’est à ces questions que ce travail, en présentant l’édition de plusieurs centaines de lettres et de documents, cherche à répondre.


Sources

Sous la cote 1 AP, les Archives nationales conservent le chartrier des La Trémoille, aussi connu sous le nom de chartrier de Thouars. Ce fonds prodigieux, mais dont le classement reste très incertain, contient à la fois des séries de correspondance, des documents fonciers, financiers, judiciaires et quelques comptes de l’hôtel de Louis de La Trémoille. On arrive ainsi à reconstituer en partie l’itinéraire de La Trémoille en Italie et à avoir une idée de ses correspondants. Ce chartrier, si riche soit-il, a quand même beaucoup souffert ; et les archives italiennes permettent de palier une partie de ses lacunes. Comme il était impossible de visiter toutes les archives de la Péninsule, on a privilégié les villes d’Italie centrale et septentrionale avec lesquelles La Trémoille entretint des rapports attestés : Milan, Rome, Florence et Pisé, et enfin Mantoue et Ferrare. Les fonds les plus importants proviennent de Mantoue, car l’Archivio Gonzaga conserve à la fois les lettres reçues et les réponses, dans des registres de copialettere. Enfin, quelques lettres de la correspondance de La Trémoille à Anne de Montmorency proviennent du fonds français de la Bibliothèque nationale de France. Au total, ce sont trois cent quarante lettres et documents qui composent le corpus édité dans ce travail.


Première partie
Représentation


Chapitre premier
Emblématique

Comme tout grand seigneur de la fin du Moyen Age, La Trémoille éprouvait un besoin vital de se faire connaître et reconnaître dans les différentes sphères de ses activités, que ce fût chez lui, dans ses domaines, ou chez le roi, à la cour et, bien sûr, à la guerre. Il s’inscrivait ainsi dans un cadre complexe de représentations et de signes, qui ont frappé ses contemporains, tant en France qu’en Italie, et qu’il est intéressant de restituer ici.

L’emblématique, qui constitue la première sphère de représentation, comporte un mélange subtil d’éléments acquis et de créations originales. Parmi les éléments hérités, il faut compter le nom, le prénom, les titres et le blason. Déjà attesté au XI e siècle sous sa forme « La Trimoille » (c’est-à-dire tremblais dans le français de l’ouest), le nom a évolué à la fin du Moyen Age en « La Trémoille », qui se prononce « La Trémouille ». Louis II de La Trémoille porte le prénom de son père, mais il semble que le prénom des aînés de la famille aux xve et xvie siècles soit à mettre en rapport avec celui du roi ou du dauphin de France : le fils de Louis II, Charles, a pour parrain Charles VIII ; et son petit-fils, François, a pour parrain François d’Angoulême. L’écu de La Trémoille (d’or au chevron de gueules, accompagné de trois aiglettes d’azur, becquées et membrées de gueules) a varié tout au long du xve siècle ; et Louis II l’a écartelé avec au 2, Thouars, et au 3, Craon. Cette composition semble avoir une valeur politique, car Louis affirmait ainsi son emprise sur la ville de Thouars, la nouvelle « capitale » de la famille, et sa filiation politique avec son oncle Georges de La Trémoille, seigneur de Craon, le ministre de Louis XI.

Dans un second cercle de représentation intervient l’individualité du personnage qui, tout en prouvant son appartenance à une classe, cherche en même temps à s’y distinguer. On peut relever différents éléments : le chiffre, les devises, le juron, les surnoms… Ainsi le chiffre, des G et des L enlacés qui rappelaient l’union de Louis et de Gabrielle de Bourbon, semble avoir été un motif décoratif récurrent dans tout le château de Thouars. D’après Paolo Giovio, La Trémoille avait adopté pour devise une roue qu’accompagnait la formule austère : « Sans poinct sortir hors de l’ornière ». Mais La Trémoille utilisa d’autres devises, que l’on pourrait appeler des devises de circonstances. On voit ainsi sur son grand sceau équestre : «  Omnis qui zelum habet militie : exeat post me »  ; une autre devise latine, attestée par les textes, «  Ardet in hostes » , pourrait être mise en relation avec l’étendard qu’il arborait au moment de la reconquête du Milanais en 1500 : une épée sanglante, une torche et un fouet. Louis II fut surnommé « le Chevalier sans reproche », mais à ce surnom très noble s’en ajoutait un autre, plus curieux : « La Vraye-corps-Dieu », d’après son juron favori, une expression qui semble avoir marqué ses contemporains.

Chapitre II
Un portrait littéraire

L’emblématique représente sous différentes formes un homme idéal : sans reproche, et idéel : l’homme d’une lignée, avec son nom et son blason ; l’homme d’une fonction, qu’évoquent les emblèmes de cour et de guerre. Mais derrière le masque, il y a encore l’homme de chair. Celui que nous livrent les portraits littéraires ou artistiques. On ne connaît qu’un portrait littéraire de La Trémoille, dû au Grand Rhétoriqueur Jean Bouchet. Ce familier des La Trémoille rédigea en effet plusieurs textes en l’honneur de ses protecteurs, et notamment le Panégyric du Chevallier sans reproche, publié en 1527. Dans ce texte fondamental, Bouchet donne une description physique et morale du jeune Louis, précieuse, malgré le style ampoulé du rhétoriqueur.

Chapitre III
Les portraits peints et la statuaire

Au même titre que les différents emblèmes déjà étudiés, le portrait revêt une fonction sociale et aulique non négligeable. Le peintre vise avant tout à une ressemblance absolue entre le portrait et son modèle ; mais en même temps, l’œuvre doit affirmer quelque chose de plus : un statut social, un caractère.

On possède cinq figurations de La Trémoille que l’on peut considérer comme authentiques. La première est un portrait sur bois de très petites dimensions, aujourd’hui conservé au musée Condé de Chantilly. L’œuvre n’est ni signée ni datée, mais on s’accorde généralement sur le nom de Benedetto Ghirlandaio, cadet de Domenico. Celui-ci a travaillé en Auvergne, entre 1485 et 1494, pour le compte de Gilbert de Montpensier et de sa femme, Chiara Gonzaga. Il est fort probable que c’est Gilbert lui-même qui a commandé le portrait de son jeune beau-frère vers 1485. Le second portrait consiste en une miniature sur vélin, dont on a seulement une photographie ancienne. Le travail est d’un goût italien ou italianisant. La Trémoille semble déjà âgé (environ quarante-cinq ans), ce qui placerait l’œuvre autour de 1510. Cette immature servit de modèle à Philippe de Champaigne pour un tableau, aujourd’hui perdu, mais connu par la gravure, destiné à la Galerie des grands hommes du Palais-Cardinal, en 1635. Dans Les vrais pourtraits et vies des hommes illustres…(1584), André Thevet a fait représenter un La Trémoille vieilli : la gravure semble avoir été composée à partir du gisant et d’un portrait au crayon aujourd’hui perdu. Louis avait en effet commandé un ensemble de monuments funéraires qui ornaient la crypte de la chapelle de Thouars. Ces tombeaux, détruits à la Révolution, sont néanmoins connus par les dessins du fonds Gaignières. On possède en outre le marché passé pour leur réalisation entre les La Trémoille et le sculpteur Martin Claustre. Enfin, la tapisserie du siège de Dijon, réalisée vers 1515, montre parmi les défenseurs de la ville La Trémoille, qui était alors gouverneur de Bourgogne (Dijon, musée des Beaux-Arts). C’est le seul portrait connu du personnage qui ne soit pas une commande des La Trémoille ou de leur milieu.

Sous le nom de Gabrielle de Bourbon, la première épouse de Louis, on connaît un petit portrait de cour, montrant une jeune femme très richement parée ; la localisation actuelle en est malheureusement inconnue. Il est très tentant de mettre ce tableau en rapport avec celui qui fut envoyé à La Trémoille peu avant son mariage, en 1484, et que Jean Bouchet affirme avoir vu. Il existe en outre un crayon du recueil Montmor à la bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence qui pourrait la représenter âgée d’une trentaine d’années, mais l’identification n’est pas certaine.

Sur la base d’une fausse identification de Gaignières, on a longtemps pris pour La Trémoille un personnage barbu dont on a deux portraits anciens, un crayon et un tableau : d’après l’habit de celui-ci, on se situe vraisemblablement vers la fin des années 1550. Non seulement, il ne peut s’agir de Louis II, mais en outre, pour des questions d’âge, il ne s’agit sans doute pas non plus d’un de ses descendants. Le musée du Louvre conserve par ailleurs une statuette équestre, qui aurait été fondue à Milan vers 1510 : on a voulu y voir La Trémoille, car le cimier du cavalier représente une sorte de roue dentée, qui rappelle sa devise. Mais cette identification relève de la plus haute fantaisie et ne peut être retenue.


Deuxième partie
Action


Chapitre premier
La route de Naples (1494-1495)

Comme bien des seigneurs français de son temps. La Trémoille découvrit l’Italie lors du Voyage de Naples. Il accompagnait Charles VIII en tant que chambellan, et ne semble pas avoir eu, du moins au départ, de fonction militaire particulière. Mais le roi lui confia plusieurs ambassades, une première auprès de l’empereur Maximilien (printemps 1494), une seconde chez Ludovic le More (septembre), et la dernière auprès du pape Alexandre VI (décembre). Les rapports des ambassadeurs italiens montrent en outre La Trémoille toujours très proche du roi, et il ne fait aucun doute qu’il ait appris durant ce voyage émaillé d’entrées solennelles et d’ambassades diverses les rudiments du jeu politique de la Péninsule. Le 9 février 1495, il conduisit lui-même l’assaut de Monte San Giovanni, l’une des forteresses de la frontière napolitaine : victoire éclair qui allait ouvrir le royaume aux troupes françaises. Durant près de trois mois (février-mai). La Trémoille résida à Naples, siégeant quotidiennement au conseil du roi. Puis, devant la formation d’une coalition italienne, Charles VIII donna le signal du retour. La Trémoille, qui n’avait demandé aucune charge dans le royaume conquis, revint avec le roi, mais il joua désormais un rôle de premier plan : c’est grâce à son énergie que les Français firent passer les Apennins à leur artillerie ; il contribua à la victoire de Fornoue (6 juillet 1495), et il semble avoir pris une part importante dans les négociations qui conduisirent à la paix de Verceil (9 octobre).

Chapitre II
Les débuts de l’aventure milanaise (1499)

Louis XII ne tint pas rigueur à La Trémoille de l’avoir vaincu à Saint-Aubin-du-Cormier (« ce n’estoit à un roy de France de venger les injures faictes à un duc d’Orléans »), et il le maintint dans toutes ses charges à la cour. La Trémoille n’eut aucune part à la conquête du Milanais, réalisée à l’été 1499, mais il accompagna le roi, comme courtisan, dans son voyage triomphal en Lombardie (septembre-novembre). A Milan, il nouait de nouveaux contacts avec les princes italiens, et notamment le marquis de Mantoue, Gian Francesco Gonzaga.

Chapitre III
La reconquête de Milan (1500)

En janvier 1500, Ludovic le More, grâce au soutien de Maximilien, entreprit de reconquérir son duché perdu. Louis XII désigna alors La Trémoille comme son lieutenant-général en Milanais, et celui-ci passa les monts en mars à la tête d’une puissante armée. Au siège de Novare, il réussit à défaire l’armée milanaise et à capturer Ludovic (10 avril). Une fois la victoire acquise, il fallut réorganiser les affaires du duché. Pendant que le cardinal d’Amboise s’occupait à Milan des questions politiques, La Trémoille parcourait le Milanais et inspectait notamment la frontière nord, afin de mettre fin aux désordres que causaient les bandes de soldats errants et de régler le problème de Rellinzona, occupée par les Suisses. On est exceptionnellement bien informé sur tous ces événements par les fonds conservés dans le chartrier de Thouars. En juin. La Trémoille estima qu’il avait rempli sa mission et il rentra en France, en déclinant les offres de Louis XII, qui lui proposait de devenir vice-roi ou gouverneur de la nouvelle province, et celles de Florence qui aurait aimé l’engager comme condottiere dans sa guerre contre Pisé.

Chapitre IV
Une Italie troublée (1501-1502)

Par un effet pervers de l’alliance de Louis XII et d’Alexandre VI, la victoire française en Italie avait favorisé l’ambition démesurée de César Borgia. Celui-ci cherchait à se tailler un empire dans l’Italie centrale, et les alliés du roi appelaient la France à l’aide. A l’été 1502, toute la cour se déplaça en Italie. La Trémoille était chargé de conduire une expédition contre le Borgia ; mais César, affolé, vint trouver Louis XII et réussit, contre toute attente, à le convaincre de ses bonnes intentions. L’expédition tournait court.

Chapitre V
Une expédition perdue (1503)

En mai 1503, l’armée française qui luttait depuis deux ans dans le royaume de Naples fut battue par les Espagnols de Gonzalve de Cordoue. Louis XII se hâta d’envoyer des secours, sous la conduite de son meilleur général, Louis de La Trémoille. Mais le 13 juillet, alors qu’il tenait un conseil de guerre à Parme, La Trémoille fut terrassé par une attaque de fièvre, probablement une atteinte de paludisme, et faillit en mourir. Grâce aux rapports des Italiens, on connaît son bulletin de santé au jour le jour, et même les paroles qu’il prononçait dans ses nuits de délire. Le roi finit par confier la direction des opérations au marquis de Mantoue. Mais entre-temps Alexandre VI était mort (le 18 août), et Louis XII ordonna à ses troupes de gagner Rome pour assurer la « liberté des cardinaux », c’est-à-dire favoriser l’élection du cardinal d’Amboise. La Trémoille, un peu remis, rejoignit l’armée dans la banlieue de Rome, mais en septembre, décidément trop malade, il regagna la France à petites étapes, tandis que l’expédition finissait sur un nouveau désastre.

Chapitre VI
Nouveaux combats en Italie du Nord (1507-1512)

L’Italie ne constituait qu’une facette du champ d’action de La Trémoille : il était amiral de Bretagne et de Guyenne depuis 1502, il devint gouverneur de Bourgogne en 1506. Il ne semble pas avoir participé à l’expédition de Gênes en 1507, mais son fils Charles s’y distingua. En revanche, en 1509, les deux hommes accompagnèrent Louis XII dans son expédition contre Venise et combattirent vaillamment à Agnadel. Durant l’été 1512, les Français perdirent le Milanais. La Trémoille partit en Suisse afin de renégocier une alliance, qui s’avéra en fin de compte impossible.

Chapitre VII
Un long automne (1513-1525)

Après l’échec des négociations, Louis XII envoya en Lombardie une nouvelle armée française avec La Trémoille et Trivulce. Mais alors qu’ils avaient commencé à investir Novare, où s’était enfermé le duc Massimiliano Sforza, les Français se firent surprendre par une attaque nocturne de l’infanterie suisse (6 juin 1513). Il fallut battre en retraite sans gloire. La Trémoille dut alors défendre Dijon que les Suisses assiégeaient, et il réussit à négocier leur départ contre une somme exorbitante (13 septembre).

Louis XII mourut avant d’avoir pu prendre sa revanche, mais François Ier utilisa les préparatifs de son prédécesseur pour attaquer une nouvelle fois le Milanais, où il vainquit les Suisses à Marignan. Cette bataille fut un désastre pour Louis de La Trémoille qui y perdit son fils unique. Il avait bâti toute sa carrière sur le service du roi, et son fils mourait précisément au moment où il aurait pu se retirer des affaires, comblé d’honneurs. Ce qui explique peut-être que La Trémoille ait continué à servir, malgré son âge. En 1516, il se trouvait toujours en Italie, et joua un rôle dans les négociations du concordat de Bologne. Mais dans les années qui suivirent, il ne revint plus dans la Péninsule ; il séjourna longuement dans son gouvernement de Bourgogne, combattit en Picardie et en Artois dans les années 1521-1523, et mena une activité apparemment inlassable.

En 1524, devant l’invasion de la Provence, François Ier le rappela et il participa à la contre-offensive. Sur les pas du connétable de Bourbon, l’armée française franchit les Alpes et envahit le Milanais : pendant que le roi investissait Pavie, La Trémoille reçut le gouvernement de Milan (octobre 1524), où il essaya à grand-peine de rétablir l’ordre. Début février 1525, François I er rappela tous ses capitaines en prévision du combat décisif. Le 24, contre l’avis de ses vieux conseillers, dont La Trémoille, il lança la bataille désastreuse, où au terme d’une charge aussi héroïque qu’inutile, il allait être fait prisonnier, tandis que la chevalerie de France était fauchée par le feu des arquebusiers espagnols. La Trémoille y laissait la vie.


Troisième partie
Relations


Chapitre premier
Louis II de la Trémoille et le marquis de Mantoue

Grâce aux exceptionnelles archives de Mantoue, on arrive à restituer la quasi-totalité de la correspondance de Gian Francesco Gonzaga et de Louis de La Trémoille, durant les quelques années de leur relation (1495 et 1499-1503). Cette correspondance constitue la moitié de notre corpus. En fait, les deux hommes étaient apparentés : Chiara, la sœur du marquis, avait épousé en 1481 Gilbert de Montpensier, qui allait devenir peu après beau-frère de Louis II. La cour des Montpensier à Aigueperse fut sans doute l’une des premières à accueillir en France l’art italien de la Renaissance. Gilbert fut un des « spécialistes » de la politique italienne au conseil de Charles VIII, et ce n’est pas un hasard s’il fut nommé vice-roi de Naples en 1495. Il était aussi le correspondant privilégié du marquis de Mantoue à la cour de France. Après sa mort en 1496, La Trémoille apparut au marquis comme son plus proche et son plus puissant parent en France, et cela explique sans doute que, dès 1499, il se soit mis à le courtiser. Une stratégie payante, car en 1500, après la reconquête du Milanais, La Trémoille protégea personnellement le marquis que sa politique louvoyante avait exposé à la colère du roi.

La correspondance du marquis et de La Trémoille permet d’aborder d’assez près les rapports d’un grand seigneur français et d’un prince italien au début du règne de Louis XII. Le premier problème qui se pose est celui de la langue : de part et d’autre, on a besoin de secrétaires bilingues capables de traduire lettres et conversations. Parmi les ambassadeurs mantouans, le plus curieux est un certain Jamet de Nesson, un Français qui appartient à la lignée des poètes Nesson d’Aigueperse, et qui mène une politique active à la cour de France. Le marquis et La Trémoille  s’échangent toutes sortes de cadeaux, notamment des animaux de chasse, chiens ou  faucons. Mais on s’aperçoit que La Trémoille n’était pas insensible à la question des arts. En 1502, le marquis lui offrit un tableau de Mantegna, non identifié : c’était la troisième œuvre du maître qui arrivait en France, après le Saint Sébastien d’Aigueperse, aujourd’hui au Musée du Louvre, et une commande du cardinal d’Amboise en 1499. Néanmoins, l’amitié des deux hommes ne semble pas avoir survécu à la désastreuse expédition de 1503. La politique machiavélique et les incessantes volte-face du marquis ne pouvaient guère s’accorder avec la morale austère de service que La Trémoille suivit sans faille jusqu’à la mort.

Chapitre II
Relations avec la papauté

La piété de La Trémoille ne fait aucun doute. Mais il ne semble pas avoir éprouvé de respect particulier envers la papauté, perçue comme un Etat temporel semblable aux autres. A plusieurs reprises, il pénétra dans les Etats de l’Eglise sans grand ménagement : en décembre 1494, Charles VIII le chargea de marquer les logements de l’armée française dans Rome ; en décembre 1515, François I er lui confia une mission similaire à Bologne ; et en septembre 1524, il obtint le passage d’une armée par Avignon. La Trémoille soutint par ailleurs la carrière ecclésiastique de son frère Jean, archevêque d’Auch, et s’efforça notamment de l’aider à obtenir un chapeau de cardinal. Jules II finit par le lui accorder en 1507, mais Jean mourut à Milan en allant le chercher.

Chapitre III
Louise de Valentinois

Après la mort de Gabrielle de Bourbon, en novembre 1516, La Trémoille chercha à se remarier et il jeta son dévolu sur la très jeune Louise de Valentinois, fille du défunt César Borgia et petite-fille d’Alexandre VI. Un des plus riches partis de France. Il hâta tant le mariage que celui-ci fut célébré en avril 1517. La grande différence d’âge des deux époux semble avoir fait scandale, comme en témoigne la correspondance des ambassadeurs italiens. Ce mariage apparentait La Trémoille à de grandes familles italiennes, notamment les Este, mais Louise semble avoir été en fait de culture essentiellement française.


Conclusion

Les La Trémoille ont payé un très lourd tribut aux rêves italiens des rois de France : Jean mourait de maladie à Milan ; Charles tombait à Marignan et Louis II, à Pavie. Louis avait eu de précoces contacts avec la culture italienne, notamment par l’intermédiaire de la cour d’Aigueperse. Mais ses rapports avec l’Italie s’estompèrent ensuite, sans doute à cause de sa première défaite à Novare (1513) et de la mort de son fils à Marignan (1515). La Trémoille ne chercha plus ensuite à retourner en Italie. En 1524, il dut simplement répondre aux injonctions de François Ier , qui avait besoin de tous ses capitaines. Et La Trémoille alla jusqu’au bout de l’ornière. Mais cette dernière période vit, semble-t-il, sa fermeture progressive aux influences italiennes. Car l’Italie lui avait coûté trop cher. Et en ce sens, il a sans doute vraiment été exceptionnel, puisqu’il allait à rebours de l’évolution de la culture aulique française. Même son mariage avec Louise de Valentinois, à demi-italienne pourtant, ne fut pas l’occasion de renouer avec les puissances de la Péninsule. L’Italie appartenait à son passé.


Édition

Édition de la correspondance italienne de Louis de la Trémoille


Annexes

Chronologie sommaire de la vie de Louis de La Trémoille. ­ Planches : sceaux, portraits. ­ Index.