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École des chartes » thèses » 2001

Henri Ghéon et le théâtre


Introduction

Henri Ghéon est aujourd’hui inconnu ou presque du grand public. Pourtant il a participé de près ou de loin à quelques-uns des événements les plus marquants de l’histoire littéraire et dramatique de la première moitié du xxe siècle. Père fondateur de la Nouvelle Revue française( NRF) et l’un de ses collaborateurs les plus actifs ; dramaturge joué au cours de la première saison du théâtre du Vieux-Colombier en 1913, critique littéraire, dramatique et artistique de renom ; insatiable défenseur d’une rénovation des lettres et surtout du théâtre, il révèle une personnalité et une oeuvre bien plus riches et intéressantes que l’image, en partie injustifiée et très réductrice, transmise à la postérité, celle d’un auteur de patronage et d’un pasticheur de miracles médiévaux.


Sources

Cette étude est fondée en grande partie sur le dépouillement du fonds Ghéon conservé au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Ont été ainsi consultés les manuscrits de l’auteur, notamment de ses œuvres théoriques, les brouillons de conférences et d’articles inédits, mais aussi les très nombreuses lettres reçues par Ghéon. Le fonds Rondel, de la Bibliothèque de l’Arsenal, fournit sur Ghéon une collection d’articles tirés des journaux de l’époque, alors le fonds Brochet conservé à la Bibliothèque municipale d’Auxerre livre les manuscrits d’un collaborateur fidèle de Ghéon. Enfin il ne faut pas oublier I’œuvre critique de l’auteur, qui représente la source imprimée la plus importante.


Première partie
La vie et l’oeuvre de Henri Ghéon


Chapitre premier
Le contexte

Il convient de présenter sommairement le contexte politique, économique et artistique de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle pour saisir le milieu dans lequel Ghéon a vécu et les influences qui ont pu en découler. Cette période connaît d’importants bouleversements dans tous les domaines, qui ont des conséquences sur la vie littéraire. Il faut souligner l’implication de Ghéon dans la vie de son temps - il s’engage dans l’affaire Dreyfus -, comme son adaptation aux divers changements que représentent l’invention de l’automobile, le développement des transports ou les débuts du cinéma... Mais le trait le plus frappant de sa personnalité est son attention à tout ce qui concerne le domaine artistique, qu’il s’agisse de la révolution picturale de la fin du XIX e siècle ou de l’évolution musicale. Tout est matière à alimenter ses réflexions critiques sur la rénovation littéraire et dramatique, qui reste son souci premier.

Chapitre II
Biographie

Né en 1875 en Seine-et-Marne, Henri Ghéon vient à Paris en 1893 pour entreprendre des études de médecine. Il se lance parallèlement dans une carrière littéraire, en écrivant des poèmes loués par Jammes et par Mallarmé et en publiant des critiques dans des revues d’avant-garde. En 1897 il fait la rencontre d’André Gide, qui va devenir son ami et son guide littéraire pendant près de vingt ans.

Tandis qu’il s’installe en province pour exercer la médecine, ce jeune homme expansif et enthousiaste se fait vite un nom dans les milieux littéraires d’avant-garde grâce à ses premières oeuvres, deux romans et deux pièces de théâtre qui témoignent d’une influence nietzschéenne et gidienne marquée.

En 1909, il fait partie des fondateurs de la NRF. Jusqu’à la guerre, il s’attache à promouvoir, dans d’innombrables notes et articles, le renouvellement des formes littéraires en défendant le vers libre en poésie et en insistant sur la nécessité de rénover le théâtre par le rétablissement du lyrisme sur scène. Il se fait également l’apôtre de l’introduction d’un équilibre classique entre la forme et le fond. Enfin, en participant à la fondation du Vieux-Colombier avec son ami Jacques Copeau, il soutient activement la rénovation de l’art dramatique. Il découvre alors sa vraie vocation d’homme de théâtre complet.

Mais la première guerre mondiale va changer l’orientation de sa vie et, en partie, de sa carrière. Engagé comme médecin sur le front de Belgique, il va recouvrer la foi catholique. Cette conversion, annoncée par quelques signes avant-coureurs, et son engagement aux côtés de l’Action française au lendemain de la guerre, vont le séparer définitivement de ses anciens amis et modifier la perception qu’il a de son art.

«L’Homme né de la guerre», pour reprendre le titre donné au récit de sa conversion, va désormais mettre son art au service de Dieu. Il s’engage dans une œuvre de longue haleine de rénovation du théâtre chrétien. À cette fin, il écrit de nombreuses pièces et part à la rencontre du «peuple fidèle» dans les collèges et les patronages. Il fonde une troupe de comédiens amateurs afin de promouvoir son théâtre partout en France. Son couvre prolifique et inégale ne rencontre que le mépris dans les milieux littéraires et sur les scènes officielles françaises. Seul le publie étranger le reconnaît et l’accueille chaleureusement. Il semble pourtant qu’à la fin de sa vie quelques signes annoncent une reconnaissance publique : il reçoit le Prix Brieux et trois de ses pièces sont jouées sur des scènes parisiennes. Mais la mort l’empêche de connaître enfin le succès tant attendu : il décède le 13 juin 1944, dans l’indifférence générale, quelques jours après le débarquement des Alliés


Deuxième partie
Henri Ghéon théoricien du théâtre


Chapitre premier
Henri Ghéon critique

L’activité critique de Ghéon est l’un des aspects de son œuvre le moins connu et pourtant l’un des plus intéressants. Il a écrit pendant toute sa carrière sur tous les sujets de l’actualité littéraire, artistique et parfois même politique ou économique. Le résultat est remarquable par sa diversité, par son originalité, par la perspicacité des vues. Cette œuvre critique est aussi à mettre en rapport avec la création de Ghéon : il a appris son art en critiquant celui des autres et c’est ainsi qu’il a pu, dans la seconde période de sa vie, produire avec aisance. La critique dramatique est l’aspect le plus important de I’œuvre critique de Ghéon.

Chapitre II
La crise dramatique

Quand Ghéon commence sa carrière littéraire, le théâtre connaît une crise profonde. Enlisé dans le courant naturaliste et les pièces de boulevard, il devient de plus en plus un objet de commerce. En outre, il n’y a pas d’auteur de talent, ni de metteur en scène audacieux. Seuls les grands modèles du passé restent la référence.

Chapitre III
Les tentatives de renouveau dramatique

En France quelques théâtres sont fondés au tournant du xxe siècle qui ont une vision plus noble de l’art dramatique : le Théâtre-Libre d’Antoine, qui sombre vite dans le naturalisme ; le Théâtre de l’Oeuvre de Lugné-Poe, qui introduit le symbolisme sur la scène et le Théâtre des Arts, dont le directeur Jacques Rouché diffuse en France les idées des théoriciens étrangers, notamment sur la réforme décorative.

Ghéon connaît les théories des grands réformateurs du théâtre que sont Gordon Craig, Reinhardt, Appia ou Stanislavsky ; il a également été bouleversé par les premières représentations des Ballets russes à Paris en 1910.

Mais toutes ces réformes restent pour lui secondaires tant qu’il n’y a pas d’auteur dramatique nouveau. Quelques tentatives attirent son attention et sa bienveillance, témoignant d’une volonté de réalisme psychologique, comme Henry Becque par exemple, ou d’une «réaction idéaliste», dont le meilleur représentant est Claudel.

Chapitre IV
Henri Ghéon et la rénovation de l’esthétique dramatique

Ghéon a des idées précises sur ce qu’il exige d’un texte dramatique. Trois principes fondamentaux guident son esthétique : la nécessité d’instaurer un classicisme rénové, l’affirmation que l’art dramatique est un art conventionnel avant tout et qu’il faut d’emblée en exclure tout réalisme, enfin l’attention portée à la spécificité de l’art dramatique, qui s’exprime à la fois sur la scène et dans un livre.

Ses idées sur la structure d’une pièce, sur l’intrigue et les personnages, sur le langage dramatique allient au souci classique de cohérence interne la défense d’un art poétique et transposé, tout en restant simple et accessible.

Quant à sa théorie de la représentation scénique, elle est en grande partie inspirée par les idées de Copeau mises en œuvre au Vieux-Colombier. Ghéon prône le respect du texte dramatique, la sobriété de la mise en scène, qui doit suggérer plutôt que représenter le réel. Il se pose également le problème de la fusion des arts telle que l’a tentée Wagner et prône encore ici la nécessité d’un équilibre entre les différentes parties, musicale, littéraire, scénique, décorative…

Le dernier élément important sur lequel Ghéon porte son attention est le besoin intrinsèque à l’art dramatique d’établir une communion entre le spectateur, l’acteur et l’auteur. Pour cela Ghéon a toujours défendu et encouragé un théâtre populaire, et dans la seconde partie de sa vie, un théâtre chrétien qui lui semblait remplir les exigences de compréhension, d’union de pensée et de communion indispensables à la réussite d’une représentation.


Troisième partie
« Postérité » de Henri Ghéon


Chapitre premier
Les rapports de Ghéon avec son public

À travers la nombreuse correspondance reçue par Ghéon, il est possible de voir combien Ghéon était proche de son public qui n’hésitait pas à s’adresser à lui en toutes occasions. Il est important de souligner la volonté de Ghéon d’aller à la rencontre de son public et de promouvoir personnellement son théâtre et, en général, un théâtre de qualité. Cette entreprise à la fois idéaliste et ancrée dans la réalité nécessite des appuis financiers et moraux et soulève par son originalité un certain nombre d’oppositions. Seuls les pays étrangers comme la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi l’Espagne ou le Canada accueillent Ghéon et son théâtre avec enthousiasme.

Chapitre II
Entre tradition et avant-garde

Ghéon entretient des relations plus ou moins étroites avec tous les grands noms du théâtre de son époque. Il affirme particulièrement sa filiation avec le Vieux-Colombier de Copeau et se situe dans la lignée de ses successeurs, comme les membres du «Cartel» (Dullin, Jouvet, Baty, Pitoëff) ou d’autres élèves et anciens collaborateurs de Copeau. Il partage avec tous ces animateurs une même conception de la noblesse de l’art dramatique, même si leurs pratiques diffèrent.

Ghéon a toujours, depuis ses prenùères chroniques dans L’Ermitage et jusqu’à sa mort, clamé la nécessité de retrouver l’essence populaire du théâtre afin d’établir cette indispensable communion entre l’auteur, les acteurs et le spectateur. Pour cela il s’est appuyé, après son retour à la foi, sur le «peuple fidèle» ; grâce à lui, il peut même établir une véritable célébration dramatique où les spectateurs deviennent eux aussi acteurs en utilisant la technique, venue d’Union soviétique, des choeurs parlés.

L’action de Ghéon dans l’histoire dramatique du xxe siècle s’est exercée dans le mouvement de la décentralisation théâtrale ou plutôt dans ses prémices, puisque la décentralisation officielle n’a lieu qu’en 1947. On remarque que Ghéon l’a préparée à plus d’un endroit par le répertoire local qu’il a essayé de créer, mais aussi par ses nombreux déplacements en province, par les encouragements qu’il n’a cessé de prodiguer aux nombreuses troupes d’amateurs. Il a même eu l’idée de créer un festival de théâtre de plein air dans une petite localité du Vivarais.


Conclusion

La masse de documents à la disposition de qui voudrait faire des recherches sur Henri Ghéon a paradoxalement découragé toute entreprise sérieuse et systématique d’analyse de son œuvre. On s’est contenté d’ajouter foi à une image dévalorisante et réductrice d’auteur de patronage. Pourtant il apparaît qu’à bien des égards, Ghéon a joué un rôle clé dans plusieurs événements marquants de l’histoire littéraire de notre siècle. Par ailleurs, certains aspects de son oeuvre méritent de ne pas être oubliés ; sa critique dramatique est particulièrement intéressante et montre que Ghéon avait des idées sur le théâtre à la fois originales, novatrices, tout en se situant dans une tradition dramatique perdue qu’il essayait de retrouver en restaurant le caractère sacré et populaire du théâtre.