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École des chartes » thèses » 2002

L’homme et l’environnement dans le Marais poitevin (seconde moitié du xvie siècle- début du xxe siècle)


Introduction, sources et méthodologie

L’histoire de l’environnement, c’est-à-dire des relations entre l’homme et son milieu naturel, est une branche assez neuve de l’historiographie. Riche par son approche interdisciplinaire, empruntant à l’histoire sociale, économique, culturelle, politique mais aussi à la géographie, à la biologie et à l’ethnologie, elle innove aussi par son emprise sur la longue durée. Elle a cependant tendance à oublier les zones humides. Les sources ne manquent pourtant pas, par exemple pour le Marais poitevin où les sociétés de dessèchement créées au XVII e siècle, gardent encore souvent leurs archives. Très riches, presque totalement inédits et reflétant l’interdisciplinarité du sujet, ces imprimés, manuscrits, cartes et plans présentent tous les enjeux de l’interaction étroite entre l’homme et l’environnement de marais. Avec les fonds dépouillés aux archives départementales, nationales et militaires, ils permettent de reconstituer ce processus d’adaptation réciproque, ses échecs comme ses succès. Pour ce faire, cette pluralité des sources implique une diversité de méthodes, tandis que la période chronologique et le plan tiennent compte du caractère de longue durée de la discipline. Une telle approche permet de confirmer le fait que l’histoire de l’environnement est proche de l’histoire dite “ totale ” vers laquelle tend l’historiographie.


Première partie
La seconde ère des dessèchements : deuxième moitié du xvie siècle ­ fin du XVII e siècle


Chapitre premier
Les marais avant les dessèchements : une vie en équilibre avec la nature

Le Marais poitevin dans la deuxième moitié du xvie siècle apparaît bien vite comme un espace porteur de nombreux atouts, alliant tradition et promesses de développement. D’un côté, les Maraîchins vivent certes modestement dans un milieu hostile formé par l’opposition entre terres hautes et zones inondées autour de la Sèvre niortaise, imprégné du souvenir de l’ancienne présence de la mer et de l’héritage des dessèchements médiévaux, et surtout marqué par les guerres. Mais cette vie contient tous les éléments d’une forte capacité d’adaptation acquise depuis des générations. L’importance stratégique de tels espaces et leur utilisation par les militaires le montrent déjà. Surtout, les Maraîchins savent utiliser les nombreuses voies d’eau pour pallier la faiblesse des voies terrestres et permettre une activité économique réelle. Celle-ci s’appuie sur un réseau d’exploitations sur les terres hautes mais aussi, déjà, sur les terres basses, avec des techniques de dessèchement mises en œuvre de façon individuelle. Elevage, coupe du bois, commerce sont donc actifs dès avant les dessèchements modernes. Les Maraîchins savent déjà contourner les dangers des éléments naturels pour en tirer parti.

Chapitre II
L’intrusion des sociétés de dessèchement à partir de la fin du xvie siècle

Fort de ses atouts, le Marais poitevin suscite très tôt de nouvelles motivations chez les investisseurs désireux de prendre le relais des dessiccateurs médiévaux. Le pouvoir royal voit son intérêt économique et fiscal dans cette seconde ère des dessèchements, et est poussé par de nombreux entrepreneurs privés. Ce sont pour la plupart des nouveaux riches ayant fait fortune dans le commerce et dans les offices, déjà habitués aux investissements aventureux ou bien désireux de concrétiser leur goût pour les sciences et les techniques. Dans le nouveau cadre législatif alors mis en place, la première étape de ces dessèchements, menée par Humphrey Bradley et les Hollandais, est vite suivie par une nouvelle génération de dessiccateurs rochelais, poitevins et parisiens, menée par Pierre Siette et François Brisson, et qui abrège l’expérience hollandaise finalement plus inspiratrice que concrète. Les sociétés de marais desséchés de Vix, Maillezais, Maillé et Doix, en Bas-Poitou, et de Taugon, La Ronde, Choupeau et Benon, en Aunis, sont ainsi créées, entre autres, dans les années 1640. Un processus réfléchi se développe alors, des accords avec les propriétaires d’origine et de la rédaction de statuts, au creusement des canaux et aux partages finaux entre associés.

Chapitre III
Les débuts chaotiques des dessèchements dans la seconde moitié du xviie siècle

Cette mise en place raisonnée n’évite pas de nombreux écueils techniques, financiers et juridiques. Dès les premières années des travaux, les inondations continuelles, parfois amplifiées par les effets pervers de l’entreprise, forcent les dessiccateurs à retarder leurs projets, voire à abandonner certains espaces. Par ailleurs, le pouvoir royal révise sa politique d’encouragements et accroît la pression fiscale sur les dessèchements à la prospérité promise. Enfin les créanciers réclament leur dû aux entrepreneurs. Ces remises en cause provoquent la panique chez les dessiccateurs dont les nouveaux profits décevants ne compensent pas les énormes investissements. Dans l’inquiétude, chacun tente alors de renégocier ses avantages. Des conflits éclatent pour parfois plusieurs décennies entre les dessiccateurs et les propriétaires d’origine, les riverains des dessèchements, les communautés d’habitants, et entre les dessiccateurs eux-mêmes. Certaines faillites retentissantes se produisent, les clans se disputent la direction des sociétés qui évitent de peu la banqueroute grâce à l’action de personnes charismatiques comme le duc de Roannez.


Deuxième partie
La nouvelle vie des marais, entre nouvelles conquêtes et crises
(Deuxième moitié du xviie siècle ­ fin du xviiie siècle)


Chapitre premier
Les nouvelles conditions environnementales

En dépit des difficultés rencontrées par les dessiccateurs du xviie siècle, leur œuvre marque fondamentalement la physionomie du Marais. La répartition des paysages est modelée par les nouveaux dessèchements qui distinguent désormais terres hautes, marais desséchés, marais à demi desséchés, catégorie souvent oubliée, et marais mouillés. Chaque espace a ses particularités en ce qui concerne la répartition de l’eau, la faune et la flore. Celles-ci, mentionnées jusqu’à présent de façon éparse, sont de mieux en mieux connues grâce aux archives et aux études scientifiques. Mais si les dessiccateurs ont réussi à surmonter leurs premières crises et à modeler leur environnement, celui-ci continue à imposer aux sociétés les inondations, l’instabilité du sol, l’insalubrité et les difficultés de circulation terrestre. Les sociétés créées au xviie siècle préfèrent donc rester sur leurs acquis fragiles mais réels et qui font leur puissance.

Chapitre II
Les tentatives d’amélioration des dessèchements au xviiie siècle

Encouragés par les succès, malgré tout, de leurs prédécesseurs, par le sursaut scientifique et philanthropique des Lumières, et à nouveau par l’Etat, d’autres investisseurs créent alors de nouvelles sociétés pour agir là où les premières ont échoué. Notables fontenaisiens et rochelais ou nouveaux aventuriers venus dans la région faire fortune, ils lancent un nouveau mouvement d’accession à la propriété au détriment des dynasties de dessiccateurs du xviie siècle. Tandis que les anciennes sociétés réévaluent leurs méthodes de gestion, les nouvelles s’attaquent aux espaces restés mouillés. Mais encore une fois, les succès cachent mal les échecs cuisants et les querelles d’intérêts. Nouveaux riches novateurs devenus anciens propriétaires conservateurs, les membres des premières sociétés accueillent très mal cette nouvelle génération de dessiccateurs qui suivent pourtant le même chemin, selon la même ambition. Cette concurrence est illustrée par quelques grandes affaires comme le projet de canal entre Niort et La Rochelle ou l’entretien du Contrebot de Vix. Comme avant, les échecs alimentent la psychose et les conflits.

Chapitre III
Un développement étroitement lié aux conditions naturelles

Cet équilibre entre succès et échecs des dessèchements des xviie et xviiie siècles se traduit par un développement économique, social et culturel réel à condition que ses acteurs n’oublient jamais le contexte environnemental. Ce contraste se voit dans l’essor démographique maraîchin, effectif mais loin des espérances des dessiccateurs. Ceux-ci ont pourtant réussi à créer les nouvelles conditions d’exploitation très efficaces que sont les cabanes de marais desséchés, à côté des petites exploitations des terres hautes et des huttes des marais mouillés par lesquelles la population continue à prouver sa grande capacité d’adaptation à l’environnement. Grâce à ce respect du milieu alliant tradition et modernité, le Marais poitevin prospère dans son ensemble par la céréaliculture, l’élevage, la coupe du bois, secteurs très réputés, et aussi par son activité commerciale qui dépasse le seul cadre régional. C’est aussi cet équilibre intelligent avec la nature qui fonde la spécificité de la vie quotidienne dans les marais, crée le particularisme culturel et spirituel des Maraîchins, et définit leur répartition en catégories socio-géographiques, notion essentielle en histoire de l’environnement.


Troisième partie
Succès et échecs de la troisième ère des dessèchements
(Fin du xviiie siècle ­ début du xxe siècle)


Chapitre premier
Les marais de 1789 à 1815 : quels changements

La spécificité des habitants du Marais poitevin s’illustre particulièrement pendant la Révolution, dans le contexte des guerres de Vendée voisines. Les Maraîchins confirment leur différence de comportement social, religieux et politique. Mais la Révolution et l’Empire changent beaucoup le contexte de développement dans les marais desséchés : le relâchement de l’autorité des sociétés, même moindre que ne le prétendent ensuite les détracteurs de la Révolution, fournit l’occasion à leurs ennemis de tirer le profit qu’ils n’ont pu obtenir par les procès au cours des décennies précédentes. À plus long terme, la vente des biens nationaux, même si elle concerne moins le Marais poitevin où nobles et ecclésiastiques sont moins présents, amplifie le mouvement d’accession à la propriété au profit des nouveaux notables urbains et ruraux de la région. Surtout la Révolution et l’Empire offrent un nouveau cadre législatif aux dessèchements. L’Etat passe alors du simple encouragement au contrôle étroit des sociétés, et fixe les lignes directrices des travaux à venir.

Chapitre II
La relance des travaux au xixe siècle

S’appuyant sur ce nouveau contexte, la troisième ère des dessèchements commence véritablement sous la Restauration et surtout la monarchie de Juillet, le Second Empire n’apparaissant que comme une continuité. Après 1815, de nouvelles conditions favorables permettent de tenter de corriger les défauts et les insuffisances des précédents travaux. Les sociétés retrouvent leur autorité sous la surveillance de l’Etat et grâce à l’action de dirigeants comme Louis-Benjamin Fleuriau de Bellevue. Les marais attirent à nouveau investisseurs et ingénieurs mais aussi biologistes et poètes. Grâce aussi à des techniques perfectionnées, une nouvelle campagne de travaux est engagée, sinon pour conquérir des terres nouvelles, du moins pour atténuer les effets des inondations. Des syndicats de marais mouillés sont créés, non pas dans le but de les dessécher mais pour assurer un meilleur écoulement des eaux dans le bassin de la Sèvre niortaise. L’effort se porte enfin sur les conditions de circulation, sur les voies terrestres comme pour la navigation. Il se poursuit sans relâche jusqu’à la veille de la Grande Guerre.

Chapitre III
Les conséquences directes des travaux du xixe siècle :
entre succès et échecs

L’impact de cette troisième ère des dessèchements est de deux ordres, avec à chaque fois un bilan contrasté. Les premiers effets des travaux sont directement visibles dans les marais. Ils concernent d’abord les conditions naturelles : les travaux dans les marais mouillés en modifient les paysages et en permettent une meilleure exploitation. Mais les modifications du système d’écoulement des eaux, tout en diminuant la fréquence des inondations annuelles, renforcent tout à la fois la vigueur des sécheresses estivales et la violence des grandes inondations ponctuelles, celles des premières années du xxe siècle par exemple. De même les travaux n’ont que peu d’impact sur les conditions climatiques. Par conséquent, si un essor démographique se dessine, il est plus faible et de plus courte durée qu’espéré, comme au xviie siècle. Ces échecs et ces incertitudes produisent les mêmes effets qu’avant sur les relations sociales et institutionnelles dans les marais, et relancent des conflits parfois vieux de deux siècles. La méfiance des sociétés et des Maraîchins envers l’Etat et ses ingénieurs accentue ces querelles soulevées par la peur des inondations.

Chapitre IV
La vie économique, sociale et quotidienne des marais au xixe siècle

Un tel contraste se retrouve dans les conséquences plus diffuses et à plus long terme sur les activités humaines dans les marais. D’un côté, les conditions foncières, économiques et sociales sont transformées. Le mouvement de mutation des propriétés est désormais bien réel, avec le retrait des anciennes grandes dynasties remplacées par les notables locaux, d’où l’éclatement des grandes cabanes. Les petits propriétaires tirent aussi parti de cette situation et s’enrichissent. Si la position commerciale du Marais poitevin décline, son agriculture se réoriente vers l’élevage, pilier de l’économie maraîchine désormais à égalité avec les céréales, et vers les cultures maraîchères. Mais parallèlement, les Maraîchins gardent la même indépendance d’esprit, la même conscience de vivre dans un milieu auquel il faut s’adapter, le même sentiment de former une communauté géographiquement et culturellement à part. Les changements s’accélèrent pourtant à la veille de la Grande Guerre : venue de l’extérieur avec la fin relative de l’isolement, la modernité commence à atténuer ces particularismes matériels et culturels, sans jamais toutefois les annihiler puisque la nature les rappelle régulièrement.


Conclusion

Les phases successives des dessèchements modèlent ainsi en profondeur le Marais poitevin, selon un système encore largement en place aujourd’hui. Cette empreinte de l’homme se manifeste aussi bien par ses échecs que par ses succès. Le bilan de ces trois siècles d’intervention dans un tel milieu est donc très contrasté, entre les transformations des conditions paysagères, économiques et foncières et la permanence des comportements individuels et collectifs. L’autre leçon de ce bilan est à la fois l’acharnement des hommes à poursuivre leur lutte contre les éléments, et leur impressionnante capacité d’adaptation à ces derniers, en tirant profit de leurs propres échecs et de l’expérience de leurs prédécesseurs. Ils constituent ainsi une communauté bien distincte car très liée à son environnement, non pas de façon innée, notion bannie depuis longtemps, mais bien par l’acquis. Enfin, l’originalité des marais réside dans leur organisation institutionnelle avec les grandes sociétés de dessèchement dont les archives reflètent le passé à la fois riche et chaotique. L’analyse de ces sources montre aussi que, interdisciplinaire et inscrite dans la longue durée, l’histoire des relations entre l’homme et le milieu des marais est une branche à part entière de l’histoire de l’environnement.


Pièces justificatives

Les huit pièces justificatives ont été choisies de façon à illustrer équitablement chaque partie de l’étude et à aborder tous ses enjeux : elles comprennent des documents relatifs à la vie des marais avant les dessèchements, à la formation et au fonctionnement des sociétés, aux structures d’exploitation des marais et à la vie quotidienne des Maraîchins.


Annexes

Documents imprimés fondateurs des dessèchements. ­ Cartes et plans inédits. ­ Tableaux et graphiques. ­ Photographies de la faune, la flore et les paysages du Marais poitevin. ­ Chronologie. ­ Glossaire. ­ Index des noms de personne et de lieu.