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École des chartes » thèses » 2002

La correspondance générale de Louise de Vilmorin jusqu’en 1949

Édition critique.


Introduction

Issue d’une famille dont la notoriété remonte à Philippe-Victoire (1746-1804), le fameux grainetier, Louise de Vilmorin (4 avril 1902 ­ 26 décembre 1969) est un auteur encore méconnu, dont l’œuvre a été aujourd’hui un peu oubliée et dont on a surtout retenu le caractère frivole, les frasques sentimentales et les bons mots. Pourtant, elle fut une épistolière de grand talent. Les lettres qu’elle a écrites et qu’elle a reçues, très abondantes et remarquables, sont pratiquement toutes inédites. L’édition d’une correspondance, surtout lorsqu’elle est récente, ne manque pas de poser un problème moral à celui qui en prend la responsabilité. L’auteur aurait-il approuvé une telle entreprise Les témoignages que l’on a récoltés sont venus conforter notre souhait de corriger l’image d’écrivain mondain que la postérité a retenue de Louise de Vilmorin, de préciser les éléments biographiques encore mal connus de sa vie, et surtout d’éditer la correspondance de cette “ formidable épistolière ”. Il faut dire que, depuis une vingtaine d’années, les correspondances ont suscité un regain d’intérêt et sont devenues un genre particulièrement prisé : études et éditions se sont multipliées, permettant de “ nouvelles approches de l’épistolaire ”, pour reprendre le titre d’un colloque tenu en Sorbonne les 3 et 4 décembre 1993. Cependant, les correspondances posent de nombreux problèmes d’édition. Il faut, dans un premier temps, délimiter avec précision un corpus et, dans un deuxième temps, définir des principes de transcription. En effet, ceux-ci varient d’une publication à l’autre et sont rarement, ou trop sommairement, exposés. Il appartient enfin à l’éditeur d’articuler l’ensemble, de créer un sens global, car la lettre authentique ne se sépare pas du réel dont elle est issue. On touche ici au problème de l’annotation. Une fois éditée, comment analyser la correspondance Il convient de s’intéresser à la forme et au contenu des lettres.


Sources

La correspondance passive et une partie de la correspondance active de Louise de Vilmorin sont conservées à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. D’autres lettres de Louise de Vilmorin se trouvent à la Bibliothèque nationale de France, au département des manuscrits, dans les fonds Porto-Riche et Valéry ; à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, dans le fonds Jean Cocteau ; à la Villa I Tati à Florence, dans le fonds Bernard Berenson et dans des collections particulières. Il faut tenir compte aussi des sources complémentaires : les documents iconographiques (quelques-uns sont conservés à la Bibliothèque Doucet, les autres chez des particuliers), les manuscrits de Louise de Vilmorin et les témoignages oraux que l’on a pu recueillir auprès de personnes qui l’ont connue ou qui ont fréquenté ses correspondants.


Première partie
Analyse


Chapitre premier
Louise de Vilmorin (4 avril 1902 ­ 26 décembre 1969)

Issue d’une ancienne famille de Lorraine qui s’est illustrée dans le commerce des graines, Louise de Vilmorin est née à Verrières-le-Buisson le 4 avril 1902. Elle resta toujours attachée au château de Verrières, où elle devait s’installer définitivement après la Seconde Guerre mondiale. Délaissée par sa mère, Louise de Vilmorin se réfugia très tôt dans un monde imaginaire, d’autant qu’elle était de santé fragile et qu’elle avait reçu une instruction limitée.
Après la mort du père, la famille s’installa à Paris, rue de la Chaise, où Mélanie de Vilmorin mena une existence assez libre. En 1919, Louise de Vilmorin séjourna à Saint-Jean-de-Luz pour favoriser la guérison d’une arthrite tuberculeuse qui s’était portée sur l’os de la hanche et qui devait rendre sa démarche incertaine. Là, elle se découvrit une vocation de séductrice ; en 1923, elle éconduisit Antoine de Saint-Exupéry. En 1925, elle rencontra Henry Leigh-Hunt, un ami de la famille ; elle l’épousa et partit vivre avec lui à Las Vegas. Malgré la naissance de ses trois filles, elle s’y ennuya et, sur les conseils d’André Malraux, se lança dans l’écriture de son premier roman, Sainte-Unefois, qui parut chez Gallimard en 1934. Ce livre attira l’attention de Jean Cocteau, de Georges Auric et de Jean Hugo. En 1937, Louise de Vilmorin divorça ; Henry Leigh-Hunt obtint la garde de leurs filles et les emmena avec lui aux Etats-Unis. Un peu dégagée des obligations familiales, Louise de Vilmorin écrivit son deuxième roman, La fin des Villavide, et des poèmes pour Francis Poulenc, qu’elle devait publier dans un recueil, Fiançailles pour rire, en 1939.
Entre-temps, elle avait épousé, en 1938, le comte Paul Palffy d’Erdöd avec lequel elle vécut au château de Pudmerice, en Slovaquie. Jusqu’à la guerre, elle allait y passer les deux plus belles années de sa vie. Cependant, elle souffrait d’être séparée de sa famille et de rester sans nouvelles de ses frères : lorsqu’elle apprit qu’ils étaient vivants, elle prit le trèfle à quatre feuilles pour emblème. De plus, son mariage avait fait long feu et, pour tromper son ennui, elle écrivit Le lit à colonnes, dont on tira un film, et des poèmes publiés dans Le sable du sablier en 1945. Entre-temps, Louise de Vilmorin avait divorcé et était revenue en France, définitivement. En octobre 1944, elle fit la connaissance de Duff Cooper, ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, et elle s’installa au palais Borghèse, où elle mena la grande vie. Cependant, elle devait se rendre au chevet de son frère André, qui se reposait dans une clinique de Châteaubriant. Là, elle écrivit Le retour d’Erica. Bientôt, de graves ennuis de santé s’abattirent sur elle et, pendant trois ans, elle dut subir toute une série de traitements pénibles et douloureux qui l’empêchèrent de travailler comme elle l’aurait voulu.
Elle composa toutefois des poèmes, publiés dans un recueil, L’alphabet des aveux, et, au cours d’un séjour à Sélestat, dans le Bas-Rhin, elle écrivit Julietta et Madame de, qui lui apportèrent la notoriété. Le salon bleu de Verrières devint le centre de son rayonnement. Dans les années 1950, elle se lança dans le journalisme, collaborant à Vogue et à Marie-Claire. En 1955, elle reçut le prix littéraire de Monaco. Les années 1955-1960 furent une période de création littéraire intense. En revanche, elle n’écrivit plus guère de 1960 à sa mort ; Verrières vécut alors sous l’ombre tutélaire et encombrante d’André Malraux.

Chapitre II
Principes de l’édition du texte

La première nécessité est de définir avec précision un corpus. Il convient de prendre en compte la correspondance passive et active de l’auteur que l’on étudie lorsque cela est possible, de s’interroger sur la définition même de la lettre et de savoir s’il faut tout publier, y compris les petits billets et les pièces jointes. Le parti retenu fut de réunir le plus de lettres possible, en allant jusqu’aux échanges entre des tiers, et d’articuler cet ensemble de façon chronologique. Cependant, il a fallu assez tôt délimiter le sujet. La première lettre conservée date de 1911 et les années 1944-1949 constituent une période charnière dans la vie de Louise de Vilmorin, avant que Julietta(qui paraît en feuilleton à partir de janvier 1950) et surtout Madame de lui apportent la notoriété. En outre, on note, dans les années 1950 et 1960, un affadissement dans l’échange épistolaire, avec la multiplication des billets et des cartes postales, le regroupement géographique des correspondants et la banalisation du téléphone. Surtout, l’éditeur publie ce qu’il a l’autorisation de publier : les correspondances sont soumises à des règles de consultation et d’édition très strictes. Ces réserves ont conduit à limiter le sujet aux seules pièces pour lesquelles toutes les autorisations nécessaires ont pu être obtenues, soit un total de 940 lettres.
Les textes ont été collationnés sur les autographes toutes les fois que cela était possible. Le manuscrit a été respecté au maximum, les corrections se sont limitées à rendre le texte intelligible et la lecture aisée : accents, apostrophes, capitales, ponctuation forte, italiques… Cette édition est le fruit d’un compromis entre la fidélité au texte et le soin de la présentation. Reste le problème de l’annotation qui répond aux questions que l’on estime le lecteur en droit de se poser. Il faut distinguer les variantes, ou notes descriptives, des notes explicatives. Les premières indiquent les particularités du manuscrit, les ratures, les ajouts, les surcharges, les lacunes… Seules les plus significatives ont été mentionnées. Les notes explicatives donnent la signification des mots vieillis ou étrangers, permettent d’identifier les événements, les personnages et les lieux, et mettent en rapport la lettre avec d’autres textes et la note avec d’autres notes.
Pour faciliter la lecture et éviter de charger le corpus de l’édition, les informations concernant l’aspect matériel des autographes ont été regroupées en fin de volume, dans une table signalétique des lettres. On trouvera aussi, en annexes, plusieurs index, des correspondants, des noms de personnes et des œuvres de Louise de Vilmorin citées, ainsi qu’un dossier iconographique contenant les fac-similés des lettres et les photographies des personnages.

Chapitre III
Les correspondants : notices biographiques.

Pour ne pas alourdir l’annotation de bas de page, les principaux correspondants de Louise de Vilmorin font l’objet de notices biographiques qui ont été rejetées dans l’analyse. Elles donnent leur nom complet, leur état civil, leur formation, leur profession, les événements marquants de leur vie et, pour les plus importants, on a insisté, autant que possible, sur leurs relations avec Louise de Vilmorin. Pour dresser une typologie des correspondants, une distinction peut être établie selon le degré d’intimité avec Louise de Vilmorin, entre la parentèle, les amis et les personnalités notables. La catégorie familiale regroupe les ascendants (Louise Darblay, Mélanie de Dortan), les frères et sœurs, les neveux et nièces, les collatéraux (les vicomtes d’Arjuzon) et les belles-familles (Roissard de Bellet, Leigh-Hunt, Palffy d’Erdöd, Toulouse-Lautrec). Les amis sont des hommes de lettres ou des artistes (Pierre Brisson, Jean Cocteau, Gaston Gallimard, André Malraux, Francis Poulenc, Pierre Roy, Antoine de Saint-Exupéry), des diplomates ou des hommes d’affaires (Carlo Colcombet, Duff et Diana Cooper, Thomas Esterhazy, François de Lubersac, Alexandre de Manziarly). Quant aux personnalités notables, il s’agit des princes (le duc de Montpensier, le grand-duc Nicolas Mikhaïlovitch), des hommes politiques et des diplomates (Antoine Béthouart, Fernand de Brinon, Jacques Chartier, Gérard Luzu, Paul Painlevé, Gaston Palewski, Bernard de Plas, René Pleven), des écrivains (Enid Bagnold Jones, Natalie Clifford Barney, Pierre Benoit, Bernard Berenson, Marthe Bibesco, Marcel Brion, Edmonde Charles-Roux, Marcel Khill, Arthur Krock, René Laporte, Henri Martineau, Camille Mayran, Adrienne Monnier, André Pieyre de Mandiargues, Georges de Porto-Riche, Henri Pourrat, Paul Reboux, Maurice Sachs, Saint-John Perse, Armand Salacrou, Jean Schlumberger, Marcel Thiébaut, Roland et Denise Tual, Paul Valéry) et des hommes d’Eglise (l’abbé Mugnier).

Chapitre IV
Commentaire des lettres éditées

Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, les lettres éditées sont riches de renseignements. Elles permettent tout un travail sur la topographie et la temporalité de l’écrit : l’étude des lieux de rédaction et de destination, notamment à partir des en-têtes et des enveloppes, permet de préciser des éléments de la biographie des personnages et de vérifier où ils se trouvaient à telle ou telle date. On peut aussi mesurer la fréquence de l’échange épistolaire en fonction du degré d’intimité des correspondants, de l’éloignement géographique et des événements familiaux et politiques. Il faut également prendre en compte les conditions matérielles de l’acheminement du courrier, dans la mesure où cette question occupe une place non négligeable dans de nombreux corpus. L’étude des cachets postaux permet d’appréhender le fonctionnement de la poste, notamment dans les périodes troublées.
D’autre part, le contenu des lettres éditées nous éclaire sur les lieux communs de l’écriture épistolaire. Elles ont à peu près toutes le même découpage : viennent d’abord les remerciements pour la dernière missive reçue ou, au contraire, l’expression d’une inquiétude en cas de retard du courrier attendu. Lorsqu’il est en cause, le scripteur s’excuse et se justifie. Viennent ensuite les problèmes de santé et les menus faits de la vie quotidienne. Les lieux communs du “ rien à dire ” et du temps qu’il fait sont aussi abondamment utilisés. Enfin, la formule finale mentionne scrupuleusement tous les membres de la famille et tous les amis que l’on se doit de saluer ou à qui l’on doit adresser un message. Le corps de la lettre est également l’occasion de parler de soi et des autres : les loisirs, les pratiques culturelles et artistiques sont des traits saillants de ce discours. La famille tient ensuite une grande place dans la correspondance : les épistoliers donnent des nouvelles de la santé de leur parentèle, avant d’évoquer les événements familiaux marquants (fêtes, mariages, naissances, décès). Viennent enfin les nouvelles des amis et des relations mondaines : les épistoliers tiennent une véritable chronique mondaine où se côtoient les noms prestigieux du Tout-Paris et du Gotha européen. On comprend mieux alors pourquoi les problèmes financiers sont un thème récurrent dans la correspondance. Mais la lettre n’est pas qu’une suite de lieux communs et ne traite pas que de problèmes personnels ou familiaux. On y trouve également des éléments de la vie politique, économique et culturelle, qui en font une véritable “ coulisse de l’événement ” et un témoignage sur les faits marquants d’une époque.
Enfin, il ne faut pas négliger les aspects extérieurs des autographes que la publication ne peut restituer : choix de l’encre et du papier, longueur des lettres, texte dactylographié ou manuscrit, mentions imprimées et estampées, repentirs et fautes, ajouts manuscrits, dessins et pièces jointes, choix des cartes postales… En outre, les “ nouvelles approches de l’épistolaire ” ont montré que, dans les lettres elles-mêmes, on met en scène la représentation des conditions de leur rédaction : il existe en effet tout un cérémonial épistolaire qui réside dans la façon dont le scripteur donne des références spatiales et scéniques, s’adresse à son destinataire et signe sa missive. Enfin, l’étude du style est capitale dans la mesure où les lettres familiales consistent en un mélange truculent de préciosité et de familiarité : cette “ esthétique de la négligence ” passe aussi par la formulation de bons mots et par l’usage des langues étrangères et des citations. Par suite, la correspondance constitue une recherche expérimentale : elle apparaît comme un véritable “ laboratoire ” où une esthétique s’affirme peu à peu. De manière assez ponctuelle, on assiste au lancement de certaines formules dans la lettre qui prend alors une valeur heuristique. De plus, la correspondance peut être utilisée pour fonder des études de sources et de genèse d’une œuvre : ainsi, les lettres de Louise de Vilmorin témoignent de sa création littéraire.


Conclusion

La particularité des lettres écrites et reçues par Louise de Vilmorin tient au fait qu’elles relèvent à la fois de correspondance familiale et littéraire. En tant qu’éléments d’un patrimoine familial, elles peuvent être considérées comme des “ lieux de mémoire ” et se distinguent par leur finalité qui en fait un instrument de solidarité, de contrôle et d’union renforçant le culte de la famille. En tant qu’éléments constitutifs d’une esthétique, elles apparaissent comme un “ laboratoire ” de l’œuvre. L’organisation progressive d’un réseau de correspondants montre d’une part la force et la solidité du groupe familial, d’autre part la réussite de l’écrivain.


Édition

(1911-1949)


Annexes

Description matérielle des lettres éditées. ­ Index des correspondants. ­ Index des noms propres. ­ Index des œuvres de Louise de Vilmorin citées. ­ Dossier iconographique. ­ Errata.