Opera Fl. Merobavdis v. spect. Pro imperio et pro Deo
Introduction
L’auteur. On sait peu de choses de Fl. Merobaudes, poète et orateur latin du ve siècle dont l’essentiel de l’œuvre fut retrouvé au début du xixe siècle par B.G. Niebuhr, sur des palimpsestes conservés à la Stiftsbibliothek de Saint-Gall. Jusque-là, on le connaissait surtout grâce aux sources épigraphiques. On conservait notamment la dédicace de la statue d’airain qui fut érigée à son effigie sur le Forum de Trajan le 30 juillet 435 (CIL, VI, 1, n° 1724). Il y est présenté comme uir spectabilis et comte du Consistoire ; l’inscription mentionne à la fois ses hauts faits militaires et son habileté à chanter ceux des autres. Quelques fragments de son épitaphe ont aussi survécu sans que l’on puisse en tirer d’indication sur la date de sa mort (CIL, VI, 4.2, n° 31 983). C’est probablement à lui que fait rapidement allusion Sidoine Apollinaire ( carm., 9, 296-301), nous apprenant son origine espagnole. À ce maigre dossier s’ajoutent quelques mentions dans des chroniques de l’époque et chez Boèce. Dans les fragments retrouvés de son œuvre, l’auteur ne mentionne à son propre sujet qu’un voyage en Orient et l’honor maximus probablement le titre de patrice qu’il aurait reçu de Théodose II. L’homme était donc un haut fonctionnaire de l’Empire et s’insérait probablement dans le réseau de clientèle d’Aétius aux louanges de qui est consacré l’essentiel de son œuvre.
Les œuvres. Grâce aux palimpsestes de Saint-Gall, on conserve quatre carmina minora et les fragments de deux panégyriques d’Aétius, l’un en prose, l’autre en vers. L’ensemble de ces textes est datable des années 440. Les carmina s’apparentent à la poésie épigrammatique précieuse de l’antiquité tardive. Les deux premiers, composés en distiques élégiaques (23 et 14 vers), sont des ekphraseis du palais impérial où le poète se complaît à décrire le riche décor de la résidence ravennate. Il s’intéresse notamment à des œuvres d’art représentant la famille de Valentinien III, ce qui lui offre un prétexte pour glorifier la domus augusta. Le Carmen III, lui aussi écrit en distiques (sept vers intelligibles), est une description du jardin de Faustus, un haut fonctionnaire et ami du poète. Le Carmen IV, plus long (46 vers), pour lequel Mérobaudes a adopté l’hendécasyllabe phalécien, est un chant d’anniversaire pour Gaudentius, fils cadet d’Aétius. Il est fortement inspiré du Genethliacon Lucani de Stace ( Silv., II, 7). Le Sangallensis livre ensuite le Panégyrique d’Aétius en prose. Ce texte est en fait une gratiarum actio, prononcée pour remercier le généralissime d’Occident qui avait obtenu pour Mérobaudes le titre de patrice. Le poète devenu orateur s’inspire ici de la tradition encomiastique établie sur des règles de composition assez strictes depuis le Panégyrique de Trajan de Pline le Jeune. Il se complaît dans des développements politico-philosophiques assez vagues, fait l’éloge des qualités de chef de son grand homme et livre un intéressant récit de la bataille du mons Colubrarius(env. 438). Le Panégyrique d’Aétius en vers est la plus longue des œuvres qui ont survécu (195 hexamètres dactyliques intelligibles). Il mêle l’éloge du chef, un récit de bataille et des éléments surnaturels empruntés à l’épopée classique. Enfin, une œuvre a été transmise par une tradition parallèle. Il s’agit d’un court poème chrétien (30 hexamètres) intitulé Laus Christi ou De Christo qui est en fait une profession de foi rigoureusement orthodoxe, inspirée du Symbole de Nicée-Constantinople pour le fond et, pour la forme, du De Saluatore de Claudien ( Carm. min., 32).
Langue et style. Du point de vue du lexique, de la syntaxe et de la morphologie, la langue de Mérobaudes offre peu de traits saillants. Son vocabulaire est celui de la poésie latine classique. Tout au plus remarquera-t-on un emploi assez abondant de termes techniques militaires ou politico-juridique. Le style est raffiné à l’excès, faisant appel à une pléthore de figures de style apprises systématiquement en contexte scolaire. L’auteur recherche souvent la périphrase, jusqu’à en devenir obscur. En cela, il est assez caractéristique de la littérature précieuse de l’Antiquité tardive.
Première partieÉdition, traduction et étude de l’œuvre de Fl. Mérobaudes
Édition. Pour les textes fournis par le Sangallensis, on est le plus souvent resté très fidèle au manuscrit, qui est peu fautif et de très peu postérieur à la rédaction (fin ve -début vie siècle). Les principaux problèmes d’ordre ecdotique tiennent aux nombreuses lacunes provoquées par le traitement qu’a fait subir le viii e siècle au manuscrit primitif. Des folios entiers ont été perdus ainsi que, sur ceux qui nous sont parvenus, quelques lignes en haut ou bas de page et quelques mots en début ou fin de ligne. Ce sont ces dernières lacunes qu’il a paru nécessaire d’essayer de combler, de manière à rendre intelligibles les fragments conservés. Pour ce faire, il fallait, semblait-il, tenir compte des avis des éditeurs précédents. Un apparat positif a donc été adopté. Au contraire, pour la Laus Christi, qui nous est parvenue par l’intermédiaire d’assez nombreuses éditions humanistes puis scientifiques, il a semblé préférable d’adopter un apparat semi_négatif.
Traduction. L’œuvre de Mérobaudes n’avait jamais été traduite en français. Il a paru bon d’essayer de combler ce manque. Les textes poétiques courts ( carmina et Laus Christi) ont été traduits en vers non rimés, le panégyrique en vers, en lignes de prose. Une concordance ( key word out of context) de l’ensemble de l’œuvre a été livrée après la traduction. Elle donne à la fois les références de chaque terme et la ou les traduction(s) proposée(s).
Commentaire. Un récent ouvrage ayant consacré plus de 200 pages à l’étude du Panégyrique en prose(A. Bruzzone, Flavio Merobaude, Panegirico in versi, Rome, 1999), ce texte a été exclu du commentaire et seulement annoté sous forme de remarques attachées à la traduction. Le reste de l’œuvre méritait un commentaire plus fourni, qui prît en compte les aspects à la fois historiques et littéraires. Du premier point de vue, les textes de Mérobaudes avaient déjà fait l’objet d’un certain nombre de publications courtes. Il fallait surtout faire la synthèse des différentes opinions et trancher entre elles dans les nombreux cas de divergence. Sur le plan littéraire, tout ou presque restait à faire. Outre le commentaire de l’apparat critique, l’élucidation des passages ambigus et les remarques d’ordre stylistique, il a semblé intéressant de mettre à profit les moyens modernes de traitement des textes antiques pour faire une recherche systématique des réminiscences de textes antérieurs manifestées par Mérobaudes. De cette dernière étude, il ressort qu’en règle générale, le panégyriste d’Aétius est un homme de son temps : Virgile fait partie de son univers culturel mais il semble l’imiter plutôt dans des expressions consacrées ou des clausules apprises par cœur à l’école. Il s’inspire avant tout, comme ses contemporains, de poètes plus maniéristes, plus résolument élégants, comme Catulle, Ovide, Stace, Martial et, dans une moindre mesure, de Lucain, Valérius Flaccus, Silius Italicus. Assez intéressants sont les emprunts aux textes bucoliques de Calpurnius Siculus ou de Némésien ainsi que les références aux Astronomica de Manilius, qui viennent émailler les nombreux effets de lumière recherchés par l’auteur. Parmi les tardifs, c’est Claudien qui est la source d’inspiration principale de Mérobaudes. Quelques tournures et emprunts de vocabulaire, en prose notamment, semblent aussi indiquer qu’il connaissait bien certains textes de Symmaque et d’Ammien Marcellin. Mais le trait le plus remarquable de Mérobaudes de ce point de vue est le grand intérêt qu’il porte à Sénèque qu’il imite à la fois en prose et poésie, s’inspirant aussi bien des tragédies que des traités moraux ou des Lettres à Lucilius.
Deuxième partieÉtude de la tradition des œuvres de Mérobaudes
Le Sangallensis 908, ce roi des palimpsestes. On s’est intéressé au Sangallensis(Saint-Gall, Stiftsbibliothek, 908) à la fois comme à un témoin unique de la plus grande partie de l’œuvre de Mérobaudes et comme à un objet très exceptionnel, essentiellement composé de folios palimpsestes. Son étude se présente comme une notice codicologique aussi détaillée que possible. Elle comporte une étude du contenu du manuscrit, une description précise du volume dans son état actuel et un développement consacré à l’étude matérielle des écritures conservées dans les premières couches d’écriture. On a adjoint une étude paléographique des écritures les mieux caractérisées et les mieux visibles. Il a semblé bon de livrer quelques conjectures sur deux manuscrits primitifs qui ont survécu de manière fragmentaire dans le Sangallensis, celui de Mérobaudes, en tant que témoin principal de l’œuvre, et celui d’un Corpus Fidei du viie siècle, qui présente, à un folio près, la remarquable particularité de nous être entièrement conservé sous forme de palimpsestes. Il a enfin paru intéressant de donner une transcription annotée de deux textes originaux fournis par la deuxième couche d’écriture. Les Ioca monachorum sont une série de 73 questions-réponses qui se présentent sous la forme de devinettes érudites de sujet le plus souvent biblique. Ils révèlent une connaissance de la Bible à travers une version qui n’est pas toujours la Vulgate ; on y trouve aussi de nombreuses réminiscences de textes apocryphes plus ou moins liés à la pensée manichéo-gnostique. La pseudo_ Interpretatio sancti Augustini est un court développement où, à travers un court résumé de versions hétérodoxes de la Genèse, l’auteur se livre à des considérations étiologiques sur la création d’Adam et l’origine de son nom. On trouvera en annexes quelques clichés du manuscrit.
La tradition de la Laus Christi. La tradition de la Laus Christi est bien différente de celle du reste de l’œuvre de Mérobaudes. Il ne nous en reste en effet plus de témoins manuscrits, à part le ms. Chantilly, Musée Condé, 102, (1398), qui date du xvie siècle. Les témoins primordiaux sont en fait des éditions humanistes, celle des œuvres de Claudien par J. Camers (Vienne, 1510) et un recueil de la poésie latine chrétienne publié par G. Fabricius (Bâle : Oporinus, 1564). Ils présentent deux versions légèrement différentes de la même œuvre, la variante la plus remarquable étant l’omission d’un vers chez Fabricius. C’est la publication de Camers qui a fait souche et a inspiré la plus grande partie des éditions humanistes postérieures qui, du xvi e au xviiie siècle firent circuler le texte en question sous le nom de Claudien. Ce n’est qu’au xix e siècle qu’on se rendit compte qu’il ne pouvait pas être du poète alexandrin et que, redécouvrant Fabricius, on avança l’hypothèse que, comme celui-ci le précisait, la Laus Christi, pût être de Mérobaudes. Un examen attentif du texte rend cette attribution assez probable. On retrouve, dans ce court poème chrétien les mêmes sources d’inspiration privilégiées que dans l’œuvre profane : Ovide, Stace, Claudien et, plus significatifs, Manilius et Sénèque. En outre, on peut reconnaître dans la Laus la même tendance à césurer doublement les hexamètres dactyliques. Ces quelques considérations sur la tradition du poème et sur son attribution sont suivies d’une description des deux témoins primordiaux qui nous le font connaître. L’édition de Claudien par Camers est décrite d’après l’exemplaire Paris, Bibliothèque de la Sorbonne, R XVI 734, le recueil de Fabricius a été étudié d’après l’exemplaire Paris, BN, Réserve, YC-1927. On a donné à la fin de cette étude la transcription d’un court poème intitulé Miracula Christi, livré par Camers à la suite de la Laus. Le destin de ces deux textes a longtemps été lié, mais il ne semble pas que l’on puisse attribuer les Miraculaà Mérobaudes.