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École des chartes » thèses » 2002

Les chasses impériales de Napoléon III


Introduction

La chasse connut une démocratisation considérable au xixe siècle, tout en subsistant sous la forme d’une pratique propre aux souverains. Peut-être occultées par la grande tradition des chasses royales de l’Ancien Régime, leurs héritières du XIX e siècle n’ont pourtant jusqu’à présent donné lieu à aucune étude, alors que cette transposition même d’un symbole régalien donne à réfléchir, en particulier dans le cadre d’un empire, comme ce fut le cas pour celui de Napoléon III. Une telle étude se penchera donc d’abord sur les raisons qui ont conduit ce souverain à mettre en place des chasses impériales et les cadres qu’il a pu leur donner, mais aussi sur leur organisation cynégétique, sans oublier un aspect souvent négligé, à savoir leur relation avec l’environnement.


Sources

Ce travail s’appuie principalement sur les archives de la Maison de l’Empereur du Second Empire, dont celles du service du Grand Veneur, conservées aux Archives nationales (série O/5), ainsi que sur de nombreux ouvrages de l’époque consacrés entre autres choses à la cour, aux forêts et aux chasses.


Première partie
Les fondements des chasses impériales


Chapitre premier
L’empereur et ses chasses

A chacune des étapes qui le conduisirent à l’Empire, Louis-Napoléon eut ses chasses. On peut légitimement s’interroger sur les raisons qui le poussèrent à les instaurer, alors même qu’il n’entretenait pas une passion démesurée pour cette activité. De fait, ses motivations sont essentiellement d’ordre politique. Une fois rejetée l’accusation d’une imitation pure et simple du Premier Empire, il apparaît que Louis-Napoléon avait tout intérêt à se doter de chasses pour consolider un pouvoir difficilement conquis. D’une part, la chasse était depuis le Moyen Âge un attribut du pouvoir et possédait une vertu de légitimation qui permettait au souverain de valoriser ses qualités physiques et son aptitude à régner ; c’est d’ailleurs cet aspect de la chasse qui avait conduit Napoléon Ier à s’y intéresser et à l’adopter. D’autre part, dans une optique propre au xixe siècle, les chasses du souverain étaient en outre un vecteur de continuité et d’identité de la nation, valeur fondamentale aux yeux des contemporains et de Louis-Napoléon, pour qui sa légitimité tenait à la fois à l’histoire de son oncle et à sa capacité à représenter la nation française.
Mais Napoléon III, s’il chercha à s’approprier la symbolique politique des chasses, n’en resta pas là. Par son implication personnelle dans une activité qui présentait finalement à ses yeux divers attraits, il put lui donner les moyens de se développer et de devenir une composante à part entière d’un système de gouvernement basé sur l’image et sur la satisfaction des aspirations de ses différents sujets. Ses chasses lui servirent ainsi à animer sa cour, à conférer des honneurs mais aussi à stimuler l’économie, donnant du régime en France mais aussi à l’étranger une image relativement positive, en dépit de certaines critiques le plus souvent injustifiées et dues particulièrement aux opposants du régime et aux chasseurs les plus attachés à la tradition.

Chapitre II
Organisation administrative et budgétaire des chasses imperiales

Les chasses impériales ne furent pas une création ex nihilo, pas plus dans leur principe que dans leur organisation. Celle-ci se structura par étapes, parallèlement au renforcement du pouvoir de Louis-Napoléon, pour aboutir à la restauration d’un service du Grand Veneur tel qu’il avait pu exister sous le Premier Empire et déjà sous l’Ancien Régime. Dédié aux chasses du souverain, il faisait partie des six services constitutifs de la Maison de l’Empereur, chargée d’organiser la vie du souverain et régissant par conséquent celle de la cour. Mais, au-delà d’un organisme de cour et de ses règlements protocolaires, la Maison de l’Empereur était également un ministère à part entière auquel revenait la gestion de la liste civile de l’Empereur, composée d’une dotation annuelle de vingt-cinq millions de francs et de biens meubles et immeubles. Le service du Grand Veneur était donc à ce titre un véritable service administratif disposant d’un budget, d’une comptabilité, d’un personnel structuré de façon hiérarchique avec des attributions et une gestion bien précises.
Cependant, les chasses impériales n’intéressaient pas exclusivement ce service. En effet, les forêts qui leur servaient de cadre dépendaient d’une structure spécifique, celle des domaines et forêts de la couronne. Or, l’évolution de l’administration des chasses des souverains avait abouti à confier à ce service des forêts l’exploitation de ces dernières, mais aussi la responsabilité du gibier sauvage et l’élevage d’animaux destinés à la chasse, qui reposait sur le fonctionnement des faisanderies. Par ailleurs, en matière de locaux et d’aménagements, le service du Grand Veneur était tributaire de celui des bâtiments de la couronne. Ainsi, l’organisation des chasses impériales résultait finalement de l’action conjointe ou plutôt de l’interaction de plusieurs services de la Maison de l’Empereur. Cette imbrication rend aujourd’hui difficile une synthèse sur l’organisation de ces chasses sur le plan administratif mais surtout budgétaire, puisque les dépenses relatives aux chasses impériales qui relevaient d’autres services que celui du Grand Veneur étaient bien souvent englobées dans des dépenses d’autres natures.


Deuxième partie
Les caractéristiques cynégétiques des chasses impériales


Chapitre premier
Les chasses impériales dans leur diversité

Sous le terme générique de chasses impériales se cachent en réalité plusieurs types de pratiques cynégétiques, principalement chasse à courre et chasse à tir ; chacune présente des caractéristiques propres, qu’il s’agisse du gibier, des modalités de la chasse ou du personnel.
Les chasses à courre de l’équipage impérial étaient menées selon les grands principes régissant cette pratique ancestrale ; elles en offraient une version particulièrement luxueuse et animée, du fait des moyens engagés et des soins apportés aux forêts et au gibier impérial. Ces caractéristiques ne prenaient cependant toute leur dimension que lors des chasses impériales auxquelles Napoléon III assistait en personne : elles attiraient de nombreux spectateurs et occasionnaient une mise en scène beaucoup plus soignée que la majorité des chasses pratiquées par l’équipage seul.
Les chasses à tir liées constituaient une pratique cynégétique à part. Elles se déroulaient en effet dans la structure spécifique des tirés qui impliquait, tant du point de vue de son aménagement et de son entretien que du déroulement de la chasse, des attentions constantes, de nombreux frais et une main d’œuvre nombreuse. De fait, le bénéfice en était réservé au souverain et à son entourage. Cette pratique qui réunissait autour l’Empereur quelques heureux élus était plus confidentielle, mais possédait également son cérémonial. Elle n’en suscitait que plus de curiosité chez ceux qui en entendaient parler et frappait les esprits par le nombre très important de pièces de gibier qui y étaient abattues.
Si l’organisation des chasses à tir et à courre constituait l’essentiel de l’activité du service de la Vénerie impériale, par le temps et les moyens consacrés mais aussi par leur impact sur l’opinion, d’autres chasses existaient : les “ petites chasses ”, chasses à tir moins confidentielles qui se pratiquaient en forêt ; les chasses de la Saint-Hubert qui se déroulaient une fois l’an en l’honneur du saint patron des chasseurs ou diverses chasses occasionnelles.

Chapitre II
Chiens et chevaux, auxiliaires du veneur

L’entretien des chiens, de meute ou courants, et des chevaux tenait une grande place dans l’activité du service de la Vénerie impériale. Un personnel spécialisé avait la charge du chenil et de l’écurie, composés en majeure partie d’animaux achetés en Angleterre du fait de leur prix et de leur excellente réputation. Une très grande attention était portée à la qualité de leurs conditions de vie, notamment à leur transport, à leur logement, à leur nourriture et aux soins, y compris médicaux, qui pouvaient leur être apportés. Il s’agissait bien sûr de ne pas déprécier un investissement, ni de dégrader un outil de travail, mais il ne faudrait pas sous-estimer le véritable attachement qui liait les hommes à leurs compagnons de tous les jours.


Troisième partie
Les chasses impériales et l’environnement


Chapitre premier
Chasse et gibier

Les pratiques de la chasse dans leur diversité se traduisent par un réel impact de l’homme sur l’environnement, sur le gibier en particulier. En effet, pas de chasse sans gibier ; selon ses besoins, variables selon les modalités des différentes chasses, l’homme a toujours cherché à influencer en la matière le cours de la nature. Cette tentation s’avérait même une nécessité pour les chasses des souverains, puisqu’il aurait été inconcevable que ces derniers ne puissent disposer du gibier nécessaire à leur plaisir cynégétique.
La chasse à courre se déroule autour d’un animal unique, le cerf. De ce fait, les prélèvements sont relativement modestes et, bien qu’ils puissent avoir un effet sur la composition des populations de cervidés, le taux d’accroissement naturel de ces animaux suffit généralement à pourvoir aux besoins de ce type de chasse.
Il en va cependant très différemment de la chasse à tir telle qu’elle pouvait être pratiquée par l’empereur et son entourage : il fallait la plus grande profusion de gibier possible, notamment de gibier à plumes. Cet objectif n’était pourtant pas aisé à atteindre dans la mesure où les populations de ce gibier particulier avaient toujours posé des problèmes de rareté et de mobilité. C’est ce qui explique que l’idée de l’élevage des gallinacés pour les besoins de la chasse se soit imposée dès le xviie siècle et se soit concrétisée dans le développement de lieux destinés à cet usage et appelés faisanderies.
Les besoins des chasses impériales tendirent donc à renforcer le passage d’une chasse par prélèvement à une chasse impliquant une gestion prévisionnelle du gibier.

Chapitre II
La gestion du gibier : repeuplement, protection et prélèvements

Comme cela s’était déjà produit avec les révolutions antérieures, celle de 1848 n’épargna pas les forêts, ni le gibier. Le rétablissement des chasses impériales nécessitait certes de restaurer une administration et un équipage, mais avant tout peut-être des forêts prospères et giboyeuses. Le repeuplement des forêts de la couronne en cervidées reposa sur des captures dites “ panneautages ” à partir des populations les plus épargnées. On peut considérer que le repeuplement en cervidés réussit presque trop : ils prospérèrent au point que les prélèvements de la chasse devinrent insuffisants pour en limiter l’accroissement, ce qui n’était pas sans poser des problèmes particulièrement pour l’équilibre naturel.
Pour ce qui est du gibier à plumes, la situation était différente : compte tenu de la mortalité des oiseaux dans la nature et à la chasse, les lâchers initiaux ne pouvaient suffire. En effet, en dépit de toutes les mesures prises pour protéger le gibier dans les forêts de la couronne, qu’il s’agisse notamment de la réglementation de la chasse ou de la destruction des nuisibles, il était nécessaire de prévoir un peuplement permanent. C’est ce qui explique le rôle fondamental des faisanderies, auxquelles on s’employa à rendre leur grandeur de la Restauration et dont on améliorera le fonctionnement.

Chapitre III
L’impact des chasses sur le paysage

La chasse en règle générale, et plus encore dans le cadre impérial, ne se limitait pas à une intervention concernant le gibier. Elle avait un impact indirect sur le milieu naturel : en effet, le gibier contribuait à dégrader le couvert végétal et sa régénération, en endommageant les terres cultivées, surtout en céréales. Ces dégâts, qui étaient perçus comme un corollaire des chasses impériales, donnaient du reste lieu à un système très organisé d’expertises et de dédommagements, tandis que diverses solutions, notamment l’implantation de murs de clôture et de treillages, visaient à limiter les divagations du gros gibier et à protéger les plantations. Ces solutions empiriques ne parvenaient pas à masquer les carences des prélèvements cynégétiques, insuffisants pour endiguer la surpopulation des cervidés.
Le paysage subissait par ailleurs, la “ marque ” des aménagements humains qu’imposait l’organisation des chasses impériales, en termes d’accès et d’accueil : Napoléon III devait pouvoir trouver des locaux où se reposer et se restaurer et les routes devaient être praticables, y compris pour le cortège des chars-à-bancs de la cour. Par ailleurs, la surveillance des forêts et du gibier avait elle aussi ses exigences et se matérialisait par l’implantation de maisons de forestiers et de corps de garde divers. Les chasses à tir impériales conféraient également au paysage des caractéristiques bien particulières, avec la création des complexes très étendus des faisanderies et l’implantation des tirés, avec l’aménagement d’allées, le long desquelles progressaient les tireurs, et de remises boisées maintenues à un mètre de hauteur environ.


Conclusion

Au même titre que Napoléon III, les chasses impériales ont été victimes d’une certaine légende noire, qui n’était pas étrangère à l’identité de leur instigateur. Mais cette mauvaise image est finalement à relativiser à plus d’un titre. En effet, si les chasses ont pu servir d’argument aux opposants du régime pour dénigrer l’Empereur, elles ont par ailleurs rempli leur rôle d’instrument de communication au service du régime et ont pu même avoir des conséquences positives. Les dépenses engagées pour leur organisation ont été des sources de revenu pour de nombreux artisans et commerçants et ont fait vivre des journaliers à Paris et dans des zones rurales où le travail manquait souvent. Sans l’action des forestiers impériaux, les populations de cervidés et plus encore de gibier à plumes auraient certainement périclité dans les forêts impériales d’Île-de-France, dont la vocation cynégétique a très probablement contribué à les préserver, en leur donnant un statut particulier qu’elles ont conservé jusqu’à présent. Enfin, dans le domaine proprement cynégétique, même si les quelques libertés prises avec la tradition suscitaient parfois les critiques des puristes, les chasses impériales ont tout de même su donner à la vénerie une publicité et un éclat qui ont conforté le renouveau de cette pratique et l’équipage impérial, en réunissant ce qui se faisait de mieux chez les veneurs de l’époque, a contribué à perpétuer les traditions de cet art séculaire.


Annexes

Règlement du service du Grand Veneur. ­ Budgets des faisanderies. ­ Dossier iconographique.