Le De vanitate mundi d’Hugues de Saint-Victor († 1141)
Édition critique et commentaire.
Introduction
Représentant majeur de la “ Renaissance du xiie siècle ” en même temps que de la réforme de l’Église, Hugues de
Saint-Victor († 1141) est également l’auteur d’une œuvre foisonnante allant des arts libéraux jusqu’aux sommets de la vie spirituelle, en
passant par les subtilités de l’exégèse et de la divinitas. Entré dans les années 1115-1118 à l’abbaye de Saint-Victor de
Paris, jusqu’à sa mort le 11 février 1141 il y mène, comme maître, une carrière qui contribue au renom croissant de l’établissement fondé en
1108 par l’archidiacre et écolâtre de Notre-Dame, Guillaume de Champeaux. Dès le Moyen Âge, la personnalité d’Hugues de Saint-Victor suscite
l’admiration, quand il ne s’agit pas de vénération. Les lointains descendants de ces admirateurs semblent bien être les exégètes et les
érudits contemporains sur lesquels le charme du plus fameux des auteurs victorins s’exerce encore. Toutefois, l’intérêt qui entoure ce
penseur n’a pas son équivalent philologique. En effet, ses œuvres sont le plus souvent connues et citées d’après la Patrologie
latine de Migne qui reproduit l’édition donnée par les chanoines de Saint-Victor de Paris au xviie siècle. Le
domaine de la recherche textuelle a réservé et réserve donc encore des découvertes capables de modifier sensiblement l’interprétation de la
pensée hugonienne.
Le De vanitate mundi s’inscrit dans le projet général hugonien de restaurer l’image de Dieu dans
l’homme blessé par le péché. La quête de l’unité intérieure par la contemplation est la but assigné par Hugues à son ouvrage. Pour en mieux
saisir les enjeux littéraires et doctrinaux, il convient au préalable d’en restaurer la littera, seule à même d’enrichir
notre connaissance de la pédagogie d’Hugues de Saint-Victor.
Première partieÉdition du De vanitate mundi
Chapitre premierLes témoins manuscrits
L’établissement par R. Goy d’un répertoire des manuscrits transmettant des textes hugoniens, la consultation de l’incipitaire
électronique In principio, l’avancée des recherches liées à l’édition des opera omnia d’Hugues, ainsi
que la parution de nouveaux catalogues, permettent de porter à soixante-deux le nombre de témoins complets ou lacunaires connus du De vanitate mundi.
La description des témoins manuscrits est apparue comme un travail indispensable aussi bien pour
l’édition critique que pour l’histoire de la diffusion et de la réception du texte. Toutefois, le grand nombre de témoins repérés et leur
dispersion ne permettent pas de donner une description exhaustive de chacun d’entre eux. Il a donc été tenu compte d’un certain nombre
d’impératifs qui ont amené à définir deux grands types de notices. Le premier correspond à un modèle librement adapté des notices des
manuscrits latins conservés à la Bibliothèque nationale de France et comprend plusieurs zones : la cote du manuscrit et l’indication
sommaire de son contenu, une description du contenu selon l’ordre des feuillets pouvant débuter par une caractérisation générale du
manuscrit, enfin une description matérielle en deux parties. Celle-ci se compose d’une première partie détaillant ce qui est lié à
l’histoire du manuscrit, alors que la seconde s’intéresse aux aspects purement matériels. Ce type de notice est adopté de préférence pour
les manuscrits du xiie siècle, particulièrement pour ceux qui n’ont pas encore fait l’objet de notices détaillées.
Un second genre de notice est également employé. En effet, étant donné l’existence de catalogues et d’études portant sur l’un ou
l’autre des témoins, il n’a pas semblé utile de reproduire des instruments de travail qui ont déjà fourni une description d’après
l’original et non en fonction d’une reproduction sur microfilm. Par conséquent, à partir des catalogues et d’observations en corrigeant
les indications, il a été choisi de donner des notices réduites portant la cote et l’indication sommaire du contenu, sa description pour
les feuillets qui précèdent, contiennent et suivent notre traité et une description matérielle dépendant largement des informations
fournies par les catalogues. Ces notices plus courtes concernent majoritairement les corpus hugoniens et les manuscrits tardifs.
Chapitre IILes principaux problèmes d’histoire littéraire
La transmission du texte : contenu, personnages et fin. Aux deux premiers siècles de la diffusion du De
vanitate mundi, seize témoins offrent un ouvrage qui correspond au texte en quatre livres édité dans la Patrologie
latine et six autres donnent comme formant une seule œuvre les deux premiers livres du De vanitate mundi, suivis
du Dialogus de sacramentis legis naturalis et scriptae.
Toutefois, ce classement en deux groupes ne reflète
qu’imparfaitement la réalité dans la mesure où d’autres caractères introduisent des rapprochements entre les manuscrits qui viennent
d’être opposés. Le principal est le nom des personnages du dialogue qui varie selon les témoins. La totalité des manuscrits transmettant
le De vanitate mundi(livres I-II) et le Dialogus de sacramentis porte les noms d’ Anima et de Ratio. La majorité des autres témoins nomme les protagonistes des livres I et II Dindimus et Indaletius. Un changement de personnages dans le dialogue doit par conséquent entraîner un nouvel
accord des adjectifs. Les deux premiers livres offrent matière à variante dans la mesure où les participes passés demandent un accord en
fonction du genre des personnes. On constate dans trois manuscrits des distorsions en cours de copie entre le masculin et les accords
voulus par la correction grammaticale. La présence de leçons féminines, malgré des personnages masculins, permet d’orienter le sens de la
transmission du texte en posant l’antériorité de l’état textuel qui contient les personnages Anima et Ratio aux livres I et II.
Authenticité des deux familles, titre du traité et date de composition. Le De vanitate mundi ne pose
pas de problèmes insolubles d’authenticité même si les manuscrits qui donnent le nom d’un auteur ne sont apparemment pas nombreux. En
fait, on trouve le texte dans des corpus hugoniens d’authenticité avérée. De plus, la critique dispose d’un instrument
précieux : l’ Indiculum
omnium scriptorum magistri Hugonis de Sancto Victore que scripsit, liste d’œuvres élaborée à partir des quatre volumes
composés par l’abbé Gilduin peu après la mort d’Hugues en 1141. La présence de l’œuvre dans l’Indiculum lève tout doute
sur l’authenticité hugonienne du De
vanitate
mundi.
Comme celle du contenu de l’œuvre, la détermination du titre selon les familles n’est pas chose aisée dans
la mesure où les manuscrits n’offrent pas d’accord unanime. Trois groupes principaux se détachent et donnent un titre assez proche : les
manuscrits de la première famille oscillent plutôt entre De vanitate mundi et De
vanitate, alors que les manuscrits de la seconde donnent majoritairement De vanitate rerum mundanarum
qui est aussi le titre que l’ Indiculum indique logiquement, puisqu’il dépend des témoins victorins. Le choix à faire
dans l’édition dépend donc de l’état du texte édité. Si le second état du texte est choisi, il est plus logique de s’en tenir à
l’appellation de De vanitate rerum mundanarum ; au contraire, si c’est le premier qui est privilégié, le titre De vanitate mundi s’impose par sa clarté contre le peu explicite De vanitate.
Les éléments de
chronologie relative et absolue permettent de dégager la série suivante entre différentes œuvres d’Hugues de Saint-Victor : vers
1126-1127 : rédaction du De archa Noe ; 1128-1129 : Libellus de formatione arche(1 re recension) ; De vanitate mundi(livres I-II) (1re recension) ; Dialogus de sacramentis ; De vanitate mundi(livres III-IV) ; 1130-1131 : Chronicon.
Chapitre IIIDiscussion stemmatique
Les observations faites par les précédents éditeurs d’Hugues de Saint-Victor ont été mises à profit pour définir une méthode et étudier
la tradition manuscrite. Si procéder a priori en imitant des démarches adoptées pour des textes différents eût été
gauchir ou fausser les résultats, comme d’ailleurs les intentions mêmes alors mises en œuvre, il serait dommageable de ne pas profiter des
points solidement établis par les recherches antérieures. Aussi a-t-on mené à bien des collations intégrales pour la majeure partie des
manuscrits retrouvés des xiie et xiiie siècles, tout en s’en tenant à des sondages partiels pour
les témoins des xive et xve siècles, dès lors qu’il était possible de les rattacher avec quelque
vraisemblance à une famille bien caractérisée du stemma.
La famille
F
. La famille F, formée de six témoins, est rendue manifeste en raison de la transmission singulière qu’elle offre du
De vanitate mundi(livres I-II et Dialogues). Au sein de la famille, on distingue trois groupes bien délimités : les
manuscrits Cambrai, Bibl. mun., 258 (Ca1 ), Bruxelles, Bibl. royale Albert Ier , 11424-11426 (V.
d. G. 1416) (Bx14 ) et Paris, Bibl. Mazarine, 717 forment le rameau a ; Arras, Bibl. mun., 258 (Ar 2 ) et Laon, Bibl. mun., 463 (Ln3 ) le rameau b ; Cambridge, Library of Trinity College, 373 (Jt 3 ), Cambridge, University Library, Kk II 22 (Ju1 ) et Paris, Bibl. nat. de Fr., lat. 2857 (P 28 ) le rameau g.
La famille X. On observe un second groupe de manuscrits appelé X. Leur principal point commun est de ne pas
transmettre les livres III et IV de la famille F. Parmi les témoins de la famille X, trois rameaux (d e et z) et un groupe moins cohérent
de quatre manuscrits (Gr1 Wo2 T1 et Lx1 ) s’affirment.
Le rameau d est l’ancêtre des manuscrits Douai, Bibl. mun., 364 (D6 ), Douai, Bibl. mun., 365 (D 7 ), Laon, Bibl. mun., 178 (Ln2 ) et Paris, Bibl. nat. de Fr., lat. 15139 (P27 ) ; e
celui de Dijon, Bibl. mun., 60 (Di3 ), Erlangen, Universitätsbibliothek Erlangen-Nürnberg, 184 (Er 1 ) et Troyes, Bibl. mun., 496 (T5 ). Quant à z, il correspond au manuscrit Paris, Bibl. Mazarine, 717,
manuscrit victorin du xiie siècle à l’origine de nombreuses copies. Grenoble, Bibl. mun., 246, (Gr 1 ), Luxembourg, Bibl. nationale, 143 (Lx1 ), Troyes, Bibl. mun., 301 (T1 ) et
Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 514 (Wo2 ) demeurent, sans qu’il soit possible de les rattacher clairement à
un des rameaux précédemment distingués.
L’absence d’accord bien attesté dans des variantes communes, même non fautives, entre les
différents rameaux des deux familles rend improbable un témoin intermédiaire qui serait l’ancêtre d’un groupement plus large. Malgré la
relative stabilité du texte et la bonne tenue des différentes copies, on est fondé à proposer un stemma rendant compte
des relations entre les plus anciens manuscrits.
Chapitre IVL’histoire du De
vanitate
mundi
Les manuscrits récents (XIVe et xve s.) et lacunaires . Après les premiers
sondages effectués, aucun des témoins complets ou lacunaires s’échelonnant du xiie au xvie
siècle ne vient remettre en cause la discussion stemmatique.
Quant à la diffusion, le fait marquant que l’on observe est l’écrasante
supériorité des manuscrits de la seconde famille qui, avec 43 témoins, représentent plus du double de ceux de la première au nombre de 18.
Au sein de celle-ci les rameaux (a et g) luttent à armes égales avec respectivement sept et huit représentants, alors que la diffusion de
b dans le Nord de la France ne dépasse pas le xiie siècle. Au xiie siècle, F est diffusé dans
des établissements monastiques, parmi lesquels les abbayes bénédictines sont représentées dans les trois rameaux (Ar1
Ca1 Ln3 P28 ). D6 et D7 se
rattachent géographiquement à la première diffusion tout en présentant un texte également proche par son contenu de la seconde. Ces
témoins bénédictins correspondent à une édition des ouvrages d’Hugues réalisée sans doute vers 1141, mais qui n’a guère eu de succès par
la suite. La descendance de Pm1 avec une vingtaine de témoins domine dans la seconde famille : l’organisation de la
diffusion des œuvres hugoniennes par Gilduin est une réussite fortement attestée. C’est ce texte de bonne tenue que les médiévaux ont le
plus souvent lu lorsqu’ils se penchaient sur le De vanitate mundi. Les états textuels plus circonscrits géographiquement
n’ont généralement pas eu de postérité, comme c’est par exemple le cas pour d. Le rameau e fait exception à la règle et se maintient avec
une diffusion surtout flamande et germanique.
Si l’on considère le succès de l’ouvrage au cours des siècles, on note une bonne
diffusion au xiie siècle (20 témoins) qui profite aux deux familles et un tassement net au xiiie
siècle (11) sauf pour la descendance de Pm1 qui connaît alors son vrai essor (7). Le xive siècle
est une période de fort recul avec seulement six témoins conservés, tandis que le xve siècle apparaît comme le siècle
d’or par excellence de la diffusion de cette œuvre hugonienne (23). Cette intense période de copie profite aux principaux rameaux selon
leur rythme propre et permet la résurgence d’e dont l’on ne conserve pas de témoin pour les xiiie et XIV e siècles.
Les mentions dans les catalogues médiévaux. Les résultats les plus probants sont obtenus pour la Grande-Bretagne. Ils
attestent la bonne diffusion de l’œuvre : les seize mentions qui ont été relevées renvoient toutes à des manuscrits dont aucun ne paraît
avoir survécu. Le titre le plus fréquent est celui de De contemptu mundi(10). D’après ce relevé, le traité connaît un
succès commun aux principaux ordres, avec un léger avantage pour les bénédictins (7 mentions) suivis par les chanoines augustins (5) et
les cisterciens (4).
Les éditions imprimées. L’étude des éditions apporte peu à la connaissance de la tradition du traité car elles se
bornent généralement à reproduire un état textuel fixé dès l’édition princeps de 1526. Celle-ci dépend de la famille X et plus précisément
du rameau issu de Pm1 . L’édition des deux premiers livres donnée en 1913 par Karl Müller d’après le seul P 27 consiste en l’édition d’un manuscrit de base corrigé. Du fait de l’apport philologique assez faible des différentes
éditions, il a été choisi de ne pas les faire figurer en apparat.
Chapitre VPrincipes d’édition et édition du texte
Avec les résultats auxquels est parvenue la discussion stemmatique, il semble difficile d’établir une double recension : en effet cette
notion implique la volonté d’un auteur de réviser un texte pour en donner une version qu’il juge meilleure. Dans le cas du De
vanitate mundi, les différences minimes qui séparent les familles F et X ne semblent pouvoir relever d’une décision délibérée. Il
serait sans doute plus juste de considérer qu’après une première diffusion avec le Dialogus, Hugues a repris le traité et lui a adjoint
une fin nouvelle. À l’occasion de l’établissement de ce nouveau texte, de légères variantes se sont introduites et aboutissent à l’état
textuel de la famille X. Il serait important de savoir précisément si ce texte remonte en entier à Hugues ou si l’abbé de Saint-Victor,
Gilduin, porte la responsabilité du changement des personnages. Cette seconde hypothèse semble préférable sans qu’elle puisse être étayée
de manière indiscutable. Dans le doute, il paraît plus prudent de proposer pour les livres I et II le premier état du texte qui correspond
à F, en choisissant de donner la priorité aux leçons qui sont attestées par tout ou partie des trois rameaux de cette famille. Leur accord
rejoint d’ailleurs fréquemment le consensus de la majorité des autres manuscrits.
Pour les livres III et IV, étant donné la cohérence
plus grande offerte par la seconde famille, nous l’avons choisie pour faire suite aux deux premiers livres. En effet, le Dialogus de sacramentis apparaît comme une solution transitoire ne répondant qu’imparfaitement aux attentes suscitées par la fin
du livre II. De ce fait, le texte ainsi reconstitué présente un compromis entre les deux états : la cohérence intellectuelle de l’ensemble
est garantie en écartant le Dialogus, tandis que l’unité du texte est restaurée en redonnant aux deux premiers livres
leurs protagonistes initiaux ( Anima et Ratio).
L’apparat a été volontairement réduit à
l’essentiel : comme aucun témoin ne peut prétendre à la place d’archétype, il ne conserve pas de variantes individuelles, sauf exception
motivée par la place du manuscrit dans le stemma (Pm1 , Gr1 par exemple). Il comporte, selon
l’ordre alphabétique des rameaux ou des témoins retenus, les leçons pures des rameaux ainsi que celles des manuscrits qui ont une
descendance, ce qui permet de ne pas faire figurer les codices inutiles ou descripti. Pour donner un
échantillon de la diversité des variantes relevées, on indique également les accords, sans doute fortuits, d’au moins deux témoins sur une
même variante.
En l’absence d’autographe, il a semblé préférable de donner une orthographe moyenne qui conserve les faits de langue
majoritairement constatés ( quicquid pour quidquid, nichil pour nihil, le e pour la diphtongue ae…), tout en normalisant dans les cas plus partagés.
Comme Hugues mentionne rarement ses sources, le parti adopté a été de ne faire figurer dans l’apparat que les sources bien attestées
et de privilégier les parallèles hugoniens.
Deuxième partieCommentaire du De vanitate mundi
Chapitre premierIntroduction littéraire et stylistique
Personnages, genre littéraire et composition. L’édition a choisi de privilégier comme protagonistes Anima et Ratio : ces noms rendent mieux compte des préoccupations de l’auteur et indiquent avec clarté l’origine
augustinienne du dialogue. Le choix d’un dialogue, sous la forme d’un entretien entre les deux facultés intérieures que sont l’âme et la
raison, favorise l’identification du lecteur aux deux figures qui sont l’avers et le revers d’un même processus d’approfondissement grâce
à la parole échangée. Une fois constatée la vanité du monde (livre I), Hugues invite à l’intériorisation selon le modèle d’une arche
intérieure qui permet d’échapper à la mutabilité du créé (livre II). Depuis ce point de vue, l’âme peut parcourir l’histoire du monde
depuis la création adamique jusqu’à l’époque de la grâce en attendant la consommation des temps dans la gloire de la Jérusalem céleste
(livres III et IV).
Étude de la langue et du style. Comme toutes les autres réalités créées, la langue ne saurait pour Hugues faire
l’objet d’un culte ou d’un rejet. Contrairement à d’autres spirituels, on ne note chez lui ni lutte contre les belles-lettres à la fois
désirables et tentatrices, ni désespoir face à une langue dont les possibilités seraient toujours en deçà du mystère à exprimer. Fidèle à
son tempérament mesuré, Hugues équilibre ces deux tendances en utilisant les prestiges stylistiques grâce à un vocabulaire peu marqué et à
un usage raffiné de la compositio. Dans les passages les plus soignés, sa prose prend appui sur le langage pour
transmettre l’expérience de la vie contemplative, anticipation de la vision facie ad faciem. Cette spiritualité visuelle
s’exprime pleinement dans un style “ sublime ” dont les principales ressources résident dans l’usage de la relance syntaxique, de la
saturation stylistique (rime, tropes) ainsi que de la description participiale.
Chapitre IIHugues de Saint-Victor et la pédagogie du salut
L’enseignement de la vanité du monde. L’appréciation portée sur le monde est à replacer dans la pédagogie spirituelle
du victorin qui met le monde en question pour mieux en détacher et élever vers Dieu. En ce sens, si le monde et les similitudines qu’il offre ne sont qu’un vaste système symbolique et un moyen d’élévation, on pourrait alors penser qu’ils sont
privés de fondement : la métaphore ne serait qu’un topos habité passagèrement par la langue pour les besoins de la cause et le monde un
mal nécessaire déréalisé pour mieux mettre en valeur les charmes de la patrie céleste. Cette lecture est juste puisque le traité reprend
bien toute une série d’oppositions entre le proche et le lointain, le muable et le constant, le temporel et l’éternel. Elle est toutefois
partielle dans la mesure où elle fait abstraction de l’essence même de la pensée symbolique qui n’enlève pas à la création sa consistance,
mais la renforce en lui conférant une “ sacramentalité ” non négligeable. Ainsi, loin d’être une œuvre entrant dans la catégorie des
natures mortes littéraires, le De
vanitate mundi est-il un exercice de méditation sui generis dont les ressorts rhétoriques et
expressifs le rattachent davantage à l’ admiratio qu’au contemptus mundi.
Hugues et la pédagogie de l’histoire. Hugues utilise le cadre des six âges du monde, des trois temps de la loi
naturelle, de la loi mosaïque et de la grâce ainsi que la distinction entre opera conditionis(œuvre de la création) et
opera
restaurationis(Incarnation du Verbe et ses sacrements).
La langue religieuse hugonienne. La langue d’Hugues demande à être replacée dans le contexte de la révélation
chrétienne. La foi qui cherche à se dire est écartelée entre l’impossible visée de dire le Tout en disant tout et l’irréaliste tentation
de ne plus rien dire pour mieux rendre le silence éloquent. Une des solutions est la reprise de l’idéal antique de “ conformité ” en lien
avec la notion de convenance morale. En effet, non-contradiction doctrinale et cohérence stylistique sont les principaux soubassements de
l’exégèse d’Hugues et définissent son épistémè théologique. Refusant les excès d’une théologie grammaticale ou logique, Hugues cherche à
pratiquer une via
media qui fait concorder la foi chrétienne comme les exigences logiques d’intelligibilité avec un canon littéraire de
conformité.
Chapitre IIIL’école de Laon et Hugues de Saint-Victor
Pour mieux comprendre les rapports du De vanitate mundi et du Dialogus, ce dernier est rapproché des
écrits d’Anselme de Laon et de Guillaume de Champeaux, ainsi que de ceux de leur “ école ”. Le plan même du Dialogus qui
traite de la création, de la chute de l’homme, de sa réparation ainsi que des sacrements des tria
tempora, est inséparable de la perspective des ouvrages associés à l’école de Laon. Ces derniers posent de redoutables
problèmes de transmission et de datation qui rendent les conclusions difficiles. Toutefois, l’analyse de passages de recueils comme Deus summe atque ineffabiliter bonus, Deus de cujus principio, Principium et causa omnium
Deus(ou Sententiae
Anselmi) et les Sententiae divinae paginae amène à donner à ces œuvres une portée plus grande que de
simple théologie morale.
Les écrits de “ l’école de Laon ” plus conséquents que de courtes sentences n’entretiennent pas avec l’œuvre
d’Hugues un rapport de filiation mais sont des collatéraux. En effet, la fécondité de l’influence de Laon se manifeste pleinement dans les
années 1120-1130. Une œuvre comme le Dialogus ne serait pas un aboutissement, mais témoignerait davantage d’un effort
parmi d’autres, qui n’est pas tant celui d’une “ école ” stricto
sensu que d’une “ génération ” de Laon.
Conclusion
uvre de transition, le De vanitate mundi demeure fidèle aux leçons spirituelles des ouvrages antérieurs consacrés à l’arche, en même temps qu’il annonce avec le Dialogus la synthèse théologique du De sacramentis. Le De vanitate mundi illustre par là même toute la richesse de l’ordre canonial voué à la vie contemplative comme à la prédication. Ce texte offre également le moyen de pratiquer une approche tentant de ne sacrifier ni les subtilités de la philologie ni les vastes perspectives de l’histoire doctrinale. Une telle démarche a pour ambition de rendre aux auteurs médiévaux la première place qui leur revient dans l’histoire des réalisations littéraires et de la vie de l’esprit.
Annexes
Présentation du Dialogus. Notices sommaires de manuscrits contenant le Dialogus. Édition du texte. Index locorum sacrae Scripturae. Index scriptorum.