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École des chartes » thèses » 2002

Les relations diplomatiques entre la Norvège et les Îles britanniques (1249-1319)

Les ambassadeurs et le service diplomatique du roi.


Introduction

À la fin du xiiie et au début du xive siècle, les Etats de la Chrétienté occidentale voient leurs administrations se diversifier et se spécialiser. Les fondements d’une administration diplomatique se mettent alors en place, surtout en Angleterre, mais cette administration n’est pas encore bien individualisée : elle reste fondue dans le service général du roi. La fonction d’ambassadeur est encore occasionnelle, elle vient se superposer temporairement à la charge que son titulaire exerce ordinairement. C’est dans ce contexte qu’il faut placer les relations diplomatiques entre la Norvège et les Îles britanniques entre 1249 et 1319. Plus que le contenu événementiel de ces relations, au sujet duquel il existe une historiographie relativement abondante, il convient d’étudier les ambassadeurs qui ont été les acteurs de ces événements en utilisant la méthode prosopographique. Il s’agit de comprendre sur quels critères les ambassadeurs sont choisis et comment, par la suite, ils exercent le service diplomatique du roi. L’objectif de cette démarche est d’évaluer le rôle que joue le profil d’un personnage dans son choix comme ambassadeur et dans le déroulement de sa mission. À plus grande échelle, il est intéressant de repérer chez ces ambassadeurs occasionnels les signes annonçant la future spécialisation du personnel diplomatique. Par ailleurs, sur le plan culturel, l’étude des origines et de l’implantation géographique des ambassadeurs peut fournir des éléments de réponse à la question de l’interpénétration des cultures dans l’ensemble que forment les royaumes d’Ecosse, de Norvège et d’Angleterre.


Première partie
Sources et méthodologie


Chapitre premier
Typologie et présentation des sources

Les sources de l’histoire diplomatique.  — Les sources ayant servi à reconstituer l’histoire des relations entre la Norvège et les Îles britanniques sont conservées en grande partie à Londres, au Public Record Office. La British Library à Londres, le Scottish Record Office à Edinburgh, le Norsk Riksarkivet à Oslo, le Dansk Rigsarkivet à Copenhague, la Kongelig Bibliothek à Stockholm et à Copenhague et les Archives nationales à Paris ont livré des pièces complémentaires. La dispersion de la documentation est compensée par le fait que la plupart des documents traitant de ce sujet ont été édités dans le tome XIX du Diplomatarium Norvegicum ou analysés dans les tomes I à III des Regesta Norvegica et dans les Calendars imprimés par le Public Record Office pour les règnes de Henri III, Edouard Ier et Edouard II.
Si les documents les plus importants sont bien sûr les traités qui ont été passés entre les trois pays étudiés ou deux d’entre eux, l’historien dispose de toute une gamme de documents pour appréhender l’évolution des relations diplomatiques, les dates des ambassades, leur composition et leurs objectifs. On peut citer la correspondance échangée entre les souverains ; les lettres de sauvegarde accordées à des ambassadeurs se rendant à l’étranger ; les lettres de procuration ou de créance, qui précisent les pouvoirs des ambassadeurs à l’intention du roi qui les reçoit ; les lettres d’instruction, où sont consignés les objectifs et les limites d’une ambassade ; les mandements administratifs, qui ordonnent la rédaction d’une lettre à un souverain étranger ou le paiement d’un ambassadeur ; les comptes consignant les dépenses des ambassadeurs en mission, qui sont enregistrés dans des livres ou conservés sous forme d’extraits.
Ces documents sont conservés sous forme d’originaux, comme les traités, ou de copies transcrites sur des rouleaux ; c’est notamment le cas des lettres de sauvegarde qui sont recopiées sur les rouleaux des lettres patentes. Les documents sont parfois compilés dans des cartulaires comme le liber A et le liber B, qui sont réalisés en Angleterre entre 1290 et 1300 environ pour conserver les documents relatifs aux relations diplomatiques de ce pays avec l’Ecosse et la Norvège. Les cartulaires monastiques, celui d’Arbroath en Ecosse par exemple, peuvent par ailleurs fournir des renseignements utiles, notamment par le biais des lettres de protection qui sont accordées aux monastères lorsque que leur abbé est en mission à l’étranger. Enfin certaines chroniques sont rédigées à partir de documents d’archives et il est fréquent qu’elles citent entièrement les actes sur lesquelles elles se fondent.

Les sources biographiques.  — Bien que la diversité de la documentation qui nous renseigne sur les hommes soit extrême, il est possible de la classer en quatre grandes origines : administrative (lettres patentes et closes), ecclésiastique (registres pontificaux, épiscopaux et cartulaires monastiques), privée (testaments et inventaires de bibliothèques) et littéraire (annales, chroniques et sagas). Chaque type de source fournit des renseignements très divers, mais on peut considérer que les archives administratives éclairent avant tout la vie publique d’un ambassadeur et ses rapports avec le roi ; les sources ecclésiastiques retracent sa carrière au sein de l’Eglise ; les sources privées donnent des indications sur ses possessions et sa culture, alors que les textes littéraires présentent la façon dont il est perçu par ses contemporains ou le souvenir qu’il a laissé. La variété et l’éparpillement de ces données sont tels que seules les sources imprimées ont été dépouillées.

Chapitre II
Problèmes archivistiques

Norvège et Ecosse : des “ archives en creux ”  — L’étude des sources fait apparaître un déséquilibre dans leur conservation : l’essentiel du corpus étudié se trouve en Angleterre, au Public Record Office, et les rares documents écossais et norvégiens dont on dispose ont souvent été conservés dans des dépôts anglais. Les chancelleries écossaise et norvégienne sont pourtant bien en place et actives à la fin du xiiie siècle : quelques inventaires médiévaux d’archives sont là pour prouver que ces deux royaumes, sans être aussi en avance sur le plan administratif que l’Angleterre, se préoccupèrent de la production et de la conservation de leurs archives diplomatiques. Simplement, celles-ci ont été massivement détruites lors des différentes invasions que ces deux royaumes ont subies entre le xive siècle et le xviie siècle. On garde leur trace grâce à quelques chroniques qui les ont utilisées avant qu’elles ne disparaissent et grâce à des inventaires médiévaux. Ces archives n’existent plus, mais elles ont laissé une empreinte : ce sont des “ archives en creux ”.

Interprétation et exploitation de la documentation.  — Ce déséquilibre pose des problèmes d’interprétation. La plus grande richesse des archives anglaises ne doit pas amener à conclure que l’Angleterre fut plus active sur le plan diplomatique que la Norvège ou l’Ecosse. Par ailleurs, la présence de documents étrangers dans des dépôts anglais peut fournir indirectement des renseignements sur la pratique diplomatique aux xiiie et xive siècles dans les trois pays étudiés. Enfin, les lettres de sauvegarde sont d’une interprétation délicate : elles ne nomment souvent que quelques grands personnages d’une délégation, et non l’ensemble de ses membres.

Exploitation des sources littéraires.  — Les chroniques et les sagas doivent être interprétées avec prudence. Elles exagèrent souvent les faits car elles sont rédigées dans une optique laudative ; c’est le cas des sagas de rois norvégiennes ou des chroniques monastiques. Certains de ces récits sont toutefois rédigés à partir de documents d’archives et on peut vérifier leur fiabilité en opérant des recoupements avec les rares textes parvenus jusqu’à nous.

Chapitre III
Problèmes philologiques

Géographie linguistique des Îles Britanniques et de la Norvège.  — S’ils utilisent tous le latin pour communiquer entre eux, les Anglais, les Norvégiens et les Ecossais baignent pourtant dans une atmosphère où se côtoient plusieurs cultures et plusieurs langues vernaculaires, elles-mêmes partagées en de nombreux dialectes. L’anglo-normand et l’anglo-saxon sont parlés en Angleterre ; le gaélique, le norrois, l’anglo-normand et l’anglo-saxon en Ecosse et le norrois en Norvège.

Latin et langue vernaculaire : la métamorphose.  — Cette diversité provoque des chocs de culture. Les différences institutionnelles, linguistiques et hiérarchiques entre les trois sociétés sont gommées dans les actes par l’emploi du latin, qui utilise par exemple le même terme, comes, pour désigner un earl anglais, un earlécossais et un jarl norvégien, alors que ces trois titres ont un contenu différent. Les anthroponymes connaissent le même phénomène d’assimilation : le prénom Johannes peut désigner aussi bien un John anglais, qu’un Jon norvégien ou un Eoghann gaélique. Il faut aussi prendre en compte le traitement des anthroponymes étrangers par une langue vernaculaire : le nom gaélique Eoghann mac Dhonnchaidh mhic Dhugaill devient ainsi dans les sagas en norrois Jón Dungadarson. Tous ces changements sont autant d’obstacles à l’identification des ambassadeurs.

Littérature de cour et titulature.  — Dans les années 1274-1277, le roi de Norvège décide de changer certains titres, en empruntant la terminologie nobiliaire de la Chrétienté occidentale : ce changement tient à la fois à l’influence de la littérature courtoise française et anglo-normande et au souci du souverain de mieux affirmer l’intégration de son pays à l’Occident. Les lendmenn prennent le titre de baron et les skutilsveiner, celui de chevalier, sans pour autant devenir semblables à leurs homologues anglais ou écossais.

Chapitre IV
Un outil pour la prosopographie : la base de données

La création et la mise en œuvre d’une base de données sont indispensable sà la réalisation d’une étude prosopographique. Les objectifs en sont définis par la problématique du sujet. Une base biographique et une base chronologique ont été réalisées pour ce travail. Elles ont constitué, dans un premier temps, une aide précieuse pour organiser le repérage et le dépouillement des sources et ont permis une exploitation scientifique plus large et plus facile que les traitements faits à partir de dépouillements manuels. La base biographique offre en effet des facilités pour les tris, les dénombrements et les comparaisons des profils des ambassadeurs, alors que la base chronologique permet d’évaluer l’intensité de l’activité diplomatique de chaque pays étudié. Il faut cependant savoir critiquer ces résultats, car le contenu des deux bases reflète les lacunes des sources.


Deuxième partie
Les événements


Chapitre premier
Géopolitique de l’Europe du Nord en 1249

La colonisation scandinave dans les Îles britanniques.  — À partir de la fin du viiie siècle, les vikings norvégiens et danois multiplient les raids contre les Îles britanniques, avant que des colons scandinaves ne s’installent le long des côtes anglaises et écossaises dans la deuxième moitié du ixe siècle. En Ecosse, cette implantation est durable : en 1249, les Hébrides et les Orcades, au large des côtes nord et ouest du pays, sont des territoires norvégiens. En Angleterre, la colonisation n’est pas aussi durable malgré la mise en place d’une fédération d’états danois sur la côte est de l’Angleterre, le Danelaw, et la constitution, entre 1016 et 1035, d’un empire anglo-scandinave dirigé par Knud le Grand, à l’origine roi de Danemark. La conquête normande en 1066 rattache l’Angleterre au continent, mais l’influence scandinave ne semble pas pour autant avoir disparu des zones de colonisation initiales où des populations scandinaves sont sans doute toujours présentes, soumises aux rois anglo-normands.

Les enjeux territoriaux vers 1249.  — C’est l’héritage de cette colonisation qu’il faut régler en 1249, notamment en Ecosse, dont les rois sont de plus en plus gênés par la présence norvégienne dans les Hébrides et les Orcades. Ces îles servent en effet de base aux pirates, qui perturbent la liaison entre l’Ecosse et l’Irlande. L’Angleterre a aussi des intérêts dans cette affaire, puisqu’elle cherche à imposer son protectorat sur l’île de Man, qui se trouve au large de sa côte orientale. Sous domination norvégienne, cette île est également convoitée par les rois d’Ecosse, car elle commande l’accès en Irlande et fournit une base stratégique en cas de conflit avec l’Angleterre.

Chapitre II
Les contacts diplomatiques et leurs enjeux (1249-1299)

L’affermissement d’un Northern Commonwealth (1249-1286).  — La période 1249-1286 voit le règlement des conflits territoriaux issus de la colonisation scandinave, préalable indispensable à l’organisation d’un espace de collaboration et d’échange en mer du Nord. La création de cet espace a pour base légale le traité de Perth, conclu entre l’Ecosse et la Norvège en 1266, et celui de Winchester, négocié entre l’Angleterre et la Norvège en 1269. Le roi d’Angleterre joue le rôle de médiateur et de pacificateur entre l’Ecosse et la Norvège, il utilise les intérêts commerciaux norvégiens en Angleterre et ses bonnes relations avec le roi d’Ecosse pour provoquer le rapprochement politique entre les deux pays. Cette coopération aboutit à l’union dynastique des trois royaumes : le 25 juillet 1281, Erik de Norvège épouse Margaret, fille du roi d’Ecosse Alexander III et nièce d’Edouard Ier . La Norvège regarde de plus en plus vers l’ouest et renforce les liens avec les Îles britanniques.

Margaret, la demoiselle de Norvège (1286-1292).  — En mars 1286, la mort d’Alexander III sans descendance mâle bouleverse la donne : l’héritière légitime du trône d’Ecosse se trouve être une fillette en bas âge, Margaret de Norvège, qui est le seul enfant issu du mariage de 1281. Il faut encore une fois l’intervention du roi d’Angleterre pour mettre les Ecossais et les Norvégiens d’accord sur la reconnaissance de Margaret comme reine d’Ecosse. Un mariage est alors organisé sous l’impulsion anglaise entre Margaret et Edouard, le fils héritier du roi d’Angleterre Edouard Ier . Celui-ci veut renforcer son contrôle sur l’Ecosse et la pacifier afin de pouvoir se consacrer à ses projets de croisade. Le roi de Norvège, quant à lui, y voit la possibilité de pérenniser l’alliance familiale contractée en 1281 et de renforcer sa présence en Ecosse après la perte des Hébrides en 1266. Tout cela échoue en septembre 1290 lorsque Margaret meurt dans les Orcades. Le roi d’Angleterre est choisi comme arbitre pour désigner le nouveau roi d’Ecosse ; le roi de Norvège revendique pour lui les anciens droits de sa fille, sans parvenir toutefois à obtenir du roi d’Angleterre l’argent qu’il lui demande.

Le renversement de situation (1292-1299).  — Au cours des années 1292-1299, on assiste à la fin de la collaboration entre les trois royaumes : le roi d’Angleterre perd son statut de médiateur au sein du Northern Commonwealth, en devenant l’agresseur dans le conflit qui l’oppose à l’Ecosse à partir de 1296. La politique étrangère de la Norvège, de plus en plus dominée par son besoin d’argent, devient confuse. Depuis longtemps en conflit larvé avec l’Ecosse, bien qu’alliée familialement avec cette dernière depuis 1293, elle hésite à prendre position dans le conflit anglo-écossais et se perd, dès lors, en alliances lucratives mais contradictoires, comme celle qu’elle conclut avec la France et indirectement avec l’Ecosse, contre l’Angleterre en octobre 1295.

Chapitre III
Le déclin des contacts (1299-1319)

La diplomatie contentieuse : les conflits maritimes.  — Les relations diplomatiques entre la Norvège et l’Angleterre se résument à partir de 1299 à l’envoi de lettres de protestation contre des pillages réciproques : les guerres contre l’Ecosse et la France détournent en effet le roi d’Angleterre du jeu politique scandinave. Les relations entre l’Ecosse et la Norvège sont marquées par des conflits commerciaux, mais une solution est trouvée en octobre 1312 avec la conclusion des deux traités d’Inverness, qui rétablissent la paix entre les deux royaumes. Ces traités ont une importance symbolique pour le roi Robert Bruce, qui a pris le pouvoir par la force en Ecosse en 1306 : il y est reconnu comme un souverain légitime par le roi de Norvège.

Le désengagement de la Norvège  — À partir de 1299, la Norvège, traditionnellement tournée vers l’ouest et les Îles britanniques, regarde de plus en plus vers l’est du point de vue commercial et politique. Ce changement d’orientation voit son aboutissement lorsque, à la mort du roi Håkon Magnusson en mai 1319, les aristocrates norvégiens reconnaissent comme souverain son petit-fils, Magnus Eriksson, héritier au trône de Suède. L’union de la Suède et de la Norvège, effective en 1321, achève de rompre le lien politique qui unissait la Norvège aux Îles britanniques, mais les échanges commerciaux demeurent.


Troisième partie
Les ambassadeurs norvégiens, anglais et écossais et le service diplomatique du roi


Chapitre premier
Le milieu social des ambassadeurs

L’importance hiérarchique des ambassadeurs.  — Parmi les ambassadeurs, il faut distinguer procureurs et messagers, dont les profils diffèrent. Les premiers sont chargés d’agir à la place du roi devant un souverain étranger, les seconds doivent lui transmettre et lui expliquer une lettre royale suivant des instructions précises. Dans les trois royaumes étudiés, les procureurs sont recrutés parmi l’élite sociale de leur état. Ils doivent en effet être à la hauteur de la tâche qui leur incombe : représenter le roi et agir à sa place. Il est intéressant de remarquer que les procureurs les plus actifs forment dans chaque royaume un petit groupe de très hauts personnages.

L’importance hiérarchique des messagers varie en fonction de la solennité que l’on veut donner à leur mission. Certains messagers, comme les frères mendiants, sont utilisés essentiellement pour des ambassades à risque en temps de guerre, à cause de l’immunité que leur confère le statut monacal.

Un envoi en ambassade est rarement rémunéré en biens ou en honneurs. Dans certains cas, un personnage est envoyé en ambassade pour défendre ses propres intérêts financiers en même temps que les revendications de son roi. Il semble en outre que l’envoi en ambassade soit un révélateur de la faveur royale plus qu’un moyen de l’obtenir.

Les réseaux de relations.  — Les ambassadeurs, procureurs ou messagers, sont presque tous recrutés parmi les serviteurs proches du roi. En Norvège, en Angleterre, et sans doute aussi en Ecosse, la faveur royale semble être un facteur essentiel dans la sélection des procureurs les plus actifs : le service diplomatique réalisé par les procureurs est un service essentiellement personnel dans les trois pays étudiés. Le roi choisit ses procureurs parmi ses fidèles, qui doivent à la fois le représenter et incarner la communauté du royaume. Dès lors, il faut qu’une délégation, surtout en des occasions solennelles, reflète le mieux possible la société politique du royaume qui l’envoie.
Les réseaux de relations noués par les procureurs et les messagers dans le pays d’accueil semblent être un facteur important dans leur sélection. Le choix des procureurs tient pour une part à leur familiarité avec le souverain auprès duquel ils sont envoyés et avec son entourage, alors que l’appartenance à des réseaux monastiques ou marchands peut justifier la désignation de tel ou tel messager.

Chapitre II
La compétence des ambassadeurs

La compétence théorique.  — Les compétences d’argumentation que garantit une formation universitaire peuvent être mises à profit par les rois dans leur service diplomatique. Les universitaires sont surtout utilisés comme procureurs, lorsqu’il faut négocier ou conclure un traité ou un arrangement ; il apparaît que c’est en Norvège qu’on leur fait le plus confiance. Plus généralement, les souverains s’efforcent de choisir leurs représentants en tenant compte de leur formation intellectuelle. Celle-ci doit les aider à remplir l’objectif de leur mission.

La compétence pratique.  — Les compétences pratiques acquises par les procureurs grâce à la fréquentation du conseil du roi sont très utilisées, surtout par le roi de Norvège. Les personnages issus de la chancellerie, et en premier lieu le chancelier, sont souvent utilisés comme procureurs. Leur expérience administrative semble être exploitée dans les trois royaumes puisqu’ils sont presque toujours envoyés lorsqu’il s’agit de conclure et de sceller au nom du roi un traité, définitif ou préliminaire. Il en va de même, mais à un degré moindre, pour les titulaires d’une charge financière, qui interviennent très fréquemment dans des missions impliquant un paiement. Beaucoup de messagers semblent venir également de ces deux milieux, mais il est difficile d’avoir des certitudes en ce qui les concerne.
L’expérience diplomatique semble être un facteur très important dans la sélection d’un procureur, surtout en Norvège, où chaque délégation contient au moins un ambassadeur aguerri. Pour les messagers, cette expérience semble être moins utilisée : on ne relève que trois exemples d’emploi d’un messager expérimenté. Certains de ces diplomates expérimentés sont issus d’un milieu de procureurs très actifs, qui préfigurent la fixation du personnel diplomatique. La future spécialisation territoriale des ambassadeurs apparaît surtout chez les messagers.
La prise en compte par les rois d’Angleterre et de Norvège de l’expérience administrative et des intérêts professionnels de leurs représentants souligne le caractère pragmatique de la diplomatie aux xiiie et XIV e siècles en Europe du Nord.

Chapitre III
Le milieu géographique des ambassadeurs

L’origine nationale.  — L’origine nationale est un facteur qui est pris en compte dans le recrutement des procureurs et des messagers, surtout en ce qui concerne les messagers anglais. Le fait de connaître le royaume où l’on se rend en mission permet, en effet, d’accélérer la transmission du message à porter et de voyager sans doute de façon plus sûre, dans un milieu familier. Par ailleurs, il est sans doute plus simple pour un natif d’expliquer à un roi un message, si celui-ci parle la langue vernaculaire en usage dans le royaume concerné.

L’implantation géographique.  — Il est intéressant de constater que les ambassadeurs anglais, écossais ou norvégiens sont implantés territorialement ou professionnellement dans des régions exposées à l’influence culturelle du pays où ils sont envoyés. La remarque vaut surtout pour les messagers, notamment anglais, qui ont eu l’occasion de fréquenter ces régions dans le cadre de leur activité professionnelle et ont pu ainsi assimiler la culture étrangère.

Les intérêts territoriaux des ambassadeurs.  — Il est avéré que quelques ambassadeurs sont envoyés à l’étranger pour défendre leurs intérêts patrimoniaux, souvent des terres situées dans des régions frontalières, en même temps que ceux du roi.


Conclusion

L’étude des ambassadeurs qui ont participé aux relations diplomatiques entre la Norvège et les Îles britanniques fait apparaître à la fin du xiiie et au début du xive siècle une diplomatie qui présente les signes avant-coureurs de son détachement du service général du roi et de la mise en place d’un personnel spécialisé. Les messagers sont souvent des personnages qui gravitent dans l’entourage du roi et occupent une position élevée dans la hiérarchie de leur état. Les procureurs sont choisis plutôt parmi les proches conseillers et les hommes de confiance du souverain. Leur activité apparaît de ce fait comme un service personnel autant que comme un service de l’Etat. La diplomatie est également marquée à l’époque par un grand pragmatisme : les ambassadeurs sont fréquemment choisis en fonction de la mission qu’ils ont à accomplir. Leurs relations à l’étranger, notamment les réseaux familiaux, leur savoir théorique et leur expérience administrative ou diplomatique sont prises en compte. Il est important d’insister sur le fait que les intérêts personnels des ambassadeurs, qu’ils soient familiaux, patrimoniaux ou professionnels, interviennent dans leur choix : il s’agit d’un gage d’efficacité. Par ailleurs, les personnes envoyées en mission à l’étranger sont issues majoritairement de régions subissant ou ayant subi par le passé une influence étrangère. Cette observation permet de soupçonner une interpénétration des cultures britannique et scandinave et de mettre en valeur non seulement l’implantation britannique en Norvège, déjà bien attestée, mais également une présence, sinon norvégienne, du moins scandinave, assez forte sur la côte est de l’Angleterre, dans l’ancien Danelaw. Il semble donc qu’il faille réévaluer la place de l’Angleterre dans l’ensemble culturel britannico-scandinave.


Pièces justificatives

Lettre de procuration du 3 octobre 1289, adressée à Edouard Ier par les gardiens d’Ecosse, à l’occasion de la réunion du sommet de Salisbury. ­ Lettre des ambassadeurs écossais présents au sommet de Brigham, qui s’engagent à respecter les clauses du traité conclu.


Annexes

Listes des ambassades et des ambassadeurs étudiés. ­ Dictionnaire biographique. ­ Index des noms propres.