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École des chartes » thèses » 2001

Édition critique de lettres de Guy Patin (Bibl. nat. de France, Baluze 148)


Introduction

Guy Patin (1601-1672), doyen de la Faculté de médecine de Paris, éditeur de textes anciens, collectionneur de livres et membre de la République des lettres, eut de son vivant une notoriété qui suscita l’édition de sa correspondance dix ans après sa mort. Cet engouement s’explique par la richesse de ses lettres, qui traitent de l’histoire politique de la France, particulièrement mouvementée alors (la guerre de Trente Ans, la rébellion de Gaston d’Orléans et la révolte du Languedoc, la succession de Louis XIII, la régence et la Fronde, les ministères de Richelieu et de Mazarin, celui de Colbert, les problèmes soulevés par le jansénisme…), comme des problèmes relatifs aux nouveautés thérapeutiques du temps, auxquelles la Faculté de Paris résista âprement (la découverte de la circulation du sang par William Harvey en 1628 et celle du réservoir du chyle par Jean Pecquet en 1647, le développement d’une médication chimique avec les remèdes antimoniaux, l’introduction du quinquina en France…). Cette correspondance fournit aussi de multiples renseignements sur les cercles érudits parisiens, où frayait Guy Patin, ami de Naudé, de Gassendi, de Montmort, de Bochart et de Vossius. Réunie dans deux recueils manuscrits (Bibl. nat. de France, fr. 9357 et 9358), cette correspondance fut rééditée quinze fois dans les cinquante années suivantes, preuve de son succès.

Dès la première édition cependant, les erreurs se multiplièrent: dates erronées, mauvaise lecture de noms propres, tableaux adoucis ou censurés, lettres au contenu à peu près similaire fondues en une seule, absence totale d’apparat critique… La verdeur du langage de Guy Patin fit disparaître de l’édition des pages entières. Quatre années de sa correspondance (1651-1654) disparurent presque intégralement, car elles n’appartenaient pas aux mss fr. 9357 et 9358, mais au ms Bibl. nat. de France, Baluze 148, volume ignoré de tous les éditeurs. Soixante-six lettres autographes de Guy Patin s’y trouvaient, pour la période du 14 juin 1651 au 5 février 1655. Adressées à son proche ami, le médecin lyonnais Charles Spon, elles offraient le spectacle mouvementé des derniers mois de la Fronde, donnaient un intéressant tableau de la vie médicale à Paris et de la Faculté de médecine dont Guy Patin était alors le doyen en exercice, et fournissaient de multiples renseignements sur le milieu éditorial de Paris et de la province, au hasard des recherches bibliophiliques de ce médecin lettré. C’est de ces trois sujets que le commentaire de la présente édition a souhaité rendre compte.


Sources

En plus du volume 148 de la collection Baluze, les deux manuscrits fr. 9357 et 9358 ont été abondamment cités, tant dans l’apparat critique des lettres que dans le commentaire introduisant l’édition. Ils ont permis de préciser l’opinion de Guy Patin sur des personnages et des faits évoqués, en nuançant certaines des opinions assez vivement marquées dans la présente édition. Les comptes rendus manuscrits établis par les doyens de la Faculté de la médecine ont eux aussi aidé à la compréhension de la vie médicale entre 1651 et 1655: il s’agit en particulier des Commentarii Facultatis Medicinæ, registres conservés par la Bibliothèque inter-universitaire de médecine de Paris (ms 12-14).

L’identification des événements et des hommes a été faite à partir d’histoires généalogiques, de prosopographies (du milieu parlementaire, des intendants…), de dictionnaires (sur les financiers, les libraires et imprimeurs, les docteurs-régents de la Faculté de médecine de Paris ou de Montpellier…), d’études sur la Fronde, sur la médecine et la société du premier xviie siècle. La comparaison avec d’autres mémoires du temps, en particulier avec les mémoires et les journaux sur la Fronde, a semblé propice à situer l’épistolier parmi ses contemporains.


Première partie
Le gouvernement de la France


Chapitre premier
La Fronde: de la guerre civile à la paix

Deux tiers des lettres conservées dans le manuscrit Baluze 148 traitent de la Fronde, et plus particulièrement de la dernière phase du mouvement: la guerre civile de l’année 1652. Vivant au cœur de la capitale, non loin du Palais et du Louvre, ami de magistrats, conseillers ou maîtres des comptes comme Robert Miron, Guy Patin tint son ami Spon régulièrement au courant des délibérations mouvementées du Parlement, du résultat des députations envoyées à Anne d’Autriche et au roi, des incidents factieux dans les rues parisiennes, des incertitudes de Gaston d’Orléans au Luxembourg, des sièges, des combats et des défaites à l’entour de la capitale, dans des campagnes ravagées par la soldatesque et en proie à la misère. Témoin de son temps, mais peu porté aux méandres de la politique, méprisant l’opportunisme et l’ambition des Grands qui, seuls, guident leurs actions, Guy Patin resta toujours à l’écart de la Fronde. De plus en plus indifférent aux rebondissements politiques et militaires, notamment après la journée du massacre de l’Hôtel de ville le 4 juillet 1652, il n’eut jamais à cœur de faire œuvre de mémorialiste ou d’analyste politique dans ses entretiens épistolaires avec son ami Spon. Ce désintérêt pour les affaires du royaume et l’absence de recul manifeste vis-à-vis des événements amenèrent en certaines occasions une certaine disproportion dans ses lettres entre le fait rapporté et sa portée politique. Pour riche qu’elle soit, sa correspondance paraît lacunaire en ce qu’elle décrit moins l’événement historique que la réaction subjective du rédacteur.

Cette subjectivité se retrouve encore en ce qui regarde les acteurs de la Fronde. Incapable d’analyser les décisions prises, parce qu’il n’en connaît pas les mobiles et ne s’y intéresse guère, violemment opposé à la guerre qui affame les campagnes, désorganise le commerce des villes et gêne les déplacements, Guy Patin n’a cesse de demander la paix et se montre prêt à suivre qui la favorisera. Peu importe son initiateur, et l’épistolier ne témoigne d’aucune fidélité à un parti déterminé. Lecteur de mazarinades qu’il désapprouve et méprise, Patin fut sensible à certaines de leurs attaques portées contre Anne d’Autriche et le cardinal ministre, et les reprit dans sa correspondance en les colorant souvent de latin, par prudence. Mais les Frondeurs n’eurent pas davantage sa faveur. Condé, le duc de Lorraine, Gaston d’Orléans ou le Parlement, chicanier et enlisé dans de vaines délibérations, furent eux aussi la cible de ses attaques, sans que jamais celles-ci soient subordonnées à une pensée politique nette.

Ses propos reflètent assez fidèlement l’état d’esprit d’un bourgeois de Paris, gêné par la guerre dans ses activités quotidiennes, effrayé de la misère qui règne dans les campagnes d’Ile-de-France et dans les rues de Paris, avant tout soucieux du calme et de l’ordre public. Royaliste convaincu, accusant Mazarin de tous les maux et rendant la régente responsable des désordres du royaume mais sans jamais remettre en cause le pouvoir royal, Patin ne prit part à aucune des grandes manifestations frondeuses, et s’il fut d’un parti, ce fut celui de la paix.

Chapitre II
La religion

Dans l’esprit de Patin, la politique parut toujours étroitement liée au Clergé. Son inclination à défendre les libertés gallicanes, son mépris de l’institution ecclésiastique, le peu de crédit qu’il portait aux décisions pontificales, la persistance enfin de ses attaques contre les jésuites, dont certains membres atteignirent à cette époque des situations élevées et obtinrent une certaine puissance dans les affaires du royaume, sont autant de sujets abordés dans sa correspondance à Spon, avec une étroite imbrication du temporel et du spirituel. S’il apparaît malaisé de déterminer les positions religieuses de Guy Patin (il ne développe dans ses lettres aucune idée dogmatique), son appartenance à la religion chrétienne et sa foi n’en semblent pas moins sincères. Il est certain que nombre de ses lettres dénoncent la vanité du rituel religieux, son incohérence par rapport aux préceptes fondamentaux du christianisme, voire son hypocrisie et son laxisme; il est certain encore qu’il n’attache lui-même aucune importance à ce rituel, sauvegardant les apparences à dessein de ne pas choquer ses contemporains, ni de nuire à sa famille. Il est exact qu’il eut de fidèles amis protestants, à commencer par Charles Spon, son correspondant lyonnais, et qu’il s’intéressa toujours de près aux polémiques soutenues par ce parti. Il est indubitable aussi qu’il acheta des ouvrages condamnés par l’Eglise, et encouragea le mouvement janséniste dont il admirait la rigueur et la sobriété. Il est vrai, enfin, qu’il fit preuve de libertinage d’esprit, dans le sens le plus noble du terme, pour dénoncer la crédulité superstitieuse et les autorités abusives d’hommes ou d’écrits. Mais le peindre comme un athée sans foi ni loi, comme le firent certains critiques aux xixe et xxe siècles, paraît peu probant au regard des propos qu’il tint dans ses lettres à Spon.

L’un des traits frappants de cette correspondance est la violence de ses attaques contre les ordres réguliers et séculiers, en particulier contre les jésuites. Elles se concentrent autour de cinq grands points: la censure, l’ignorance, la cupidité, l’indifférence religieuse et les mœurs dissolues. A lire ses soixante-six lettres, la noirceur du tableau étonne et frappe l’imagination. Partout ce ne sont que vols, viols, sodomie, mensonges, amour de l’argent, ambition immodérée. Nulle part ne sont évoqués les multiples innovations charitables ni le renouveau de ferveur religieuse initié par la Contre-Réforme et soutenu par l’œuvre de Vincent de Paul, Olier, Baluze, Eudes… L’anti-cléricalisme de Guy Patin fut-il à ce point prononcé qu’il le rendit aveugle à la renaissance de la foi catholique de ce premier xviie siècle La correspondance du manuscrit Baluze se tient dans des bornes trop étroites pour qu’on en puisse juger, mais la question mérite d’être posée eu égard à la forte présence du clergé dans ses lettres.


Deuxième partie
Guy Patin et la médecine


Chapitre premier
Guy Patin et l’institution médicale

Guy Patin fut élu doyen de la Faculté de médecine de Paris le 4 novembre 1650, et fut prorogé dans ses fonctions un an plus tard, le 4 novembre 1651, jusqu’au 2 novembre 1652 où Paul Courtois lui succéda. La correspondance du manuscrit Baluze 148 débutant au 14 juin 1651 a donc l’avantage de donner des renseignements sur la charge et les difficultés rencontrées par Patin pendant son mandat. De l’annonce à Spon du décès de docteurs-régents au résultat du baccalauréat et des licences, tous ses propos traduisent son attachement pour l’institution qui le forma. Cette élection au décanat consacra également sa notoriété comme praticien de Paris. L’apogée de sa carrière fut cependant atteinte avec sa nomination comme professeur au Collège royal à la chaire de botanique, de pharmacie et d’anatomie en 1654, en succession de son maître et ami, l’anatomiste Jean Riolan. Là encore, la correspondance du manuscrit Baluze en porte témoignage, relatant aussi bien les difficultés rencontrées lors du scellage des lettres patentes par le chancelier Séguier que les cours envisagés par Guy Patin pour ses étudiants.

Chapitre II
L’affaire Renaudot et la Faculté de Montpellier

La querelle qui débuta en 1640 entre la Faculté de médecine de Paris et Théophraste Renaudot, docteur en médecine issu de la Faculté de Montpellier et venu exercer dans la capitale en qualité de médecin du roi, a été maintes fois étudiée. Le propos développé dans le présent commentaire n’a donc été établi qu’à dessein de rappeler les enjeux mis en cause par cette affaire complexe, qui se poursuivit bien au-delà des conclusions du procès devant le Parlement. Des problèmes anciens s’y greffèrent en effet, qui empêchèrent la conclusion de tout compromis entre les adversaires et entraînèrent la perte de Renaudot. Inventeur génial aux conceptions généreuses, ce Loudunais protégé par Richelieu entreprit de s’attaquer aux privilèges de la Faculté de médecine de Paris, mais se perdit lui-même par son audace. Il n’était cependant pas seul en cause: les apothicaires de Paris, qu’il avait soutenus et encouragés, et ses collègues de Montpellier, venus à Paris sur son invitation, pâtirent eux aussi des conclusions du procès de 1643. Mais aucun des problèmes soulevés ne fut résolu: les problèmes de médication liés aux innovations thérapeutiques de Montpellier, l’introduction de remèdes chimiques, les prérogatives jugées excessives des docteurs-régents de Paris furent pour un temps relégués à l’écart. La crise couvait cependant, et Guy Patin, féroce adversaire de Renaudot dans les années 1640, eut de nouveau l’occasion d’exercer ses saillies lorsque éclata, dans le ciel de la Faculté parisienne, la plus grave controverse médicale du siècle: la querelle de l’antimoine.

Chapitre III
La querelle de l’antimoine

La querelle de l’antimoine, analysée dans les différents manuels d’histoire de la médecine au xviie siècle, tient une place d’autant plus grande dans cette correspondance à Spon que Guy Patin fut directement mis en cause par cette affaire. Doyen de la Faculté de médecine lorsque la crise éclata, c’est à lui que revint la charge d’exclure de l’institution les apologistes de ce remède chimique contenant de l’arsenic et qui, donné à mauvais escient ou en doses trop importantes, tuait à coup sûr le malheureux patient. Appelé à plaider devant le Parlement au nom de la Faculté parisienne qui, par deux fois déjà (en 1565 et 1615), avait condamné ce remède comme poison, Guy Patin fit de ce procès une affaire personnelle. La Faculté de Montpellier encourageait en effet le développement des remèdes chimiques, relayée à Paris par Jean Chartier et les deux fils de Théophraste Renaudot, Isaac et Eusèbe, que Patin détestait en souvenir de leur père. Si les lettres à Spon fournissent d’intéressants détails sur les enjeux et sur les partisans de l’un et l’autre bord, elles dénotent surtout une partialité très vive de l’épistolier à l’encontre de tous ses adversaires. Toutefois, malgré le caractère outré de certains de ses propos, le jugement porté sur Guy Patin par ses biographes paraît lui-même assez injuste. On ne peut nier que l’antimoine se révéla par la suite un médicament d’une importance considérable, et que l’introduction de la chimie dans la thérapeutique fit grandement avancer les sciences médicales. Toutefois, à l’époque de cette correspondance, l’antimoine tuait. Les progrès, quoique considérables de la médecine, peinaient à expliquer les raisons qui faisaient des remèdes antimoniaux tantôt un poison, tantôt un médicament. Accuser Guy Patin, et derrière lui la Faculté de médecine de Paris, d’un conservatisme attardé ­ comme certains de ses biographes l’ont fait ­, semble assez réducteur. Guy Patin dénonçait un remède qui, sans que l’on en connût les raisons, amenait parfois le malade au tombeau: attitude raisonnable de la part d’un praticien, ayant en charge la vie de ses patients.

Chapitre IV
La conception de la médecine selon Guy Patin: anatomie et thérapeutique

Le xviie siècle fut riche en découvertes médicales, notamment dans le domaine anatomique: deux d’entre elles intéressent ces soixante-six lettres à Spon: la découverte de la circulation du sang par Harvey en 1628 et celle du réservoir du chyle par Pecquet en 1647. Encore une fois, la Faculté de Paris dénonça ce qu’elle considérait comme des arguties; encore une fois, Guy Patin, l’un de ses plus illustres représentants à l’époque, fut taxé de conservatisme parce qu’il les refusa. D’après les propos tenus dans la correspondance du manuscrit Baluze 148, il ne paraît pas en fait avoir été assez au courant de ces découvertes scientifiques pour les juger. Certes, il semble les condamner, par respect pour la doctrine hippocratique et galénique enseignée à la Faculté, mais sans doute aussi parce que ces découvertes péchaient encore par quelques erreurs, qui rendaient certaines de leurs conclusions improbables. Le médecin paraît s’en être remis à l’avis de son maître Jean Riolan, versé en anatomie et décidément opposé à Harvey et Pecquet. Qui plus est, Guy Patin pratiquait une thérapeutique dont les vertus avaient, selon lui, fait ses preuves: la saignée, les lavements et les purgations, la diète, un régime de vie sain…guérissaient ses malades et maintenaient ses visiteurs en bonne santé. La multiplicité des drogues, concoctées par des charlatans ou des apothicaires peu scrupuleux, accroissait sa méfiance à l’égard de toute médication complexe, onéreuse, et préparée selon un mode tenu secret par les marchands. De là, semble-t-il, son opposition aux nouveautés médicales, relevant de la prudence plutôt que d’un esprit passéiste et borné.


Troisième partie
Guy Patin et la librairie


Guy Patin, le fait est connu, fut grand amateur de livres, et détenteur d’une bibliothèque estimée à près de quinze mille volumes à sa mort, chiffre considérable pour l’époque. Or si la matière médicale dans sa correspondance a été abondamment étudiée, les renseignements qu’elle fournit sur la librairie au xviie siècle ont, en revanche, toujours été laissés de côté dans les biographies consacrés à ce médecin. Ce sujet quasi inédit mériterait une étude plus ample, portant sur un corpus de lettres bien plus large que les soixante-six lettres du manuscrit Baluze. Celles-ci présentent malgré tout l’avantage de se situer en un temps où la carrière de Patin semble solide, sa pratique assurée: libre désormais à lui de se consacrer, autant qu’il le peut, à sa passion «  bibliomaniaque». De là, de fréquentes visites chez les libraires de la capitale, des interrogations sur les livres en cours d’impression, des plaintes liées à la désorganisation du commerce occasionnée par la Fronde, et des demandes incessantes d’ouvrages à son correspondant lyonnais, lui aussi médecin lettré et distingué collectionneur.

L’impact des troubles civils sur le commerce de la librairie parisienne est l’un des traits les plus frappants de la correspondance à Spon, et leur étude rejoint les données établies de manière exemplaire par Henri-Jean Martin dans ses nombreux travaux sur le livre au XVII e siècle: les difficultés d’approvisionnement du papier, son coût croissant, les taxes imposées aux imprimeurs de Paris, les mises à bas dans leurs ateliers par des ouvriers et compagnons en proie au chômage, leurs revendications devant le Parlement, l’extraordinaire floraison de mazarinades et les dangers encourus par les libraires, les contrefaçons enfin et le problème du privilège d’impression… sont autant de sujets abordés par Guy Patin, qui signale à Spon toute nouvelle information sur ce milieu.

Ses lettres révèlent également l’attention qu’il porta aux différentes opérations d’impression et de diffusion d’un ouvrage: l’achat du manuscrit, sa préparation ou sa copie, le choix du papier, du format, du correcteur, les modes de diffusion enfin et de publicité. La connaissance qu’en avait Guy Patin, tout à fait exceptionnelle pour un homme exerçant une profession sans rapport avec celle d’imprimeur ou d’éditeur, amène à s’interroger sur le rôle qu’il a tenu au sein de la librairie. Que doit-on ainsi penser des quelques procès-verbaux où le médecin et son fils, Charles Patin, sont accusés d’avoir importé dans le royaume des ouvrages condamnés et des contrefaçons illicites La période couverte par les lettres du manuscrit Baluze 148 est trop courte pour permettre de déterminer s’il fut un confrère officieux des libraires de Paris. Malgré sa brièveté, cette correspondance laisse aussi entrevoir un réseau de relations dont la mise en place et l’organisation favorisèrent le développement du commerce entre les provinces et Paris, ou avec l’étranger. A cet égard, le rôle de Patin paraît avoir été d’une importance non négligeable, puisqu’il fut éditeur intellectuel, promoteur et enfin vendeur des textes qu’il jugeait dignes d’être diffusés et connus. Mais force est de constater qu’il reste encore des zones d’ombre sur cette activité officieuse que Guy Patin développa par la suite, en des temps plus calmes pour la France.

Outre les aspects techniques, économiques et réglementaires, les commentaires et les interrogations à l’adresse de Spon donnent également une idée de ce que fut la bibliothèque de Guy Patin, et témoignent de sa forte inclination pour une érudition d’aspect classique, tournée vers les langues anciennes et les humanités, à la visée encore encyclopédique. A l’inverse, le théâtre et ce qui sera plus tard classé sous le terme de littérature (les romans et ouvrages de fictions) sont sources de mépris.


Quatrième partie
Edition critique


L’édition critique repose sur le manuscrit Baluze 148 de la Bibliothèque nationale de France. Aux soixante-six lettres à Charles Spon s’en ajoute une dernière, insérée de manière factice au xixe siècle et sans rapport avec les sujets précédents: adressée par Guy Patin à l’archevêque de Toulouse Pierre de Marca, elle date du 23 janvier 1662 et traite de l’éléphantiasis. Cette thèse se proposant de donner une édition complète des lettres présentes dans le manuscrit Baluze 148, elle y figure elle aussi. Les lettres ont été rangées par ordre chronologique.


Conclusion

L’intérêt de cette correspondance est donc triplepuisqu’elle traite tout autant de politique, de médecine et de librairie. En ce qui concerne le premier domaine, la politique, l’édition du manuscrit Baluze 148 ne saurait suffireà préciser la pensée de Guy Patin sur la Fronde. Ce sujet  exige l’étude de lettres antérieures, appartenant au ms Bibl. nat. de France, fr. 9357, en gardant toujours à l’esprit que l’épistolier fut davantage un témoin de son temps qu’un analyste pertinent des troubles au milieu desquels il vécut.

En ce qui regarde la médecine, les soixante-six lettres à Spon permettent de préciser l’opinion de Guy Patin sur l’antimoine, et de nuancer les jugements si souvent portés à son encontre. Mais cette étude demeure inachevée: il reste encore à étudier la réaction du médecin lors de la consécration de ce médicament en 1666, suite à la guérison de Louis XIV à Mardyck en 1658. Elle seule permettra d’établir s’il fut ou non un conservateur aux principes étroits, comme on a si longtemps voulu le croire.

Malgré l’importance des deux précédentes matières, sans aucun doute le cèdent-elles à l’édition et à la bibliophilie, constants soucis de Guy Patin dans cette correspondance à Spon. Si son œuvre d’éditeur scientifique était désormais derrière lui, il était alors en mesure d’organiser un réseau de fournisseurs et de clients, par delà même les frontières du royaume, qui lui permit de se constituer l’une des plus riches bibliothèques du temps. Reste à examiner l’inventaire de celle-ci établi après décès pour vente publique, qui fournira une liste plus précise des ouvrages lus, consultés et recueillis par ce médecin lettré.


Annexes

Deux tableaux chronologiques de la Frondeont été établis. Le premier traite des événements survenus entre le 13 mai 1648 et les derniers jours de décembre 1650; assez sommaire car n’intéressant pas directement la présente édition dont la première lettre date de juin 1651, ce tableau offre en regard des faits la cote de l’autographe (extrait du ms fr. 9357) dans lequel ils sont rapportés, ou du moins évoqués. Le second expose en détail le déroulement de la Fronde du 1er janvier 1651 jusqu’à juillet 1653, date de la soumission de Bordeaux au roi et de la fin de l’Ormée; au regard des données historiques figure le numéro de lettre de Guy Patin correspondant à la présente édition.