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École des chartes » thèses » 2002

La traduction castillane du De montibus de Boccace

Édition et commentaire (Bibl. nat. de Fr., esp. 458).


Introduction

Le versant érudit de l’œuvre de Boccace est aujourd’hui en grande partie oublié du public. Or, en son temps, Boccace était surtout réputé pour ses traités savants. Parmi ce type d’écrits de Boccace, ce sont surtout la Genealogia deorum, le De casibus, le De mulieribus qui ont reçu la faveur des chercheurs. Le De montibus, si apprécié des contemporains de Boccace, est la moins connue et la moins étudiée de ses œuvres érudites, et les jugements hâtifs et méprisants n’ont pas manqué de pleuvoir sur elle. Sa connaissance, il est vrai, était rendue difficile d’accès, faute d’édition moderne, puisqu’on ne disposait que des éditions du xvie siècle. En outre, comparé aux autres œuvres de Boccace, tant “ littéraires ” que “ scientifiques ”, le De montibus semble plutôt terne et fastidieux à lire.
On pourrait s’interroger sur l’intérêt représenté par la traduction d’un texte latin qui n’a jamais attiré ni les historiens en général, ni les spécialistes de Boccace en particulier. C’est à Manlio Pastore Stocchi, professeur à l’Université de Padoue, que l’on doit les seules études véritablement consacrées au De montibus, ainsi que l’unique édition moderne depuis celle de 1532, publiée en 1998 à Milan. Il est vrai que le grand nombre et la dispersion des manuscrits de l’œuvre entre bibliothèques italiennes et européennes ne facilitaient pas la tâche, et surtout, l’étude de la tradition, très complexe, du texte. Du point de vue de la connaissance de l’œuvre, l’étude de la traduction castillane n’apporte pratiquement rien, car les travaux de Manlio Pastore Stocchi, en particulier sa thèse de doctorat en 1963, ont fait le tour de la question des sources et de la tradition manuscrite latine. Pourquoi alors étudier la tradition castillane et en offrir une édition critique Et surtout, comment donner le texte critique d’une traduction alors qu’il est à peu près impossible d’établir celui de l’original Cette traduction est toutefois intéressante, ne serait-ce que parce que son existence est un témoignage supplémentaire de la situation exceptionnelle de la péninsule ibérique où le Boccace érudit a reçu un accueil remarquable par rapport aux autres pays européens. Ainsi, c’est en Castille qu’a été élaborée la première et unique traduction vernaculaire connue du De montibus, si l’on excepte la traduction italienne qui lui est postérieure.
De la tradition castillane, connue par un unique manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, le ms. esp. 458, on ne sait pratiquement rien, le manuscrit n’ayant jamais fait l’objet d’une étude détaillée. Seuls Alfred Morel-Fatio, conservateur du fonds des manuscrits espagnols à la Bibliothèque nationale à la fin du xixe siècle, Mario Schiff et Arturo Farinelli, s’y sont intéressés. La traduction castillane a été réalisée à la demande d’Íñigo López de Mendoza, marquis de Santillane, à la fin de la première moitié du xve siècle. Le manuscrit est ensuite resté dans la bibliothèque de ses descendants, les ducs d’Osuna, avant d’être acheté par la Bibliothèque nationale, suite à la dispersion de la bibliothèque, après la mort sans héritier du dernier duc d’Osuna, Mariano Tellez Girón, en 1882. Depuis, le manuscrit est resté inconnu de la majeure partie des chercheurs hispanistes. Même si l’étude de la tradition castillane n’est pas facile, en raison d’une tradition latine qui demeure obscure, elle n’en a pas moins des implications importantes sur le plan de l’histoire linguistique, littéraire et culturelle. L’analyse de la langue et des techniques de traduction mises en œuvre donne l’occasion d’étudier les rapports entre les deux langues, le castillan et le latin, à une époque où commence l’affirmation d’une indépendance et d’une qualité de la langue vernaculaire, en même temps qu’un début de réflexion sur ses propriétés. En outre, cette étude pose la question du degré de compréhension du latin par les élites lettrées de l’époque. L’existence de cette traduction castillane soulève enfin des problèmes aussi épineux que la pénétration en Castille des influences italiennes, humanistes et renaissantes, les débuts de l’humanisme castillan, les relations entre l’Italie et la péninsule ibérique, et l’influence de Boccace sur la littérature de la péninsule ibérique. À terme, l’édition de la traduction castillane devrait permettre de mieux cerner quelle a été la réception du traité de géographie dans la littérature espagnole, et plus généralement, quelle a été son influence sur la culture géographique et mythologique espagnole.


Première partie
L’auteur et son œuvre


Chapitre premier
Le De montibus et son auteur

L’auteur : Jean Boccace (1313-1375). ­ En son temps, Boccace était essentiellement réputé pour son œuvre latine et savante, encore que son œuvre didactique ait souvent été utilisée comme un vivier d’anecdotes et de contes. Ainsi, dans la péninsule ibérique, c’est le Boccace humaniste et érudit qui est reçu, et non l’auteur du Décaméron. Il n’en reste pas moins que les deux versants de son œuvre, narratif et érudit, ont rencontré un immense succès. Boccace a eu deux publics : les marchands et le milieu humaniste. Les premiers se sont délectés du Décaméron, véritable épopée de marchands, les seconds des œuvres érudites et historiques. Les aristocrates et les humanistes italiens se sont intéressés plus tardivement aux œuvres en langue vulgaire, à partir du milieu du xve siècle.
Profil du De montibus. ­ Les considérations géographiques et historiques du Filocolo, certains passages du Décaméron et l’intérêt porté au monde primitif dans le De Canaris, rédigé dans les années 1350, constituent les premiers antécédents d’un discours spécifiquement géographique. Le De montibus connaît plusieurs rédactions, une première entre 1355 et 1360, et une seconde après 1360-1362. Comme les autres traités didactiques de Boccace, le De montibus est rédigé en latin, un latin dont la syntaxe et le vocabulaire sont ceux des auteurs classiques qui lui servent de sources. Le traité se présente comme un répertoire toponymique du monde gréco-latin, ordonné rationnellement par entités géographiques et alphabétiquement à l’intérieur des sections thématiques. C’est une œuvre de pure érudition, une géographie littéraire, qui rassemble et illustre les lieux géographiques contenus dans les textes classiques, afin d’en faciliter la lecture et la compréhension. L’objectif de Boccace est de parcourir les lieux d’une géographie “ de papier ”, et non pas du monde réel. Elle se distingue des autres œuvres savantes de Boccace par l’absence de toute interprétation allégorique, moralisante et religieuse.

Chapitre II
Portée de l’œuvre

La diffusion des manuscrits et des éditions imprimées. ­ Soixante-six manuscrits latins sont parvenus jusqu’à nous, pour la plupart de la fin du xive siècle, et treize sont perdus mais connus par des inventaires de bibliothèques. Tous témoignent de la fortune du texte auprès de ses contemporains et de la génération immédiatement postérieure. On connaît huit éditions du traité, entre 1473 et 1532. La désaffection qui suivit pourrait être en partie liée à l’intérêt croissant pour la géographie du Nouveau Monde. On ne connaît que deux manuscrits latins du De montibus en Espagne, tous deux perdus : le premier appartenait à la bibliothèque de Benoît XIII à Peñíscola ; la disparition du ms. 232 de la Bibliothèque Universitaire de Valence, qui provenait de la bibliothèque des rois d’Aragon à Naples, a été constatée en 1977. Cependant, il semble que le texte était connu de certains érudits, Enrique de Villena, Joan Margarit i Pau, évêque de Gérone, Alfonso de Palencia, Jerónimo Pau de Barcelone, Lucio Marineo. Souvent, le De montibus est inséré dans des recueils plus ou moins homogènes : les éditions incunables l’associent fréquemment au grand traité mythologique de Boccace, le De Genealogia deorum. Aucun manuscrit autographe n’a été retrouvé. Les difficultés posées par le texte latin concernent essentiellement les noms propres, par nature les plus sujets aux accidents et aux déformations de la tradition manuscrite. En outre se pose le problème de la qualité des témoins auxquels Boccace a eu accès, eux aussi soumis aux accidents de la tradition manuscrite. Les témoins ne peuvent donc être distingués que par le contenu : addition ou soustraction de lemmes, ordonnancement des lemmes, présence ou absence des treize hexamètres sur l’Arno. Dans les éditions imprimées, le De montibus est traité presque toujours comme un appendice du traité mythologique, ce qui a contribué à conforter le jugement sur son caractère mineur. L’arrivée sur le marché du livre dans les années 1530 des nouveaux manuels mythologiques, ceux de Giraldi et de Conti, a pu aussi contribuer à faire perdre de leur valeur aux traités latins de Boccace sur le monde antique.
Le public du De montibus. ­ Le traité s’adresse à un public restreint, différent de celui du Décaméron, constitué de lecteurs des classiques, professionnels ou amateurs, mais capables de lire du latin. Il semble avoir été entre les mains de la plupart des grands de son époque, papes, cardinaux, rois, princes. Il est aussi présent dans les bibliothèques de nombreuses abbayes et de juristes. Son succès fut remarquable, mais pour autant que durât la considération humanistique envers la production latine de Boccace, jusque vers le milieu du xvie siècle. Les seules éditions consacrées uniquement au De montibus sont les deux éditions vénitiennes, entre 1526 et 1557, de la traduction italienne de Niccolò Liburnio. La troisième édition de la traduction de Liburnio, celle de 1598, au caractère vulgarisateur, tente de conquérir un public nouveau, de dilettantes et non plus de professionnels.
Postérité de l’œuvre. ­ Le De montibus est salué en son temps pour son style, puis pour son utilité : de fait, d’amples excerpta du traité sont insérés dans les compilations encyclopédiques de Domenico Bandini et de Domenico Silvestri. À partir du milieu du xvie siècle, le traité sombre dans l’oubli. Il est vrai que sa nature instrumentale empêche qu’il soit cité en tant que tel. Son influence est perceptible chez Domenico Silvestri (1335-1411), Domenico Bandini (1335-1418), ainsi que chez Ermolao Barbaro, Stefano Bizantino et Lorenzo Astemio à la fin du xve siècle. En Pologne, le traité a inspiré la Chorographia de Jan Dlugosz. Le De montibus réapparaît très fugitivement en 1711 dans l’édition de Vibius Sequestre par François Hesselius et, en 1806-1807, dans celle de Pomponius Mela par Karl Heinrich Tzuschucke. Hormis les travaux d’Attilio Hortis, au xixe siècle, les plus importants restent ceux de Manlio Pastore Stocchi, auteur de la seule édition moderne. La traduction castillane a rencontré la même absence de curiosité de la part des chercheurs du XX e siècle.

Chapitre III
Les raisons du succès

Les thèmes développés. ­ La géographie au Moyen Âge se réduit souvent à la topographie et à la cosmographie et s’intéresse peu aux toponymes nouveaux avant le xve siècle. Elle est en fait conçue comme une introduction à la connaissance historique, comme un espace de l’histoire. Le De montibus se situe dans la lignée des géographies médiévales par l’utilisation des montagnes pour découper l’espace et par sa curiosité pour les phénomènes naturels, pour les mirabilia et les légendes, ainsi que par les allusions fort nombreuses à la mythologie et à l’histoire biblique. Il s’en distingue cependant par un sens nouveau du paysage et un goût marqué pour l’archéologie, par une veine autobiographique et “ géopolitique ”, et par la conscience des problèmes philologiques liés à la transmission manuscrite.
Une géographie littéraire. ­ Les sources sont essentiellement littéraires et antiques. Les sources contemporaines et médiévales brillent par leur quasi-absence. Il ne s’agit pas d’une description de la réalité physique, mais du monde de la littérature antique. Les allusions contemporaines sont rares, et celles historiques sont souvent filtrées par une source littéraire. Boccace ne cite jamais ses sources. Il ne donne aucune interprétation moralisante ou didactique : là résident le plus l’inflexion humanistique et le caractère novateur du traité. Le traité, pour remplir sa fonction pratique, se présente comme un dictionnaire. Le style des articles n’est pas propre à Boccace, mais aux auteurs qu’il a recopiés.
La place du De montibus parmi la géographie des humanistes. ­ Pour les humanistes, la géographie est subordonnée à la poetarum interpretatio, elle est un instrument auxiliaire de l’histoire. Pétrarque avait eu l’intention de composer un traité géographique et historique. À la fin du xve siècle, la “ périégèse ”, l’itinéraire systématique de voyage, est mise à l’honneur avec Cristoforo Buondelmonti et Flavio Biondo. Par la suite, les grandes découvertes sont celles de nouveaux territoires, mais aussi de nouveaux textes géographiques. Mais les encyclopédies et les compilations perdurent, car les connaissances se cumulent sans que les nouvelles annulent les anciennes. La fortune du De montibus est donc loin d’être achevée au début du xvie siècle, même si les nouvelles données géographiques en font une source d’anecdotes et non plus un traité savant.


Deuxième partie
La traduction castillane du De montibus


Chapitre premier
Boccace dans la péninsule ibérique au xve siècle

Un premier humanisme “ sous influence ”­ L’humanisme castillan du xve siècle présente des spécificités par rapport à l’humanisme italien. La Castille s’ouvre aux nouvelles tendances rhétoriques et poétiques, avec Alfonso de Cartagena ou Alfonso de Madrigal. Les aristocrates jouent un rôle important dans la vie culturelle, en particulier par les bibliothèques qu’ils constituent, même s’il ne faut pas exagérer l’importance de leur action.
L’un des principaux phénomènes culturels du xve siècle dans la péninsule ibérique : les traductions . ­ L’humanisme castillan est avant tout vernaculaire, car la connaissance du latin, sans parler du grec, est beaucoup plus faible qu’en Italie. Le mécénat aristocratique est à l’origine des traductions. Ces traductions sont caractérisées par leur aspect latinisant. Souvent, il s’agit de traductions de travail, destinées à faciliter la lecture de l’original, ou de traductions de textes scientifiques, d’où leur aspect peu littéraire.
Boccace dans la péninsule ibérique au xve siècle . ­ C’est le Boccace humaniste, érudit, qui est connu, bien davantage que le conteur et l’écrivain en langue vulgaire. Il est considéré comme une autorité morale et culturelle, et cité à l’égal des classiques de l’Antiquité. Il est utilisé principalement comme un formidable pourvoyeur d’anecdotes et de personnages. Il est très présent en Catalogne, où l’on traduit ses textes vernaculaires, le Corbaccio, le Décaméron(1429), la Fiammetta. Tous ses traités latins sont traduits en castillan, ainsi que le roman le Filolocolo et, partiellement, le Décaméron.
La littérature historique et géographique en Espagne au xve siècle : sur les traces du De montibus. ­ À partir de la deuxième moitié du xve siècle, se développe l’intérêt pour la géographie et l’histoire antiques de la Péninsule et émerge une géographie “ nationale ”, avec Joan Margarit i Pau, Jerónimo Pau, Alfonso de Palencia, Lucio Marineo, Rodrigo Sánchez de Arévalo, Antonio de Nebrija et Jérôme Münzer.

Chapitre II
La traduction castillane

Le seul témoin castillan conservé. ­ Il s’agit du ms. esp. 458 de la Bibliothèque nationale de France. Il date du milieu du xve siècle. Outre la traduction, anonyme, du De montibus(fol. 1-64v), il contient deux autres traductions castillanes de textes humanistes dédiées à Íñigo López de Mendoza, attribuées à Pero Díaz de Toledo : celle de l’homélie de saint Basile en faveur des études classiques (fol. 65-69v) et celle de l’Axiochus(fol. 70-74v), un traité pseudo-platonicien. Les deux dernières traductions sont datées entre 1441 et 1445. Le manuscrit a été copié pour le marquis de Santillane, une des figures marquantes de l’histoire politique et culturelle de la Castille du xve siècle, à la fois aristocrate, homme de guerre, poète et lettré.
Recherche du manuscrit-source de la traduction. ­ Un relevé des lacunes et des ajouts du texte castillan a été effectué, ainsi que des fautes qui ne pouvaient être attribuées au traducteur ou au copiste, en prenant pour appui l’édition de Manlio Pastore Stocchi, afin d’aborder de façon systématique les manuscrits latins du De montibus. Cela a permis de repérer les manuscrits qui n’ont pu servir de modèle au traducteur, et de constater que certaines leçons du manuscrit castillan étaient attestées par la tradition latine. Il semble que le manuscrit-source n’était pas d’excellente qualité sur le plan formel, sans doute était-ce un manuscrit d’étude, en cursive. Le De montibusétait connu de Jerónimo Pau, et bien avant, d’Enrique de Villena, mais connaissaient-ils la version castillane ou seulement l’original latin Si Enrique de Villena a connu le texte castillan, alors la traduction serait antérieure ou contemporaine à 1428-1429. Dans l’état actuel des recherches, la tradition castillane semble des plus restreintes et limitée à Santillane et à sa descendance, comme le quatrième duc de l’Infantado, qui en cite des extraits dans son Memorial de cosas notables(1564). Quelques sondages effectués dans les œuvres de Juan de Mena, auteur contemporain et ami de Santillane, en particulier la Coronación et le Laberinto de amor, laissent penser qu’il aurait pu avoir entre les mains la traduction castillane.
Choix méthodologiques pour une étude de la traduction castillane. ­ La plupart des erreurs ou des passages incertains relèvent de la tradition du texte latin telle qu’elle était représentée dans le manuscrit-source. N’ayant pu retrouver le manuscrit-source, on s’est appuyé sur l’édition de Manlio Pastore Stocchi. Les manuscrits latins ont servi à éclairer les passages incertains du manuscrit castillan. Il est difficile de faire la part du traducteur, du copiste et du manuscrit-source dans les déformations du texte castillan. Le manuscrit castillan n’est pas autographe, comme en témoignent les nombreux blancs de la copie. Il s’agit probablement d’un exemplaire de travail un peu plus soigné que la moyenne, et non du manuscrit définitif, car il manque la dédicace au commanditaire de la traduction.
Etude de la traduction castillane. ­ Le traducteur a suivi le texte latin qu’il avait sous les yeux, mais c’est la traduction ad sententiam qui domine, car le traducteur interprète et explique constamment le texte latin, au moyen de gloses expliquant les calques lexicaux, ou bien en donnant des informations mythologiques et géographiques. Il a fréquemment recours au dédoublement synonymique pour rendre tous les sens du mot latin, et plus rarement aux périphrases. Les latinismes syntaxiques (hyperbates, constructions “ absolues ”, propositions infinitives, emploi du relatif de liaison et du subjonctif) et lexicaux sont nombreux. Dans l’ensemble, il y a peu d’erreurs de compréhension du texte. Le traducteur maîtrise plus facilement les passages narratifs, même très longs, plutôt que les passages purement descriptifs où sont énumérées des listes de noms. L’allure de la traduction est assez “ latine ”. Le traducteur se montre très respectueux du texte original, très peu glosé. Il respecte la neutralité et l’absence d’interprétation allégorique de l’œuvre de Boccace. Il semble avoir une bonne connaissance du latin classique revu par Boccace, ainsi que de la mythologie classique. Les erreurs qu’il commet s’expliquent par la nature du texte, constitué en grande partie d’énumérations de noms géographiques inconnus.
Pendant longtemps, cette traduction a été attribuée à Pero Díaz de Toledo. Or, le style du Libro de los montes e rios e selvas n’a rien à voir avec celui de Pero Díaz de Toledo, perceptible par exemple dans les deux autres traductions contenues dans le manuscrit. En outre, celui-ci n’avait de la mythologie classique qu’une connaissance très sommaire et ne goûtait guère la culture païenne. Un candidat plus plausible est un autre familier du marquis de Santillane, son écuyer, Martín de Ávila, qui semble avoir été spécialisé dans les traductions de textes sur le monde antique et classique. Le style de Martín de Ávila dans ses traductions de la Genealogia deorum ou de l’Historia de preliis Alexandri Magni est très semblable à celui du traducteur du De montibus. Enfin, il semblerait logique que Martín de Ávila ait été chargé de traduire le De montibus, texte du même auteur que la Genealogia, de même nature, et très souvent associé à la Genealogia dans les manuscrits. Cela reste une hypothèse bien sûr, qu’il faudrait vérifier en comparant systématiquement les traductions de Martín de Ávila.


Conclusion

La traduction castillane du De montibus se révèle très fidèle à l’original latin. Elle est bien représentative du mouvement culturel et intellectuel qui parcourt la Castille dans la première moitié du xve siècle, caractérisé par l’importance des traductions vernaculaires des textes classiques et humanistes. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser au premier abord, le De montibusétait connu des lettrés de la Péninsule, en particulier des historiens catalans.
Toutes les questions soulevées par l’étude de la traduction castillane n’ont pas été résolues, notamment en ce qui concerne la correction à apporter au manuscrit castillan. La nature même du texte de Boccace et la complexité de la tradition qui en découle jouent un rôle prépondérant dans les passages incertains de la traduction castillane, surtout ceux qui concernent les noms propres ; en outre, la responsabilité du copiste, celle du traducteur et celle du manuscrit-source utilisé par le traducteur, sont difficiles à distinguer. Et comme aucun autre témoin de la traduction ne semble avoir été conservé à ce jour, il est peu probable qu’une édition critique, au sens strict, soit possible. Il n’a donc pas été possible de corriger le manuscrit castillan, même dans les cas les plus aberrants, sauf à vouloir risquer d’amender le texte du traducteur.
La recherche du manuscrit-source n’a pas été couronnée de succès. Sur les soixante-six manuscrits latins du De montibus conservés, seuls trente-huit ont pu être examinés, et de façon sommaire, en raison de l’ampleur et de la difficulté du texte ainsi que des conditions de travail : une grande partie des manuscrits, seize exactement, ont été consultés sur microfilm. Cette recherche partielle a toutefois permis d’affiner l’établissement du texte castillan.
Enfin, en ce qui concerne l’identité du traducteur, il n’est pas possible d’affirmer sans conteste qu’il s’agit de Martín de Ávila ; mais en l’état actuel des recherches, il reste le candidat le plus plausible, bien davantage que Pero Díaz de Toledo.
La réception du De montibus en Espagne semble avoir été réelle mais assez “ souterraine ”, sans doute en raison de son caractère “ instrumental ” et utilitaire. Elle paraît avoir été plus importante en Catalogne qu’en Castille. Reste à savoir si le De montibusétait connu à travers sa traduction castillane ou seulement dans le texte original latin. L’index des noms propres devrait permettre de faciliter la recherche des traces de la traduction castillane du De montibus dans la littérature de la Péninsule.


Édition du Libro de los montes e rios e selvas

Le manuscrit unique, non autographe, pose des problèmes particuliers en raison de la complexité de la tradition latine, due au grand nombre de noms propres exotiques ou désuets contenus dans le texte. Les fautes d’origine incertaine ont été signalées dans le volume de notes critiques. Seules les fautes indubitablement attribuables au copiste ont été corrigées, les leçons rejetées étant indiquées en notes de bas de page.
La règle a été de ne pas moderniser abusivement le texte par une accentuation et une modernisation graphique intempestives, tout en cherchant à en donner un transcription lisible et “ interprétative ” au moyen d’une ponctuation et d’une accentuation diacritique, ainsi que par la séparation des mots.
Les notes critiques portent sur les méthodes du traducteur.


Annexes

Liste et notices des manuscrits du De montibus. ­ Edition de traductions de Martín de Ávila et de Pero Díaz de Toledo. ­ Glossaire. ­ Vocabulaire technique. ­ Index des noms propres.