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École des chartes » thèses » 2003

François-Henri de Montmorency-Bouteville, maréchal de Luxembourg (1628-1695)

Commander les armées pour Louis XIV.


Introduction

Le maréchal de Luxembourg fut l’un des plus fameux chefs d’armée du xviie  siècle et le général le plus en vue de la partie centrale du règne de Louis XIV. Or, si son nom reste bien connu, associé à ceux de ses victoires, l’homme et son parcours le sont beaucoup moins. Fils posthume de François de Montmorency-Bouteville, duelliste exécuté sur l’ordre de Louis XIII, cousin du duc Henri II de Montmorency, rebelle décapité en 1632, puis fidèle du prince de Condé, qu’il suivit en exil, celui qui devint duc de Luxembourg en 1661 fut un représentant éminent d’une haute aristocratie cherchant à défendre ses libertés et ses intérêts contre les velléités de la monarchie. Sa trajectoire exceptionnelle, due avant tout à ses capacités de général, permit cependant au comte de Bouteville de s’élever jusqu’au sommet de l’Etat. D’autre part, son expérience sur les champs de bataille, au cours d’une carrière qui dura de 1643 à 1694, en fait un témoin privilégié de la manière de combattre et de diriger les armées de la guerre de Trente ans à celle de la Ligue d’Augsbourg, période d’importantes évolutions. Le rôle déterminant qu’il joua pendant les guerres de Hollande et de Neuf ans, comme ses rapports directs avec Louvois puis Louis XIV, invitaient à une analyse minutieuse de son action et de sa participation à la direction des conflits. Derrière l’homme de guerre, qui tend à attirer tous les regards, se cache enfin un grand seigneur, un courtisan dont la personnalité, les relations et la fortune restaient à dévoiler et à mettre en perspective.


Sources

Malgré l’absence de papiers de famille, les sources disponibles ont permis une étude approfondie de la vie et de l’action de Luxembourg et un renouvellement de la documentation touchant le sujet. Avec les Mémoires des contemporains, ce sont les archives du Service historique de l’armée de Terre qui ont été les plus exploitées, et principalement, dans la série A1 , la correspondance qu’entretint Luxembourg avec Louvois puis, après la mort de celui-ci en 1691, avec Louis XIV et Barbezieux. Il s’agit là d’une source essentielle pour la connaissance du déroulement des opérations, mais surtout de l’élaboration des plans de campagne, de la vie à l’armée et de la façon dont le maréchal exerçait au quotidien son commandement. Diverses séries des Archives nationales ont été mises à contribution (séries M, O 1 , Y), de même que le Minutier central des notaires parisiens, dont le dépouillement a apporté nombre d’informations nouvelles sur la surface économique et sociale de Luxembourg. La Bibliothèque nationale de France (BNF) s’est révélée riche de documents concernant la Fronde, la période d’exil des fidèles de Condé aux Pays-Bas ou encore le procès relatif au rang de la pairie de Luxembourg ; la collection des Provinces a fourni de nombreuses pièces sur les domaines du duc de Piney et leur exploitation, et notamment le comté de Ligny-en-Barrois. La gestion de son patrimoine par Luxembourg a été appréhendée grâce aux fonds des archives départementales de la Meuse et de l’Aube. D’autres collections de la BNF (Mélanges Colbert, Clairambault, Dupuy) ont été explorées avec profit, de même que le cabinet des estampes. Les recherches menées dans les manuscrits des archives du ministère des Affaires étrangères, de la bibliothèque Mazarine et de la bibliothèque de l’Arsenal ont été fructueuses, particulièrement pour ce qui concerne l’affaire des Poisons, documentée par ailleurs dans les fonds de la Préfecture de police de Paris. Les archives du Musée Condé, outre les dépêches adressées à Condé par ses agents à Paris, conservent la correspondance entre Luxembourg et le prince, de la Fronde à la guerre de Hollande. Enfin, les lettres échangées entre Luxembourg, sa sœur la duchesse de Mecklembourg et son mari le duc Christian-Louis, conservées à Schwerin, ont constitué un apport intéressant.


Première partie
La carrière des armes


Chapitre premier
Le devoir de révolte

Fils et parent de deux criminels de lèse-majesté exécutés, le comte de Bouteville, dans sa jeunesse, semblait ne pas devoir échapper au contexte de lutte pour le maintien de l’ordre socio-politique ancien et pour le pouvoir qui marqua la première moitié du XVII e  siècle. Le nom même de Montmorency était désormais associé à la désobéissance et à la résistance de la société nobiliaire moins à la monarchie absolutiste qu’à la disparition du système clientélaire traditionnel. Mais François-Henri trouva dans les Condé, qui absorbèrent la clientèle des ducs de Montmorency, le meilleur soutien qu’il pût alors espérer. Adopté pour ainsi dire par la puissante maison princière, il choisit pour s’élever la voie des armes, gagnant à Lens en 1648 un brevet de maréchal de camp, avant que Louis II de Condé n’entrât à son tour en rébellion. C’est ainsi que Bouteville devint l’un des plus tenaces partisans du clan Condé, s’engageant dans la voie de l’exil aux Pays-Bas espagnols, après sa belle défense de la place de Bellegarde en Bourgogne. Il dévoila au cours de la guerre franco-espagnole, à la tête de corps de cavalerie, ses qualités de chef de guerre, et s’affirma comme l’un des plus habiles lieutenants de Condé. Malgré les difficultés, cette expérience des champs de batailles de la frontière nord du royaume et les sacrifices consentis pour son protecteur ne furent pas vains : si le comte passa à côté des récompenses offertes par Mazarin à ceux qui savaient négocier leur ralliement, Condé n’oublia pas la fidélité de son ami durant ces dix années de lutte.

Chapitre II
La soumission récompensée

Alors que la Fronde aurait pu anéantir tous les espoirs de Bouteville et l’enfermer dans une disgrâce sans fin, il n’en fut rien. En effet, Condé, qui regagnait peu à peu pouvoir et crédit, obtint pour son protégé, en 1661, la main de Charlotte-Madeleine de Clermont-Luxembourg, qui fit de lui un duc et pair et lui donna les moyens d’acquérir son indépendance. Cependant, Louis XIV n’oubliant rien de son passé, Luxembourg dut attendre son heure, qui vint en 1668, lorsque la guerre de Dévolution lui permit d’obtenir une charge de lieutenant général. Le roi de guerre avait besoin de généraux et d’hommes soumis : il trouva en François-Henri un chef d’armée talentueux qui sut afficher envers lui la même fidélité que celle dont il avait fait preuve au profit de Condé, tout en se conciliant les ministres comme Colbert. Cette conversion au culte monarchique et le rapprochement entre Luxembourg et Louvois, secrétaire d’Etat de la guerre en pleine ascension, lui valurent le gouvernement de la Hollande occupée en 1672 et la charge de capitaine des gardes du corps du roi en 1673, signes forts que le souverain adressait à une aristocratie dont l’obéissance devait être la seule voie conduisant à la fortune. François-Henri sut rétablir son crédit et se montrer habile au jeu de la faveur pour retrouver progressivement la bienveillance du roi. L’accession au maréchalat en 1675 vint couronner ce retour en grâce, dans lequel la priorité donnée par le roi à ses projets belliqueux et la protection de Louvois, dont Luxembourg devint l’ami, furent pour beaucoup. Turenne mort et Condé retiré des champs de bataille, la place était libre pour un homme ambitieux qui ne comptait pas en rester là.

Chapitre III
Les illusions de la gloire

Duc de Luxembourg, pair et maréchal de France, commandant de l’armée de Flandre et capitaine des gardes du corps du roi : l’ancien comte de Bouteville avait en 1675 obtenu tout ce qu’une carrière militaire réussie pouvait lui offrir. Malgré l’échec du secours de Philippsbourg en 1676, il prouva pendant les dernières années de la guerre de Hollande qu’il avait l’étoffe d’un grand général. Mais l’affaire des Poisons vint lui démontrer dès 1680 la fragilité de sa situation : innocent, il fut pourtant embastillé durant quatre mois, au cours desquels on le crut coupable de tentative d’assassinat et de pacte avec le diable. Il ne fut relâché qu’après un procès inique, qui lui valut, malgré l’absence de condamnation, une longue traversée du désert. Relégué sur ses terres pendant un an, il ne retrouva la bienveillance du monarque qu’en 1688. Les grâces s’accumulèrent alors pour lui et les siens. Nommé enfin à la tête de l’armée de Flandre en 1690, il se révéla l’homme de la situation. La gloire de celui qu’on surnomma le Tapissier de Notre-Dame, à cause du nombre des drapeaux qu’il prenait à l’ennemi ­ on les suspendait alors dans la cathédrale de Paris ­, de même que son ambition et le statut qu’il acquit après la mort de Louvois en 1691, le conduisirent à briguer une position encore plus élevée à la cour et à intriguer dans l’entourage du dauphin. Une mort soudaine, en janvier 1695, brisa ces projets. Si Luxembourg était devenu indispensable par ses talents de chef d’armée, Louis XIV ne tenait pas à le distinguer davantage. Les généraux n’avaient plus alors l’influence de leurs prédécesseurs, l’exercice du pouvoir n’ayant jamais été autant réduit aux seules décisions d’un souverain qui n’acceptait plus de voir ses ministres ou les grands faire de l’ombre au soleil.


Deuxième partie
De la conduite de la guerre


Chapitre premier
L’art du commandement

Le déroulement des guerres de Hollande et de la Ligue d’Augsbourg, durant lesquelles Luxembourg exerça ses principaux commandements, est bien connu, mais il n’en est pas de même des ressorts de l’action des chefs d’armée qui en furent des acteurs décisifs. Les sources permettent de comprendre comment les informations étaient collectées, transmises et exploitées, de quelle manière et à quel niveau les plans de campagne étaient préparés et les décisions prises, et comment les ordres étaient communiqués et mis en œuvre. Le renseignement se révèle ainsi une des activités principales du chef d’armée. La collaboration du maréchal avec le secrétaire d’Etat de la guerre fut bonne, quoique marquée de désaccords et de périodes de froid inévitables étant donné le dirigisme de Louvois. Il en fut de même avec Louis XIV, qui fait apparaître dans ses lettres une inquiétude et des hésitations qu’on lui connaît peu par ailleurs. Il laissa à son général plus de liberté, même si la stratégie globale était élaborée à Versailles. La rupture dans la répartition des tâches entre les généraux et la cour se situe plutôt, pour ce qui concerne l’armée de Flandre, en 1691 qu’en 1675. Finalement, c’est quand le roi venait à l’armée que les dissonances étaient les plus aiguës. Ne pouvant être simultanément chef d’orchestre et soliste, Louis XIV devait diriger ses généraux à la baguette depuis la cour, en tâchant de leur faire suivre une partition qui cherchait à limiter le plus possible l’improvisation ; mais il ne pouvait se substituer à eux pour les décisions à prendre sur le terrain. Il reste que ce système de commandement à distance, qu’on peut appeler stratégie de cabinet, si l’on n’entend par là que la gestion des grandes orientations des campagnes, provoqua un certain immobilisme, tantôt accepté voire entretenu par Luxembourg, tantôt combattu par lui lorsqu’il désirait exploiter la mobilité de ses troupes.

Chapitre II
Le maréchal en action

Luxembourg passa une grande partie de sa vie dans les camps : l’étude de cet univers et du rôle du chef d’armée au quotidien était nécessaire pour comprendre le personnage et, à travers lui, les conditions dans lesquelles la guerre était alors menée. Le maréchal s’impliquait constamment dans ses diverses missions : faire subsister les troupes placées sous sa responsabilité, frapper les forces ennemies et exploiter leur territoire. Les questions de discipline et de lutte contre la désertion reviennent sans cesse dans la correspondance, comme les problèmes d’approvisionnement, prioritaires dans les décisions des généraux. Luxembourg se montra efficace dans le domaine de la levée des contributions, mais bien moins que ne le désirait Louvois, qui fut, par ses injonctions à la fermeté, le principal responsable des exactions commises en Hollande ou en Flandre. Contrairement à sa réputation sanguinaire, le maréchal ne fut pas particulièrement violent, bien qu’en bon courtisan il se fût attaché à contenter sur ce point les demandes d’un Louis XIV qui n’était pas le plus enclin à la modération. Luxembourg sut s’entourer de collaborateurs de talents, comme les futurs maréchaux de Puységur et de Montesquiou, et prit soin d’entretenir de bonnes relations avec les officiers placés sous ses ordres. La bataille était pour lui un objectif primordial car potentiellement décisif. Les études de cas permettent d’évaluer son influence sur le déroulement de l’action. Si on ne peut dégager de schéma tactique commun chez un homme avant tout pragmatique, on peut souligner sa prédilection pour l’offensive, l’usage privilégié de la cavalerie, la charge à l’arme blanche et l’exploitation des capacités morales de soldats conquis par un chef qui n’hésitait pas à participer au combat.

Chapitre III
Luxembourg dans la guerre de la Ligue d’Augsbourg

La guerre de la Ligue d’Augsbourg imposa aux militaires des conditions nouvelles, dont un accroissement important des effectifs, auquel le maréchal sut s’adapter puisqu’il compensa la perte de mobilité qui en résulta par une concentration des forces lui permettant de vaincre des alliés désunis. L’étude des choix réalisés entre 1690 et 1694 par Luxembourg et la cour permet de mieux comprendre les priorités stratégiques qu’ils défendaient et la part de chacun des protagonistes dans les processus de prise de décision. Les opérations font apparaître le caractère déterminant de la présence sur le terrain, nécessaire pour s’adapter à une situation toujours susceptible d’évoluer. La comparaison entre ces cinq années, qui se soldèrent par de maigres avantages pour la France, malgré les victoires, a conduit en outre à relever des constantes témoignant d’un certain blocage stratégique qui fut déterminant dans l’impossibilité rencontrée par les belligérants à prendre des avantages réels dans un conflit qui n’en finissait pas de ne plus finir. Si Luxembourg fut accusé de ne pas savoir profiter de ses succès, c’est essentiellement parce que les problèmes d’intendance ou les ordres reçus l’empêchèrent d’exploiter des victoires toujours sanglantes et obtenues au prix d’efforts logistiques difficilement renouvelables. Le blocage n’était pas tactique, puisque le maréchal sut faire la différence sur les champs de bataille, mais les besoins en approvisionnement dépassaient les moyens dont il disposait. La frilosité de Louis XIV, adepte d’une guerre de sièges plus économe, contribua aussi à la perpétuation d’une guerre d’usure.


Troisième partie
Les fruits de la gloire


Chapitre premier
Le premier baron chrétien

Gentilhomme accompli, apprécié des femmes, bon vivant, courtisan, tel fut le maréchal de Luxembourg, dont la personnalité comme la silhouette contrefaite ne laissaient personne indifférent. Homme d’esprit, ami de Racine, il sut aussi par son affabilité se ménager de nombreuses relations à la cour. Il resta toujours en très bons termes avec sa sœur, la duchesse de Châtillon devenue duchesse de Mecklembourg. Célébré par la jeune noblesse militaire et les princes (Monseigneur, Conti, Vendôme, le duc de Chartres), il entretint l’amitié de Seignelay tout en gardant des rapports satisfaisants avec Louvois. Il s’investit peu dans ses gouvernements, ceux de Champagne puis de Normandie, mais, en tant que maréchal et capitaine des gardes du corps, son influence et son crédit dans l’armée en faisait un protecteur recherché. Sa volonté de briguer l’ancien rang de la pairie de Luxembourg, qui le fit s’opposer à la plupart des ducs et pairs, dont le jeune Saint-Simon, lui valut un procès interminable. Prenant en main les destinées de la maison de Luxembourg dont il était devenu le chef en 1661, il prétendit aussi à la possession du duché de Luxembourg, sans succès, et au statut de prince étranger, en vain. Il chercha par ailleurs à redorer le blason des Montmorency, obtenant d’ailleurs, en 1688, le titre de duc de Montmorency pour son fils aîné. Une stratégie familiale aboutie lui permit de reconstituer un lignage puissant, ce dont témoigne l’ascension et les alliances de ses fils, notamment l’aîné, Charles-François-Frédéric (le père du second maréchal de Luxembourg) et le dernier, Christian-Louis, qui devint le maréchal de Montmorency.

Chapitre II
La fortune du maréchal de Luxembourg

L’étude de la fortune d’un personnage aussi considérable que Luxembourg était essentielle pour comprendre son statut social, ses moyens d’action, son crédit et son train de vie. Les terres familiales des Montmorency-Bouteville, dont Précy-sur-Oise, près de Chantilly, étaient relativement peu importantes, et le jeune comte de Bouteville dut souvent compter sur la maison de Condé ou ses amis pour vivre. L’exil aux Pays-Bas espagnols aggrava sa situation financière, même si, comme Monsieur le Prince, il retrouva son bien à son retour. C’est son mariage en 1661 qui fit de lui un grand propriétaire. Cependant, la fortune des Luxembourg était alors en péril et le duc dut la défendre face à ses créanciers. Sa gestion fut longtemps chaotique, jusqu’à ce qu’il reprît en main ses affaires après sa libération en 1680. Toutefois, ses appuis à la cour et dans la robe parisienne l’aidèrent à repousser les échéances et des revenus importants, tirés notamment des ventes de bois de ses beaux domaines de Ligny-en-Barrois et Piney, en Champagne, lui donnèrent les moyens de mener grand train à Versailles comme à l’armée, où il devait tenir son rang. Ses campagnes ne lui furent guère avantageuses, car elles lui coûtaient cher et lui rapportaient peu ; seules les gratifications et les charges offertes par Louis XIV le mirent en état de payer son équipage. Il put effectuer des investissements réfléchis, dont les plus importants, après l’acquisition de la charge de capitaine des gardes du corps, furent l’achat d’un hôtel à Paris en 1669 puis celui de la terre de Beaufort, en 1688, qui prit le nom de Montmorency. Si la stratégie financière et patrimoniale du maréchal subissait la pression que faisaient peser sur lui ses créanciers, elle se doubla d’une volonté ferme de maintenir intacts et même d’accroître les domaines hérités de la maison de Luxembourg, dont il parvint à affermir l’assise économique, même s’il laissa à sa mort d’énormes dettes et une succession difficile.

Chapitre III
Une image contrastée

Luxembourg connut, à partir de ses campagnes en Hollande, une renommée européenne due autant aux dévastations perpétrées par ses troupes qu’à ses victoires. Les récits de ses campagnes véhiculés par les périodiques, les chansons à sa gloire, mais aussi la haine qu’il cristallisait et les pamphlets hollandais, dont il était un personnage récurrent, firent de lui une personnalité familière aux hommes de la seconde moitié du xviie  siècle. Le maréchal participa lui-même à la construction de son image, principalement à travers ses relations de batailles. Célébrées de son vivant, regrettées à sa mort, ses qualités de chef de guerre en firent au XVIII e  siècle un modèle, et au xixe  siècle la parfaite figure du grand capitaine. Cependant, la face sombre de son image complexe est plus singulière. L’affaire des Poisons répandit en effet dans toute l’Europe le mythe du pacte de Luxembourg avec le diable, créant une légende noire qui connut une vitalité exceptionnelle dans la littérature et le théâtre populaires, puisqu’on en trouve encore trace au début du xixe  siècle en Allemagne, où on comparait le maréchal à Faust. D’autre part, il était aussi pour les défenseurs de la raison d’Etat et de l’absolutisme un des modèles de l’aristocratie rebelle et frondeuse. Or il est ensuite devenu le parangon des serviteurs du roi, protégeant sa personne, gardant la frontière de son royaume, tout en étant l’un de ses principaux conseillers en matière militaire et un zélé courtisan. L’homme d’un grand, le prince de Condé, transformé en l’homme d’un roi : Luxembourg devint finalement un symbole de la collaboration à la monarchie louis-quatorzienne et des profits que la noblesse la plus avisée pouvait en tirer.


Conclusion

Orphelin de père par la volonté du roi, privé de son protecteur naturel, le duc de Montmorency, lui aussi exécuté par la monarchie, le comte de Bouteville fut expulsé d’un corps politique convulsé par la naissance dramatique de l’absolutisme. Il hérita d’un nom fameux entre tous, mais devenu synonyme de résistance aux attaques portées par la couronne aux libertés nobiliaires. Chef de guerre hors pair, sa carrière militaire fut le levier principal d’une ascension lente et contrariée par la Fronde et l’exil, mais réussie grâce à la soumission qu’il afficha envers Louis XIV. Malgré son implication dans l’affaire des Poisons, il parvint contre toute attente à retrouver une place de choix à la cour, où il sut cueillir les fruits de ses victoires. Cependant, l’intime confiance du roi lui manqua toujours et il ne put obtenir plus que le rétablissement des Montmorency dans le cercle des élites associées au pouvoir monarchique, ce qui était déjà beaucoup au vu de sa situation lorsque le roi commença à gouverner personnellement. Ce parcours tumultueux, marqué par l’alternance de la faveur et de la défaveur, révèle ainsi l’adaptation progressive et forcée de l’aristocratie à l’ordre socio-politique que cherchait à établir le roi, et particulièrement celle des officiers militaires dont la collaboration avec la couronne fut facilitée par un contexte belliqueux favorable. Luxembourg, par sa détermination, sut forcer le destin les armes à la main, mais dut finalement accepter de renoncer à certaines de ses ambitions qui étaient celles d’une époque révolue.


Pièces justificatives

Discours de François de Bouteville devant le Parlement. ­ Confirmation du duché et pairie de Piney en mars 1661. ­ Provisions de capitaine des gardes du corps de 1673, et pouvoir de commander l’armée de Flandre de 1675. ­ Exemple de pacte avec le diable et requête de la duchesse de Luxembourg en 1680. ­ Edition de la correspondance conservée entre les Luxembourg et le duc et la duchesse de Mecklembourg en 1671-1672 et 1688 (28 lettres). ­ Instructions du maréchal à ses troupes pour les fourrages et la disposition à respecter durant les combats. ­ Relations des batailles des Dunes, de Fleurus, Leuze et Neerwinden. ­ Testament de Luxembourg et extraits de son oraison funèbre.


Annexes

Cartes des campagnes de Flandre de 1690 à 1694. ­ Vues et plans des batailles de Saint-Denis, Fleurus, Leuze, Steinkerque et Neerwinden. ­ Schémas de la transmission des informations et des ordres entre la cour et l’armée pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. ­ Tableaux généalogiques (ascendance et descendance du maréchal, alliances avec les Condé, ducs de Luxembourg). ­ Portraits. ­ Plans de Ligny-en-Barrois et de l’hôtel de Luxembourg. ­ Pages des signatures du contrat de mariage du maréchal. ­ Index.