Sir James Hall, un homme de science dans la Révolution
Édition critique et commentaire de son journal de voyage en France (avril-août 1791).
Introduction
Lorsque Sir James Hall, quatrième baronet de Dunglass, se mit en route en avril 1791 pour la France en compagnie d’un de ses beaux-frères, Thomas Douglas, il participait à un mouvement général d’intérêt pour la Révolution française : en Grande-Bretagne en effet, l’évolution politique française constituait un sujet de débats passionnés et la controverse prenait souvent la forme de pamphlets politiques. Les journaux d’observateurs britanniques de la Révolution française ainsi que leur correspondance reflétaient également cette controverse aiguë ; certains de ces textes furent publiés dès l’époque de la Révolution, d’autres le furent bien plus tard. Rares étaient les journaux et les correspondances de cette période qui ne s’engageaient pas pour ou contre l’un des deux partis en présence. Pourtant, le journal écrit par de Sir James Hall en 1971 est remarquable par le souci de l’auteur de prendre parti le moins possible : ce texte s’apparente en effet très nettement à un journal de voyage scientifique, même si le sujet principal qui y est abordé reste la politique.
Ce texte devait donc nécessairement être mis en perspective grâce à l’étude de la vie de Sir James Hall, mais également par l’évocation des diverses pratiques de voyage des Britanniques à la fin du xviiie siècle et des modèles de récit de voyage de cette période. Enfin, il était important d’analyser le comportement politique de Sir James Hall en France et de comprendre pourquoi et comment il fréquentait divers cercles sociaux parisiens. Hormis la politique, Sir James Hall s’intéressait de près à toutes les questions touchant l’agronomie et ce thème est le deuxième par ordre d’importance dans ce journal : c’est pourquoi il était également nécessaire d’étudier ces notations. Ce commentaire général est conçu comme une introduction à l’édition de texte et permet ainsi d’en comprendre le contexte et la portée.
Sources
La source principale sur laquelle repose ce travail est évidemment le manuscrit du journal de Sir James Hall, conservé actuellement à la National Library of Scotland, à Edimbourg (ms. 6329-6332). Par ailleurs, ont été étudiés d’autres journaux de Sir James Hall, en particulier ses journaux de Grand Tour conservés également à la National Library of Scotland, ainsi que tous les journaux et carnets personnels de Sir James Hall et sa correspondance, conservés aux National Archives of Scotland. La correspondance familiale fut également une mine d’informations biographiques et sociologiques ; les registres de comptes de Dunglass, la propriété de Sir James Hall, ainsi que ses registres de comptes personnels, fournirent nombre de renseignements sur la fortune et la propriété familiales, ainsi que sur leur évolution. Enfin, un registre un peu à part, recensant les ouvrages de la bibliothèque de Dunglass House, m’a permis de comprendre quelles étaient les lectures de Sir James Hall et donc d’élaborer des hypothèses sur son bagage intellectuel lorsqu’il se mit en route pour la France en 1791.
Première partieCommentaire
Chapitre premierBiographie de Sir James Hall (1761-1832)
Sir James Hall fut un véritable héritier des Lumières. Il vécut à une période charnière et la diversité de ses intérêts reflétait ceux de sa génération. Sir James Hall faisait partie de la gentry écossaise ; les biens de sa famille étaient très importants. Il hérita du domaine familial et du titre à quinze ans à peine, et son grand-oncle Sir John Pringle, président de la Royal Society joua dès lors un grand rôle dans l’orientation de ses études. Après quelque temps passé à Cambridge, Sir James Hall fit un premier séjour sur le continent, à Genève, en 1780-1781. Après deux années à l’université d’Edimbourg où il développa un intérêt très marqué pour la chimie et la géologie, il repartit en Europe pour un Grand Tour de trois ans. C’est sur le chemin du retour, en séjournant à Paris, que Sir James Hall devint un familier du laboratoire de Lavoisier dont il devint un ami intime ; à son retour en Ecosse, il fit une communication devant la Royal Society d’Edimbourg pour rendre compte de ces nouvelles théories. Sir James Hall devint ainsi le premier propagateur de la nouvelle chimie lavoisienne en Grande-Bretagne. Par ailleurs, Sir James Hall consacra toute son existence aux sciences, sans que son intérêt pour ce domaine soit exclusif. Il fut en effet l’ami et l’élève de James Hutton, le père de la géologie moderne, et consacra son existence à concevoir des expériences de laboratoire sur la fusion des roches pour apporter des preuves irréfutables de l’exactitude des théories huttoniennes sur l’origine de la Terre : son œuvre scientifique s’inscrivait dans un débat très intense entre les disciples de Hutton et de Werner et les résultats qu’il obtint furent reconnus par toute la communauté scientifique européenne. Son élection comme président de la Royal Society d’Edimbourg en 1811 consacrait ainsi sa renommée scientifique.
Cependant, Sir James Hall s’intéressa également à de nombreux autres domaines et il faut citer ici sa publication d’un ouvrage sur les origines et les principes de l’architecture gothique. Il commença à élaborer cet ouvrage dès le début des années 1790, fit un compte rendu de cette théorie devant la Royal Society d’Edimbourg en 1798 et finit par en publier la version définitive en 1813. Dans cet ouvrage, Sir James Hall partait de l’idée que l’architecture gothique reposait sur un principe d’imitation : d’après lui, les premiers à construire ce type d’édifices avaient voulu reproduire dans un bâtiment en pierre l’aspect que pouvaient prendre des huttes primitives en osier. La grande justification de cette théorie était que l’on pouvait reproduire absolument tous les éléments et les ornements architecturaux observables dans les monuments gothiques. En bon scientifique qu’il était, Sir James Hall poussa la démonstration jusqu’à faire construire chez lui une maquette en osier qui vérifiait sa théorie. A l’époque, cet ouvrage rencontra quelque succès.
Par ailleurs, Sir James Hall s’intéressa quelque peu à la politique, même si à la suite de son voyage en France en 1791, il sembla renoncer quelque temps à jouer un rôle dans ce domaine. Il fut cependant élu membre du Parlement en 1807-1811 ; après quoi il dut s’effacer en raison de problèmes de santé. Enfin, il faut souligner le fait qu’à la suite de son mariage avec Lady Helen Douglas en novembre 1786, dont il eut onze enfants, Sir James Hall réprima son goût pour les voyages et se consacra à la gestion du domaine familial, ce qui explique son intérêt si affirmé pour l’agronomie. Lorsqu’il mourut en 1832, il laissait à son fils aîné une fortune considérable, composée essentiellement de biens fonciers.
Chapitre IILe voyage de Sir James Hall, un exemple de récit de voyage en France à la fin du xviiie siècle
Le journal de voyage de Sir James Hall qui fait l’objet de cette étude participe de plusieurs tendances de la littérature de voyage britannique de la fin du xviiie siècle. Il était nécessaire par conséquent de comprendre en quoi consistaient ces différents types de voyage et les textes auxquels ils donnèrent naissance afin de mieux saisir les influences qui entrèrent en ligne de compte lorsque fut rédigé ce journal.
L’influence la plus nette est tout d’abord celle des journaux de Grand Tour britanniques tels qu’ils étaient pratiqués à la fin du XVIII e siècle. Sir James Hall lui-même, parce qu’il avait eu l’occasion de faire deux Grands Tours continentaux en 1780-1781 et 1783-1786, ne pouvait qu’avoir été marqué par ce type de voyage et la comparaison avec son journal de 1783-1786 confirme cette hypothèse. Sir James Hall avait une façon de décrire les paysages qu’il traversait qui rappelait les conseils de rédaction prodigués par certains manuels dédiés aux récits de voyage : celui de Léopold Berchtold en particulier peut apparaître comme le modèle de rédaction du journal de Sir James Hall étudié ici. La relation entre ces deux textes semble évidente lorsque l’on compare leurs méthode de rédaction et d’observation. En effet, Berchtold préconisait de voyager en faisant preuve d’objectivité et d’esprit critique, tout en s’intéressant à une multitude de sujets, parmi lesquels l’agronomie tenait une place de choix. On retrouve tous ces éléments dans le texte de Sir James Hall : la parenté spirituelle est flagrante entre ces deux auteurs.
Le journal de Sir James Hall doit également être envisagé comme un journal de voyage scientifique. Les méthodes d’observation préconisées pour rédiger un journal de Grand Tour avaient pour finalité ultime de rendre chaque journal de voyage utile pour l’œuvre des hommes de science de leur temps. La différence dans le cas de Sir James Hall et de son journal de 1791 était que le voyageur était lui-même un homme de science confirmé, même si toute sa carrière officielle en tant que chimiste et géologue reconnu était encore à venir. Les caractéristiques matérielles de ce journal ainsi que son contenu montrent l’importance des sujets scientifiques dans ce texte : la présence d’un index thématique, ainsi que les nombreuses illustrations d’instruments aratoires ou dans certains cas de dispositifs expérimentaux, en sont les preuves les plus évidentes. Certaines notes sont très postérieures à l’époque de la rédaction de ce journal : chaque fois, elles furent suscitées par des notations chimiques ou géologiques.
En effet, Sir James Hall participa en 1791 à la vie scientifique parisienne et fréquenta assidûment l’entourage de Lavoisier, mais cet aspect du journal ayant déjà été évoqué par des historiens des sciences comme J. A. Chaldecott ou V. A. Eyles dans les années 1970, il a semblé plus intéressant de retracer l’évolution des voyages scientifiques depuis les débuts du xviiie siècle et de décrire en particulier le rôle capital de la Royal Society de Londres dans l’élaboration progressive d’un langage propre aux voyages scientifiques et aux textes qui naquirent d’eux.
Une des caractéristiques des voyages scientifiques de cette période fut entre autres la redécouverte des montagnes comme lieu d’exploration et d’étude. Sir James Hall, en tant que géologue, s’y intéressait de très près, comme le prouvent ses notations concernant la Limagne et l’Auvergne. Les volcans en effet, et tout particulièrement ceux d’Auvergne, étaient encore très mal connus au moment du voyage de Sir James Hall en 1791. Cet aspect des notations scientifiques semble intéressant à évoquer dans un contexte de découverte de l’Auvergne par les géologues ; le vocabulaire de description des volcans de Sicile puis d’Auvergne sont en effet un très bon exemple de la construction progressive d’un langage scientifique dans la littérature de voyage. Il apparaît ainsi que les descriptions des volcans d’Auvergne sont véritablement celles d’un géologue confirmé, que le langage utilisé est purement scientifique et que l’auteur analysa la configuration géologique et minéralogique de cette région d’un regard averti.
Enfin, ce texte est aussi un témoignage britannique sur la Révolution française. En tant que tel, il était intéressant de le comparer avec d’autres documents du même genre, en retenant notamment les sujets de prédilection de ces observateurs britanniques et en les comparant avec ceux de Sir James Hall. Ainsi, les débats de la Constituante suscitaient-ils fréquemment l’intérêt des voyageurs britanniques, qui décrivaient précisément la salle de délibérations et la physionomie générale des députés de l’Assemblée ; cette halte dans le cœur politique de la France de l’époque donnait souvent lieu à des professions d’enthousiasme sur les idéaux révolutionnaires. Sir James Hall se distingue particulièrement par son assiduité aux débats de la Constituante et du club des Jacobins, alors que nombre d’autres observateurs britanniques n’y faisaient que des apparitions épisodiques. Par ailleurs, sa volonté de rester discret sur ses propres penchants politiques est tout à fait originale. Malgré cela, Sir James Hall avait une capacité à l’empathie très importante, ce qui lui fit comprendre immédiatement l’importance politique qu’eut la tentative de fuite du roi : c’est en apprenant cette nouvelle en effet qu’il résolut immédiatement de rentrer à Paris pour observer sur place l’évolution des événements.
Chapitre IIIPolitique et agronomie dans le journal de Sir James Hall
Les deux principaux thèmes de ce journal sont la politique et l’agronomie. En ce qui concerne la politique, l’étude du contexte général de la controverse politique en Grande-Bretagne à l’époque du voyage de Sir James Hall est nécessaire. L’année 1791 vit en effet la parution de pamphlets politiques importants et nombreux, le plus célèbre étant celui de Burke bien entendu. Ce contexte laissa son empreinte dans le journal de Sir James Hall, qui comme tous ses contemporains était très conscient de l’ébullition politique qui marquait alors la Grande-Bretagne. Sa fréquentation de Thomas Paine en France lors de son séjour est un exemple particulièrement flagrant de son intérêt pour la controverse pamphlétaire qui faisait rage Outre-Manche. Cependant, la retenue perpétuelle que l’auteur manifesta tout au long du texte de ce journal suggère qu’il ne voulait pas trop s’impliquer dans la controverse, ni dans la vie politique française : son refus de publier son journal de 1791 va également dans ce sens.
Le plus intéressant dans ce journal est l’étude des motivations qui ont guidé Sir James Hall dans son choix des milieux à fréquenter. Sir James Hall exposa les raisons de sa venue en France dans une lettre adressée en 1802 à Marc-Auguste Pictet ; ce document prouve encore une fois que le but de Sir James Hall et de ses beaux-frères était d’étudier la vie politique française comme l’aurait fait un entomologiste. Il lui fallait donc varier ses rencontres, afin d’acquérir une idée juste du climat politique en France par la confrontation d’opinions diverses. Sir James Hall privilégia pourtant quelques milieux bien précis. On distingue à cet égard deux catégories de fréquentations de l’auteur : tout d’abord les personnes avec lesquelles Sir James Hall avait tissé des liens bien avant la Révolution, comme ce fut le cas avec les La Rochefoucauld ou les Lavoisier, mais aussi celles auprès desquelles il fut introduit grâce à son beau-frère Lord Daer, qui prenait une part active aux mouvements radicaux écossais et britanniques : ce fut le cas notamment des Condorcet. L’étude de la fréquence des rencontres de Sir James Hall et de ces divers milieux montre l’influence importante de Lord Daer sur certaines fréquentations de Sir James Hall. En effet, Lord Daer était un membre actif de la London Corresponding Society et participait également aux mouvements abolitionnistes britanniques, au point qu’il fut présenté par Condorcet à la Société des Amis des Noirs en juin 1789 avant d’en devenir membre. Ce précédent donne une résonance toute particulière à l’adhésion de Sir James Hall à cette société deux ans après : c’est grâce aux relations privilégiées nouées entre Lord Daer et les Condorcet que Sir John Hall et Thomas Douglas furent amenés à fréquenter assidûment le couple à une période où naissait le parti républicain. Lord Daer quitta la France début juillet 1791 en compagnie du Genevois Etienne Dumont et du célèbre Thomas Paine, ce qui corrobore ses liens privilégiés avec les républicains. Le contenu du journal de Sir James Hall confirme que son auteur éprouvait le même genre de sympathies que son beau-frère.
Dès ce voyage de 1791, Sir James Hall fit surtout preuve de prudence, puisqu’il ne chercha jamais dans son texte à faire œuvre de polémique et qu’il ne publia jamais son journal pour éviter de participer à la guerre pamphlétaire. Il est pourtant clair d’après ses journaux ultérieurs, et tout particulièrement celui de 1792, qu’il entretenait des liens privilégiés avec les mouvements radicaux britanniques. Malgré le peu d’informations qui transparaît dans sa correspondance ultérieure, on peut déduire qu’il choisit de se mettre en retrait de la politique en un temps où le gouvernement britannique était défavorable aux radicaux ; c’est pour cette raison sans doute qu’il décida de se consacrer entièrement à son œuvre scientifique. Ce n’est qu’après le départ de Pitt que Sir James Hall se laissa convaincre de se présenter aux élections. Malgré une carrière politique très brève, il semble avoir été représentatif d’un milieu et d’une sensibilité politique répandus à cette époque.
Ce journal réserve également une place très importante à l’agronomie : en effet la plupart de ses illustrations se rapportent à ce thème. Les raisons de l’attention que porta Sir James Hall à ce domaine s’expliquaient par la convergence de plusieurs influences : d’abord, les Ecossais s’intéressaient beaucoup aux techniques modernes de l’agronomie depuis la signature de l’Acte d’Union en 1707, ce qui donna lieu à une véritable révolution agricole en Ecosse, même si certains historiens contestent ce terme sous prétexte que quelques améliorations s’étaient déjà fait jour dans ce domaine avant 1707. Les « Improvers » écossais jouèrent un grand rôle dans la diffusion de ces techniques agronomiques modernes : le premier d’entre eux, John Cockburn of Ormiston, commença à moderniser l’exploitation de ses terres non loin de la propriété des Hall. La littérature agronomique écossaise connut une large diffusion grâce au Statistical Account de Sir John Sinclair, dont la publication commença au début des années 1790. C’est également en Ecosse que fut créée la première chaire universitaire d’agronomie lorsque Andrew Coventry fut nommé à ce poste à l’université d’Edimbourg. Par ailleurs, l’œuvre d’Arthur Young, le célèbre agronome, était diffusée par différents moyens en Grande-Bretagne, mais ce fut grâce au périodique scientifique de Marc-Auguste Pictet, la Bibliothèque britannique, que son œuvre fut connue dans l’Europe entière, y compris pendant le blocus continental. Arthur Young était bien connu en France, en particulier dans le milieu des La Rochefoucauld ; sous le Directoire, ses œuvres complètes furent traduites et publiées en français.
Sir James Hall était issu d’un milieu familial qui le prédisposait à s’intéresser à ces sujets : son grand-père par exemple s’enthousiasma pour ces techniques agronomiques modernes. Par ailleurs, son père était très lié à James Hutton, qui étudia longuement ces questions avant de se consacrer à son œuvre de géologue ; lorsque Hutton s’installa dans sa ferme expérimentale de Sligh Houses, il se trouvait à quelques kilomètres de Dunglass. Enfin, divers documents permettent de connaître les améliorations que Sir James Hall apporta à ce domaine de 1776 à sa mort. La propriété était dans un état assez piteux de la propriété lorsque Sir James Hall en hérita ; il s’intéressa personnellement à la gestion de ses terres à partir de son mariage en 1786 et c’est à peu près à cette époque qu’apparaissent les premières notations agronomiques dans ses journaux et sa correspondance. Dès lors, l’exploitation de sa propriété se fit plus raisonnée et plus moderne et ses terres prospérèrent : malgré la conjoncture économique très mauvaise à la fin des guerres napoléoniennes, Sir James Hall pouvait s’offrir le luxe d’attendre que ses fermiers connaissent des circonstances plus favorables pour qu’ils lui paient la totalité de leur dû. Par ailleurs, les travaux onéreux qu’il entreprit à Dunglass House pendant la guerre sont aussi le signe que sa fortune avait des bases solides.
Dans le journal de 1791, Sir James Hall s’intéresse à tout ce qui touche l’agronomie et la vie rurale : la rotation des cultures, les instruments aratoires, l’artisanat, le mode de vie des fermiers, etc. Cependant, son intérêt pour les charrues est flagrant et sa manière d’observer les instruments aratoires méritait une étude particulière. Les illustrations du journal confirment cet intérêt pour les charrues, notamment par leur fréquence et leur disposition. Nombre d’entre elles rappellent nettement les planches illustrées de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ces illustrations s’apparentent donc à celles que l’on pouvait trouver dans des récits de voyage scientifiques de cette époque : elles complètent les descriptions, mais ne constituent que très rarement un moyen pour l’auteur de synthétiser sa pensée. Sir James Hall avait adopté une méthode d’enquête particulière en ce qui concerne l’agronomie. Il s’attachait avant tout à décrire très précisément les instruments qu’il avait l’occasion d’observer. Lorsqu’il le jugeait utile, il complétait cette description par une illustration, avant de tester lui-même le fonctionnement de l’instrument. De plus, cette observation active, marquée par un souci constant d’expérimentation qui correspondait tout à fait à l’activité la plus importante de sa vie, la chimie , se doublait d’une enquête linguistique : lors de son voyage à Limoges et Clermont, Sir James Hall s’intéressa aux noms donnés aux charrues dans les campagnes qu’il traversa à cette occasion. Lorsqu’il s’enfonça dans des zones très rurales, la transcription de ces noms se fit sur des critères phonétiques, car Sir James Hall rencontra quelques difficultés de compréhension. Ceci ne l’empêcha cependant pas de continuer son enquête systématique et de converser avec les paysans les plus modestes. En bon scientifique qu’il était, il avait en effet le souci de l’enquête de terrain et avait parfaitement compris l’importance du dialogue avec les simples cultivateurs rencontrés au fil de son voyage. Il avait également le souci de rencontrer des innovateurs en matière d’agronomie, comme Cretté de Palieul, à Dugny, ou Juge de Saint-Martin, à Limoges. Le récit que fit Sir James Hall de sa visite de la ferme de Cretté de Palieul est tout à fait intéressante car elle peut être comparée à une description de cette même ferme par Arthur Young, deux années auparavant. La différence entre les deux démarches est tout à fait flagrante : Young, en tant qu’agronome reconnu, privilégiait une vision synthétique de l’agriculture. Sir James Hall, en tant que chimiste, cultivait plutôt le souci de l’exhaustivité, de la précision : sa description est par conséquent nettement plus longue que celle d’Arthur Young. Ce passage illustre parfaitement bien une démarche constante de Sir James Hall pendant tout ce voyage, à savoir son souci du détail, son sens aigu de l’observation et surtout le sens critique dont il fit preuve tout au long du texte, tout en refusant de faire de ce journal un document polémique.
Conclusion
Ce journal de voyage est le produit de plusieurs influences : l’auteur et sa personnalité constituent l’influence la plus importante, mais le contexte politique et économique de l’époque pouvait également éclairer ce document. L’obsession de l’auteur pour l’exactitude de ce qu’il notait dans son journal et son souci d’objectivité font de ce document un véritable cabinet de curiosités textuel : la diversité des intérêts de Sir James Hall le conduisit à noter les renseignements les plus exacts et les plus variés possibles. Ce document reflète la richesse de sa personnalité, car on trouve dans ce texte tous ses centres d’intérêt, même si ceux-ci n’ont pas tous été analysés dans cette présentation. Enfin, l’originalité propre de ce journal tient à son aspect très scientifique, en un temps où la Révolution française provoquait des débats très virulents notamment Outre-Manche : c’est le parti pris de l’auteur de sortir de cette controverse qui rend son texte particulièrement intéressant.
Édition critique
L’édition de texte est précédée d’une description archivistique du manuscrit conservé aux National Archives of Scotland. Les principes d’édition de texte visent avant tout à respecter le texte original et s’attachent à refléter au plus près le travail d’élaboration du texte, les hésitations éventuelles de l’auteur, les rajouts ultérieurs, la place des illustrations, afin de restituer le plus fidèlement possible l’organisation interne du manuscrit d’origine.
Annexes
Pièces justificatives. Glossaire des termes agricoles. Glossaire des termes scientifiques. Index de l’édition de texte et index général de la thèse.