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École des chartes » thèses » 2001

L’exploitation des terroirs dans la terre de la Châtre au xvie siècle


Introduction

La région de La Châtre a été peu étudiée; les ouvrages qui y sont consacrés s’attachent surtout à définir l’origine de la ville forte de La Châtre et de la collégiale Saint-Germain, alors même que cet établissement a laissé des archives importantes qui méritent attention. Dans un premier temps, il avait été envisagé d’exploiter ce fonds en vue de reconstituer le temporel de Saint-Germain et d’analyser plus particulièrement la mise en valeur de ses possessions foncières, mais cette piste de travail s’est révélée en partie décevante du fait de la structure même du patrimoine, composé en majorité de rentes. La recherche a été élargie à l’étude de l’ensemble du paysage autour de La Châtre au xvie siècle, période la mieux documentée par les textes, en privilégiant une combinaison des sources écrites, de la toponymie, de l’analyse régressive du paysage et en utilisant des techniques informatiques de cartographie.


Sources

Le fonds de la collégiale Saint-Germain de La Châtre et le terrier du seigneur de La Châtre, tous deux conservés aux archives départementales de l’Indre, constituent les principales sources manuscrites ; ils ont été utilement complétés par la consultation aux Archives nationales des aveux et dénombrements de seigneurs laïques, vassaux du seigneur de La Châtre (seigneuries d’Ars, Laloeuf, Bellefont, la Beausse, Briantes, Montgivray). Les coutumes de Berry et les descriptions données par Nicolas de Nicolaÿ et par Jean Chaumeau au xvie siècle ont été confrontées avec les statistiques adressées par le préfet Dalphonse au ministère de l’Intérieur au début du xixe siècle. Parallèlement, la carte de Cassini, les sections du cadastre napoléonien et les cartes au 1/25000e de l’Institut géographique national ont été analysées, chacune présentant la situation topographique et géographique à une période donnée.Certains traits caractéristiques du paysage ancien ont pu être dégagés grâce à la toponymie, ainsi qu’au relevé et à l’analyse régressive d’éléments stables marquant encore le paysage actuel : les chemins et les routes, les aménagements hydrauliques et les bâtiments anciens qui existent encore de nos jours sont autant de témoins de l’exploitation antérieure des terroirs.


Première partie
Le cadre de l’étude


Chapitre premier
Le cadre physique

La description physique du paysage amène à en considérer les éléments les plus permanents. La terre de La Châtre se situe sur une zone de frontière naturelle entre les sédiments du Bassin parisien et les premiers contreforts du Massif Central. Elle fait partie aujourd’hui de la région agricole du Boischaut du Sud, spécialisée dans l’embouche et caractérisée traditionnellement par son paysage de bocage. Mais l’exploitation agricole actuelle contribue à faire évoluer sensiblement le paysage: le remodelage des parcelles et les exigences de l’agriculture moderne font reculer le bocage et remettent en question la maîtrise des abondantes ressources en eau de la région.

Chapitre II
Les conditions politiques et sociales

Au xvie siècle, les cadres ecclésiastiques, féodaux et royaux structurant la terre de La Châtre assuraient une gestion serrée des terroirs. La Châtre était le siège d’une châtellenie dépendant du seigneur de Châteauroux; sa situation aux marges méridionales du duché de Berry et du diocèse de Bourges en faisait un point essentiel du réseau de fortifications mis en place au Moyen Âge par les rois de France pour surveiller l’Aquitaine anglaise. Mais la ville semble se replier au xvie siècle sur ses terroirs, dont elle constitue le centre religieux, politique et économique.

Les habitants de La Châtre sont libres, alors que la condition juridique normale dans les campagnes environnantes demeure la servitude. Les bourgeois les plus fortunés possèdent un patrimoine foncier qui leur permet d’entretenir des relations financières avec la collégiale ou le seigneur, mais leur influence est cependant limitée par les pouvoirs des nombreuses seigneuries laïques ou ecclésiastiques implantées sur la terre de La Châtre. L’image qui en ressort est celle d’une multitude de patrimoines relativement modestes mis en valeur par une population servile.


Deuxième partie
L’organisation des terroirs


Chapitre premier
L’établissement de la cartographie

Plusieurs cartes d’ensemble, réalisées grâce à des techniques informatiques de cartographie, traduisent la répartition des différents types de biens sur la terre de La Châtre au xvie siècle. L’étendue de la zone concernée n’a pas été sans poser plusieurs problèmes matériels, notamment du fait de l’importance de la documentation à dépouiller.

Parallèlement à ce travail de localisation à petite échelle, certains terroirs ont pu être reconstitués plus précisément à partir des sections de cadastre. La manipulation des plans à grande échelle a nécessité plusieurs opérations d’assemblage et de reproduction. Les résultats obtenus ont permis de dégager certains principes qui ont dû guider les paysans dans le choix des cultures.

Chapitre II
Les terres cultivées

Les textes apportent des précisions sur la façon dont étaient cultivées les terres à blé, les vignes et les prés. Chaque culture requiert des soins particuliers qu’expose entre autres le traité d’agriculture d’Olivier de Serres. Les descriptions qu’il livre d’une exploitation idéale demandent cependant à être nuancées, en tenant compte notamment de la vision plus critique du préfet Dalphonse.

Les terres à blé, possédées en majorité par les seigneurs laïques, s’étendent sur des sols argileux et forts, que l’on rencontre essentiellement au nord de La Châtre. Elles produisent du froment qui constitue la principale céréale cultivée. Les prés correspondent à des terres riches et humides, arrosées par les cours d’eau qui les bordent; ils font l’objet de nombreux soins et sont d’un bon rapport, la nature des sols étant dans l’ensemble favorable à la production d’herbages abondants. La vigne est localisée essentiellement aux abords de la ville, sur les coteaux bordant l’Indre et constitués de sols sableux, assez pauvres, mais bien égouttés. Les clos de vigne constituent des terroirs spécialisés qui se sont maintenus jusqu’à nos jours, sans toutefois s’étendre beaucoup. Nous ne pouvons pas véritablement considérer la vigne comme une culture spéculative: si le vin produit est commercialisé dans l’ensemble de la châtellenie, les vignes ne sont pas cultivées dans le cadre de grandes exploitations vigneronnes. Comme les jardins, les vergers et les chenevières, cette culture péri-urbaine permet de satisfaire les besoins des habitants de La Châtre. L’agriculture pratiquée au XVI e siècle dans la région relève donc de la polyculture vivrière.

Chapitre III
Les terres non cultivées

L’exploitation des terres cultivées est intensive et laisse peu de place aux terres incultes, aux bois et aux étangs. En effet, les vastes étendues boisées sont rares et les étangs semblent d’un maigre rapport. Quant aux terres incultes, elles sont peu représentées dans nos sources mais cela peut être dû aux types de documents consultés.

Chapitre IV
La question du bocage

Cette analyse du paysage pose la question de la création du bocage, qui caractérise encore le paysage actuel. Le processus est assez tardif; il paraît lié au système d’exploitation des terres au sein de métairies, qui s’individualisent en ensembles homogènes à partir du xvie siècle. Malheureusement leur organisation échappe dans une large mesure à notre documentation. Il serait nécessaire d’analyser les baux à ferme de métairies, livrés par les minutes notariales des xviie et XVIII e siècles, pour connaître dans le détail l’organisation des terres et pour pouvoir ainsi apporter une réponse plus assurée au problème de l’apparition du bocage.


Troisième partie
La transformation des ressources agricoles, l’élevage et l’artisanat


Chapitre premier
L’élevage

Notre connaissance de l’élevage est très largement indirecte. Les renseignements que l’on peut tirer de la documentation confirment toutefois l’existence d’un élevage d’ovins, de bovins et de volailles, qui fait vivre un certain nombre d’artisans implantés à La Châtre, notamment dans la boucherie et la tannerie. En tout état de cause, cette activité ne semble pas tenir le rang qu’elle occupe actuellement: l’élevage du mouton et la production des draps de laine, qui ont fait dès le Moyen Age la renommée de la Champagne de Berry, sont inconnus au xvie siècle dans cette partie du Boischaut du Sud.

Chapitre II
Deux sources d’énergie: l’eau et le bois

L’activité artisanale utilisait comme principales sources d’énergie l’eau et le bois. L’eau des rivières et des étangs fournissait l’énergie nécessaire à la production de farine, de tan ou de draps de laine. Le bois représentait un combustible onéreux que concurrençait le charbon.

Chapitre III
Les artisanats présents à La Châtre : le rôle de la ville dans la transformation des produits agricoles et leur commercialisation

L’activité artisanale elle-même se concentrait dans la ville de La Châtre et reposait essentiellement sur la transformation des produits de l’agriculture et de l’élevage. Les métiers de l’alimentation, la tannerie et l’artisanat textile sont les principaux secteurs représentés, auxquels il faut ajouter les métiers de la construction, bien documentés par le fonds de la collégiale. La ville de La Châtre apparaît étroitement liée à ses terroirs: l’essentiel de son économie est basée sur la transformation et la commercialisation des produits agricoles. Cependant la ville ne joue pas le rôle moteur qu’ont pu tenir certains centres urbains dans la réorganisation des terroirs environnants, en développant par exemple des cultures spéculatives.


Conclusion

Il reste beaucoup à étudier sur la ville même de La Châtre dont nous n’avons fait qu’analyser le rôle dans l’exploitation des terroirs alentours. Le fonds de la collégiale se prête à une étude poussée, aussi bien du parcellaire urbain que de l’organisation économique et sociale de la ville. Cette étude gagnerait à être étendue à l’ensemble de la période moderne: en effet, un certain nombre d’évolutions qui se dessinent au xvie siècle se généralisent par la suite.

Le développement de l’élevage au xixe siècle a modifié l’organisation du paysage, de même que la mécanisation des campagnes. Cependant certaines permanences se dégagent: quelques clos de vigne s’étendent encore aux abords de la ville et les terres fortes au nord de La Châtre sont toujours consacrées à la culture des céréales. La spécialisation de la région dans l’embouche n’a pas effacé la variété des terroirs rencontrés, traces d’une polyculture vivrière adaptée à chaque type de sol. Quant aux tanneries et aux moulins, ils conservent le souvenir d’activités pratiquées jusqu’au début du xxe siècle.

Les autorités locales prennent conscience de la valeur patrimoniale de ce paysage et s’attachent à faire de cet aspect traditionnel un atout. Le tourisme vert est une donnée nouvelle dont le rôle dans l’exploitation actuelle des terroirs est désormais à prendre en compte.


Annexes

Inventaire du fonds de la collégiale Saint-Germain de La Châtre (AD Indre, G 59-101), avec index de noms de lieu et de personne. ­ Tableaux récapitulant la part des différents types de biens possédés par la collégiale Saint-Germain et par les seigneurs. ­ Liste des moulins localisés sur la terre de La Châtre. ­ Relevé du montant des redevances en nature.


Illustrations

Cartes géomorphologique et hydrologique, des voies de communication, des communes.­ Cartes de localisation réalisées au 1/50000 e . ­ Plans cadastraux réduits au 1/5000e . ­ Photographies de paysages, de moulins, de bâtiments d’exploitation, de demeures seigneuriales et de la ville de La Châtre.