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École des chartes » thèses » 2003

Les relations entre la SFIO et le SPD dans l’immédiat après-guerre (1945-1953)


Introduction

Les relations entre les socialistes français et le Parti social-démocrate allemand (SPD) étaient jusqu’à présent bien connues pour la fin du xixe  siècle et pour le début du siècle suivant. En 1997 et 1998, les thèses de Nicole In der Beeck, portant sur la comparaison entre le SPD et la SFIO face aux questions internationales après la première et la seconde guerre mondiale, et de Marie-Louise Goergen, consacrée aux les relations entre socialistes allemands et français à l’époque de la deuxième Internationale (1889-1914), ont encore complété l’éventail des connaissances sur le sujet.

L’intérêt pour les relations anciennes entre les deux partis n’a guère donné lieu à des recherches sur les périodes plus récentes. Ainsi, les années qui suivent la fin de la seconde guerre mondiale sont-elles particulièrement mal connues. Seuls le mémoire de maîtrise de Sophie Bombois, ainsi que les travaux de Sylvie Guillaume, de Jean-Paul Cahn ­ sur le SPD et la fin de la ive  République ­, et de Dietrich Orlow permettent une première approche du problème. Il n’en reste pas moins que les rapports entre socialistes français et allemands entre 1945 et 1953 n’ont toujours pas donné lieu à une étude générale. Et si la participation des uns et des autres aux réunions socialistes internationales est assez bien connue, les rencontres particulières sont très rarement évoquées, de même que les liens personnels qui ont pu se tisser entre certains de ces socialistes. De plus, des questions cruciales comme celle de la Rhénanie, de la Ruhr, de la Sarre, ou encore de la place de l’Allemagne d’après-guerre dans la construction européenne, n’ont guère été étudiées sous l’angle des propositions socialistes.

Il fallait donc montrer les différents niveaux de relations entre les deux partis en étudiant, le plus précisément possible, les divers protagonistes français et allemands ­ c’est notamment le but du « dictionnaire biographique » donné en annexe ­ et en développant certains aspects encore peu étudiés, comme le rôle des anciens exilés allemands ou encore celui des mouvements de la jeunesse socialiste et d’organisations « européennes » comme le Mouvement démocratique et socialiste pour les Etats-Unis d’Europe (MDSEUE). Il fallait également tenter de saisir le poids que la SFIO et le SPD ont pu avoir dans le renouvellement des relations entre la France et l’Allemagne. Ce travail a d’abord permis d’enrichir la prosopographie des militants français et allemands et de montrer l’implication souvent importante d’un grand nombre d’entre eux dans les relations avec le parti frère. Il a également fait ressortir l’importance du rôle joué par des personnalités aujourd’hui quelque peu oubliées, comme Salomon Grumbach. Enfin, il a très clairement mis en lumière l’existence, dans les huit années qui suivent la fin de la guerre, de trois périodes bien distinctes dans les relations entre la SFIO et le SPD. Ces phases chronologiques ­ 1945-1947, 1948-1949 et 1950-1953 ­ correspondent au règlement, ou non, d’un problème majeur entre les deux partis et recoupent en fait, à peu de choses près, celles du rapprochement politique entre la France et l’Allemagne.


Sources

Les sources sont conservées dans quatre centres d’archives : les Archives d’histoire contemporaines (AHC), le Centre d’histoire sociale du xxe  siècle (CHS) et l’Office universitaire de recherche socialiste (OURS) en France, les Archives de la social-démocratie (AdsD) en Allemagne. Aux AHC, les fonds du groupe parlementaire socialiste, de Cletta et Daniel Mayer, et d’Alain Savary ont fait l’objet d’une étude. Au CHS, seul le fonds Marceau Pivert s’est avéré intéressant. L’OURS possède les collections complètes du Populaire de Paris, du Populaire-Dimanche, ainsi qu’une partie de la presse des Jeunesses socialistes et de nombreux bulletins de tendances. Outre cette presse, deux types de fonds sont particulièrement intéressants : ceux du Parti socialiste SFIO (rapports des congrès nationaux ; procès-verbaux des réunions du comité directeur ; rapports du Secrétariat général avec les fédérations de Moselle, de Meurthe-et-Moselle, du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, du Nord et de la Seine ; documents concernant l’Internationale socialiste) et ceux des responsables et militants socialistes impliqués dans les relations avec le SPD : Michel Cépède, André Ferrat, Charles Lancelle, Jacques Piette, Pierre Rimbert, Maurice Deixonne, et surtout Guy Mollet.

Les AdsD conservent la presse du SPD, les comptes rendus de congrès, les fonds propres du SPD (actes des parlementaires, comptes rendus des réunions du Parteivorstand) et de son homologue sarrois, le Parti social-démocrate sarrois (SPS), ainsi que des archives de militants des deux partis. Les fonds de Heinrich G. Ritzel, Karl Mommer, Günter Markscheffel, Kurt Schumacher, Erich Ollenhauer et Carlo Schmid ont été plus particulièrement étudiés.

L’étude des journaux socialistes conservés à la Bibliothèque nationale de France ­ presse régionale de la SFIO, journaux du MDSEUE et presse social-démocrate de la Zone française d’occupation (ZFO) ­ permet de compléter l’examen des fonds d’archives.


Première partie
1945-1947 : le poids de la guerre et la lente normalisation des rapports entre le parti socialiste SFIO et le SPD


Chapitre premier
La SFIO et le SPD à l’épreuve du nazisme et de la guerre

Entre 1933 et 1944-1945, les partis socialistes français et allemands ont connu les heures les plus sombres de leur histoire. Pourtant, ni la répression ni l’exil n’ont totalement détruit la solidarité socialiste internationale, voire les liens particuliers entre les deux partis : les années 1933-1940 ont été l’occasion pour de nombreux sociaux-démocrates de bénéficier de l’aide de leurs camarades d’Outre-Rhin. Et même les années noires de l’Occupation ont vu des militants allemands combattre aux côtés des socialistes et des autres résistants français. Si l’exil et les luttes communes ne concernent qu’une minorité de militants, elles permettent tout de même une meilleure connaissance de l’autre, ainsi que la constitution d’un terrain favorable aux relations futures.

Dès la Libération, la SFIO, déjà dotée d’une organisation clandestine efficace, se reconstitue. La réapparition des socialistes sur le devant de la scène politique, ainsi que leurs espoirs de voir triompher leurs propositions, ne peut que favoriser la mise en place de nouveaux liens avec les sociaux-démocrates. Le SPD, encore mal organisé et souvent confronté à la double opposition des communistes et des autorités d’occupation, est en effet à la recherche d’« alliés » européens et il n’hésite pas à demander l’aide de ses camarades français. Dans le même temps, la SFIO semble disposer des moyens, et surtout de la volonté, d’apporter son soutien à son homologue allemand.

Chapitre II
Le parti socialiste SFIO et l’Allemagne des premières années de l’après-guerre : une vision originale des rapports franco-allemands ?

Entre 1945 et 1947, la SFIO développe une vision de la question allemande qui s’oppose pratiquement point par point au projet gaullien. Cette position, que les socialistes défendent à la fois à l’Assemblée, dans les diverses équipes gouvernementales françaises et au sein des instances du mouvement socialiste international, le Socialist International Liaison Office (SILO), puis le Comité international des conférences socialistes (COMISCO), se base sur un programme inspiré des idéaux de Léon Blum. Les socialistes rejettent d’abord, mais non sans un grand nombre de débats, l’idée d’une culpabilité collective des Allemands. De ce refus de confondre les nazis et le peuple allemand découle une politique originale, basée sur le refus du démembrement territorial et la volonté de régler de manière internationale les questions de la Rhénanie, de la Ruhr et de la Sarre.

Cette position est pratiquement fixée à la fin de l’année 1945 et la SFIO parvient à en préserver l’essentiel même si elle est obligée d’y intégrer un certain nombre d’éléments « nationalistes ». Ces derniers permettent d’ailleurs de rendre sa thèse acceptable au plus grand nombre. Finalement, l’échec des thèses de de Gaulle, les critiques grandissantes contre Bidault et l’attitude favorable de la population française face au plan Marshall, font des positions socialistes les seules susceptibles de réellement s’adapter au nouveau monde voulu par les Américains... Au début de l’année 1948, la vision socialiste, quelque peu revue et amendée dans un sens plus « national », est donc mise en pratique : Bidault accepte la coopération entre les trois zones, la double structure hiérarchique de la ZFO disparaît et le général Koenig lui-même doit se ranger aux idées de la SFIO...

de la reconstitution d’un parti frère à sa réintégration dans le mouvement socialiste international  — La volonté de rapprochement des socialistes français se manifeste très tôt. Dès octobre 1945, trois délégués se rendent ainsi en Allemagne. Ils examinent l’organisation de la ZFO et ne manquent pas de prendre contact avec les sociaux-démocrates locaux. Ces derniers apprécient cette attention. Dans l’entre-deux-guerre, l’exil parisien d’un bon nombre de dirigeants du Parti leur a de plus permis de connaître et d’apprécier leurs homologues français, et Léon Blum, Jules Moch ou encore Marcel Livian jouissent d’une réelle popularité dans leurs rangs.

Le SPD en cours de reconstitution entend alors profiter le plus possible de l’aide que les Français peuvent lui apporter : il soutient l’initiative des sociaux-démocrates demeurés en France de créer leur propre organisme, le Landesgruppe deutscher Sozialdemokraten in Exil(LGDSF), qui devient rapidement, sous la direction de Günter Markscheffel et de Max Cohen-Reuß, le relais essentiel entre les socialistes français et allemands. Les dirigeants du LGDSF, par ailleurs adhérents à la SFIO, rapportent au parti français les efforts d’organisation, les difficultés, mais également les plaintes de leurs camarades d’Allemagne occidentale ­ sur l’attitude des autorités militaires dans la ZFO, le retour trop lent des prisonniers de guerre antifascistes... La SFIO tente ensuite d’apporter son aide au SPD.

Les liens entre la SFIO et le SPD sont d’autant plus importants pour ce dernier qu’il demeure extrêmement isolé, en Allemagne comme sur la scène internationale. En effet, contrairement à ce qui s’est produit en France avec le tripartisme, le SPD des zones occidentales et de Berlin-Ouest a très rapidement refusé d’envisager une alliance avec les communistes du KPD. Les socialistes de la zone soviétique, qui adoptent l’attitude inverse, fondent en avril 1946, avec les communistes locaux, le Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED), dont un des buts devient bientôt la lutte contre les sociaux-démocrates. Le SPD souffre également de l’attitude des troupes d’occupation qui tendent à lui préférer des forces plus « conservatrices » comme l’Union chrétienne-démocrate (CDU). L’isolement social-démocrate est également réel au niveau du mouvement socialiste international : malgré les efforts du Président du SPD, Kurt Schumacher, le Labour (BLP) demeure méfiant et il refuse d’accorder un véritable soutien à ses camarades allemands. Cette attitude des travaillistes, aggravée par la méfiance des socialistes des pays de l’Est à l’égard du SPD, explique le long refus du SILO d’admettre le SPD dans ses rangs.

Sur tous ces points, la SFIO s’impose comme un des principaux alliés du SPD : forte des liens tissés dans l’exil, de la présence dans ses rangs de quelques véritables spécialistes des affaires allemandes ­ Salomon Grumbach et Alexandre Bracke-Desrousseaux en tête ­, elle défend la réintégration du parti allemand au sein du mouvement socialiste international et condamne les attaques dont Schumacher est l’objet ; elle n’hésite pas non plus à faire pression auprès du gouvernement français pour faciliter la vie des camarades allemands, tenter de mettre fin à l’existence de groupes qu’elle juge « cryptocommunistes », comme les groupes Antifa, ou régler des questions aussi difficiles que celle du Parti socialiste du Pays de Bade, tenté un moment par un désir d’autonomie vis-à-vis du SPD. Les membres de la SFIO semblent également être les représentants du mouvement socialiste les plus présents en Allemagne : outre la mission d’octobre 1945, les socialistes profitent de diverses enquêtes parlementaires pour visiter l’Allemagne et prendre contact avec leurs camarades : en mai 1946, le spécialiste des affaires allemandes de la SFIO, Salomon Grumbach, est ainsi le premier socialiste étranger à s’adresser publiquement à des sociaux-démocrates allemands depuis 1933. L’année suivante, les Français forment la délégation la plus importante lorsque les sociaux-démocrates célèbrent la réouverture de la maison de Karl Marx...

L’année 1947 marque un certain triomphe des conceptions de la SFIO. Au début de l’année, la situation internationale devient de plus en plus tendue. La politique américaine et les crispations croissantes en Europe ne permettent pas de régler calmement la question : en effet, la conférence des Quatre à Moscou, qui vise notamment à régler le problème allemand, apparaît très rapidement, du moins aux yeux des socialistes français, comme une réunion sans grand espoir. L’échec de la conférence est effectif dès le 24 avril 1947. Dans le même temps, les divisions entre les anciens alliés s’exacerbent encore le 12 mars, avec le discours de Truman devant le Congrès des Etats-Unis. A la suite de ce discours, et partout en Europe occidentale, les alliances socialo-communistes, qui avaient constitué une des premières forces politiques de l’après-guerre, disparaissent.

A la veille de la conférence socialiste internationale de Zurich, les alliés du Parti social-démocrate se trouvent essentiellement en Europe occidentale, ses adversaires en Europe orientale. Dans le premier groupe, les idées de la SFIO, soutenues dès l’origine par le Parti socialiste belge, triomphent largement. En juin, l’opposition du deuxième groupe demeure suffisamment forte pour que la conférence de Zurich ne permette pas encore de réintégrer le SPD. Mais le SILO se dote néanmoins d’un « comité de liaison » chargé de donner son avis sur le retour des sociaux-démocrates... Le comité, après avoir assisté au congrès national du SPD à Nuremberg, donne un avis favorable et en décembre 1947, le SPD revient enfin dans le mouvement socialiste international.


Deuxième partie
1948-1949 : La SFIO, le SPD et la question allemande


Chapitre premier
Le programme et l’organisation des deux partis : entre cohérence et divergence

Après la fin de la seconde guerre mondiale, les différences structurelles qui existaient déjà entre la SFIO et le SPD depuis leur création, à la fin du xixe  siècle et au début du siècle suivant, sont encore une réalité : l’organisation interne des deux partis, leurs rapports avec les syndicats ou encore les mouvements de jeunesse demeurent assez différents. Les années 1948 et 1949 sont également marquées par le déclin progressif des effectifs de la SFIO et de son influence dans les gouvernements de troisième force. Ce déclin ne passe pas inaperçu en Allemagne, où le SPD reconstitué apparaît au contraire comme un véritable « colosse », tout à fait susceptible de remporter les premières élections législatives d’Allemagne occidentale. Avec un rapport de force de plus en plus défavorable aux socialistes français, ces derniers perdent leur statut d’alliés privilégiés, le SPD préférant se tourner vers d’autres partis comme le BLP...

Ce changement d’attitude des sociaux-démocrates et leurs divergences avec les socialistes français ne les empêchent pas de lutter pour les mêmes valeurs, conformément aux principes du socialisme international. Certains événements de la fin des années 1940, comme la campagne anticléricale de Kurt Schumacher avant les législatives du 14 août 1949, ou encore le blocus de Berlin en 1948-1949, réactivent en effet les mécanismes de la solidarité socialiste, contre les cléricaux et contre les communistes.

Chapitre II
Les rapports hors du cadre strict des partis

La fin des années 1940 est marquée par deux profonds changements. Ce sont d’abord les liens personnels, tissés grâce aux réseaux des immigrés sociaux-démocrates et au LGDSF, qui disparaissent progressivement, sans être réellement remplacés. Les efforts de certains responsables demeurés en France, comme Max Cohen-Reuß, Josef Steiner-Jullien ou encore Alfred Frisch, ainsi que la mise en place de l’Union des groupes socialistes en Allemagne, ne parviennent pas à compenser la suppression de l’ancien organisme, même s’ils contribuent au règlement de quelques crises notamment lors de l’affaire Carlo Schmid, en 1949-1950. Les relations entre socialistes français et allemands se font à présent sur le plan plus formel des rencontres socialistes internationales, dans le cadre du COMISCO.

Cet aspect « formel » se renforce encore au début de la décennie suivante, avec la refondation de l’Internationale socialiste (IS). Il est néanmoins tempéré par divers facteurs, largement présents de 1948 à 1953. Un certain nombre de fédérations, limitrophes de l’Allemagne ou de la Sarre, comme celles d’Alsace et de Lorraine, ou très fortement marquées par les penchants « internationalistes » de leurs dirigeants, comme celle de la Seine, continuent ainsi à entretenir des liens privilégiés, hors du cadre strict des partis, avec les sociaux-démocrates allemands.

Les initiatives de ces fédérations sont bien accueillies en Allemagne et elles sont largement complétées, de part et d’autre du Rhin, par la forte activité des organismes de jeunesse. Dès 1946, et de manière accrue après 1948, le Sozialistischer deutscher Studentenbund(SDS) et les Sozialistische Jugend Deutschlands, ou SJD-Die Falken, en Allemagne, les Jeunesses socialistes(JS) et les Etudiants socialistes(ES) en France, multiplient les voyages et les camps de jeunesse. En 1949, les bonnes relations entretenues entre ces mouvements amènent même à la création d’une « Entente régionale du Rhin » dont le but est de favoriser le rapprochement franco-allemand ainsi que la construction européenne.

Chapitre III
La SFIO et le SPD face au nouvel état allemand

Au niveau des comités de direction du SPD et de la SFIO, les liens entre les deux partis sont mis à rude épreuve par la création de la RFA et par la politique allemande de la France. Cette dernière déplaît profondément aux sociaux-démocrates : les projets d’internationalisation de la Ruhr, en partie concrétisés par la mise en place de l’Autorité internationale de la Ruhr, mais également l’attitude du gouvernement français à l’égard de la Sarre provoquent un grand nombre de critiques dans les rangs du SPD. Les socialistes français, dont la position vis-à-vis de la Sarre et de la Ruhr, sans s’aligner sur celle du gouvernement, n’est pas non plus identique aux idées social-démocrates, sont indirectement touchés par les attaques du SPD et les tensions se multiplient lors des réunions socialistes internationales.

Pour autant, la crise ne doit pas être exagérée. En effet, les deux partis partagent globalement la même conception du nouvel Etat allemand et la SFIO soutient largement le SPD quand ce dernier s’oppose aux pressions « fédéralistes » des Alliés. Les deux partis conçoivent également la création de la République fédérale comme un mal nécessaire pour assurer la protection des population de l’Ouest vis-à-vis des menées soviétiques et estiment que le nouvel Etat ne doit pas remettre en cause le but essentiel du SPD, à savoir la réunification des deux Allemagne et le rétablissement des frontières de 1937...

La courte défaite électorale du SPD, rejeté dans l’opposition par la coalition du chancelier Adenauer, dont les socialistes français se méfient, contribue encore à éviter le dépérissement des liens entre les deux partis, la SFIO renouvelant à cette occasion son soutien au SPD.


Troisième partie
La SFIO et le SPD face à l’Europe : entre tensions et volonté d’entente


Chapitre premier
Socialistes, sociaux-démocrates et question européenne

Dans les années 1950, les rapports entre les partis socialistes français et allemands tendent à se focaliser sur la question de la construction européenne. Cette dernière passe par le règlement de divers conflits portant notamment sur le statut de la Sarre, région « disputée » depuis 1945 entre l’Allemagne et la France, ou encore sur un possible réarmement de la RFA. Sur la question de la Sarre, comme sur celle de la Communauté européenne de défense (CED) et du réarmement de l’Allemagne, les socialistes et les sociaux-démocrates n’ont finalement guère d’influence. En 1949-1950, ils bénéficient pourtant d’un certain nombre d’atouts et leurs projets sur la construction européenne et sur la manière d’intégrer l’Allemagne occidentale en Europe sont loin d’être inintéressants : que ce soit sur la forme politique de la nouvelle Europe, sur le règlement de la question de la Ruhr, ou encore sur la défense occidentale contre l’URSS, ils développent en effet un programme assez cohérent.

La SFIO, le SPD et leurs alliés disposent également avec le MDSEUE d’une structure internationale souple, susceptible de porter leurs projets européens, et animée par des responsables de valeur, comme Gérard Jaquet ou André Philip en France, Wilhelm Kaisen et Max Brauer en Allemagne... Ces responsables pensent que leurs deux partis doivent contribuer au rapprochement franco-allemand, avec comme but ultime la constitution d’une véritable organisation fédérale européenne, capable de dépasser les anciens rapports bilatéraux, et de s’imposer comme une nouvelle force sur l’échiquier politique international. Ils demeurent largement isolés au sein de leurs propres partis et, en 1953, le MDSEUE finit par être victime de querelles internes sur la question de la CED.

Chapitre II
Face à l’intégration progressive de la RFA dans les institutions européennes et mondiales : la persistance des craintes anciennes

Les « atouts » socialistes ne pèsent guère face aux trois principales raisons qui expliquent l’impuissance des socialistes français et allemands. C’est d’abord une situation internationale de crise qui stérilise toute politique non soutenue par les Etats-Unis : l’Europe, qui devait être une « troisième force » indépendante, est intégrée dans le camp occidental et se préoccupe essentiellement d’assurer sa cohésion économique et militaire contre une possible agression soviétique. La seconde raison est « nationale » et concerne l’incapacité des socialistes à peser réellement sur la politique nationale de leur pays : le SPD est confronté au « miracle économique » allemand et aux victoires diplomatiques du chancelier Adenauer. Son incapacité à faire face à cette situation le condamne à perdre largement les élections de 1953. En France, la SFIO, d’abord pilier des coalitions de Troisième force, se trouve progressivement rejetée sur leur aile gauche et elle pèse de moins en moins sur les politiques gouvernementales. Même son demi-succès aux législatives de 1951 ne parvient pas à modifier cette situation et elle finit par rejoindre les rangs de l’opposition. La dernière raison concerne l’incapacité des deux partis à définir ensemble une politique cohérente et à empêcher la dislocation continue des liens de l’immédiat après-guerre.

Ces liens sont encore fragilisés par l’attitude « nationaliste » de Kurt Schumacher et par la polémique qui entoure le rôle d’un des principaux dirigeants social-démocrates, Carlo Schmid, entre 1940 et 1944. Ils pâtissent également de la disparition de personnalités comme Léon Blum, ou encore Salomon Grumbach.

Les deux partis socialistes, qui se heurtent essentiellement sur l’unification de l’Allemagne et la nécessaire égalité des droits à lui accorder, ne parviennent donc pas à s’élever au-dessus de leurs préoccupations nationales. Ils n’opposent pas de front commun à la mise en place d’une Europe qui est pourtant loin de correspondre à leurs vœux.

Chapitre III
Les dernières crises et le retour définitif à des relations apaisées

Le début des années 1950 est marqué par un repli général du socialisme européen, qui n’épargne pas les partis français et allemand. Ce repli est quelque peu compensé par la renaissance, en juin 1951, de l’IS. Cette organisation, qui doit permettre aux socialistes de définir une politique commune à l’échelle européenne, voire mondiale, s’avère finalement assez peu efficace : les partis demeurent presque totalement autonomes et l’organisation ne parvient pas réellement à s’imposer sur la scène internationale. De même, elle ne parvient guère à renforcer les relations entre la SFIO et le SPD. Par ailleurs, ces relations sont mise à mal par le retrait ou la disparition des anciens « spécialistes » des affaires allemandes et elles tendent à devenir de plus en plus impersonnelles. Seules les réunions du MDSEUE, des groupes interparlementaires européens, ainsi que certaines conférences spécialisées organisées par l’IS ­ notamment celles des « Femmes socialistes », où se rencontrent Jeanne May, Herta Gotthelf ou encore Berthe Fouchère ­ permettent de compenser un éloignement de plus en plus marqué.

C’est donc en ordre dispersé que les socialistes français et allemands affrontent les grandes crises des années 1950, à savoir le réarmement programmé de l’Allemagne, la mise en place de la CED et le règlement de la question sarroise. Sur ces questions, les conceptions des deux partis divergent fortement, comme en témoignent un certain nombre de réactions de part et d’autre du Rhin, notamment au moment de la « campagne des notes » de Staline. Alors que le SPD met au premier plan la réunification allemande et qu’il lutte par ailleurs pour l’égalité complète des droits entre l’Allemagne occidentale et les autres pays, la SFIO défend avant tout l’intégration de la RFA au sein de l’organisation européenne et elle sacrifie, du moins dans l’immédiat, son souci de défendre la réunification de l’Allemagne...

Les divergences entre les deux partis ne doivent pourtant pas dissimuler un apaisement général des tensions. Les liens entre la SFIO et le SPD, plus impersonnels que par le passé, ne sont plus guère affectés par les tensions des années 1950. Jusqu’à l’arrivée de Guy Mollet à la Présidence du Conseil et aux critiques social-démocrates vis-à-vis de sa politique algérienne, les crises demeurent très étouffées.


Conclusion

De 1945 à 1953, les relations entre la SFIO et le SPD subissent de nombreuses évolutions. Elles tendent, au cours de trois périodes assez facilement discernables, à se dépersonnaliser et à perdre toute influence sur la définition des politiques française ou allemande. Ces années sont celles de la fin des illusions socialistes un peu partout en Europe. En France et en RFA, elles marquent l’échec relatif des politiques socialistes et enferment pour un temps les deux partis dans l’opposition. Sur le plan des relations entre les deux partis, elles marquent aussi la fin de deux héritages du passé : d’abord la disparition de socialistes qui, comme Salomon Grumbach, ont longtemps milité en Alsace et ont connu de l’intérieur le SPD comme la SFIO ; ensuite l’étiolement progressif du souvenir des années trente, quand Paris était une des capitales de la social-démocratie en exil et de la lutte commune contre l’oppression.

La période de 1945 à 1947 peut alors être comprise comme les dernières années où ces hommes et ces souvenirs conservent toute leur importance. Passé la réintégration du SPD au sein des instances du mouvement socialiste international, leur rôle ne cesse de décroître. Les années suivantes sont marquées par l’inversion irrémédiable du rapport de force entre le SPD et la SFIO et par le retour à la situation précédant l’arrivée au pouvoir des nazis : le SPD redevient une force majeure, tandis que la SFIO entame une longue « décadence ». Conscients de ce fait, les sociaux-démocrates ne cherchent plus réellement après 1947 à créer des liens forts avec la SFIO. Ils préfèrent développer leurs rapports avec les partis britanniques et scandinaves et tenter de faire passer leur point de vue au sein du COMISCO, puis de l’IS. Dans les années 1948-1953, c’est donc la SFIO qui tente d’entretenir ses liens avec le SPD, notamment grâce à Salomon Grumbach, ou encore à Marceau Pivert. Mais le désir des socialistes de conserver des relations étroites avec les camarades d’outre-Rhin s’étiole devant l’absence de soutien social-démocrate et la « politique du refus » incarnée par Kurt Schumacher. Les « crises » à répétition entre les deux partis ­ sur le plan Schuman, la CECA, la Sarre et la CED ­ épuisent finalement les bonnes volontés.

La période 1945-1953 est donc celle des occasions manquées. Avec les liens existants au sortir de la guerre, une entente réelle aurait sans doute été possible. Mais le poids conjugué des souvenirs de la guerre et de deux « nationalismes » bien réels fait avorter cette espérance. Les deux partis socialistes finissent ainsi par se cantonner dans les liens « institutionnels ».


Annexes

Dictionnaire biographique des socialistes français, allemands et sarrois impliqués dans les relations entre le Parti socialiste SFIO et le SPD. ­ Chronologie des congrès nationaux, des rencontres et des conférences internationales du SPD, de la SFIO, du MSEUE et des mouvements de jeunesses français et allemands (1944-1953).