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École des chartes » thèses » 2004

L’École de cavalerie de Saumur (1814-1914)

La création de l’équitation militaire.


Introduction

L’École de cavalerie de Saumur a été fondée en 1814 à Saumur, pour servir d’école d’application aux officiers de la cavalerie française. Elle sert également de laboratoire et de banc d’essai pour toutes les innovations introduites dans la cavalerie. L’étude de l’École permet donc d’appréhender tous les problèmes rencontrés par la cavalerie au xixe siècle, et plus généralement la manière dont les institutions militaires se développent et progressent au cours du temps. C’est le temps, c’est-à-dire la dimension dans laquelle la connaissance humaine modifie la manière dont évoluent les institutions, qui a été choisi comme angle d’approche principal de l’École de cavalerie. Le but est notamment d’examiner les manières dont la tradition collective intégrée par les individus devient un référent obligé des décisions individuelles comme collectives.


Sources

Cette étude prend essentiellement appui sur les documents conservés au Service historique de l’Armée de terre à Vincennes, dépositaire des archives militaires, et à la bibliothèque de l’actuelle École d’application de l’arme blindée cavalerie à Saumur, qui conserve de nombreux registres de l’École de cavalerie du xixe siècle. Au-delà de ces sources directement produites par l’École ou par son administration de tutelle, le ministère de la Guerre, la multiplicité des domaines concernés par les activités de l’École de cavalerie a nécessité une utilisation extensive de documents conservés aux Archives départementales de Maine-et-Loire, aux Archives municipales de Saumur et à la bibliothèque du château-musée de Saumur.


Première partie
Les héritages


Chapitre premier
L’héritage historiographique

L’École de cavalerie de Saumur a été très peu étudiée malgré son importance pour la cavalerie. Un seul ouvrage, monumental, est consacré à l’École : les Origines de l’École de cavalerie, publié en 1889 par le capitaine Picard, professeur d’histoire militaire à l’École de cavalerie. Certaines caractéristiques de l’institution expliquent l’absence d’objectivation de l’École dans une historiographie lacunaire multipliant les références intertextuelles. Le fonctionnement interne de cette historiographie explique en partie la transmission des traditions de l’établissement et d’une histoire dotée de valeurs et de mythes propres à l’École de cavalerie.

Chapitre II
Saumur : une ancienne capitale, une mince tradition équestre

L’installation de l’École de cavalerie à Saumur est une chance pour la ville, mais pas un accident historique. La ville est placée à un carrefour stratégique sur la Loire qu’il est important de contrôler, mais a du mal à se développer entre Angers et Tours. Au xvie siècle, elle devient pourtant une capitale du protestantisme européen et accumule un important capital symbolique. Par rapport à cet héritage intellectuel, le passé équestre de la ville est des plus minces. Il existe au xviie siècle une académie d’équitation dans la ville, liée à l’Académie protestante, mais elle connaît un irréversible déclin après 1670 et disparaît au plus tard en 1715. À la fin du xviiie siècle, Saumur présente les prémices d’un nouvel essor et cherche à accueillir une école militaire d’officiers, qui assurerait la prospérité de la ville.

Chapitre III
Les Carabiniers

Les Carabiniers de Monsieur qui s’installent à Saumur à la mi-xviiie siècle ne peuvent être considérés comme les précurseurs de l’École de cavalerie. S’ils disposent d’une école d’équitation, elle est très différente dans son fonctionnement et dans son organisation de l’École de cavalerie du xixe siècle. Leur présence continue à Saumur jusqu’à la Révolution marque cependant la ville d’une empreinte indélébile reprise par la suite par l’École de cavalerie. Le quartier des Carabiniers et les premiers manèges et écuries, en particulier, définissent les grandes tendances du cadre architectural militaire à Saumur.

Chapitre IV
Les écoles de cavalerie sous la Révolution et l’Empire

L’école d’équitation des Carabiniers est supprimée à la Révolution, comme les écuries de Versailles et la plupart des manèges parisiens. Une éphémère École nationale d’équitation fonctionne de 1796 à 1809 dans les écuries de Versailles. En 1809, Napoléon créé à Saint-Germain une École spéciale de cavalerie mieux organisée, mais qui n’a pas le temps de s’implanter durablement avant la chute de l’Empereur. Plusieurs facteurs se conjuguent alors pour expliquer le retour à Saumur d’une École d’application de cavalerie qui apparaît indispensable et doit être autonome des corps de troupes à cheval.


Deuxième partie
les structures matérielles et intellectuelles


Chapitre premier
Missions et organisations de l’École de cavalerie (1814-1870)

La forme institutionnelle de l’École de cavalerie demeure relativement stable tout au long de son histoire. Après la dissolution de l’École d’instruction des troupes à cheval créée en 1814 à Saumur et licenciée en 1822 pour cause de complot bonapartiste, l’École est refondée en 1825 sur des bases solides, peu modifiées lors des réorganisations suivantes, en 1845, 1853 ou 1860. Cette stabilité institutionnelle permet un développement rapide de l’École de cavalerie après 1825 mais n’explicite pas le développement des traditions de l’École.

Chapitre II
L’Armée dans la ville, au service de l’État ?

La présence de l’École de cavalerie dans la ville est d’abord mal acceptée par une population majoritairement républicaine. Après les troubles de 1822 qui entraînent la suppression temporaire de l’École, l’École et la ville de Saumur adoptent un modus vivendi plus pragmatique. Cette cohabitation d’abord forcée se transforme rapidement en collaboration et même souvent en alliance lorsque les intérêts de la ville et de l’École se rejoignent. L’enracinement local de l’École de cavalerie peut alors lui faire placer devant les impératifs militaires d’état les projets locaux, la municipalité saumuroise agissant comme un catalyseur de l’expansion de l’École.

Chapitre III
Architectures et urbanisme équestre

La présence de l’École de cavalerie influe profondément sur l’urbanisme saumurois tant elle est à la fois un espace militaire peu à peu interdit aux civils et un espace du cheval ouvert à une circulation aisée vers la ville. Si les premiers architectes de l’École au XVIIIe siècle se préoccupent surtout de géométriser un espace vierge et de faire au mieux avec les contraintes de terrains inondables, les ingénieurs du Génie du xixe siècle jouent de la disproportion des pouvoirs et des moyens entre Ville et État pour créer une zone militaire aussi fermée que possible et étendre progressivement les terrains occupés par l’École de cavalerie.

Chapitre IV
Esprit de corps et enseignement : pérenniser et transmettre

L’École de cavalerie est une “ institution totale ” produisant des structures mentales spécifiques tendant à préserver et accroître, ensemble, l’importance de la formation chez les élèves, par la création d’un fort esprit de corps, et celle de l’institution dispensant cette formation. La doctrine de l’École comprend alors à la fois l’état le plus avancé des recherches en équitation militaire et une somme croissante de traditions soigneusement transmises et valorisées par les miracles équestres que sont le carrousel, les courses et les raids d’officiers, l’école de dressage.


Troisième partie
la quête de soi


Chapitre premier
La diversification des activités scientifiques

L’École de cavalerie ne limite pas ses activités à l’instruction militaire et équestre proprement dite des officiers de cavalerie. Des “ annexes ”, soigneusement sélectionnées et développées, servent de laboratoires de recherche à la cavalerie. Au xixe siècle une éphémère école de trompettes, l’école d’application vétérinaire de l’armée, l’école de maréchalerie, un haras d’études, une école de dressage, un atelier d’arçonnerie et une école de télégraphie sont greffés sur l’École de cavalerie. Ces annexes accroissent la renommée de Saumur tout en permettant de moduler l’importance de l’École de cavalerie dans le champ sociologique de la formation militaire, selon que les circonstances politiques et militaires sont plus ou moins favorables à l’École de cavalerie.

Chapitre II
L’École aux militaires : l’expulsion des civils

Pourquoi les plus fameux cavaliers civils du xixe siècle ont-ils voulu marquer l’École de cavalerie de leur empreinte, malgré la militarisation croissante de l’équitation pratiquée à Saumur ? Avantages matériels et prestige institutionnels se conjuguent pour expliquer cette attraction. Quant à l’armée, elle souhaite remplacer la première génération d’écuyers civils par des militaires sans vouer des officiers à l’étude de l’art équestre ni savoir confier à des civils des positions d’autorité sur des militaires. Face à l’obsolescence du Cours d’équitation militaire de 1825, la cavalerie se résout à faire appel au plus célèbre cavalier civil du siècle, le comte d’Aure, en 1847, pour rédiger un nouveau programme en accord avec le conseil d’instruction de l’École. L’antagonisme structurel des militaires et des civils à l’École de cavalerie est pourtant tel que les écuyers civils sont expulsés après l’accomplissement de cette mission : le manège devient alors entièrement militaire jusqu’à la création de l’École nationale d’équitation à la fin du xxe siècle.

Chapitre III
Les officiers du cadre : un hasard dirigé

Pour étudier l’influence du cadre institutionnel sur les individus et la question de l’autonomie de leur action, le modèle d’analyse créé par Stephen Skowronek a été appliqué sur deux séries d’officiers en poste à Saumur, les commandants de l’École et les écuyers en chef. Ces séries ont été jugées représentatives du cadre des officiers nommés à l’École de cavalerie. Dans cet univers de cooptations réciproques réussies, une analyse socio-politique de l’identité politique des officiers à leur nomination à Saumur permet d’éloigner du modèle d’analyse constitué les variables historiques. Le croisement de cette étude avec les structures d’autorité, c’est-à-dire les opportunités de réforme possibles pour ces officiers une fois en fonctions, produit une typologie de quatre types d’action dont on a examiné comment elles s’appliquaient aux officiers considérés.


Quatrième partie
De Sedan aux tranchées : attention, Saumur !


Chapitre premier
Le choc de 1870 dans la cavalerie

La guerre de 1870 est un désastre pour la cavalerie, qui prend conscience au cours de défaites peu glorieuses du décalage avec l’infanterie et l’artillerie, entraîné par les progrès technologiques. La cavalerie doit alors changer de rôle tactique devant l’accroissement de la portée et de la rapidité des tirs. D’une force dédiée au combat et à la rupture, elle devient une force d’exploration et de couverture et se prépare à remplir de nouvelles missions tactiques et stratégiques. Pourtant, l’arme n’est pas rendue obsolète par la défaite et les débats entre officiers de cavalerie témoignent à la fois de sa vitalité et de sa résistance au changement. L’École de cavalerie qui est dissoute en 1870 et dont les cadres restant sont transférés à Bordeaux devant l’avancée des troupes prussiennes, est recréée dès 1871 et reprend son enseignement en 1872 sur des bases institutionnelles améliorées qui ne remettent pas en cause le fond de l’enseignement.

Chapitre II
Les caractères du changement

La période 1870-1914 est caractérisée par la reprise en main par l’État d’une autorité auparavant déléguée aux chefs militaires en province et par la préparation de la revanche sur l’Allemagne. Cela se marque à Saumur par la présence régulière du ministre de la Guerre ou de son représentant, et par la multiplication des décisions échappant au général commandant l’École ou au conseil d’instruction, signifiant la fin de l’âge d’or des recherches équestres à Saumur. Ce contrôle accru de l’État sur les communautés militaires et sur la vie intellectuelle de l’armée permet pourtant de saisir au plus près les opinions des officiers du cadre, sur lesquels s’exerce une constante surveillance administrative. L’École reçoit davantage de moyens pour son développement géographique et pédagogique et s’étend considérablement pour offrir des conditions d’entraînement réalistes à ses élèves. Pourtant, l’équilibre politique maintenu avec la population saumuroise est rompu par la défaite. Les incidents à caractère politique se multiplient jusqu’au début du XXe siècle, avant d’être étouffés par la course à la guerre. L’École de cavalerie s’adapte ainsi partiellement à la réalité militaire, mais reste limitée dans ses réformes par la volonté de conserver son identité et ses spécificités par rapport aux autres écoles militaires, qui prend le pas sur l’œuvre nationale de modernisation de l’armée.

Chapitre III
La valorisation du patrimoine

L’École de cavalerie entame après 1870 plusieurs démarches concomitantes de valorisation de son patrimoine qui ont pour but d’assurer la survie d’un certain état de l’École. Elle diffuse un discours egocentré, par la constitution d’une grande histoire de l’École de cavalerie, les Origines de l’École de cavalerie du capitaine Picard, par la constitution de listes de prédécesseurs servant de modèles comme par l’attribution aux bâtiments de noms d’hommes célèbres incarnant les valeurs essentielles que l’École souhaite pérenniser et transmettre. Le développement de l’école saumuroise de photographie équestre, la création d’un livre d’or de l’École ou la mise en valeur des représentations du Cadre noir participent également de cette démarche. Le patrimoine vivant n’est pas oublié : la constitution de l’association La Saumurienne permet de maintenir des liens serrés entre les anciens élèves de l’École. À Saumur même, les notables sont enrôlés dans ce réseau patrimonial. Le “ patrimoine ” de la société militaire restreinte de Saumur finit ainsi par déborder vers la société civile plus large. La Société des lettres, sciences et arts du Saumurois comme le Musée du cheval sont ainsi fondés peu après 1900 pour organiser le rayonnement de l’alliance entre la ville, l’armée et le cheval.


Conclusion

Cette thèse s’arrête à la fin de l’ère du cheval de guerre et de travail, en 1914. L’École de cavalerie, déjà étrangement obsolète avant la Grande Guerre, reprend pourtant son existence dès la fin de celle-ci, sans devenir “ le lieu de mémoire ” auquel son identité et les progrès militaires semblaient devoir la condamner. Le “ lieu institutionnel de l’équitation militaire ” dont nous avons dégagé l’existence à Saumur dès la création de l’institution, permet à l’École de cavalerie de concilier les traditions du passé et un présent prospectif. Principe actif développé naturellement avec le temps et gouvernant largement l’histoire de Saumur, le “ lieu institutionnel ” n’est pourtant pas particulier à l’École de cavalerie. Les mécanismes identifiés à Saumur permettent de penser que toute institution engendre cette “ mémoire constituante ” qui crée à la fois la volonté de mémoire caractéristique des “ lieux ” et les moyens de transmission de cette mémoire.


Pièces justificatives

Édition de diverses pièces d’archives relatives au développement de l’École dans Saumur et à ses activités de recherches. ­Diverses ordonnances portant organisation de l’École de cavalerie. ­ Reproduction des signatures et “ mains ” des écuyers en chef et commandants de l’École de cavalerie de 1814 à 1914.


Annexes

Les journaux à Saumur en 1822. ­ L’École et la Révolution de 1830. ­ Photographes ayant exercé à Saumur avant 1914. ­ L’œuvre à Saumur de l’architecte Joly-Leterme. ­ Petit guide des infractions au règlement commises par les officiers et sous-officiers d’instruction des cours de 1853-1855. ­ L’attitude politique et religieuse des officiers en poste à Saumur (1907-1911). ­ Œuvre et biographie de Louis Auguste Picard, auteur des Origines de l’École de cavalerie. ­ Chronologie des Origines de l’École de cavalerie. ­ L’association La Saumurienne. ­ Les séances du Conseil d’instruction de l’École de cavalerie (1826-1907) : tableaux et graphes. ­ Liste des successions (1814-1914) dans les fonctions d’écuyer en chef, de commandant et commandant en second de l’École de cavalerie, de ministre de la Guerre, de préfet de Maine-et-Loire et de sous-préfet en poste à Saumur.


Iconographie

Plans et vues d’ensemble de l’École de cavalerie. ­ Plans de bâtiments. ­ Vues du quartier de cavalerie, de l’hôtel du commandement. ­ Vues thématiques des manèges et écuries. ­ Scènes de genre à travers les cartes postales et gravures de l’époque. ­ Dossier thématique : les exploits et la souffrance.