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École des chartes » thèses » 2004

François Le Métel de Boisrobert (1592-1662), écrivain et homme de pouvoir


Introduction

François Le Métel de Boisrobert (1592-1662) eut une carrière d’hommes de lettres remarquable. Après une phase d’ascension caractéristique du parcours social des écrivains adeptes d’une “ stratégie du succès ” (Alain Viala), au cours de laquelle il usa des différentes institutions d’un monde littéraire en devenir, il intégra la clientèle du cardinal de Richelieu, auprès duquel il occupa rapidement une position de favori. Placé à l’intersection du pouvoir politique et du champ des auteurs, il fut un intermédiaire extrêmement actif, procurant des plumes à son patron et des revenus à ses confrères. Ce rôle, qui dépassait le cadre strictement littéraire, lui donna un pouvoir réel associé à une fortune appréciable, constituée par les importants bénéfices que lui valut sa faveur.

Cette situation confortable fut complètement remise en cause par la mort du cardinal en 1642. Le poète passa les vingt dernières années de sa vie à se chercher des protecteurs de remplacement. Face au relatif échec de ces tentatives, il put s’appuyer sur une situation matérielle solide et des réseaux réactivés dans la difficulté. Surtout, il envisagea différemment sa production de textes : en s’appuyant sur une mode espagnole qu’il avait fortement contribué à créer, il écrivit de nombreuses pièces de théâtre pour compenser sa défaveur auprès des puissants par le succès public, qu’il rencontra en effet. Son devenir historiographique, en revanche, fut un oubli rapide, doublé de la réduction du personnage à quelques traits sans cesse répétés, tels que sa caractérisation en bouffon.


Sources

En l’absence de fonds privé, c’est sur des documents dispersés et hétérogènes qu’il a fallu s’appuyer pour reconstituer la vie de Boisrobert. Tout d’abord, le Minutier central des notaires de Paris, conservé au Centre historique des Archives nationales, a fourni des informations précieuses sur Boisrobert et sa famille, en particulier à travers son testament, jusqu’ici inconnu. Ce dépôt a livré d’autres documents intéressants extraits de fonds judiciaires (parlement de Paris, chambre des Comptes) et ecclésiastiques (censive de l’abbaye Saint-Victor, où était situé l’hôtel de Boisrobert). Les archives provenant des bénéfices qu’il possédait, en particulier celles du chapitre de la cathédrale de Rouen, où il détenait une prébende, permettent de comprendre la position du poète vis-à-vis de ces institutions, et l’évolution de celle-ci en fonction de son état de faveur ou de défaveur. On peut également suivre ce processus dans la correspondance de Boisrobert et du supérieur de l’ordre de Sainte-Geneviève, auquel appartenait son abbaye de Châtillon-sur-Seine, qui est conservée à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Les Archives du ministère des Affaires étrangères fournissent des renseignements importants sur les voyages de Boisrobert en Angleterre (1625-1626) et en Italie (1630). Le département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France et la Bibliothèque de l’Arsenal comportent également des sources intéressant le poète, comme des listes de pensionnés où figure son nom et des copies manuscrites de certains de ses textes. En tant que membre fondateur de l’Académie française, il est présent dans des établissements de conservation liés à cette institution (Bibliothèque de l’Institut, Archives de l’Académie française). Enfin, les sources imprimées ont été largement utilisées : œuvres de Boisrobert lui-même, correspondances imprimées, ouvrages postérieurs permettant de suivre son image posthume (recueils rétrospectifs, catalogues de bibliothèques, manuels scolaires, ouvrages historiques).


Première partie
L’ascension vers la faveur


Chapitre premier
Origines

Boisrobert naquit à Caen en 1592, d’une famille rouennaise qui y avait émigré avec les officiers royalistes des cours souveraines opposées au gouvernement ligueur de la ville. A la fin des troubles, il semble que les Le Métel quittèrent rapidement Caen pour revenir à Rouen ; c’est ainsi dans la capitale normande que Boisrobert vécut ses premières années. La ville sortait exsangue du long siège de 1591-1592, où elle avait perdu un tiers de sa population. Mais elle retrouva peu à peu son statut de capitale provinciale et de ville de premier ordre, en particulier dans le domaine du commerce et de l’édition, ce qui put avoir une influence sur Boisrobert : la présence d’une importante communauté espagnole justifie ainsi en partie son rôle d’adaptateur de comedias, tandis que l’intense activité éditoriale rouennaise put, elle, favoriser son entrée dans la carrière des lettres.

On ne trouve pas de traces de la famille Le Métel antérieures au début du xvie siècle. A cette date, ses membres font figure de représentants caractéristiques du monde de la basoche en détenant des offices mineurs au sein des différents cours souveraines siégeant à Rouen. Leurs prénoms semblent indiquer que la famille rallia plutôt tardivement la Réforme. Jérémie Le Métel, père de Boisrobert, fut procureur à la Cour des Aides avant de devenir avocat au parlement ; sa mère, Jeanne Delion, était peut-être apparentée à une famille d’officiers parisiens, mais l’on n’a aucune certitude à ce sujet. Le couple eut au moins quatre enfants : l’aîné, Antoine Le Métel d’Ouville, fut ingénieur géographe et écrivit également des pièces adaptées de l’espagnol ; le cadet, Georges, sieur du Thuit, est surtout connu à travers ses fils, qui causèrent divers problèmes à leur oncle François, sieur de Boisrobert. Enfin, une fille, Charlotte, fut la mère de Pierre Le Prince, chanoine au Mans, qui fut l’héritier principal du poète. Les possessions de la famille étaient modestes, situées d’une part à proximité de Dieppe, et de l’autre près de Longueville, à l’est de Rouen.

Chapitre II
Le cheminement vers la faveur

Après une formation incertaine, Boisrobert suivit la carrière de son père et se fit d’abord avocat. Ses premiers textes poétiques furent publiés dans des recueils rouennais. Lié par ses origines au milieu parlementaire, c’est logiquement qu’il choisit ses premiers protecteurs dans les grandes familles de magistrats. Il s’agrégea ensuite à le clientèle de Marie de Médicis, à laquelle il resta lié jusqu’à la fin des années 1620. Durant cette période, il fit d’abord partie du principal groupe de poètes libertins en compagnie de Saint-Amant et de Théophile de Viau ; après le procès de celui-ci, il rejoignit le mouvement puriste se réclamant de Malherbe. Ce nouveau positionnement, ainsi que la production de poésie curiale, lui permit d’asseoir sa position à la Cour : il fit partie de la suite d’Henriette de France partie épouser Charles Ier , roi d’Angleterre, et accompagna également une ambassade extraordinaire en Italie en 1630. Revenu après la Journée des Dupes, il abandonna son ancienne protectrice pour le cardinal de Richelieu, auprès duquel il avait déjà entamé un rapprochement.


Deuxième partie
Pouvoir et fortune d’un favori


Chapitre premier
Le pouvoir de Boisrobert : servir Richelieu

A partir de 1630, Boisrobert mit sa plume au service de son nouveau patron. Il écrivit d’une part des pièces de théâtre, dont certaines furent le fruit d’une collaboration dans le cadre du groupe des Cinq-Auteurs formé par le cardinal. Surtout, il fut le maître d’œuvre de plusieurs entreprises encomiastiques qui prirent la forme de quatre recueils à la gloire du roi et de son ministre. Cette action s’inscrit dans le cadre d’un rôle plus large d’intermédiaire entre Richelieu et le monde des écrivains ; il se qualifia lui-même de “ solliciteur des pauvres Muses affligées ”, et en effet il intercéda souvent en faveur d’auteurs nécessiteux qu’il faisait connaître au cardinal afin qu’il leur accordât une pension. En regard de cette fonction de représentant des écrivains auprès du pouvoir politique, Boisrobert fournissait à son patron des écrivains dévoués et reconnaissants. Plus généralement, il semble qu’il ait été pour Richelieu un relais d’informations provenant de milieux divers. Cette position lui procura un pouvoir certain que lui reconnaissaient ses contemporains et qui lui permit d’accéder à la noblesse en 1636.

Chapitre II
Une fortune en bénéfices

Ce pouvoir s’accompagna de la constitution d’une fortune importante, essentiellement constituée de bénéfices. Certes, Boisrobert reçut des pensions, des gages, des gratifications ponctuelles, mais ce sont ses prieurés, son abbaye de Châtillon-sur-Seine et son canonicat à Rouen qui représentent la grande majorité de ses revenus. L’étude de ces bénéfices, obtenus grâce à la faveur dont il jouissait auprès du cardinal de Richelieu, permet de situer la place d’un favori vis-à-vis d’institutions anciennes, souvent prestigieuses. En effet, si la grâce d’un puissant permet l’obtention des bénéfices, elle confère aussi au bénéficiaire un pouvoir d’intercesseur qui l’extrait des hiérarchies établies dans l’institution ; il y possède un statut proprement extraordinaire, qui s’effrite lors de la mort du protecteur.


Troisième partie
Disgrâce, défaveur et oubli


Chapitre premier
La disgrâce

A deux reprises, Boisrobert dut affronter la disgrâce. Celle-ci peut se définir comme une interruption de la faveur se déroulant suivant des modalités toujours semblables (événement déclencheur, exil, démarches, rappel plus ou moins progressif), qui peut avoir des conséquences durables ou non.

La disgrâce de 1640.­ En décembre 1640, Boisrobert fut renvoyé par Richelieu et dut partir à Rouen, où il dut demeurer jusqu’en novembre 1642. Si Tallemant des Réaux évoque comme raison de cet exil une affaire de mœurs, c’est un conflit de clientèles qui en fut la cause profonde. En effet, le poète entretenait depuis longtemps des relations avec la famille d’Effiat ; le jeune Henri d’Effiat, marquis de Cinq-Mars et favori de Louis XIII, se retourna en 1640 contre Richelieu, son ancien protecteur, et proposa à Boisrobert de quitter son maître pour rejoindre son parti. Celui-ci ne donna pas suite, tout en refusant par fidélité à la famille d’Effiat de le dénoncer au cardinal ; Cinq-Mars se vengea en faisant pression sur le roi pour qu’il exige son renvoi. C’est grâce à la chute du jeune favori que Boisrobert put obtenir son rappel, mais trop peu de temps avant la mort de Richelieu pour pouvoir réellement profiter du rétablissement de sa situation.

La disgrâce de 1655.­ En 1655, dans un tout autre contexte, Boisrobert fut de nouveau renvoyé de la Cour. Cette fois, c’est bien une affaire de mœurs qui provoqua cet exil : c’est le joueur impénitent, l’abbé impie et blasphémateur qui était visé. Le retour en grâce fut progressif : s’il put revenir à Paris dès 1655, la dévote Anne d’Autriche ne le reçut de nouveau qu’en 1658. Cette fois encore, il pâtit de l’hostilité de certains hauts personnages, en particulier du surintendant des finances Abel Servien. Mais cette disgrâce fut surtout la matérialisation du problème d’image dont souffrait alors Boisrobert, déchiré entre la figure d’ “ abbé comique ” qui lui était attachée et son désir de s’acquérir une respectabilité nécessaire dans la nouvelle Cour.

Chapitre II
La défaveur

Trouver un remplaçant à Mécène. ­ A la mort de Richelieu, Boisrobert se tourna vers d’autres puissants pour maintenir une position sociale, qui était cependant garantie par sa considérable fortune. Ce fut tout d’abord Mazarin mais, comme d’autres écrivains, il fut déçu par le peu d’intérêt du Cardinal pour le monde des lettres. Sa position durant la Fronde fut ainsi relativement floue, oscillant entre une fidélité hautement affichée par la suite et une position discrètement critique vis-à-vis de ce patron peu généreux. Boisrobert offrit également ses services au chancelier Séguier, auquel il était lié depuis les années 1630, à Nicolas Fouquet, dont la générosité attirait de nombreuses plumes, ainsi qu’à d’autres personnages haut placés. Cette propension à multiplier les protecteurs l’empêcha de retrouver une position privilégiée auprès d’un seul patron et lui attira les sarcasmes méprisants de plusieurs contemporains, dont Guez de Balzac.

La tentation du succès. ­ Face à la perte d’une partie de son identité lors de la mort de Richelieu et à l’échec de ses tentatives de transfert de services, Boisrobert emprunta une voie nouvelle pour maintenir une certaine visibilité sociale en tant qu’écrivain : il se mit à écrire beaucoup plus, en particulier des pièces de théâtre adaptées de comedias espagnoles. Il se situait en cela dans le prolongement des travaux de son frère Antoine d’Ouville, hispaniste éminent qui fut le premier à explorer cette veine nouvelle. Tous deux rencontrèrent un accueil favorable de la part du public ; Boisrobert ajouta à ce nouveau caractère d’auteur à succès une participation active aux réseaux précieux, en fréquentant leurs salons et en participant aux recueils édités par ce milieu. Ces deux nouveaux rôles lui permirent de compenser quelque peu l’absence de positionnement clair au sein d’une clientèle.

Chapitre III
L’oubli

L’étude du testament de Boisrobert permet d’appréhender sa situation matérielle à la veille de sa mort, ainsi que d’éclairer certains aspects de sa personnalité, en particulier la nature de son sentiment religieux. La faiblesse de celui-ci apparaît dans les formulations et la part remarquablement réduite des dons de nature religieuse, ce qui apparaît conforme à son caractère de protestant converti et de libertin notoire. D’autre part, si sa fortune semble avoir souffert de ses pertes au jeu, de nombreux signes indiquent un niveau de vie très élevé, que ce soit les sommes léguées ou les quelques éléments de mobilier cités.

La destinée posthume de Boisrobert débuta le 5 avril 1662, date de son décès. Son œuvre tomba rapidement dans l’oubli, en particulier son œuvre poétique, qui ne figure qu’exceptionnellement dans les recueils de la fin du xviie siècle et du XVIII e siècle. Quelques-unes de ses pièces trouvèrent leur place dans le cadre de grandes entreprises rétrospectives au XVIII e siècle, mais de manière marginale, et surtout accompagnées d’apparats critiques déconsidérant leur auteur. L’image de Boisrobert se figea peu à peu, en particulier dans les recueils d’anecdotes tels que le Menagiana, qui furent très largement exploités. On assiste ainsi au xixe siècle à un oubli quasiment total du personnage dans les ouvrages d’histoire, tandis que l’écrivain est passé sous silence ou méprisé dans les manuels d’histoire littéraire. C’est le développement des études d’érudition dans la seconde moitié du siècle qui permit d’éclairer quelque peu sa biographie et d’éveiller l’intérêt pour ce personnage réduit au statut de caricature. Plus tard, les historiens de la littérature commencèrent à se pencher sur son œuvre, en particulier sur son rôle comme adaptateur de pièces espagnoles. Récemment, le développement de l’histoire sociale de la littérature autorisa un regard nouveau sur ces minores grâce à un travail de contextualisation systématique.


Conclusion

L’axe faveur-défaveur apparaît ainsi comme central chez Boisrobert, à la fois dans le cours chronologique de son existence et dans les problématiques que soulève l’étude de sa biographie. D’une part, à travers son caractère de favori du cardinal de Richelieu, il offre un aperçu intéressant de la nature des services qu’un client pouvait rendre à son patron, et du pouvoir que cette position conférait en extrayant le favori des hiérarchies traditionnelles. Mais il permet surtout de mieux comprendre la nature de la disgrâce et de la défaveur dans la société française de la première modernité : outre la modification de sa situation matérielle, on peut, grâce à des sources couvrant l’ensemble de sa carrière, saisir l’évolution du regard porté sur un personnage dont l’identité sociale repose sur des services acceptés et reconnus par les puissants et vacille aussitôt ces services ignorés.