Recherches sur les actes du monastère Saint-Jean Prodrome sur le mont Ménoikion (Serrès, xiiie-xve siècle)
Introduction
Le monastère Saint Jean Prodrome, établi dans la montagne du Ménoikion, se situe près de Serrès, au nord de Thessalonique. Devenu de nos
jours un couvent de jeunes filles, il abritait jusqu’au début du xxe siècle une communauté de moines et une importante
bibliothèque, pillée par les Bulgares pendant les guerres balkaniques. Les codices A et B, mémoire vivante du Prodrome sur
lesquels étaient enregistrés une grande partie de ses biens, disparurent ainsi et plongèrent dans l’oubli les fondements de l’histoire du
monastère. Longtemps, la tradition fit foi sans qu’aucun document ne permît de la contredire ; les études stagnaient et devaient se
contenter de quelques copies imparfaites des documents réalisées au xixe siècle par des voyageurs admis au monastère du
Prodrome. En 1955, André Guillou réalisa l’effort louable de réunir ces copies d’actes du Prodrome et d’en extraire ce qu’il pensait être
l’histoire de l’établissement. En 1972, l’édition en fac-similé du codex A par Ivan Dujcev permit une
première fois de revenir aux sources de l’histoire sans l’intermédiaire de ces copies parfois fautives ; si elle n’apportait pas de
connaissances nouvelles - les quatorze actes et le Règlement, Typikon, de l’abbé du Prodrome étaient tous connus par
l’édition d’André Guillou -, cette édition révéla que les codices n’étaient pas perdus et laissait un espoir de voir un
jour reparaître le codex B. En 1998 d’ailleurs, ce dernier fut retrouvé dans le Centre Ivan Dujcev de Sofia et édité par
Lisa Bénou, dernière étape de la mise à disposition des chercheurs des actes du Prodrome et peut-être la possibilité d’éclaircir l’histoire
du monastère.
Ce cartulaire contient 218 actes médiévaux, de 1253 à 1421, dont 177 étaient jusqu’à présent inédits. Il regroupe
également 95 actes d’époque moderne, de 1498 à 1809. Parmi les premiers, on compte une série remarquable de 120 actes privés jetant une vive
lumière sur Serrès et sa région dans la première moitié du xive siècle.
L’édition de Lisa Bénou, si elle avait
l’intérêt de mettre au jour de nombreux actes inédits, péchait par l’absence de mise en ordre chronologique des documents et par le peu
d’attention prêté à la lexicographique. Plus encore, les informations fournies par ces actes n’ont même pas servi à revoir l’histoire du
monastère ; l’éditeur reste très dépendant des recherches précédentes, notamment celles d’André Guillou de quarante ans antérieures, alors
que ce dernier disposait alors d’une documentation largement moindre, tant en quantité qu’en qualité. Malgré l’abondance des pièces
nouvelles, la tradition gardait la prépondérance, même pour la datation de ces dernières, et aucune critique ne se faisait jour.
Il
fallait donc revoir l’ensemble des actes médiévaux du Prodrome conservés dans les codices A et B, confronter leurs
enseignements, prosopographiques, topographiques, historiques, les critiquer et les mettre en relation avec les actes des monastères du mont
Athos. A été exclue d’emblée, faute de temps et de compétence, l’étude codicologique du codex B, qui se trouve à Sofia. Il
fut possible néanmoins d’en obtenir des photographies, qui ont permis d’effectuer des relectures quand cela s’avérait nécessaire. De ce
travail, il est ressorti plusieurs informations majeures d’ordre chronologique sur l’histoire du Prodrome et sur celle de ses fondateurs,
qui ont permis par ailleurs d’enrichir la prosopographie de la Macédoine orientale à l’époque des Paléologues.
Première partieLa date de la fondation et la vie du monastère de 1280 à 1350
André Guillou, suivi aveuglément par Lisa Bénou, faisait remonter à 1275 la date de la fondation du monastère. Tous deux s’appuyaient sur
un texte capital rédigé par le plus grand abbé connu du Prodrome, nommé Iôakeim, qui faisait de son oncle le véritable fondateur du
Prodrome. Or, ce document n’a pas été confronté par Lisa Bénou aux actes qu’elle éditait ; certains, que la tradition faisait remonter au
deuxième tiers du xive siècle et qui doivent être antidatés de plus de cinquante ans en raison des personnages cités et
des événements qu’ils relatent, montrent en effet sans ambiguïté que le monastère existait déjà au début du xiiie
siècle et qu’il a subi les conséquences de l’invasion franque. Le Prodrome est encore attesté vers le milieu de ce même siècle, au moment de
la reconquête de la Macédoine par les Byzantins de Nicée. Il existe ainsi un monastère Saint Jean Prodrome bien avant la “ fondation ” par
l’oncle de Iôakeim, qui ne pouvait dès lors être qu’une refondation.
Les informations sont beaucoup plus nombreuses après 1280 et
jusque vers 1355, permettant ainsi de suivre à peu près la politique d’acquisition du monastère et sa stratégie pendant les luttes civiles
et les invasions qui émaillèrent le xive siècle. Le monastère, probablement grâce à l’influence de son protecteur,
Iôakeim, devenu évêque de Zichna, une grande ville située près de Serrès, sut conserver la bienveillance des souverains grecs et serbes,
sans souffrir apparemment des difficultés liées aux mouvements de troupes. Cependant, si les nombreux actes privés et impériaux rendent
possible une estimation de la fortune du Prodrome, les inventaires apportant des informations fiscales ( praktika) sont
très peu nombreux et ne permettent pas d’apprécier à intervalles réguliers l’importance de ses propriétés et de ses revenus.
Deuxième partieLa vie du “ fondateur ”
Des archives du Prodrome émerge une figure particulièrement emblématique, qui semble à l’origine de la fortune de l’établissement. Il s’agit de Iôakeim, neveu du fondateur légendaire, devenu évêque de Zichna et protecteur du monastère. En raison d’un acte de décès mal daté, on a longtemps cru que ce personnage était mort en 1333 ; les documents du codex B permettent de retarder de cinq ans cette date. Du moment où il devint évêque, on le voit sans cesse œuvrer pour l’amélioration et l’agrandissement du Prodrome ; grâce à son influence, l’aristocratie locale, de grands propriétaires terriens, les empereurs et leurs proches, ainsi que plusieurs patriarches, eurent des contacts avec le Prodrome et lui prodiguèrent leur protection. En 1333, au sommet probablement de sa richesse, c’est le plus proche conseiller d’Andronic III, Jean Cantacuzène, futur empereur, qui devint protecteur en titre du Prodrome, témoignant ainsi des liens que Iôakeim entretenait avec la capitale et le pouvoir. Iôakeim est en outre à l’origine d’un certain nombre de donations en faveur du monastère et de plusieurs acquisitions de celui-ci ; soucieux de la pérennité de son établissement, il le dota d’un règlement intérieur et d’un code de conduite. Son rôle prépondérant lui valut le titre de “ fondateur ” du Prodrome, titre équivalent en grec à celui de “ bienfaiteur ” ( ktètôr).
Troisième partieLa région de Serrès au début du xive siècle
Un des apports non négligeables des actes inédits du codex B est d’enrichir la connaissance prosopographique des grands
de la région de Serrès dans la première moitié du xive siècle. Tant pour les officiers des métropoles et évêchés
(Serrès et Zichna) que pour les officiers impériaux, les personnages cités sont nombreux, nouveaux ou non, et s’ajoutent aux informations
données par les actes du mont Athos. Les tableaux placés en annexe donnent une idée de ce qu’était la carrière des officiers locaux, qui
pouvait souvent durer plus de trente ans. On peut y suivre également la progression de plusieurs fonctionnaires au sein de la hiérarchie et
en déduire la logique de certaines carrières. L’autre intérêt de ces tableaux est de mettre en valeur l’importance de la prosopographie pour
étudier des actes le plus souvent datés de façon lacunaire ou simplifiée, laissant une large marge d’erreur. Partant de l’hypothèse qu’il
serait illogique que la carrière d’un fonctionnaire régressât, il a été possible de replacer certains actes dans un contexte plus juste et
de confirmer pour d’autres une datation discutée.
Les nombreux actes privés et officiels que contient le codex
B apprennent beaucoup au chercheur sur la vie rurale en Macédoine au xive siècle, sur la politique d’acquisition
d’un monastère de taille médiocre comme devait probablement l’être le Prodrome, sur des exploitations de superficie moyenne, sur la présence
de domaines impériaux ou aux mains de grands personnages dans la région de Serrès et sur la toponymie des villages entre Serrès et Zichna.
Conclusion
Ce travail a permis de mettre au jour d’importantes découvertes et de couper court aux affirmations d’une tradition longtemps acceptée sans discussion. C’est un premier pas vers une connaissance plus rationnelle de la vie du Prodrome, même si le niveau des revenus du monastère, la valeur de ses biens et son sort après 1355 restent dans l’ombre.