« »
École des chartes » thèses » 2004

Louis-Antoine de Noailles, cardinal-archevêque de Paris (1651-1729)


Introduction

Parmi les grands noms de l’épiscopat que véhicule la mémoire nationale, les prélats du règne de Louis XIV occupent la meilleure place. Assez curieusement, le cardinal de Noailles n’en fait pas partie. Aucun travail de fond n’a été mené sur Louis-Antoine de Noailles, qui occupa successivement trois sièges épiscopaux. Au total, cinquante années passées au service de l’Église semblaient appeler une biographie, ou tout au moins une étude sérieuse sur son action pastorale, que tous les contemporains du règne s’accordaient à louer, Saint-Simon le premier.


Sources

La multitude et l’ampleur des sources ont rendu le sujet impossible à saisir dans son ensemble. L’analyse du milieu familial s’appuie sur l’exploitation de documents conservés au Minutier central des notaires parisiens, au Centre historique des Archives nationales, et au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (cabinet des titres). Le rôle pastoral exercé par Noailles au sein de son diocèse de Châlons est observé grâce aux procès-verbaux de visites conservés aux Archives départementales de la Marne. Son épiscopat parisien a nécessité un travail de reconstitution des fonds grâce aux registres conservés aux Archives nationales et aux mentions éparses extraites de la volumineuse correspondance du prélat. La dernière partie, consacrée à Noailles politique, engagé dans les querelles religieuses, a été traitée à partir des fonds consultés aux Archives du ministère des Affaires étrangères, aux Archives vaticanes et à la Bibliothèque de l’Arsenal.


Première partie
Le milieu familial


Chapitre premier
Les origines familiales de Louis-Antoine de Noailles

Les origines.­ Par son père, Louis-Antoine de Noailles descend d’une famille dont la noblesse de race remonte au-delà du xie siècle, et dans laquelle le service du roi est resté le mot d’ordre. Mais cette noblesse immémoriale, outre la gloire d’un nom, se traduit par une assise foncière solidement ancrée, renforcée par des alliances prestigieuses, judicieusement choisies. Les ascendances maternelles sont d’une noblesse moins établie, en tout cas moins ancienne. Les Boyer ont su au xvie siècle faire partie des milieux financiers proches de la couronne. Antoine Boyer, grand-père du cardinal de Noailles, est à lui seul un parfait exemple de l’intégration d’une famille de financiers au groupe nobiliaire au début du xviie siècle. Par sa double ascendance, Noailles tire donc ses origines à la fois du Limousin, du Languedoc et de l’Île-de-France.

Les frères et sœurs.­ Parmi les frères et sœurs de Noailles, la personnalité de l’aîné est la plus remarquable. Anne-Jules de Noailles sut mener une carrière militaire brillante, couronnée par le titre de maréchal de France et de vice-roi de Catalogne. Parallèlement, il se montra un courtisan assidu. Sa femme, Marie-Françoise de Bournonville, lui donna vingt et un enfants et veilla à leur éducation avec un soin jaloux. Bien mariés et bien dotés, ils contribuèrent puissamment à renforcer le clan familial. Beaucoup moins connus sont les deux cadets de Noailles ; mort trop tôt de la petite vérole, Jean-François, marquis de Noailles, entama une belle carrière militaire. Jacques, “ bailli de Noailles ”, chevalier de l’ordre de Malte, ne sut pas gérer sa fortune et mourut ruiné chez son frère, à l’archevêché. L’unique sœur de Noailles, Louise-Anne, épousa l’héritier d’une riche famille de la noblesse bretonne, puis mena une vie discrète et effacée.

Chapitre II
La part des parents

Anne de Noailles et Louise Boyer.­ Avec Anne de Noailles, la famille réussit à approcher de près l’entourage royal : favori de Mazarin, il traversa la Fronde sans trahir la cause royale et combattit contre les troupes du prince de Condé. Au bout de dix ans de guerre civile, la victoire royale consacrait en même temps son succès : capitaine des gardes du corps du roi depuis 1653, Anne obtint le titre de duc et pair en 1663.

S’il a peu connu son père, Louis-Antoine de Noailles a été marqué par la personnalité de sa mère Louise Boyer. La pureté des mœurs et la rigoureuse austérité de Louise Boyer n’ont pas été sans influencer le modèle pastoral auquel Noailles se réfèrera toute sa vie.

L’héritage d’Anne de Noailles et de Louise Boyer.­ L’étude de l’inventaire après décès d’Anne de Noailles, et les renonciations de sa veuve et de ses enfants cadets, permettent d’évaluer le patrimoine foncier et la fortune des Noailles. La quasi-totalité de l’héritage paternel est recueillie par l’aîné, Anne-Jules. Vingt ans plus tard, Louis-Antoine de Noailles est institué légataire universel par le testament de sa mère. La masse des biens de Louise Boyer, s’élevant à 300 000 livres, est bien inférieure à celle constituant l’héritage paternel. Au total, la somme recueillie par Louis-Antoine de Noailles est plutôt voisine de la dot constituée pour sa jeune sœur vingt sept ans plus tôt.

Chapitre III
Des alliances de choix

Le mariage du fils aîné d’Anne-Jules : alliance et appui de Madame de Maintenon.­ A la fin du xviie siècle, les Noailles font partie des grandes familles de la noblesse de cour. Après l’étape du duché-pairie, ils connaissent par le mariage d’Adrien-Maurice un éclat sans précédent. L’union conclue avec la nièce unique de Madame de Maintenon, Françoise-Amable d’Aubigné, était aussi brillante qu’inespérée : le roi constitua lui-même la totalité de la dot, et le montant, fixé à 800 000 livres, fut particulièrement généreux. La carrière du neveu de Noailles ne bénéficia pas d’un mariage aussi éclatant ; Adrien-Maurice fut Grand d’Espagne, maréchal de France, puis ministre d’État sous Louis XV.

Les nièces du prélat.­ Les sœurs d’Adrien-Maurice furent elles aussi mariées aux meilleurs partis de France. Les alliances des filles restent en harmonie avec les situations des pères et des frères. Dans la plupart des cas, les partis s’équilibrent en honneurs, en fonctions, en richesses ; les Noailles témoignent d’une stratégie matrimoniale parfaitement maîtrisée, dont Marie-Victoire-Sophie est le point d’aboutissement : en 1723, la nièce de Noailles épouse le comte de Toulouse, fils de Louis XIV. Au début du xviiie siècle, l’ascension des Noailles est indiscutable et leur politique matrimoniale un succès complet.

Un conflit réglé : la mouvance de Noailles.­ La faveur royale permit de régler un conflit séculaire avec les Bouillon : la souveraineté de la seigneurie des Noailles, mouvante de celle de Turenne. En 1698 et en 1737, les Noailles purent enfin s’en dégager. Le cardinal de Noailles se chargea personnellement de cette affaire. Dans ce conflit, l’importance de la faveur royale fut capitale : la victoire d’un maison fut assurée par la disgrâce de l’autre.

Chapitre IV
Vers l’épiscopat

Les années d’études.­ Pour étudier la jeunesse d’un prélat, les Processi dei vescovi conservés aux Archives vaticanes apportent des informations de première importance, en permettant d’établir le cursus scolaire suivi par le candidat. Après les années d’humanité au collège jésuite d’Aurillac, Louis-Antoine resta deux ans au collège du Plessis, qui passait alors pour le plus distingué et le plus florissant de Paris. Devenu maître ès arts, Noailles continua ses études à la faculté de théologie de la Sorbonne où il passa cinq ans. Ce cycle s’acheva par la licence, avec la soutenance de trois thèses. La “ majeure ” fut l’occasion pour Noailles de défendre des propositions résolument gallicanes, et ce sur ordre de Louis XIV et sous la présidence de Bossuet. Très tôt, Noailles a été pétri des maximes gallicanes. Peu de temps après, il reçut la prêtrise. Le 14 mars 1676, l’obtention du titre de docteur en théologie marquait la fin du cycle de ses études. La formation du futur prélat apparaît ainsi très équilibrée, mêlant étroitement une formation intellectuelle de haut niveau et une formation aux fonctions du sacerdoce.

En attendant l’épiscopat.­ Il s’écoule trois ans entre le moment où Noailles finit ses études et celui où Louis XIV le désigne pour occuper le siège épiscopal de Cahors. Dom d’Aubrac depuis l’âge de 13 ans, Noailles s’emploie à reconstruire les bâtiments en ruine et à inspecter régulièrement son monastère. Le jeune abbé se voit confier en 1676 la direction du séminaire des Trente-Trois. Pendant deux ans, il s’applique à en redresser les fondements et à réaffirmer sa vocation d’établissement gratuit destiné aux clercs pauvres. La direction d’un séminaire parisien put l’aider à mesurer un des devoirs essentiels de l’épiscopat, assurer la bonne formation du clergé.

La nomination.­ Après un premier refus de l’évêché de Mende en 1678, Noailles est nommé un an plus tard au siège de Cahors.


Deuxième partie
Monsieur de Cahors, Monsieur de Châlons, Monsieur de Paris


Chapitre premier
Le portrait d’un évêque

Un idéal épiscopal.­ Si pendant plus d’un siècle les évêchés de Châlons et de Paris ont été considérés comme des apanages familiaux aux revenus substantiels, Noailles put trouver dans ses prédécesseurs immédiats des pasteurs zélés et des réformateurs efficaces : Alain de Solminihac, évêque de Cahors, et Félix Vialart de Herse, évêque de Châlons, furent des modèles pour le jeune prélat. Imprégné de la spiritualité borroméenne, Noailles a une très haute conscience de son devoir ; il ne souhaite qu’édifier les fidèles en leur présentant un modèle de vie irréprochable, et surtout imitable. Profondément imbu de la dignité de son état, ce disciple de Bossuet se pose très tôt en champion de la défense des maximes gallicanes. Évêque de Châlons, il participe en 1682 à l’élaboration de la déclaration des quatre articles. De ses études jusqu’en 1693, Louis-Antoine de Noailles a baigné dans un gallicanisme épiscopal et royal particulièrement affirmé qui constitue alors la norme théologique.

Un châtelain accompli.­ Dans les trois évêchés qu’il occupa, Louis-Antoine de Noailles porta une attention particulière à la tenue du château qui lui était réservé. A travers les travaux d’aménagements et d’embellissements apportés aux châteaux de Sarry et de Conflans, on perçoit le goût prononcé de Louis-Antoine pour la décoration des jardins. Sans atteindre le faste de son prédécesseur, François de Harlay de Champvallon, Noailles y mène une existence paisible, confortable et laborieuse. Toutefois, les réceptions ponctuelles qu’il y donne sont aussi l’occasion de déployer la magnificence qui convient au premier archevêque du royaume.

L’intermède de Cahors.­ Louis-Antoine ne passe que quelques mois d’épiscopat à Cahors. D’octobre 1679 à juillet 1680, Noailles s’essaye à une première expérience pastorale. On le voit confirmer ou établir plusieurs établissements de charité, opérer ses premières visites. La nomination à Châlons, négociée par son frère, le surprend en pleine tournée de visites. Après un premier refus, Noailles s’incline devant la volonté royale.

Chapitre II
L’expérience de Châlons

Le diocèse de Châlons à la fin du xviie siècle. ­ Le diocèse comprend des paysages différents, certains à dominante forestière, d’autres composés de bocages ou de marécages. Forte de l’éclat de son brillant passé, l’ancienne ville des foires de Champagne reste une place de choix : le titre de comte et pair de France, attaché au siège épiscopal de Châlons, continue d’être un puissant argument pour les familles qui cherchent à y placer leurs fils.

Les visites pastorales de l’évêque de Châlons.­ C’est à l’administration de son diocèse que Noailles consacre la plupart de ses efforts. Il entreprend plusieurs séries de visites pastorales, principalement entre 1682 et 1690 et entre 1692 et 1695. Ces visites sont l’occasion d’inspections minutieuses de l’état matériel des églises, de prescriptions détaillées concernant les habits liturgiques, le sacrement de la communion.

Le clergé paroissial et la réforme pastorale.­ La bonne tenue du clergé, qui passe par l’apparence extérieure, le respect de la résidence et des mœurs irréprochables, est la préoccupation essentielle du nouvel évêque de Châlons. Pour cela, Noailles confirme l’institution du séminaire de Châlons et assure sa survie financière en lui accordant les revenus de quelques prieurés. Il rétablit des retraites annuelles obligatoires et réinstaure l’usage des conférences ecclésiastiques. A la fin de l’épiscopat de Noailles, la transformation du clergé n’est pas totalement accomplie, mais est bien entamée, et son frère l’achève après lui.

L’action pastorale auprès des fidèles.­ Pour Noailles, la réforme pastorale implique aussi la “ purification ” des fidèles. L’attitude des paroissiens à l’église, l’administration des confréries et l’éducation des enfants, assurée par les curés, les maîtres et les maîtresses d’école, font l’objet de règlements minutieux. Enfin, l’assistance aux pauvres est un devoir qui s’impose avec d’autant plus d’acuité que les mauvaises récoltes et les hivers rigoureux qui jalonnent son épiscopat plongent dans la misère la Champagne entière. Outre une “ charité ordinaire ”, consistant à réserver une part de ses revenus aux pauvres, Noailles déploie lors des grandes famines, comme celle de 1693-1694, une énergie peu ordinaire pour assurer la subsistance de tous. Il n’hésite pas à se faire des ennemis mortels des bourgeois de Châlons, qui doivent contribuer au soulagement des pauvres.

Une renommée grandissante.­ Fidèle à ses devoirs, surtout ceux de la résidence et de la visite, Noailles gouverne de manière exemplaire son diocèse. L’épisode de novembre 1689, où Noailles manque de perdre la vie en assistant des prisonniers malades de la pourpre, a un grand retentissement à la cour, qui l’a cru mort quelque temps. Sa réputation, son image d’évêque tridentin sont désormais solidement établies et l’estime du roi lui est acquise.

La nomination à l’archevêché.­ A la mort de Harlay, Noailles n’effectua aucune démarche en vue de sa nomination à l’archevêché de Paris. Pourtant, il l’emporta sur des candidats prestigieux, tels Bossuet et Fénelon, les cardinaux de Janson et de Bouillon. En sa faveur plaidaient son illustre ascendance et les services rendus par son frère dans l’armée de Catalogne. Intervenait aussi sa toute récente faveur auprès de Madame de Maintenon. Enfin, les mérites personnels de Noailles et sa conduite irréprochable furent un argument de poids pour Louis XIV, qui songe à un évêque scrupuleux pour succéder à Harlay, mort sans sacrements. Par deux fois, Noailles refusa. Convoqué à Versailles, il s’inclina une fois de plus devant la volonté royale. Afin que la grâce fût complète, Louis XIV poussa la complaisance jusqu’à transférer à son frère cadet, Gaston de Noailles, l’évêché de Châlons.

Chapitre III
Paris : une réussite incontestable

Être archevêque de Paris à la fin du xviie siècle. ­ Devenir archevêque de Paris était un véritable pari pour un évêque de province, si l’on observe l’exception parisienne en matière ecclésiastique : au XVII e siècle, les archevêques de Paris, accaparés par leurs fonctions de représentation à la cour ou aux Assemblées du clergé, avaient pris l’habitude de se décharger d’une grande partie de leurs attributions pastorales sur leurs archidiacres et sur leurs grands vicaires. Noailles sut s’entourer d’hommes sûrs pour la préparation de ses mandements ou la réalisation des visites pastorales, qu’il ne pouvait effectuer lui-même.

La discipline du clergé.­ Contrairement à Châlons, la réforme du clergé est déjà bien avancée lorsque Noailles prend possession de son nouveau siège. Pendant plus d’un demi-siècle, plusieurs séminaires ont fleuri, sur lesquels l’archevêque de Paris n’a qu’une autorité limitée. Face à cet ensemble remarquablement constitué, Noailles accentue son action sur des secteurs de toute première nécessité : les fondations de Saint-Louis en 1696 en faveur des pauvres clercs, et d’une maison de retraite pour les prêtres âgés, dite de Saint-François de Sales, en 1704, sont les dernières fondations à Paris sous l’Ancien Régime. Parallèlement, plusieurs mandements, au début de son archiépiscopat, fixent de manière définitive le port de la soutane, l’obligation des conférences ecclésiastiques, l’assistance aux calendes. Le synode diocésain de 1697 lui permet de fixer à ses prêtres un corps de règles précises et définitives : durant ses trente années d’épiscopat, Noailles n’aura plus à revenir sur ces principes.

La réforme des fidèles.­ Ce qui surprend les contemporains, c’est que Noailles, rompant avec les habitudes contractées depuis un siècle par ses prédécesseurs, entreprend méthodiquement des visites pastorales de son diocèse. En 1701, Noailles avait visité l’ensemble de son diocèse et rejoint par là la moyenne des inspections de Châlons. Pendant une dizaine d’années, il réussit à combiner toutes ses fonctions de représentation et ses devoirs de cour avec ses exigences pastorales. A partir de 1706, ce rythme de vie devient trop épuisant pour l’archevêque vieillissant, et ce d’autant plus qu’il commence à être accaparé par les querelles jansénistes qui finiront par l’absorber. A partir de 1712, Noailles délègue quasi systématiquement ses devoirs de visite à ses archidiacres. L’initiative de Noailles de visiter son diocèse fut un succès incontestable pendant plus de dix années. On le voit réglementer l’assistance aux offices, interdire certaines dévotions agraires, fixer l’exercice des pèlerinages, encourager les fondations scolaires. Enfin, il termine une politique complète de réforme des livres liturgiques avec la publication de son rituel de 1697.

Une des réussites de Noailles est d’avoir su adapter son action pastorale à Paris, où la Réforme catholique est en voie d’achèvement, alors qu’à Châlons, durant quinze ans, tout restait à faire. Il a su trancher avec ses prédécesseurs et rétablir le lien perdu entre l’archevêque de Paris et les paroissiens de campagne.


Troisième partie
Entre gallicanisme et jansénisme


Chapitre premier
Le gallican (1695-1705)

Les premières affaires jansénistes.­ Noailles est archevêque de Paris depuis moins d’un an lorsqu’une première affaire, la parution d’un ouvrage anonyme, l’ Exposition de l’Église touchant la grâce et la prédestination, le plonge dans les querelles jansénistes de la fin du règne de Louis XIV. Le Problème ecclésiastique, autre ouvrage anonyme publié en 1698, est un des premiers à flétrir la réputation de l’archevêque en l’accusant de jansénisme. En 1703, l’affaire du Cas de conscience et la conduite maladroite de Noailles à cette occasion renforcent les soupçons portés contre lui, et suscitent les premières méfiances de Madame de Maintenon.

Une politique augustinienne.­ En disciple de saint Augustin, Noailles se fait un devoir de lutter contre les altérations que la Compagnie de Jésus précipite dans le catholicisme moderne. Par plusieurs condamnations d’ouvrages, par plusieurs interdictions de thèses soutenues chez les jésuites, Noailles a tôt fait de s’aliéner les jésuites de la maison de Saint-Louis. De la même manière, l’intervention de Noailles dans l’affaire du quiétisme, qu’il condamne de pair avec Bossuet et Godet des Marais, fait de Fénelon son ennemi mortel dès 1699. Parallèlement, Noailles soutient des travaux de réédition des Réflexions morales de l’oratorien Quesnel, protège de son autorité doctrinale l’édition bénédictine des œuvres de saint Augustin. En 1700, Noailles, à la suite de Bossuet, figure à la tête de l’épiscopat gallican, conscient de ses droits, et se donnant pour but de préserver la véritable tradition.

Une faveur incontestée.­ Durant la dizaine d’années qui court de la nomination à l’archevêché à la bulle Vineam Domini, Noailles connaît une faveur incontestée. L’estime du roi pour son nouvel archevêque est entière. Madame de Maintenon entretient une correspondance régulière et affectueuse où elle se confie à lui. Durant ces années, on peut parler d’un véritable engouement de la marquise pour Louis-Antoine de Noailles. La nomination au cardinalat, en juin 1700, est l’aboutissement logique de cette faveur incontestée. Après moins de cinq années d’épiscopat parisien, Noailles obtient une dignité que son prédécesseur, Harlay, avait vainement poursuivie pendant plus de vingt ans.

Le conclave de 1700.­ Arrivé à Rome en novembre 1700, Noailles fut l’un des derniers cardinaux à entrer dans le conclave consécutif à la mort d’Innocent XII. Très vite, la nouvelle de la mort de Charles II, roi d’Espagne, précipite l’élection du cardinal Albani. Noailles semble avoir plutôt joué un rôle passif ; spectateur attentif des manières romaines, il consigne fidèlement ses observations dans les dépêches envoyées au roi, ne cachant pas sa hâte de retrouver son clergé parisien. Et de fait, dès janvier 1700, il rentre en France, précédé d’une réputation d’heureux diplomate, ayant réussi ce que le roi attendait de lui.

Chapitre II
Le suspect (1705-1713)

La bulle de 1705.­ La réception de la bulle Vineam Domini, condamnant le Cas de conscience, fut le premier échec grave essuyé par l’archevêque de Paris : pendant six ans, Noailles s’est usé à résoudre les querelles nées de la réception de cette bulle. Pour ne pas avoir voulu renoncer à ses prétentions gallicanes, Noailles perd la faveur de Madame de Maintenon, qui le soupçonne de jansénisme et lui retire sa confiance. Le bref du 13 juillet 1708, condamnant les Réflexions morales du Père Quesnel, met son honneur d’évêque en jeu puisqu’il condamne un livre qu’il a publiquement appouvé.

L’offensive menée contre Noailles.­ Cette première condamnation reste sans effet en France, grâce à la protection de Louis XIV. À l’initiative de Fénelon, les évêques de Luçon et de La Rochelle, Valderie de Lescure et Champflour, provoquent un véritable scandale en placardant dans tout Paris leur mandement condamnant sans appel les Réflexions morales. Les refus d’accommodement suggérés par le roi à Noailles, qui exigeait réparation, et surtout la lutte ouverte que le cardinal n’hésite pas à mener contre le propre confesseur du roi, Le Tellier, provoquent sa disgrâce complète. Non seulement Noailles n’obtient pas justice des affronts subis, mais Louis XIV lui retire sa protection, fait ôter le privilège des Réflexions morales et demande à Rome une constitution pour condamner l’ouvrage.

D’une bulle à l’autre.­ En 1712 et en 1713, Noailles apparaît comme paralysé dans l’attente de la bulle, espérant jusqu’au bout qu’elle ne paraîtrait jamais. L’humiliation fut complète lorsque, le 25 septembre 1713, il reçut le texte de la bulle Unigenitus. Les 101 propositions condamnées étaient tirées des éditions de 1693, 1694 et 1699, c’est-à-dire précisément celles qui avaient été approuvées par Noailles, évêque de Châlons, puis archevêque de Paris. La soumission de Noailles fut immédiate : comme Fénelon jadis, il voulut être le premier, par son mandement du 28 septembre 1713, à annoncer et accepter la condamnation de Clément XI.

Chapitre III
Le banni (1713-1715)

La rupture : l’Assemblée de 1713-1714.­ En refusant de signer l’acte d’acceptation de la bulle Unigenitus, Noailles, suivi de huit évêques, provoque une scission grave dans l’épiscopat. Dès février 1714, il recevait la défense formelle de se présenter à la cour.

La condamnation de Rome.­ La réplique romaine ne se fit pas attendre. Le 26 mars 1714, la Saint Office condamnait l’attitude de Noailles et des évêques opposants. Sa convocation devant un concile national pour y être décardinalisé, puis déposé du siège de Paris, est décidée par le roi, qui, en décembre 1714, envoie à cette fin un ambassadeur extraordinaire à Rome, Michel Amelot. La mort du roi empêche la réalisation de ce projet.


Conclusion

Noailles meurt le 4 mai 1729, après cinquante années d’épiscopat. Dès sa mort, il fut regardé avec le mépris le plus complet. Les contemporains, puis les historiens ont retenu uniquement son incapacité à dominer les querelles religieuses de la fin du règne de Louis XIV ; les articles et les biographies du xixe siècle ne l’abordent qu’à travers son attitude ambiguë lors des querelles jansénistes. Sa fortune critique méritait donc qu’on s’intéresse à lui. En effet, les querelles religieuses ont trop fait oublier le pasteur et l’évêque. Son action permanente au service des trois diocèses dont il eut la charge, ses déplacements pastoraux, sa rigueur, la multitude de ses mandements, tout cela aurait suffi à décourager le commun des prélats. Quoi que l’on puisse penser de ses convictions, Noailles présente une œuvre pastorale cohérente. Il peut être considéré comme l’un des meilleurs évêques tridentins de son temps.


Pièces justificatives

Pièces réunies par le Père Léonard sur l’épiscopat de Noailles (1695-1696). ­ Oraisons pieuses de la duchesse de Noailles (1695-1696). ­ Conférences ecclésiastiques de 1697. ­ Extraits de la correspondance du cardinal de Noailles, du roi et de Torcy lors du conclave de 1700.


Annexe

Généalogie simplifiée de la maison de Noailles à la fin du xviie siècle.