Raimond VII de Toulouse et la paix de Paris (1229-1249)
Introduction
La paix de Paris (11 avril 1229) est souvent considérée comme un jalon de première importance dans le rattachement du Languedoc à la couronne : à la faveur de la conjoncture, elle aurait préparé le passage de la grande principauté méridionale sous la domination capétienne, en liant les mains du dernier des comtes de Toulouse issus de la maison de Saint-Gilles. Pour en évaluer le poids, il convient d’examiner comment le comte Raimond VII en appliqua les termes, de relever les réactions suscitées par son attitude et de déchiffrer les priorités de l’Eglise et de la couronne, sous-jacentes soit aux sanctions et menaces, soit au contraire à la tolérance, voire aux faveurs, que ces deux pouvoirs prodiguèrent au comte à l’occasion de ses manquements.
Sources
Dans leur majeure partie, les sources de cette histoire ont été éditées, qu’il s’agisse des principales sources diplomatiques (Layettes du Trésor des chartes, registres pontificaux) ou de l’abondante documentation publiée pour le xiiie siècle, sous forme de recueils ou à titre de preuves, par les divers historiens du Languedoc. La Chronique de Guillaume de Puylaurens représente une source narrative de première importance, que viennent compléter des chroniques ou annales de moindre ampleur et d’une fiabilité moins bien établie.
Première partieL’établissement de la paix de Paris
Chapitre premierLa genèse de la paix
La croisade menée par Louis VIII fut précédée d’une grande activité diplomatique, avec pour protagonistes le comte Raimond VII, le roi
et le pape. L’intention du roi était manifeste : il attendait de la croisade un bénéfice matériel d’importance. Les dispositions du
souverain pontife étaient plus complexes et louvoyantes : le pape appelait à la croisade contre Raimond et ne pouvait se passer du bras
séculier, mais au cas où les conditions posées par la couronne ne lui conviendraient pas, il se trouvait disposé à traiter avec celui
qu’il condamnait. Pour Raimond, il s’agissait d’éviter l’accord des deux puissances, qui lui aurait été fatal, et de ne pas se contenter
de la légitimité héréditaire sur laquelle reposait son pouvoir, celle-ci ne suffisant pas à l’assurer de la possession de sa principauté
si elle n’était étayée par une autre forme de légitimité, conférée par la reconnaissance du roi ou de l’Eglise ; une fois son héritage
récupéré par la force, il aurait donc besoin d’une paix en bonne et due forme.
Deux ans de fluctuations et de négociations furent
nécessaires pour aboutir à une entente entre Louis VIII et le légat Romain de Saint-Ange contre Raimond, c’est-à-dire à la croisade. Mais,
à cause du retard pris au siège d’Avignon, la campagne royale de 1226 ne fut pas décisive et il fallut en prévoir une nouvelle ; ce fut
ensuite la mort prématurée du roi qui laissa quelque répit aux Toulousains. Menée du côté croisé par Humbert de Beaujeu, la guerre n’en
continua pas moins, mais sans qu’aucun des camps eût les moyens d’obtenir une victoire totale et définitive. Il revint donc au légat
d’envisager une paix avec Raimond, tandis qu’Humbert de Beaujeu ravageait les environs de Toulouse : la paix devenait ainsi une nécessité
impérieuse pour Raimond, dans le camp duquel des voix s’élevaient en ce sens.
Le comte accepta les pourparlers, puis, en janvier
1229, un projet de paix négocié par l’abbé de Grandselve. Mais lors des négociations de Meaux auxquelles il participa, ce projet fut
modifié en sa défaveur ; les clauses furent encore alourdies à Paris, sans que l’on sache de manière certaine la part qui en revint à
chacun des négociateurs.
Chapitre IILa paix de Paris
Le texte de la paix de Paris est connu. Le roi Louis IX et le légat reçurent le serment d’en respecter les conditions de la part d’un Raimond VII qui, plus que de vaincu, faisait figure de pénitent. Pour lourdes que fussent les clauses, il ne s’agissait pas tant d’une capitulation que d’un véritable traité. Si, lors des négociations, on avait profité de la situation de faiblesse de Raimond, on lui reconnaissait finalement le comté de Toulouse, mesure qu’il n’espérait pas et dont il ne marchanda pas le prix. La reconnaissance était précaire, certes, puisque le comté dont on lui concédait la conservation était destiné à passer ensuite au frère du roi, son futur gendre. Pourtant, toute précaire qu’elle fût, cette disposition signifiait bien qu’on n’avait pu trouver d’autre solution et pourrait être interprétée comme la marque d’une victoire en demi-teinte de Raimond VII : n’ayant pu soumettre le comte, on s’efforçait de le contenir au plus près ; de son côté, le comte acceptait la paix, en espérant sans aucun doute améliorer son sort à partir de l’acquis précieux que représentait la reconnaissance du comté de Toulouse.
Chapitre IIILa mise en œuvre immédiate de la paix
Le jour même, Raimond VII vit sa situation régularisée auprès des deux autorités spirituelle et temporelle : il reçut l’absolution et il
prêta hommage au roi. Il demeura captif, pour cautionner l’application des premières clauses du traité, dont la remise de sa fille aux
gens du roi ; durant son séjour à la cour, il bénéficia de la bienveillance de la régente et du roi, et, à l’instar de ce dernier, de
celle du légat ; dès cette époque, on lui accorda quelques accommodements par rapport aux articles de la paix.
Le légat prit en main
la mise en œuvre de la paix dans le comté de Toulouse : il promulgua les canons du concile de Toulouse qui en précisaient certaines
clauses, notamment dans le domaine de la recherche de l’hérésie.
Deuxième partieLa paix de Paris dans la “grande politique” de Raimond VII
Chapitre premierLe parti de l’empereur (1230-1234)
Par la paix de Paris, le comte Raimond VII avait définitivement abandonné à l’Eglise de Rome le marquisat de Provence. Mais il fit ce
qu’il put, avec une part de succès, pour revenir sur cette cession. Dès octobre 1229, il s’intitulait marquis de Provence devant son
allié, le comte de Foix. A la fin de 1230, il avait repris pied outre-Rhône, en se portant au secours de Marseille qu’assiégeait le comte
de Provence Raimond-Bérenger ; cette action lui valut une partie de la seigneurie de Marseille, situation qui devait rester un casus belli
permanent entre les deux comtes. Raimond VII bénéficia, en outre, des faveurs de la couronne qui intervint auprès du pape Grégoire IX pour
que lui fût restitué le Venaissin, au motif que l’unique héritière de Raimond allait épouser le frère du roi. Le pape n’excluait pas une
telle restitution, mais c’est du fait de l’empereur Frédéric II qu’elle intervint en 1234. L’Eglise n’était pas d’accord, sans pouvoir
s’indigner : le marquisat relevait de l’Empire, ce dont la paix de Paris n’avait pas tenu compte.
Le comte de Toulouse se rapprochait
de l’empereur à mesure que celui-ci s’éloignait du pape. Par ailleurs, contrevenant à plusieurs clauses de 1229, il encourut de multiples
sentences d’excommunication, tandis que les guerres qu’il menait en Provence contre les alliés de l’Eglise de Rome indisposaient le pape.
Les années 1236 et 1237 furent marquées par de fortes tensions entre Raimond VII et Grégoire IX, quoique tempérées par la couronne et par
le pape lui-même, qui se souciait de ne pas se créer d’autres ennemis que l’empereur. Raimond essaya de se rapprocher du pape : en
présentant ses griefs, il exposa les causes de son conflit avec l’Eglise ; s’il n’obtint que partiellement gain de cause, il fut en tout
cas absous dans le courant de 1238. Mais cette réconciliation fut éphémère : alors que les oppositions se creusaient en Provence entre les
partisans de l’empereur et ceux de la papauté, Raimond avait repris la guerre sur l’ordre de Frédéric II ; en 1240, il encourut de
nouvelles condamnations tant pour ce fait que pour avoir transgressé nombre de ses engagements. Il procura également au roi deux occasions
de mécontentement : en combattant ses troupes en Venaissin et en refusant de le soutenir contre le vicomte de Béziers Raimond Trencavel.
Par conséquent, le comte de Toulouse se trouvait en 1240 dans une position difficile : sa fidélité à l’empereur lui portait
préjudice, alors qu’il pouvait trouver beaucoup d’avantages à s’entendre avec le pouvoir pontifical.
Chapitre IISecouer le joug royal (1241-1243)
Au cours des années 1241 et 1242, on peut reconnaître quelques fils directeurs dans le parcours mouvementé qui caractérise alors
l’intense activité diplomatique de Raimond VII . On le voit se rapprocher de la papauté avec un objectif avant tout politique. Il en
attendait l’absolution, ainsi qu’une dispense de parenté nécessaire pour réaliser son projet matrimonial : il avait, en effet, rétabli des
relations avec le comte de Provence, avec l’espoir d’obtenir sa fille en mariage. Ces deux nouvelles alliances étaient fragiles, tout
autant que, en 1241, le renouvellement de son hommage au roi, indice par ailleurs de la suspicion qui pesait sur lui : si ses tentatives
de remariage n’étaient en rien incompatibles avec les clauses de la paix de Paris, elles n’en témoignaient pas moins chez lui d’un souci
de son lignage que le traité pouvait justement contrarier.
C’est l’année suivante que se dévoilèrent les véritables dispositions du
comte à l’égard de la paix de Paris : la volonté d’abolir la clause de 1229 qui faisait d’Alphonse de Poitiers l’héritier du Toulousain
lui inspira de se révolter contre le souverain. Mais la tentative échoua, à cause de la déchéance du comte de la Marche et de la défaite
du roi d’Angleterre, tous deux ses alliés. Il ne restait plus d’autre choix au comte de Toulouse qu’à se soumettre. La paix fut conclue à
Lorris en janvier 1243, sans que le roi eût besoin d’accabler davantage le comte : on revenait aux conditions de la paix de Paris de 1229.
Désormais la page se tournait pour Raimond VII, au terme de treize années de diverses tentatives de révolte contre Louis IX. Au cours des
sept années qu’il lui restait à vivre, il ne dépassa pas le stade de perspectives matrimoniales qui auraient pu servir éventuellement à
remettre en cause les clauses territoriales de 1229.
Chapitre IIIL’apaisement
Pendant les événements de 1242, Raimond VII avait essayé autant que possible de ménager l’Eglise. Même en apparaissant comme un fauteur
de troubles ou en tardant à remplir ses obligations, ce qui lui valut d’être excommunié à plusieurs reprises, il ne s’opposa jamais de
front à l’Eglise ou au pape. Après Lorris, il se préoccupa de se faire relever des sentences d’excommunication qu’il avait encourues. Il
obtint l’absolution lors d’un séjour auprès du pape, en même temps qu’il recueillait de nombreuses marques de bienveillance ; il était, en
effet, de l’intérêt du pape de s’attacher la pièce maîtresse que représentait le comte de Toulouse dans les relations entre l’Eglise et
l’empereur. Jamais cependant Raimond n’obtint l’inhumation de son père en Terre Sainte, comme il l’avait souvent demandé.
La paix de
Lorris n’avait pas mis fin aux intentions belliqueuses de Raimond VII en Provence. Mais le pape et le roi s’entremirent entre les deux
comtes, de Toulouse et de Provence. La mort de Raimond Béranger annula définitivement le projet de remariage de Raimond VII avec l’une de
ses filles et ce fut un frère du roi qui emporta la main de l’héritière de Provence.
A la demande de Louis IX, Raimond VII finit par
préparer son départ pour la Terre Sainte : la paix de Paris lui en avait fait l’obligation, mais il avait accumulé les sursis, grâce
notamment à la bienveillance de la reine Blanche. Mais alors qu’il prenait les dispositions nécessaires, et après avoir dû une première
fois remettre son voyage, la mort qui l’emporta le 27 septembre 1249 l’exonéra de son vœu de croisade.
Troisième partieL’application de la paix dans les Etats de Raimond VII
Chapitre premierLa poursuite des hérétiques
Le concile de Toulouse de 1229 avait fixé les modalités de la lutte contre l’hérésie. Le comte les compléta par ses statuts de 1233. Non
qu’il fût soucieux de leur application, loin s’en faut : sa compromission avec les hérétiques était notoire et c’est justement à cause de
sa tiédeur qu’il avait dû, à l’instigation du roi, promulguer ces mesures. Si ses réelles dispositions à l’égard de la poursuite de
l’hérésie sont difficiles à cerner, il manifesta, en revanche, jusqu’en 1244 une hostilité ouverte à l’encontre de l’inquisition
monastique. Il se rangea derrière les Toulousains lorsqu’ils expulsèrent les frères prêcheurs, puis il contesta à de nombreuses reprises
leur procédure ou leur mandat. Toutefois, il ne cessa en même temps de protester de sa volonté de chasser les hérétiques, demandant que
l’inquisition fût soumise à l’autorité des évêques. Ses réticences semblent s’être calmées après son absolution ; à la fin de sa vie, il
lui arriva même de montrer un zèle exemplaire contre les cathares.
Raimond VII encourut maintes fois le reproche de compter parmi ses
proches des hérétiques ou des suspects d’hérésie. La présence autour de lui de croyants cathares ou de suspects peut être interprétée dans
le même sens que sa démarche politique et comme une preuve de son pragmatisme. Non seulement il n’exclut pas, et encore moins ne chasse,
ceux de son entourage dont l’hétérodoxie est flagrante, mais encore il lui arrive de les couvrir. Néanmoins, si, dans les mois qui suivent
la paix de Paris, beaucoup d’anciens acteurs de la guerre se retrouvent parmi ses familiers, les années apportent un renouvellement : à
côté de quelques anciens fidèles, tel Jourdain de Lantar, ses nouveaux hommes de confiance sont de bons catholiques, comme Sicard Alaman
dont il fait son bras droit. De toute façon, il sera toujours amené à rencontrer ou à croiser hérétiques ou suspects, au gré des
événements et circonstances. L’hérésie n’a jamais joué comme un critère discriminant dans les relations du comte ; elle ne compte pas non
plus comme un facteur négatif lorsqu’il s’agit d’échanges territoriaux, d’hommages ou d’aide militaire.
Un brassage identique
s’effectue au niveau des agents du comte. Raimond VII s’était engagé à ne nommer que des bayles catholiques et à veiller à ce qu’ils
poursuivissent strictement l’hérésie, mais il les surprend parfois en flagrant délit de connivence avec des hérétiques, quand ils
n’étaient pas eux-mêmes croyants cathares, ce qui était le cas pour quelques-uns d’entre eux.
Chapitre IIAmbiguïtés : les épisodes de Montségur et d’Avignonet
L’attentisme de Raimond VII et l’ambiguïté de ses intentions dans la poursuite de l’hérésie trouvent une illustration frappante dans son
attitude à l’égard de la citadelle de Montségur. Par l’intermédiaire de ses agents, le comte maintint en effet des relations avec la
place, où d’autre part il faisait procéder à des arrestations, avant de mettre le siège devant la forteresse en conséquence de l’hommage
qu’il avait prêté au roi en 1241. Sans doute s’agissait-il de donner le change, puisque Montségur ne subit pas d’autre menace et que
l’assaut définitif fut le fait des gens du roi. Les témoignages produits devant l’inquisition à l’issue de ce dernier épisode révèlent que
l’on y avait attendu un secours de la part du comte ; mais tout ce qui permet de penser que cet espoir reposait sur une initiative de
Raimond VII consiste en un témoignage isolé.
Obscure aussi la responsabilité du comte dans le massacre des inquisiteurs à Avignonet
en 1242. Effectué par les hommes de Montségur, il fut dirigé par le bayle et parent du comte, Raimond d’Alfaro. On a voulu en disculper
Raimond VII, sur la foi de ses dénégations, mais aussi en considération des conséquences néfastes qu’entraîna pour lui cet épisode ainsi
que des châtiments subis par les auteurs du massacre. Il faut cependant constater que Raimond d’Alfaro continua à bénéficier de la faveur
du comte.
Chapitre IIIRaimond VII, les églises et l’application de la paix de paris
La paix de 1229 prévoyait le versement de nombreuses sommes à l’Eglise. Parmi celles-ci, le comte devait effectuer pendant dix ans le
paiement des maîtres de l’université de Toulouse. Raimond VII cessa vite de s’en acquitter, ce qui lui valut une excommunication.
L’affaire était en cours de règlement au début de 1239, mais, l’année suivante, le concile de Viviers révèle qu’elle était toujours
pendante et l’on ignore quel en fut le point final.
Dix mille marcs d’amende étaient destinés à servir de réparation pour les
dommages causés. Raimond VII obtint force prorogations quant au terme de leur paiement ; manifestement, il ne fut pas question de lui
faire remise de cette dette, mais elle semble avoir fait les frais de la politique irénique menée par Innocent IV à l’égard du comte.
Enfin, cinq abbayes cisterciennes devaient recevoir diverses sommes, que, après réclamations, le comte commença à verser partiellement ;
la totalité ne fut réglée qu’après sa mort, par les soins de son successeur.
Les nombreux différends entretenus par le comte avec les
églises de sa principauté lui valurent des excommunications à répétition, du moins jusqu’à l’accession d’Innocent IV au trône pontifical.
Ils s’accompagnèrent de dommages de guerre dans le Venaissin, mais aussi de spoliations ou de conflits de juridiction. On y reconnaît
l’acharnement de Raimond VII à renforcer son pouvoir dans les territoires qui lui avaient été laissés et à y étendre son domaine direct.
Ici encore, le successeur de Raimond hérita d’affaires en cours et de plaintes ; leur solution ne porta pas toujours tort aux droits du
comte.
Conclusion
Raimond VII œuvra sans relâche pour desserrer l’étau que représentait la paix de 1229, quitte même à l’enfreindre plus d’une fois.
Plusieurs tactiques lui servirent à cette fin. La stratégie de la rupture et de l’affrontement direct ne fonctionnant pas, Raimond sut user
de manœuvres dilatoires et feindre de céder pour mieux se prémunir. Il procéda surtout avec pragmatisme, sa politique reposant avant tout
sur une capacité à mettre à profit les circonstances qui se révéla parfois à double tranchant : parfois il lui en coûta de manquer de
discernement, mais parfois aussi il sut tirer profit de la conjoncture, comme le montre de façon éclatante l’exemple de la récupération du
Venaissin.
Vis-à-vis de ses protagonistes, Raimond VII sut, avec la même habileté, nouer des alliances ou faire jouer des protections :
ainsi eut-il la finesse de comprendre le parti qu’il pouvait tirer des évêques dans la lutte contre les inquisiteurs, et l’adresse de
s’appuyer sur la couronne pour fléchir le siège apostolique. Car si les deux puissances s’étaient trouvées unies en 1229, leurs intérêts
après la paix ne convergeaient plus aussi rigoureusement, et Raimond s’entendit à merveille à jouer de cette dichotomie. La couronne n’avait
qu’à attendre sa mort pour recueillir les fruits de la paix, tout en disposant des moyens nécessaires pour le maîtriser dans l’intervalle,
comme il apparaît, en particulier, à l’époque de la paix de Lorris. En revanche, la papauté jouait ses intérêts dans l’immédiat, du vivant
même du comte : il s’agissait pour elle de combattre l’hérésie, d’encaisser les dîmes, de conserver le Venaissin. Pour faire triompher ce
programme, l’Eglise n’avait d’autres armes que ses censures, dont on sait le peu d’impression qu’elles faisaient sur Raimond, et que l’appui
du roi de France, dont elle ne disposait pas à sa guise. Que le roi intervînt en faveur du comte de Toulouse ne pouvait que laisser le pape
démuni : l’affection que Blanche de Castille portait à son cousin avait donc une portée stratégique. Il se trouva aussi que les nombreuses
intercessions royales se révélèrent efficaces, alors que les tout aussi nombreuses lettres par lesquelles le pape exhortait le roi à
intervenir contre Raimond ne rencontrèrent qu’un faible écho.
Le comte de Toulouse paraît donc ne pas avoir subi passivement les
événements, mais avoir tenté de suivre quelques objectifs. Bien que certains de ceux-ci ne se laissent pas facilement cerner, la démarche
diplomatique du comte et ses revirements se comprennent mieux à la lumière d’“une certaine idée de son comté” qui se dégage avec netteté et
qui se trouve à la source d’un projet politique d’une ampleur telle que les tâtonnements de Raimond VII y trouvent une explication. Il
s’agissait, en effet, de revenir sur le point essentiel des clauses de 1229, l’ouverture à la couronne du droit de succession au comté, et
de retourner à la situation précédant la croisade : la révolte de 1242 comme les nombreux conflits avec les églises du Toulousain ne sont
que quelques-uns des multiples aspects de la mise en œuvre de dessein. On peut aussi supputer que la volonté du comte de reconquérir son
autonomie est à l’origine de son opposition au corps étranger et incontrôlable qu’était l’inquisition monastique. La récupération du
Venaissin ne représentait pour lui qu’un jalon dans la restauration de ses droits ; par-delà, elle marquait une étape dans la restauration
de son lignage ; d’où pour préparer l’avenir, les projets de remariage, et pour compenser le passé, le souci de l’inhumation de son père.
Si cette restauration du lignage apparaît comme un élément central dans la politique de Raimond VII, on doit conclure à l’échec du
comte. Pour nombreuses qu’aient été les clauses de 1229 qu’il parvint à contourner, ces dérobades restèrent sans portée sur le cours des
événements. Si le roi et la papauté consentirent diverses concessions, ils n’en maintinrent pas moins ce qui, à leurs yeux de vainqueurs,
constituait pour chacun d’eux le point le plus important du traité : l’attribution de la succession à Alphonse de Poitiers et la poursuite
de l’hérésie.
La période d’apaisement des dernières années tient aussi bien à l’issue de la révolte de 1242 qu’à l’accession d’Innocent
IV au trône pontifical. Le roi s’était révélé définitivement le plus puissant et il était vain, pour le comte, d’espérer revenir par la
force sur les conditions de la paix relatives à la succession. Ce constat ne modifia pas la politique territoriale de Raimond VII, pas plus
qu’on ne revint sur les clauses qu’il avait réussi à faire mettre en sommeil. Mais résigné et sur le point de partir pour la croisade, il
reconnaissait que la paix de Paris avait gagné, laissant à son successeur le soin de régler les dernières séquelles.