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École des chartes » thèses » 2004

Étude iconographique de l’Arbre de Jessé en France du Nord du xive siècle au xviie siècle


Introduction

L’Arbre de Jessé est un thème iconographique qui semble bien connu des historiens et des historiens d’art. Cette image est inspirée de la prophétie d’Isaïe (Is. XI, 1), disant que le patriarche Jessé donnerait naissance à une tige et à une fleur, prophétie interprétée comme l’annonce de la venue du Christ par la Vierge. Le xiie siècle constitue à ce titre une des périodes les plus riches en études, car c’est le moment où l’iconographie de l’Arbre de Jessé apparaît. Ces travaux ont essayé de comprendre pourquoi la genèse de cette image ne s’est faite qu’à ce moment et ont tenté de saisir sa signification, suivant des approches diverses, l’histoire de l’art et du style, l’histoire de l’iconographie religieuse, la sociologie politique, ou encore l’histoire sociale et l’anthropologie. L’évolution de l’Arbre de Jessé, de la fin du Moyen Âge à sa disparition à l’époque moderne, n’a suscité en revanche aucune recherche universitaire et constitue donc l’objet de cette thèse. Seule l’élaboration d’un corpus précis, dans une zone géographique restreinte, envisageant l’intégralité des supports, permet de cerner les évolutions importantes de l’Arbre de Jessé. Cette étude se situe donc au carrefour de plusieurs disciplines : l’histoire de l’art, l’histoire religieuse, l’histoire littéraire ; toutes sont requises pour comprendre comment, pourquoi et sous quelle forme l’Arbre de Jessé perdure aux siècles tardifs du Moyen Âge et au-delà.


Sources

Les sources utilisées sont de deux types : sources iconographiques, c’est-à-dire les œuvres d’art comportant le thème de l’Arbre de Jessé, et sources textuelles.

Les sources iconographiques englobent les enluminures, la gravure, les verrières, la sculpture, la peinture murale, la tapisserie, le textile et les arts graphiques. Réunies selon une méthodologie la plus scientifique possible, exposée dans la thèse, ces œuvres d’art forment un corpus d’environ 300 objets qui s’étendent sur toute la période envisagée et l’aire géographique proposée. Ces sources ont fait l’objet d’un traitement bibliographique, stylistique, iconographique et statistique systématique.

Les sources textuelles se concentrent davantage sur la période chronologique envisagée, non sans faire appel aux siècles antérieurs. Écrits de théologiens et d’historiens, sermons, hymnes liturgiques sont autant de sources envisagées pour comprendre le contexte textuel dans lequel la prophétie d’Isaïe et le Liber Generationis de saint Matthieu se situent. Enfin, le caractère tardif des périodes abordées et le problème de la disparition de l’Arbre de Jessé ont conduit à utiliser les décrets du concile de Trente, les écrits des Réformés tels que Luther et Calvin, ainsi que les traités sur les images composés par des théologiens de la Contre-Réforme


Première partie
Analyse du corpus établi


Chapitre premier
Analyse diachronique de l’Arbre de Jessé

Il convient de montrer dans quelle proportion l’Arbre de Jessé se diffuse du xive siècle au XVI e siècle. On envisage donc un retour en arrière sur le xiiie siècle, afin de comprendre mieux la spécificité des siècles postérieurs. Au xiiie siècle, période faste pour l’Arbre de Jessé, succède une période de ralentissement qui dure une bonne partie du xive siècle et se caractérise par l’arrêt de la production de ce thème dans les supports du vitrail et de la sculpture, ainsi que par sa raréfaction dans le manuscrit ; ce phénomène semble être dû à une gestation et à une mutation formelles et structurelles majeures du motif. Puis l’Arbre de Jessé réapparaît au début du xve siècle, se développe progressivement dans la première moitié du siècle et connaît un nouveau succès dans le troisième quart du XV e siècle, avec une production intense et standardisée dans le vitrail et les incunables. Ce dynamisme perdure pendant toute la première moitié du xvie siècle dans le vitrail et s’étend aux autres supports.

Une modification de l’emplacement de l’Arbre de Jessé accompagne cette diversification. Tout d’abord utilisé comme illustration du début de l’évangile de saint Matthieu, le motif se trouve développé dans des ouvrages “ historiques ” ou “ encyclopédiques ”, puis s’oriente, à partir du xive siècle, vers un contexte de plus en plus marial, avec le Speculum humanae salvationis ou les livres d’Heures. L’Arbre de Jessé dans le support du vitrail connaît souvent un emplacement de choix, chœur de l’édifice ou chapelles mariales ; sa présence dans des églises semble parfois liée au patronage de l’église, vouée à la Vierge, à sa naissance ou à sa conception.

Enfin, la forme de l’Arbre de Jessé épouse ces évolutions : au xiiie siècle, l’Arbre de Jessé se développe de manière verticale, mais à partir du troisième quart du xiiie siècle, il s’affranchit de sa lettrine et adopte la forme “ tréflée ”, sorte de transition inédite vers l’arborescence qu’il connaît au début du xve siècle et qu’il n’abandonne plus. Ces transformations vont de pair avec une évolution iconographique des personnages.

Chapitre II
Analyse thématique de l’Arbre de Jessé

On s’intéresse plus spécifiquement à l’évolution des protagonistes de l’Arbre de Jessé. Schématiquement une rupture apparaît à la mi-XV e siècle : une nouvelle formule intervient et se propage avec plus ou moins de fortune suivant les régions. Jessé passe de la position allongée à assise dans le courant du xve siècle, ce qui accentue son importance de patriarche. Parallèlement, le Christ et la Vierge changent : au xiiie -XIVe siècle, ils étaient développés individuellement, puis, à partir du début du xve siècle, ils forment un couple indissociable. Le nombre de rois passe d’un petit nombre à douze. Les prophètes, après une relative disparition au xiiie -XIVe siècle, réapparaissent ponctuellement aux côtés de Jessé. Le saint Esprit n’est pratiquement plus représenté. Enfin, l’Arbre de Jessé se fait progressivement envahir par d’autres personnages, comme ceux de la sainte Parenté.

Cette nouvelle formule atteste d’un glissement significatif, insistant sur le poids de la Vierge dans la parenté du Christ et sa conception.


Deuxième partie
Les grandes problématiques de l’Arbre de Jessé


Chapitre premier
L’Arbre de Jessé, une image de généalogie ?

L’Arbre de Jessé comme illustration de la généalogie du Christ constitue une problématique intéressante car le motif contient une certaine ambiguïté dans la conception même de la notion de généalogie. L’Arbre de Jessé n’est pas, par ses origines scripturaires, pensé comme une image illustrant la généalogie de saint Matthieu, mais comme une prophétie. Néanmoins, son emplacement dans les bibles à l’incipit de saint Matthieu à partir de la seconde moitié du xiie siècle et, ce pendant une bonne partie de sa vie, lui assigne ce rôle. L’Arbre de Jessé ne met pas en scène les quarante-deux protagonistes contenus dans la généalogie de saint Matthieu mais procède à des choix stratégiques. La place qu’occupe la Vierge est à ce titre déterminante, car elle permet de relier le Christ à la royauté de David, et donc à l’Ancien Testament, ce que la filiation par les hommes et notamment par Joseph, contenue dans la généalogie de saint Matthieu, ne rendait pas possible. Au fur et à mesure que l’importance de la Vierge se concrétise, on a même le sentiment que l’Arbre de Jessé devient une généalogie de la Vierge, où ses parents et sa lignée sont représentés.

L’Arbre de Jessé semble donc dépasser l’image généalogique, puisqu’il ne se cantonne pas à une imitation servile du texte de saint Matthieu, mais contient une idée de généalogie, même si la représentation de ces dernières jusqu’à la fin du xve siècle n’adoptent pas la forme ascendante de l’Arbre de Jessé. On ne peut donc refuser à l’Arbre de Jessé son statut de généalogie du Christ sous prétexte qu’il renverrait à une idée plus large, celle de la Parenté. Cette problématique généalogique peut d’ailleurs apparaître comme un sous-ensemble de la question de la parenté, où finalement l’Arbre de Jessé joue le rôle de légitimation de l’Incarnation du Christ par la succession des ancêtres, tout en promouvant un système de parenté spécifique. On est d’autant plus conforté dans cette idée si on considère les autres représentations de la généalogie du Christ dans l’iconographie médiévale “ française ” : on ne trouve aucune autre image qui n’ait pas été à terme évincée par l’Arbre de Jessé.

Chapitre II
L’Arbre de Jessé, une image de l’Immaculée Conception ?

La nouvelle forme et la résurgence que l’Arbre de Jessé connaît à partir du xve siècle et jusqu’au XVI e siècle ont été attribuées par l’historiographie traditionnelle au fait que l’Arbre de Jessé avait été récupéré comme une image de l’Immaculée Conception de la Vierge. L’hypothèse mérite d’être vérifiée : il a pu être tentant d’instrumentaliser l’image de parenté et de conception qu’était l’Arbre de Jessé dans les discussions autour du caractère immaculé ou pas de la conception de la Vierge.

Après avoir resitué le débat de l’Immaculée Conception et ses développements dans la Chrétienté de la fin du xie siècle au concile de Trente, débat âpre, déchirant qui n’a pu déboucher sur la reconnaissance officielle de cette croyance en dogme, il convenait d’étudier les différentes iconographies utilisées pour appuyer l’Immaculée Conception et de saisir la place spécifique de l’Arbre de Jessé. Cet examen critique ne permet pas de dissiper les incertitudes, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’en fonction de l’intention de chacun, l’Arbre de Jessé, dans les textes comme dans les images, est soit utilisé par les maculistes, principalement les Dominicains, comme une image de l’Incarnation du Christ et de la virginité de Marie, soit récupéré par les immaculistes comme une image contenant la conception immaculée de la Vierge en plus de ces éléments.

L’analyse des critères iconographiques censés traduire le glissement de l’Arbre de Jessé vers l’Immaculée Conception n’est guère plus concluante. Certes l’apparition de la nouvelle formule à partir de la seconde moitié du xve siècle, avec l’emprunt de plus en plus significatif à la Femme de l’Apocalypse, semble être utilisée par les immaculistes. Des caractéristiques ayant trait à l’environnement iconographique de notre image ou à son implantation géographique, par exemple en Normandie, qui a développé des confréries en l’honneur de la Conception de la Vierge, peuvent être autant d’indices allant dans ce sens. Néanmoins, quand on tente d’établir une chronologie linéaire et raisonnée de l’Arbre de Jessé immaculiste, on aboutit à une impasse, que traduit par exemple le changement iconographique du début du xve siècle de l’Arbre de Jessé. Moment d’évolution de l’image vers une arborescence et le développement de la Vierge à l’Enfant, il ne contient cependant aucune trace tangible de référence à l’Immaculée Conception de la Vierge. La nouvelle formule de la mi-XVe siècle est un jalon important, mais qui n’est pas systématiquement relayé à la même époque et ne triomphe pas aux périodes suivantes.

Il faut donc en conclure que l’on ne peut réduire l’Arbre de Jessé à l’expression de l’Immaculée Conception. En tant qu’image de parenté, il a pu épouser les débats autour de cette question pour un temps, un certain type d’œuvre et de commanditaires, mais reste avant tout une image de parenté qui continue à fleurir pendant toute la première moitié du xvie siècle, alors même que l’Immaculée Conception voit son iconographie se fixer.

Chapitre III
L’Arbre de Jessé, une image de propagande royale ?

S’inspirant de la sociologie politique et des écrits de Kantorowitz, un courant historiographique a voulu voir dans l’Arbre de Jessé un produit politique développé par Suger pour exalter la royauté capétienne, en liaison avec l’abbaye de Saint-Denis ; du reste, ce type de raisonnement a été appliqué à beaucoup d’Arbres de Jessé des périodes hautes. Il est donc apparu important de présenter le raisonnement développé par cette école, en remontant au xiie siècle, et d’analyser les différents arguments en présence. Ces Arbres de Jessé auraient été sciemment développés par des dominants politiques, généralement des rois, pour servir leur ambition politique, en raison de la présence de rois dans l’iconographie et du parallèle établi entre royauté biblique et royauté temporelle. Cette argumentation nous paraît abusive, voire fallacieuse, car elle instrumentalise une image à l’origine religieuse sans tenir compte de son environnement iconographique : au xiie -XIIIe siècle, l’Arbre de Jessé est souvent présent dans les cathédrales, non comme don royal, mais comme élément d’un programme iconographique autour de l’Incarnation et du rôle de la Vierge.

La démocratisation de la production des Arbres de Jessé tend à vider de sa portée une telle interprétation politique pour le bas Moyen Âge. On ne trouve guère que l’exemple de l’Arbre de Jessé de la cathédrale d’Évreux qui ait été analysé par certains chercheurs comme l’expression de la volonté de Louis XI, son commanditaire, d’exalter le pouvoir royal. A vrai dire, le choix de la Vierge comme patronne de Louis XI et de sa lignée peut tout autant expliquer la présence de cet Arbre de Jessé qui s’intègre assez bien dans l’ensemble iconographique de la cathédrale.

Pour en terminer avec la portée politique de l’Arbre de Jessé, il convenait de savoir si l’Arbre de Jessé avait pu être utilisé comme symbole ou spectacle lors des entrées royales, afin de comprendre dans quelles conditions cette image était perçue. Plusieurs exemples démontrent l’impossibilité en l’espèce de différencier le religieux du politique, tant le pouvoir du roi se revêt de plus en plus d’une dimension religieuse évidente.


Troisième partie
Figures d’Arbres


Chapitre premier
L’Arbre et la Parenté

Il s’agit de voir en quoi la figuration arborescente est devenue, à partir du xve siècle, un moyen d’exprimer la parenté. Ainsi, certains arbres généalogiques de la fin du xve siècle ont adopté le sens ascendant et l’arborescence pour figurer la lignée de rois ou d’empereurs. Ce développement est mis en confrontation avec l’Arbre de Jessé, afin de savoir si ce dernier a pu à terme influencer les représentations des arbres généalogiques de laïcs.

On s’intéresse aussi à la parenté spirituelle et aux arbres des communautés religieuses qui, à partir du xve siècle, choisissent un modèle assez proche de l’Arbre de Jessé : le fondateur est figuré donnant naissance à un arbre qui porte les plus insignes membres de l’ordre. Ce type de représentation montre que même dans un système qui semble a prioriéchapper aux lois de parenté biologique, on adopte un schéma de parenté qui fédère la communauté. Chaque ordre développe donc un arbre selon des modalités spécifiques : on retrouve ainsi dans les arbres de Franciscains et de Dominicains l’expression de leurs divergences sur la question de l’immaculée Conception de la Vierge, ce qui montre bien que l’Arbre de Jessé constituait un référent important.

Enfin, l’Arbre de Jessé semble avoir inspiré des arbres de parenté féminine du Christ à partir de la fin du xve siècle, comme l’arbre de sainte Anne, l’arbre de sainte Anne et de Joachim ou encore l’Arbre de la mère de sainte Anne, Émérentie, et l’arbre de la sœur de sainte Anne, Ismérie. L’intérêt porté à une parenté plus large du Christ et de la Vierge est la conséquence directe de l’Immaculée Conception, où sainte Anne s’est vue promue “ patriarche-souche ”, en raison de son statut de mère de Marie.

Ces Arbres féminins proposent un système de parenté à la fois proche et concurrent de celui de l’Arbre de Jessé, où la parenté charnelle semble être plus déterminante que la parenté spirituelle, ce qui correspond à la fin du xve siècle à une remise en cause de ce dernier type de parenté imposée par l’Église dans certaines couches de la société.

Chapitre II
L’Arbre et le Songe

La représentation de l’Arbre de Jessé se fait selon la modalité du rêve alors qu’aucun élément textuel n’invite à un tel cadre. Il faut donc en déduire que la prophétie conditionne implicitement la représentation du rêve. Néanmoins, on peut se demander si d’autres raisons ne peuvent expliquer cette représentation particulière. En confrontant l’Arbre de Jessé avec d’autres types de rêves faisant intervenir l’arborescence ou l’excroissance végétale, comme le songe d’Astyage ou le songe du père de Géraud d’Aurillac, on constate que le rêve est toujours associé à l’annonce de l’engendrement de personnages hors du commun. On peut donc se demander si le rêve n’est pas pensé comme le cadre idéal pour exprimer une forme de sexualité autorisée car donnant naissance à des individus important dans l’histoire de l’Église.

Par ailleurs, on s’intéresse dans ce chapitre à la relation que l’arborescence et la prophétie entretiennent, en comparant par exemple la virga Jesse au traitement de la virga Aaron et la virga Joseph, toutes associées à la Vierge, à sa pureté et à l’Incarnation du Christ. De manière générale, il est intéressant de constater que dans le système chrétien, la figuration végétale est employée pour dire l’indicible, l’intention de Dieu ou les grands événements fondateurs de l’Histoire sainte.

Chapitre III
L’Arbre et la Croix

La figuration arborescente a aussi été utilisée à l’époque médiévale en raison du contenu eucharistique et ecclésiologique que l’analogie typologique entre l’arbre de la Connaissance/l’arbre de vie et le bois de la Croix sous-entendait. Aussi trouve-t-on des représentations de CrucifiXIon où la croix semble être un végétal vivant.

Du fait de son contenu végétal, l’Arbre de Jessé a parfois été interprété comme une volonté d’exaltation de la croix. A ce titre, certaines iconographies de cette image peuvent être terminées par des crucifiXIons remplaçant ainsi le couple de la Vierge à l’Enfant plus traditionnel. Cette figuration ajoute à l’Arbre de Jessé une dimension ecclésiologique et eucharistique intéressante : la représentation de la Crucifixion au sommet de l’image propose une lecture complète de l’Histoire du salut, de l’Ancien Testament où l’Arbre de Jessé puise ses origines, jusqu’à la mort sur la croix du Christ incarné.

Dans ces conditions, l’Arbre de Jessé peut apparaître très proche d’autres iconographies mêlant Arbre de Vie et bois de la croix, comme le Lignum Vitae de saint Bonaventure, ou même influencer la représentation de certaines images eucharistiques comme le Credo des Apôtres ou le Pressoir mystique. La figuration arborescente inhabituelle que l’on constate parfois dans ces deux cas ajoute un élément de parenté qui conduit à la représentation de l’Église.


Quatrième partie
La disparition de l’Arbre de Jessé


La période postérieure à 1550, exclue de notre analyse statistique, marque un ralentissement progressif, puis un arrêt en 1663, de la production de l’Arbre de Jessé : le vitrail et la sculpture restent les deux supports encore un peu dynamiques.

Les éléments iconographiques de l’Arbre de Jessé semblent par ailleurs montrer que cette image n’innove plus. La station assise de Jessé qui avait constitué un moment de redémarrage devient minoritaire. La Vierge à l’Enfant adopte un type de support l’assimilant de plus en plus à la Vierge de l’Immaculée Conception. L’Arbre de Jessé revient donc, par ses caractéristiques iconographiques, à un état iconographique datant du début du xve siècle. On a le sentiment que l’Arbre de Jessé devient une image statique.

Quelles furent les raisons de cet essoufflement ? Faut-il invoquer l’influence de la Réforme, la réaction du concile de Trente, traditionnellement tenues comme responsables de la disparition de certaines images au xvie siècle ? Luther, comme Calvin, évoquent la virga Jesse au sujet du rôle de la Vierge : à leur yeux, la Vierge n’est que la pauvre servante du Christ et n’est en aucun cas la Reine du Ciel, telle qu’elle apparaît chez les “ Papistes ”. La virga Jesse fait donc l’objet d’affrontement entre Catholiques et Protestants, car elle constitue un enjeu primordial dans la définition du rôle de la Vierge. On comprend mal dans ces conditions pourquoi l’Arbre de Jessé aurait été abandonné dans le système iconographique catholique. Néanmoins, les traités catholiques sur l’image parus au lendemain du concile de Trente sont muets sur l’Arbre de Jessé, comme si cette iconographie n’intéressait déjà plus. Il faut donc expliquer la disparition de l’Arbre de Jessé par un désamour pour cette image, qui allait de pair avec l’abandon du système typologique et la manière médiévale de penser, dont l’Arbre de Jessé était un des représentants les plus éclatants.


Conclusion

L’analyse de l’Arbre de Jessé pendant cette longue période nous a permis de comprendre comment une image médiévale était capable d’évoluer et de se diffuser dans la société. Les trois grandes problématiques invoquées pour comprendre la signification complexe de cette image ne se sont pas révélées entièrement satisfaisantes, comme si l’Arbre de Jessé comportait ces notions mais les dépassait largement. Cette image se définit donc comme l’expression de la parenté du Christ, du rôle que la Vierge y a occupé et s’avère parfaitement perméable aux débats théologiques modifiant la place de chacun des protagonistes du système, tels que l’Immaculée Conception. L’Arbre de Jessé révèle de manière exemplaire l’évolution de la dévotion pour la Vierge : louée dans un premier temps comme celle qui a permis l’Incarnation du Christ et qui est restée vierge, elle devient si importante que son rôle de mère lui offre des privilèges corporels considérables, comme sa conception et la destinée de son corps après la mort qui échappe au lot commun des hommes. Cette oscillation entre le caractère humain de la Vierge et sa “ divinisation ” est le moteur de l’évolution de l’Arbre de Jessé, qui, derrière la perspective d’exprimer un système de parenté spécifique, cache l’ambition de représenter l’Église.


Annexes

Quatre tomes renferment les différentes œuvres comportant l’iconographie de l’Arbre de Jessé : les œuvres sont présentées suivant un classement géographique ; pour chaque œuvre figurent une notice explicative et une reproduction ; le tome I contient les enluminures, le tome II, les vitraux, le tome III, les sculptures, le tome IV, les autres objets mobiliers. Le tome V offre un échantillon des autres iconographies évoquées à titre de comparaison. Le tome VI présente la méthode et les éléments de l’analyse statistique qui sous-tend la thèse.