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École des chartes » thèses » 2001

Le Tractatus de spirituali aedificio

Édition critique princeps.


Introduction

Le Tractatus de spirituali aedificio est un traité spirituel vraisemblablement composé en milieu cistercien dans la seconde moitié du xiie siècle. L’identité de son auteur n’est pas clairement établie, même si la tradition attribue ce texte à Odon de Morimond (1116-1161). L’édition de la totalité du traité s’accompagne donc d’un essai de critique d’authenticité.


Première partie
Commentaire


Chapitre premier
Présentation du De spirituali aedificio

Nature et finalité — Le De spirituali aedificio s’ouvre sur un lemme biblique (Deut. 27, 4-7), décomposé par l’auteur en dix éléments repris et développés tout au long du traité. Un tel commencement peut faire songer au genre homilétique ; le De spirituali aedificio s’en distingue toutefois nettement par sa longueur et par son caractère très construit, qui écartent l’hypothèse d’une prédication effective, du moins sous cette forme. Il s’agit davantage d’un traité spirituel, destiné à la lecture privée ou au chapitre, dans lequel l’auteur vise à édifier un auditoire manifestement monastique.

Forme — Le De spirituali aedificio, incomplet de la fin, se présente sous la forme de sept livres qualifiés de “ clausulae” dans les manuscrits. L’auteur y fait preuve envers son lecteur d’un grand souci de clarté et de lisibilité, perceptible notamment dans les transitions très marquées, les introductions et récapitulations nombreuses, qui accompagnent efficacement la lecture et contribuent au caractère didactique du texte, au même titre que les définitions de termes abstraits qui y sont données.

Caractéristiques stylistiques et linguistiques — L’ensemble du traité se caractérise par une tendance au discours direct, qui se traduit par l’insertion de plusieurs dialogues entre l’auteur et un interlocuteur fictif ou l’emploi de la prosopopée et de l’abstractum agens, et confère au texte une grande vitalité. Les passages en prose sont marqués par une forte mentalité numérique, perceptible à travers l’emploi de groupes le plus souvent ternaires, soulignés par la rime et l’isocolie. Parmi les procédés stylistiques mis en œuvre par l’auteur, il convient de signaler l’usage de la determinatio, dont on ne trouve que peu d’exemples dans les textes en prose du xiie siècle. Pour ce qui est des passages versifiés, bien peu semblent être de la main de l’auteur ; seules les deux séries de vers placées à la fin de la troisième clausule paraissent authentiques. L’impossibilité de les scander incite à considérer comme rythmiques ces vers, pourtant qualifiés de métriques dans les rubriques qui les précèdent.

Sources — Les sources mises en œuvre dans le De spirituali aedificio sont nombreuses et diverses et impliquent un important travail d’assimilation et de réécriture de la part de l’auteur. Outre les textes familiers au milieu cistercien, tels les écritures, la Règle de saint Benoît, les écrits des Pères de l’église, le De spirituali aedificio renferme de nombreuses citations d’auteurs profanes, allant de l’Antiquité classique au xiie siècle. Si les citations de classiques latins sont vraisemblablement tirées de manuels scolaires ou de florilèges, la présence d’éléments empruntés à la mythologie (Jugement de Pâris, Orphée et Eurydice, etc.) ou à la fable est significative sous la plume d’un auteur cistercien du milieu du XII e siècle. Hormis les longues citations de la Consolation de philosophie de Boèce, en particulier dans la cinquième clausule, le reste des emprunts est fait à des auteurs des xie -XIIe siècles : Marbode de Rennes et Hildebert de Lavardin, saint Bernard, Hugues de Saint-Victor, Pierre Lombard et Abélard, etc. L’étude des sources du De spirituali aedificio permet donc de reconstituer l’horizon culturel de son auteur, qui a visiblement reçu une solide formation classique, sans doute complétée à Saint-Victor de Paris, et peut-être sous la férule d’Abélard : c’est du moins ce que laisse supposer la formule “ sapiens meus” utilisée à trois reprises pour désigner ce dernier.

Le De spirituali aedificio source des Sermones festivales d’Hermann de Reun — Le De spirituali aedificio présente de troublantes similitudes, parfois littérales, avec certains des 108 sermones de festis Domini, de beata Virgine, de sanctis, composés par un cistercien d’Autriche, Hermann de Reun, dans les années 1170-1180, et édités en 1986 par Edmund Mikkers sous le titre Sermones festivales. La comparaison de ce corpus homilétique avec le De spirituali aedificio permet d’établir qu’Hermann de Reun s’est servi du traité lors de la rédaction de ses Sermones festivales: ces derniers constituent donc un témoin indirect de la diffusion du De spirituali aedificio et fournissent un terminus ante quem irréfutable pour sa date de composition.

Chapitre II
L’auteur du De spirituali aedificio

L’attribution du De spirituali aedificioà un Odon que la critique a identifié avec Odon de Morimond est le fait des catalogues de bibliothèques anciens et n’est confortée par aucun des manuscrits subsistants, dans lesquels le traité figure toujours sans titre, sous forme anonyme. L’étude du texte permet toutefois de brosser le portrait d’un auteur obsédé par le temps ­ cette crainte de manquer de temps, qui pourrait relever du simple topos, étant en partie fondée, puisque le De spirituali aedificio est un texte inachevé ­ et doté d’une forte personnalité. En outre, la mentalité numérique qui imprégne le traité vient conforter l’hypothèse d’une attribution à Odon de Morimond, auteur cistercien du xiie siècle surtout connu pour son traité sur la symbolique des nombres.

Odon de Morimond (1116-1161) — Originaire de l’est du royaume de France ou des terres occidentales de l’Empire, Odon entra au noviciat de l’abbaye cistercienne de Morimond vers 1132/1133, après une formation intellectuelle qui pourrait s’être déroulée à Besançon, puis à Paris chez les Victorins, et prit définitivement l’habit en 1134. Il y fit la connaissance de son homonyme Otton (1112-1158), futur évêque de Freising, entré à Morimond un an avant lui ; aussi convient-il de bien distinguer les deux hommes, qu’il serait facile de confondre par leurs dates, leur formation, leurs fonctions (tous deux furent abbés de Morimond). Prieur de Morimond en 1147, Odon aurait peut-être quitté l’abbaye pour devenir abbé de Beaupré-sur-Meurthe en 1150-1152 ; il est certain qu’il fut présent en août 1153 au chevet de saint Bernard mourant et occupa la charge d’abbé de Morimond de 1156 à sa mort survenue en 1161. Surtout connu pour ses Analetica numerorum et rerum in Theographyam, récemment édités par Hanne Lange, Odon de Morimond est également l’auteur de sermons, pour la plupart inédits, regroupés dans des collections hétérogènes, ainsi que de deux traités, le Tres esse gradus… et le De spirituali aedificio, d’authenticité incertaine.

La comparaison du De spirituali aedificio avec les Analetica numerorum laisse apparaître de nombreux points de ressemblance, dont le plus flagrant est la mentalité numérique qui imprègne les deux textes. On retrouve par ailleurs de part et d’autre le même souci du lecteur, et certaines coïncidences lexicales, tel l’emploi du terme “ maneria” au sens abélardien de catégorie, celui de “ clausula” au sens de livre, partie d’ouvrage, peuvent inciter à faire d’Odon de Morimond l’auteur du traité. Toutefois, ces seuls éléments de critique interne ne peuvent suffire à asseoir l’authenticité du De spirituali aedificio.

Chapitre III
La tradition manuscrite du De spirituali aedificio

Subsistent aujourd’hui trois manuscrits complets du De spirituali aedificio, tous datés de la fin du XII e siècle et conservés dans des bibliothèques monastiques autrichiennes.

1°. Klosterneuburg, Stiftsbibliothek 353, fol. 1v-89 (K) — La bibliothèque de l’abbaye de chanoines réguliers de Klosterneuburg conserve sous la cote 353 un recueil qui, outre le De spirituali aedificio, renferme une série de trente-cinq sermons ainsi qu’un petit traité spirituel, Tres esse gradus…, attribués à Odon de Morimond, et constitue par conséquent un témoin en faveur de l’authenticité du De spirituali aedificio.

2°. Salzburg, Erzabtei Sankt-Peter a. IV. 33, fol. 9-119v (S) — La bibliothèque de l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de Salzburg renferme un autre exemplaire du De spirituali aedificio, conservé sous la cote a. IV. 33, qui présente de nombreuses lacunes et erreurs manifestes.

3°. Zwettl, Stiftsbibliothek 355, fol. 13-105v (Z) — L’exemplaire du De spirituali aedificio conservé dans la bibliothèque de l’abbaye cistercienne de Zwettl sous la cote 355 est le plus complet et le plus correct de tous les témoins connus à ce jour ; il constitue par conséquent le manuscrit de base de cette édition.

Il convient d’ajouter à ces manuscrits complets un fragment constitué d’un cahier de six feuillets inséré à la fin d’un manuscrit de l’abbaye cistercienne d’Hohenfurt (auj. Vyssi Brod, République Tchèque), Stiftsbibliothek LXXI, f. 149-154v, qui n’a pu être pris en compte pour l’édition, ainsi que deux autres manuscrits aujourd’hui perdus, l’un à l’abbaye cistercienne de Walderbach (diocèse de Regensburg), mentionné dans un catalogue de 1511/1512, et le second à l’abbaye cistercienne de Rein ou Reun (diocèse de Graz), utilisé par Hermann de Reun pour la composition de ses Sermones festivales.

Le stemma qui ne prend en compte que les trois manuscrits complets (K, S et Z) met en évidence l’existence de deux rameaux distincts dans la tradition : le premier est représenté par le seul manuscrit Z ; le second est le reflet d’une diffusion beaucoup plus large, ouverte au milieu canonial (Klosterneuburg) et bénédictin (Saint-Pierre de Salzburg), dans un espace géographique centré sur la vallée du Danube, comme l’atteste la carte de localisation des manuscrits du De spirituali aedificio. Le caractère strictement germanique de cette diffusion vient infirmer l’hypothèse de l’attribution du traité à Odon de Morimond, dont tous les autres textes, y compris ceux d’authenticité douteuse, sont représentés par au moins un témoin français. Le De spirituali aedificio pourrait donc tout aussi bien avoir été composé par un auteur cistercien, lui aussi prénommé Odon, actif en zone germanique au milieu du xiie siècle.


Deuxième partie
Édition


Z étant le manuscrit de base de cette édition, son orthographe a été scrupuleusement respectée, sauf lorsque certaines particularités risquaient de nuire à la bonne compréhension du texte. L’apparat critique a été voulu aussi exhaustif que possible : il recense un certain nombre de variantes orthographiques, en particulier sur les noms propres, ainsi que de corrections immédiates. Le foisonnement et la diversité des sources mises en œuvre dans le De spirituali aedificio ont amené à signaler toutes les citations, qu’elles soient explicites ou implicites, exactes ou remaniées, dans le corps du texte. Les citations bibliques ont été indiquées en italique ; il arrive qu’elles ne concordent pas avec la leçon de la Vulgate, soit qu’elles proviennent de traductions antérieures (signalées dans l’apparat des sources par les lettres VL [ Vetus Latina] placées entre parenthèses après la référence), soit qu’elles aient fait l’objet de modifications, volontaires ou non, de la part de l’auteur (dans ce cas, les lieux de divergence ont été laissés en romain et la citation exacte reprise dans l’apparat des sources). Les citations non-bibliques quant à elles ont été traitées de trois manières différentes : les citations littérales ou présentant des divergences mineures par rapport aux éditions consultées, mais annoncées de façon explicite par l’auteur ont été placées entre guillemets anglais doubles (“ ”) ; celles qui ont fait l’objet d’un remaniement évident de la part de l’auteur (changement de genre, de temps, dans l’ordre des phrases ou des vers) entre guillemets anglais simples (` ’) ; enfin, les passages qui peuvent être rapprochés d’autres textes sans qu’on puisse affirmer qu’il s’agit bien d’un emprunt ont été laissés tels quels dans le corps du texte et signalés par cf. dans l’apparat des sources.


Annexes

Glossaire. ­ Index des termes définis dans le De spirituali aedificio. ­ Index des citations bibliques, des citations non-bibliques.