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École des chartes » thèses » 2003

L’acte occitan dans le comté de Toulouse aux xiie et xiiie siècles : le cas des seigneuries de Dourgne et Puylaurens et de Bessières et Buzet

Édition et commentaire.


Introduction

L’édition d’actes en langue d’oc datés et localisés permet de poser des jalons dans l’évolution de cette langue. Une entreprise nationale, les Documents linguistiques de la France, vise du reste à éditer les documents originaux en langue vernaculaire antérieurs à 1270 ; c’est dans cette perspective que s’inscrit cette édition. Le corpus retenu est constitué par les chartriers de deux groupes de seigneuries laïques, Dourgne et Puylaurens (Tarn) et de Bessières et Buzet (Haute-Garonne), situées au cœur du comté de Toulouse, dans le Languedoc.


Sources

Les actes qui sont édités dans cette thèse sont tous issus du chartrier des comtes de Toulouse, conservé dans le Trésor des chartes, aux Archives nationales, à Paris (J 301 à J 331). Certains des actes ont été copiés dans le cartulaire de Raymond VII (Arch. nat. JJ 19). Il n’y a guère d’archives concernant les seigneuries de Dourgne et Puylaurens et de Bessières et Buzet dans les services d’archives départementales de Haute-Garonne et du Tarn, hormis dans le fonds Edmond Cabié, contenant les papiers de cet érudit local du xixe  siècle qui a beaucoup étudié l’Albigeois.


Première partie
Le contexte archivistique


Chapitre premier
Le chartrier des comtes de Toulouse

Les actes du corpus appartiennent à des chartriers seigneuriaux qui ont ensuite intégré le chartrier des comtes de Toulouse. Certains de ces documents portent la trace de leur utilisation à des fins administratives, notamment des mentions dorsales. L’étude de ces mentions révèle que le chartrier comtal est resté sur place, à Toulouse, à la mort du dernier comte, Alphonse de Poitiers, et qu’il a été utilisé par les agents royaux, qui y ont fait entrer les actes rédigés au nom du roi de France agissant en tant que successeur des comtes de Toulouse. Ce n’est probablement qu’en 1361, lorsque le comté de Toulouse a été réuni au domaine royal par Jean le Bon, que le chartrier a été transféré à Paris, où il constituait la layette CCCX en 1420. Cette layette fit ensuite l’objet d’un inventaire particulier à la fin du xve  siècle (Arch. nat. JJ 283), inventaire qui nous donne une idée précise des actes alors conservés.

Chapitre II
Le corpus retenu

Le chartrier des comtes de Toulouse comporte plus de 1000 actes, parmi lesquels 235 sont rédigés en langue d’oc, mais un seul registre, le Cartulaire de Raymond VII, rédigé à la fin de la dynastie raymondine. Ces documents sont variés et ont été établis dans une grande proportion pour des seigneurs autres que le comte de Toulouse. Ils ont intégré le chartrier comtal à mesure de l’acquisition des diverses seigneuries par les comtes. Les actes occitans étant trop nombreux pour une thèse d’Ecole des Chartes, il a fallu déterminer arbitrairement un corpus qui s’est organisé autour de deux groupes de seigneurs à Dourgne et Puylaurens, et à Bessières et Buzet, et de quelques scribes et notaires dont Guillaume Pierre Polleir, qui a rédigé 62 des 185 pièces retenues et Jean de Malaura, qui en a composé 18. Ces actes ont été écrits entre 1165 et 1258.

Il y a une grande disproportion entre les sources concernant Dourgne et Puylaurens, dont les seigneurs sont connus et ont participé à l’histoire de la région auprès des vicomtes Trencavel (notamment au cours de la Croisade des Albigeois) et les sources concernant Bessières et Buzet, pour lesquelles nos actes constituent la source essentielle. Toutefois, les deux seigneuries partagent la même histoire aux xiie  et xiiie  siècles : croissance, puis difficultés économiques ; floraison de la langue d’oc ; vicissitudes liées à la Croisade des Albigeois, bien que ces derniers événements n’aient pas de conséquences visibles dans les actes édités. Buzet est devenue une bastide comtale, dotée de privilèges en 1241, après l’achat des terres de cette ville par Raymond VII.


Deuxième partie
Etude diplomatique et juridique


Ces actes sont très riches et méritent d’être abordés sous de multiples angles. Ils permettent de se faire une idée plus précise du formulaire occitan et de ses rapports avec le formulaire latin, comme de l’importance croissante de la place de l’écrit. Ils donnent un aperçu sur les petites seigneuries laïques du Toulousain et la façon dont elles étaient gérées, ainsi que sur les relations entre les seigneurs. Enfin ce sont des exemples de chartriers seigneuriaux, dont seuls quelques-uns ont été étudiés, et leur histoire archivistique ne peut que se révéler intéressante.

Chapitre premier
Formulaire des actes

Caractères externes des actes.  — Les actes, rédigés sur parchemin, se présentent dans leur grande majorité comme des carte non transverse, dépourvues de marge. La mise en page est simple, l’écriture passe de l’écriture diplomatique du xiie  siècle à une écriture qui devient plus cursive.

Caractères internes des actes.  — Le formulaire est très simple et se réduit aux clauses essentielles. Les actes ne contiennent pas de préambule, mais commencent par une notification plus ou moins développée, immédiatement suivie du dispositif. Les clauses secondaires (clause de garantie, clause de tradition) deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus longues au XIII e  siècle. La clause de garantie est la première à subir l’influence du droit romain. Le protocole final se compose de la date de temps et de lieu. Les actes sont presque tous datés et suivent probablement le style de l’annonciation, qui a été retenu pour convertir les dates en nouveau style.

Moyens de validation des actes.  — Le moyen de validation le plus utilisé reste la souscription de tiers qui est générale dans les actes du corpus, ainsi que la souscription du scribe qui s’inscrit ou non au nombre des témoins. Nombreux aussi sont les actes chirographes, exclusivement avec des devises alphabétiques. Enfin le seing manuel n’est utilisé que par un notaire, Jean de Malaura, au xiiie  siècle.

Conclusion.  — Le formulaire des actes se perfectionne et se systématise au cours de la période couverte par les actes du corpus. Ce formulaire occitan, bien que très proche du latin, a néanmoins ses spécificités.

Chapitre II
Typologie des actes

Les actes du corpus recèlent une certaine diversité, mais ils sont la conséquence de trois principaux types de contrats et des accords intervenant entre seigneurs.

Les accords.  — Les accords représentent la majorité des actes du corpus des actes de Dourgne et Puylaurens : ils résultent d’ententes et de conciliations intervenant nécessairement entre co-seigneurs, mais aussi d’actes de gestion plus courante comme les échanges et les partages. Ce type d’acte est plus rare à Bessières et Buzet, corpus qui date de la première moitié du XIII e  siècle.

La vente.  — Les ventes suivent un formulaire qui s’est normalisé, dont les clauses secondaires subissent une inflation. C’est dans ces actes que se trouvent les premières traces d’influence du droit romain, et les premières renonciations. Dans le cas de la vente d’une tenure à cens, l’acte de vente est suivi d’un bail à cens, dans lequel le seigneur investit l’acquéreur.

Les baux à cens.  — Les baux à cens constituent la majorité des actes de Bessières et Buzet. Ils présentent un formulaire stéréotypé, que ce soit chez Guillaume Pierre Polleir et Jean de Malaura. Les seigneurs exploitent de façon indirecte leur patrimoine en le concédant à cens à des tenanciers. Les tenures sont appelées dans le Toulousain «  feu », et les baux à cens contenus dans le corpus sont des exemples de ce que Hubert Richardot a appelé le « fief roturier » toulousain, qu’il a étudié en détail. Les clauses sont les mêmes ; le bien est cédé moyennant des redevances à payer : cens, acapte, arrière-acapte, divers droits de seigneurie, droits de lauzime, et une amende de justice, spécifique au Toulousain, que le tenancier doit payer à son seigneur s’il est mis en accusation à juste titre dans une affaire concernant son fief.

Actes et servage.  — Le servage existe dans le Toulousain aux xiie  et xiiie  siècles. Si certains actes sont explicites comme les actes d’autotradition ou les actes de cession d’une femme par un seigneur pour cause de mariage, dans d’autres actes le statut des tenanciers est ambigu : on ne sait s’ils sont serfs ou hommes libres.

Emprunt et mise en gage.  — La mise en gage est un moyen fréquent de prêter de l’argent avec intérêt, grâce à l’utilisation du mort-gage : les revenus du gage ne viennent pas en déduction du total de la somme. C’est aussi un moyen de caution pour garantir l’exécution d’un contrat. Les cautions personnelles, fidejusseurs, sont également utilisées.

Conclusion.  — Les actes de ce corpus reflètent des relations existant entre les hommes d’une part, et entre les hommes et la terre d’autre part, sous une forme qui se perfectionne au cours de la période couverte. Ils gardent trace de la gestion par les seigneurs d’un patrimoine qui peut être varié : terres, maisons, serfs, droits et redevances.

Chapitre III
Ecrit, notariat et droit romain

La tradition de l’écrit et de l’acte privé est très forte dans le Midi de la France et les actes qui composent ce corpus ne la démentent pas. Ils sont rédigés par plusieurs scribes, mais bien que ce soit la période d’apparition du notariat public, seul l’un d’eux, Jean de Malaura, se donne le titre de «  notarius publicus ». Il se nomme aussi «  escriva comunal », de même que Guillaume Pierre Polleir, mais on ne sait pas s’ils ont été investis par une quelconque autorité. Ces deux notaires ont rédigé à eux seuls plus de la moitié des actes qui sont édités, et ce sont eux qui utilisent le formulaire le plus abouti et normalisé. Ils ont de toute évidence reçu une formation, mais on n’a aucune indication à ce sujet. Cela correspond à la mise en place du notariat public, parallèle aux débuts de l’influence du droit romain dans les actes au travers des clauses de renonciations notamment. Malgré le nombre d’actes que Jean de Malaura a rédigé, il ne recourt au droit romain que dans un seul acte, ce qui montre qu’à ses débuts ce dernier n’était pas utilisé systématiquement. Il était réservé pour certaines circonstances, parmi lesquelles les transactions concernant des gens aussi importants que le comte de Toulouse.


Troisième partie
Edition des actes


Les règles suivies pour cette édition sont fortement inspirées de celles adoptées par la collection des Documents linguistiques de la France, ainsi que des règles d’édition professées à l’Ecole des chartes.


Conclusion

L’évolution des actes occitans concernant Dourgne et Puylaurens et Bessières et Buzet reflète l’évolution générale des actes privés dans le Midi de la France, même si elle accuse un certain retard par rapport au Bas-Languedoc. Le formulaire occitan, très proche du formulaire latin mais doté d’une identité propre, se perfectionne ; il est perméable à l’influence du droit romain qui imprègne les formules autant que les contrats eux-mêmes. La langue des actes est assez homogène : elle correspond au dialecte toulousain, avec quelques influences de l’albigeois.


Annexes

Edition d’actes latins. ­ Tableaux de correspondance. ­ Table des scribes. ­ Catalogue des actes. ­ Catalogue des autres actes occitans. ­ Cartes. ­ Relevé phonétique. ­ Glossaire. ­ Lexique juridique et seigneurial. ­ Index.