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École des chartes » thèses » 2001

L’Église cathare du Carcassès (1167-début du xive siècle)


Introduction

« Eglise cathare du Carcassès » ou « catharisme en Carcassès » Les deux énoncés sont proches. Ils présentent néanmoins deux différences fondamentales. La première est d’ordre géographique. L’Eglise du Carcassès telle qu’elle a été définie lors du concile cathare de Saint-Félix-de-Caraman en 1167 dépasse largement le cadre des environs immédiats de Carcassonne, qui correspond au Carcassès historique, héritier du pagus carolingien; elle comprend aussi les régions qui le bordent au sud et à l’est. L’aire géographique sur laquelle porte la recherche diffère donc selon l’intitulé du sujet: le parti retenu pour cette étude vise à dépasser le cadre restreint du Carcassès et conduit à aborder aussi la délicate question de l’hérésie en Minervois, en Narbonnais et en Biterrois. La seconde différence relève d’un problème d’interprétation des sources. Choisir le terme « Eglise » n’est pas anodin. Il ne relève pas d’une conception idéologique gratuite et partisane de l’hérésie, mais d’une simple constatation a posteriori: l’hérésie cathare en Languedoc est bien structurée autour d’une hiérarchie composée de diacres et d’évêques; celle du Carcassès ne fait pas exception à la règle.

La période envisagée correspond aux dates extrêmes où est attestée l’Eglise cathare du Carcassès, du moins dans l’état actuel des connaissances. En 1167, se tient à Saint-Félix-de-Caraman un concile cathare qui, entre autres décisions, entérine la transformation de la communauté hérétique du Carcassès en une Eglise, dirigée par un évêque et dont les limites sont alors fixées au nord et à l’ouest. C’est du début du xive siècle que datent les dernières enquêtes menées contre des personnes du Carcassès. Entre ces deux jalons, les membres de l’Eglise cathare du Carcassès ont connu une histoire extrêmement fluctuante, depuis la vie au grand jour et en toute tranquillité dans les principaux castra de la région au début du xiiie siècle, jusqu’à la clandestinité, l’exil et la disparition dans la deuxième moitié du xiiie siècle et au début dusiècle suivant.


Première partie
Présentation des sources


Chapitre premier
Les sources d’Inquisition et la collection Doat

Si une étude de l’hérésie en Carcassès peut s’appuyer sur les seuls registres de l’Inquisition, l’historien qui entreprend celle de l’Eglise cathare du Carcassès doit avoir recours à d’autres sources, car ces registres sont extrêmement pauvres sur la situation en Minervois et dans les régions situées plus à l’est. Les registres d’Inquisition, jalousement gardés au Moyen Age, ont subi une désaffection croissante au fil du temps: le peu d’intérêt qu’ils suscitent à l’époque moderne entraîne les premières pertes importantes dans les archives de l’Inquisition de Carcassonne. Mais ce sont surtout les destructions et les dispersions révolutionnaires qui sont les plus dommageables pour le fonds: au xixe siècle, il ne subsiste que quelques épaves, auxquelles s’ajoutent les copies réalisées au xviie siècle sur ordre de Colbert, aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale de France dans la collection Doat.

Chapitre II
Les autres sources

Les livres de l’Inquisition sont les plus riches. Néanmoins, d’autres sources existent, qui sont du plus haut intérêt lorsque l’on quitte la zone géographique couverte par les registres inquisitoriaux. Chroniques, traités et documents d’archives fournissent alors les seuls indices à même de mettre en évidence l’implantation hérétique à l’est du Carcassès. Les renseignements sont souvent bien maigres, mais certains documents s’avèrent de toute première importance, notamment la liste des hérétiques de Béziers, qui fournit un état du succès de l’hérésie dans cette ville à la veille du massacre de la population, ou encore l’enquête royale sur les faidiments des seigneurs du Midi. L’ensemble de la documentation, très hétérogène, a l’avantage de présenter l’hérésie selon plusieurs points de vue, ce qui n’est pas le cas des sources d’Inquisition.

Chapitre III
Problèmes d’authenticité et interprétation des sources

Les problèmes liés aux faux n’épargnent pas le domaine du catharisme occitan en général, et la question de l’hérésie dans le Carcassès en particulier. La toute puissance des inquisiteurs a pu mener à certains abus et des agents de l’Inquisition ont pu être tentés de profiter de leurs pouvoirs extraordinaires pour éliminer des ennemis politiques. Plusieurs registres semblent ainsi suspects, mais celui de Galand et Saint-Seine, le seul qui soit centré sur une portion de l’évêché cathare du Carcassès, est le plus douteux: une lecture prudente du document s’impose donc. Les sources d’Inquisition ne sont pas les seuls documents à poser des problèmes d’authenticité. Les actes du concile cathare de Saint-Félix-de-Caraman, aussi appelés charte de Nicetas ou de Niquinta, qui entérinent la mise en place des structures de l’Eglise cathare dans le Midi et notamment la naissance et la délimitation de l’Eglise du Carcassès, offrent également le flanc à la critique. Néanmoins, l’hypothèse d’une falsification tant médiévale que moderne ne résiste pas à une critique serrée: l’acte parait bien authentique.

Chapitre IV
Le discours dans les dépositions d’Inquisition

Les dépositions devant le tribunal inquisitorial fournissent l’écrasante majorité des informations conservées sur l’hérésie dans le ressort du diocèse cathare du Carcassès. Liées à des circonstances exceptionnelles, ces documents présentent des caractéristiques très particulières, qui les différencient nettement des autres sources. La parole du témoin n’est pas libre; elle est conditionnée par une faute très grave aux yeux de l’Eglise romaine: le crime d’hérésie. Le témoin ne comparaît pas de son plein gré, ce qui aura des conséquences sur la véracité de ses propos. Néanmoins, la déposition est le fruit d’un rapport de forces fluctuant entre l’inquisiteur et le témoin. L’initiative appartient à l’inquisiteur, qui déforme et recompose le discours à sa guise, mais son succès dépend de la volonté de coopération du témoin, qui n’est pas désarmé face à l’inquisiteur. La parole du témoin telle que les registres d’Inquisition la conservent est le résultat d’un perpétuel louvoiement de la part du déposant entre vérités nécessaires et mensonges déguisés. L’historien est donc confronté à un double filtre: celui imposé par l’inquisiteur, qui contraint la parole du déposant pour la soumettre à la forme stricte d’une déposition, et celui, moins perceptible, que développe le témoin, soucieux de minimiser ses fautes au prix d’un travestissement de la vérité qui lui fait accuser parents, amis et voisins. La déposition subit enfin une dernière déformation liée à la traduction des paroles du témoin, de sa langue maternelle, l’occitan, en latin.


Deuxième partie
L’église cathare du Carcassès dans la première moitié du XIIIesiècle


Chapitre Premier
L’hérésie dans la partie occidentale de l’évêché

L’étude de l’hérésie cathare dans la partie occidentale de l’évêché du Carcassès est relativement aisée, malgré de nombreuses lacunes dans les sources. Les registres d’Inquisition permettent de reconstituer l’implantation géographique et l’organisation ecclésiale de l’hérésie dans la première moitié du xiiie siècle. Les documents mettent en évidence l’existence d’une véritable structure hérétique. Il ne faut cependant pas y voir une réplique servile de l’organisation de l’Eglise romaine. Si les cathares ont des diacres et des évêques, ceux-ci se réclament du modèle de l’Eglise primitive, non de celui de l’Eglise romaine que les hérétiques dénoncent.

Les différentes périodes que connaît l’hérésie durant la première moitié du xiiie sont assez bien connues: après une phase de totale liberté, les bonshommes subissent de plein fouet les effets de la Croisade. La sécurité dont ils bénéficiaient lorsqu’ils vivaient au vu de tous dans les castra n’est plus qu’un souvenir. Désormais, l’hérésie va progressivement reculer, malgré une courte embellie dans les années 1220.

Ce tableau avait été dressé, pour une large part, à partir des sources concernant le Toulousain. L’examen des documents décrivant la situation de l’hérésie dans l’évêché cathare du Carcassès a permis de vérifier la pertinence de ce modèle général. L’étude des sources a également permis d’affiner la chronologie. Certaines périodes restent très mal connues, comme les années 1210-1220, pendant lesquelles Simon de Montfort sillonne le pays: on possède très peu de mentions d’hérétiques pour cette période. Les années 1220 voient la réinstallation des bonshommes dans les castraà la faveur des victoires occitanes. Néanmoins, cette situation est très précaire: il ne s’agit en aucun cas d’un retour à la situation antérieure à 1209. Les bonshommes reviennent ou réapparaissent au grand jour dans de nombreux lieux de la région car ils bénéficient de la protection des seigneurs; là où celle-ci ne leur est pas donnée, les bonshommes ne viennent pas. La carte des castra où les hérétiques font leur réapparition coïncide avec celle des places tenues par des seigneurs favorables à la cause occitane. L’exemple le plus éclatant est sans doute Cabaret, castrum dans lequel l’évêque du Carcassès s’installe à demeure durant la décennie 1220. Carcassonne, quartier général de Simon de Montfort et de l’armée croisée depuis le début des opérations militaires, n’est plus alors le siège de l’évêché cathare du Carcassès, s’il l’a jamais été. Lorsque les hérétiques s’aventurent hors de ces refuges, ils risquent d’être capturés, comme ce fut le cas pour l’évêque Pierre Isarn. La fin des années 1220 marque le retour définitif à un état d’insécurité généralisée. Les places fortes dans lesquelles s’abritaient les hérétiques passent dans la main du roi. Désormais, les bonshommes doivent solliciter les croyants à titre individuel: il n’est plus question qu’un seigneur accueille au grand jour des hérétiques sur ses terres. Les années 1240 marquent une autre étape sur lalongue route de la clandestinité. Les bonshommes sont souvent contraints de se réfugier dans les bois ou dans des grottes. Leur situation est de plus en plus précaire. Les hérétiques ne peuvent plus s’appuyer sur le réseau des maisons dans lesquelles la formation des novices était assurée; le recours aux fidèles est de plus en plus difficile et risqué, tant pour les ministres cathares que pour les croyants; les réseaux de solidarité sur lesquels ils s’appuyaient sont systématiquement détruits par l’Inquisition, qui manie avec une grande efficacité la déstabilisation psychologique des croyants et fait éclater les liens familiaux.

Chapitre II
L’hérésie dans la partie orientale de l’évêché

Les territoires situés à l’est du Carcassès, le Minervois et le Biterrois, ont également été touchés par l’hérésie. Selon les régions, les registres de l’Inquisition n’ont pas été conservés ou n’ont jamais existé. L’étude comparée des sources disponibles montre une hérésie implantée dans les principaux lieux entre Carcassès et Biterrois: le maillage semble comparable à celui que connaissent à la même époque les régions considérées traditionnellement comme les plus touchées par l’hérésie,le triangle Toulouse-Albi-Carcassonne. Du Minervois au Biterrois, la majorité des castra sont concernés par l’hérésie; si Béziers ne semble pas entièrement acquise à l’hérésie au début du xiiie siècle, comme l’affirme Pierre des Vaux-de-Cernay, elle n’en est pas moins touchée dans une mesure comparable aux autres villes « hérétiques » du Languedoc, comme Toulouse ou Albi. L’implantation de l’hérésie connaît ainsi une remarquable continuité, depuis Toulouse jusqu’à Béziers. En ce sens, on peut parler d’une présence extensive de l’hérésie.


Troisième partie
L’hérésie dans la seconde moitié du XIIIesiècle et au début du XIVesiècle


Chapitre premier
Le registre de Galand est-il une imposture

Après 1260, toute hiérarchie disparaît en ce qui concerne l’Eglise cathare du Carcassès: les années 1250 semblent constituer un ultime recul de l’hérésie. Pourtant, le registre de Jean Galand et de Guillaume Saint-Seine indique qu’une poignée de bonshommes mène une activité intense dans le nord du Carcassès entre 1260 et 1280; leur action toucherait même les classes dirigeantes de Carcassonne et les officiers royaux de Cabaret. Le catharisme connut-il un nouvel « âge d’or » en Carcassès avant d’être éradiqué par Galand et ses successeurs Cela est peu probable.

Le registre de Galand est en effet très suspect. Il présente tout d’abord des caractéristiques très particulières, qui semblent en fait résulter d’une copie très sélective de parties de dépositions réalisée en vue de constituer une sorte de florilège des accusations les plus graves portées en matière d’hérésie du temps où Galand était inquisiteur. Surtout, c’est l’ampleur des révélations faites par les témoins qui surprend. Le catharisme est moribond dans les années 1250: les hérétiques se cachent dans les bois, les croyants les plus zélés prennent de plus en plus de risques en accueillant les hérétiques chez eux et les réseaux de solidarité sont éliminés par l’Inquisition lorsque celle-ci les découvre. Dans ces conditions, comment expliquerune telle recrudescence de l’hérésie entre 1260 et 1280 Il semble plus judicieux de considérer qu’une partie des dépositions ont été dictées ou suggérées par l’inquisiteur et par son entourage.

L’affaire du complot ourdi pour faire disparaître les archives des inquisiteurs, vraisemblablement fondée, est révélatrice du climat de tension qui existe à Carcassonne entre les élites urbaines et l’Inquisition. Il est certain que le pouvoir discrétionnaire et occulte de ce tribunal inquiétait les classes dirigeantes de Carcassonne: chacun comptait parmi ses proches quelqu’un qui avait, un jour, eu des relations avec les hérétiques; dans ces conditions, aucun patrimoine n’était à l’abri d’une confiscation pour hérésie. Il n’est par conséquent pas surprenant que les élites de la ville aient largement trempé dans un complot visant à subtiliser et à détruire des registres d’Inquisition, symboles de l’arbitraire du tribunal, et susceptibles de mettre en danger leur réputation et leur fortune. En butte à l’hostilité politique des personnes les plus en vue de la ville, l’inquisiteur de Carcassonne n’hésita pas à utiliser l’argument de l’hérésie à leur encontre. Rien n’indique qu’il ait d’ailleurs eu la volonté de faire accuser des personnes qu’il savait innocentes. Pour lui, toute opposition à l’action de l’Inquisition était nécessairement motivée par des raisons religieuses: ceux qui s’opposaient au tribunal en charge de la lutte contre l’hérésie étaient sinon hérétiques eux-mêmes, du moins complices des hérétiques. Convaincu de la culpabilité de l’oligarchie de la ville, il a pu orienter les dépositions des témoins. La peur et la complaisance ont fait le reste. Les accusations d’hérésie portées contre l’oligarchie carcassonnaise n’auraient donc aucun fondement, du point de vue strictement religieux.

Chapitre II
Les Bonshommes

Les bonshommes n’ont pas tous disparu en Carcassès durant les années 1250: le registre de Galand décrit l’activité d’une poignée d’entre eux à partir des années 1260. Les renseignements fournis par ce document sur la vie de ces ministres de l’hérésie sont particulièrement décevants. Cette constatation tient à la nature du registre: il s’agit d’une sélection effectuée au début du xive siècle, sans doute dans le but de constituer une anthologie des fautes les plus graves commises en matière d’hérésie, dans une période durant laquelle l’action du tribunal à l’encontre de cathares de moins en moins nombreux se justifiait de plus en plus difficilement. Il semble que le commanditaire de la copie ait choisi de mettre l’accent sur les pièces concernant deux hérétiques prénommés Guillaume Pagès et Bernard Coste. Il est probable que l’activité de ces hérétiques n’a pas été beaucoup plus importante que celle des autres bonshommes mentionnés dans le registre. Cette sur-représentation serait donc liée aux consignes du commanditaire de la copie. Pour tous les parfaits, les informations données concernent essentiellement des hérétications. Ceux-ci ont sans doute exercé une activité pastorale, qui ne transparaît pas dans la copie, car l’assistance à un prêche constituait un crime de moindre importance que la présence à un consolament. Le registre se résume donc à une liste d’hérétications, qui renseigne bien peu sur la personnalité des hérétiques.

Le document permet de mettre en évidence l’existence d’une dizaine de ministres dans la région de Carcassonne. La plupart sont des «hommes nouveaux». Plusieurs semblent avoir été de simples croyants avant de rejoindre l’Eglise sur le tard, celle-ci constituant pour ceux qui avaient refusé de se soumettre à la sentence des inquisiteurs une structure d’accueil. Guillaume Pagès et Guillaume d’Airoux sont dans ce cas. D’autres sont les rescapés de la génération précédente, comme Isarn Canois et Guillaume Prunel. Dans les deux cas, il s’agit d’individus plutôt âgés: même s’il reste des jeunes gens parmi les croyants, aucun ne semble avoir rejoint l’Eglise cathare.

Les sources concernant les périodes précédentes étaient presque muettes sur l’éventuel passage en Lombardie de ministres de l’hérésie originaires du Carcassès. Le registre de Galand, même s’il ne décrit ni les relais qu’utilisent les bonshommes pour franchir les Alpes ni leur vie dans l’exil lombard, permet d’affirmer que plusieurs ministres cathares ont bénéficié d’une communauté d’accueil en Lombardie, où ils ont été formés. Même dans l’exil, les Eglises du Carcassès et du Toulousain ont probablement connu une existence séparée, car les sources concernant les gens du Toulousain sont muettes sur l’éventuelle présence de personnes du Carcassès à leurs côtés.

Chapitre III
Les Croyants

Le tableau de l’hérésie en Carcassès après 1260 est totalement conditionné par la lecture que l’on fait du registre de Galand. Accepter l’ensemble des accusations contenues dans ce document conduit à décrire une hérésie fortement implantée dans tous les milieux sociaux: petites gens, roture aisée et noblesse, tant occitane que française. L’administration royale serait touchée de plein fouet, avec une hérésie généralisée parmi les châtelains de Cabaret et dans la grande administration carcassonnaise. Les milieux consulaires, marchands et judiciaires ne seraient pas épargnés. Enfin et surtout, un grand nombre d’hommes d’Eglise seraient sinon croyants, du moins sympathisants de l’hérésie.

Une lecture plus critique des sources conduit à replacer le contenu des dépositions dans le contexte plus général de l’hérésie dans la deuxième moitié du xiiie siècle. Partout, celle-ci est en recul. L’action de l’Inquisition, les opportunités offertes par le pouvoir royal et les nouvelles aspirations religieuses font inexorablement reculer le catharisme. Il n’est pas concevable que le catharisme ait fait de nombreux adeptes parmi la noblesse française arrivée depuis peu dans la région, alors que, dans le même temps, les familles occitanes, de tradition cathare, s’en éloignaient en masse, à la faveur des possibilités de réconciliation offertes par le roi de France. Quant à l’implication de nombreux hommes d’Eglise, elle est peu crédible. Il faut plutôt considérer que l’Inquisition a assimilé, peut-être en toute bonne foi, opposition politique et hérésie. Dès lors, l’hérésie de ceux qui sont impliqués dans une opposition politique contre les inquisiteurs devient douteuse. Sans donner au catharisme une assise strictement populaire, il faut considérer que celui-ci est proportionnellement moins présent parmi la noblesse que dans les milieux de la roture. Il n’est pas douteux que quelques familles nobles originaires de la région ont conservé des liens privilégiés avec les bonshommes, comme par exemple les Saissac. Dans ce milieu, l’abandon de l’hérésie est cependant la règle. On peut à cet égard parler de dénobilisation de l’hérésie. De même, l’hérésie a probablement quitté Carcassonne pour se replier sur les villages des environs. Très peu de mises en cause concernant des habitants de cette ville sont en effet crédibles, contrairement à nombre de dénonciations concernant la plupart des lieux situés au nord du Carcassès, dans la Montagne Noire.

Les hérétiques des années 1260 sont pour l’essentiel des «hommes nouveaux». En va-t-il de même des simples croyants Il semble que les familles mises en cause dans les années 1240 et 1250 aient massivement abandonné l’hérésie. Seul un quart des personnes incriminées dans le registre de Galand a été inquiété par l’Inquisition durant les deux décennies précédentes. L’action de l’Inquisition auprès des croyants a donc été très efficace. En revanche, il est impossible de savoir dans quelle mesure l’hérésie a pu reculer parmi les populations locales. Si le nombre de ministres cathares a diminué, la carte de l’implantation hérétique dans la région n’a pas changé: les hérétiques fréquentent sensiblement les mêmes lieux avant et après le milieu du xiiie siècle. L’hérésie n’est donc pas encore morte, même si elle recule régulièrement.

Chapitre IV
La question de l’hérésie au début du xive siècle

Les sources du début du xive siècle ont un caractère strictement rétrospectif: aucun document ne fait état, pour le Carcassès, de faits d’hérésie postérieurs à ceux dénoncés dans le registre de Galand. Le compte des encours de l’hérésie d’Arnaud Assalit est à cet égard exemplaire: aucune confiscation récente en rapport avec l’hérésie cathare n’est à signaler parmi les revenus mentionnés dans ce document comptable. Dans les procès d’Inquisition, Fraticelli et Béguins remplacent désormais les cathares. Un inventaire des archives de l’Inquisition transportées à Montpellier au début du xviiie siècle indique qu’après les années 1320, la théologie cathare a pu subsister sous forme de réminiscences parmi les croyances attestées par les dépositions de certains déviants, et ceci jusqu’au début du xve siècle. Le catharisme, lui, avait disparu depuis longtemps.


Conclusion

Le visage de l’hérésie dans le diocèse cathare du Carcassès n’a cessé de changer entre les premières attestations de catharisme dans la région durant le dernier tiers du xiie siècle et les dernières poursuites attestées dans les documents conservés, au cours du premier quart du xive siècle. Si certaines périodes sont assez bien connues, comme par exemple les années 1240, d’autres, le début du xiiie siècle notamment, restent dans l’ombre du fait de l’absence de documentation. Il s’agit là d’un paradoxe apparent: la vie et l’activité des hérétiques sont peu connues pour la période pendant laquelle ils vivaient au grand jour dans les castra, alors que les sources permettent de mettre en évidence de nombreux détails de l’organisation de l’hérésie à l’époque de la clandestinité, lorsque les bonshommes et les bonnes femmes cherchaient à dissimuler leur appartenance à l’Eglise cathare.

A la lecture de ces sources, il ne fait pas de doute que, même pour les époques et les régions les mieux connues, la documentation n’est pas suffisante pour permettre de dresser un tableau d’ensemble qui refléterait avec fidélité la situation de l’hérésie. Il faut dès lors se résoudre à conjecturer que les constatations faites sur une minorité des sources disponibles traduisent la réalité. Les conclusions concernant le Carcassès coïncident, pour l’essentiel, avec le tableau dressé par les historiens de l’hérésie dans le ressort de l’Eglise cathare du Toulousain. Il resterait à mettre systématiquement en parallèle les informations recueillies pour le Carcassès avec celles concernant le Toulousain et l’Albigeois, afin de déterminer avec précision la part d’originalité de chacune des trois principales Eglises du Midi.


Pièces justificatives

Rôle des hérétiques de Béziers. ­ Déposition de Raymond Huc, d’Aiguesvives. ­ Déposition de Bernard de Padiers, de la Livinière. ­ Déposition de Pierre Daydé, de Pradelles. ­ Déposition d’Arnaud Mazelier, de Rivière. ­ Déposition de Raymond Marty, de Roquefère. ­ Déposition de Bernard de Lagarrigue, de Ladoux. ­ Déposition de Guillaume Courtès.


Annexes

Les amendes figurant dans le registre du Greffier. ­ La continuité de l’hérésie dans les principaux lieux du nord du Carcassès, d’après le registre du Greffier et celui de Galand. ­ Cartesreprésentant les lieux de l’hérésiedans l’ouest de l’évêché cathare du Carcassès (Carcassès, Cabardès, Razès et Val-de-Daigne); les lieux de l’hérésie dans l’est de l’évêché cathare du Carcassès (Minervois, Narbonnais et Biterrois); les lieux mentionnés dans le registre de Galand et Saint-Seine.