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École des chartes » thèses » 2005

Le cartulaire du consulat de Limoges

Un livre juratoire en occitan limousin (XIIIe-XVIIe siècle)


Introduction

Parmi les dialectes de la langue d’oc, l’occitan limousin se distingue à la fois par le mythe qui l’entoure, par ses caractères proprement linguistiques et par son histoire.

Ainsi, ce dialecte est considéré par ses locuteurs, et ce jusqu’à l’aube du xxe siècle, comme le plus pur de ceux qui forment la langue occitane, pour deux raisons essentielles. D’une part, les plus anciens textes occitans connus ont été rédigés dans cette langue –  que l’on pense au Boecis, aux poésies de Saint-Martial ou au fragment de l’Évangile de saint Jean. D’autre part, joue en faveur de cette vision idéalisée du limousin l’utilisation par les auteurs catalans du terme lemosin pour désigner l’ensemble de la langue, à la suite de Raimon Vidal, en référence aux célèbres troubadours limousins du xiie siècle, de manière comparable à l’emploi de provençal pour désigner la même réalité chez les auteurs italiens.

Par ailleurs, le dialecte limousin occupe une place à part à cause du contact permanent  avec la France d’oïl induit par la position frontière de la province limousine. Cela influe sur la langue elle-même et sur la communauté de certains traits entre le limousin et les dialectes septentrionaux, comme la palatalisation des sons ca et ga. Les caractères propres de ce dialecte, comme la chute des n finaux ou de certaines consonnes intervocaliques, contribuent à sa singularité et à son intérêt pour le linguiste.

Enfin, le choix du dialecte limousin comme langue d’administration par les communautés municipales et par les bourgeois de la province, en particulier ceux de Limoges, la concurrence du français royal et le regain d’intérêt pour les textes littéraires après 1850, en particulier à la suite du mouvement félibréen, font de ce dialecte un objet d’étude particulièrement intéressant, notamment pour les textes documentaires longtemps délaissés ou mal exploités.


Sources

Le cartulaire du consulat du Château de Limoges (manuscrit AA1 des archives municipales de Limoges) contient essentiellement des actes rédigés en dialecte limousin. Il était donc indispensable de replacer son étude dans le contexte linguistique plus large des sources documentaires en dialecte limousin. Envisager le Limousin dans son ensemble aurait représenté une masse de documents trop importante et difficile à traiter dans le cadre de cette thèse. Il a donc été nécessaire de déterminer un corpus plus réduit et il a semblé que les documents concernant Limoges formaient déjà un ensemble assez conséquent et cohérent, du fait de l’histoire spécifique du dialecte limousin dans cette ville par rapport au reste du Limousin. Le corpus envisagé correspond donc à la production documentaire d’une ville, de ses habitants et de ses institutions (commune, confréries, hôpitaux, corps de métier) et de sa zone d’influence.

Le corpus a été établi principalement à partir des documents conservés aux archives municipales de Limoges et aux archives départementales de la Haute-Vienne (en particulier des riches séries D, H et H supplément, qui renferment bon nombre de pièces en dialecte limousin). Ont été aussi utilisés les actes repérés par les érudits limousins à la Bibliothèque nationale de France ou aux archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, où est conservé le fonds de la vicomté de Limoges.

Les sources constitutives du corpus limougeaud se caractérisent avant tout par la faiblesse relative de leur nombre, si on les compare aux archives conservées pour des villes qui ont eu une activité municipale moindre que le Château de Limoges. Or, la diversité des textes limougeauds conservés permet de deviner la place presque exclusive réservée à l’occitan dans la rédaction des actes de leur administration quotidienne par les différentes institutions de la ville. La plupart des textes se trouvent aujourd’hui aux archives départementales et, en dehors du cartulaire municipal et des registres consulaires, le dépôt communal ne livre pour sa part que quelques documents d’importance secondaire. Cette faiblesse numérique tient donc aux énormes pertes qu’ont subies depuis le xviiie siècle les archives municipales : sur la base des inventaires anciens conservés, on peut les estimer à plus de 90% des documents. Des originaux, vidimus et contrats privés rédigés en majorité entre 1200 et 1400, et inventoriés au xvie siècle, il ne nous reste rien aujourd’hui, ce qui ajoute à l’importance du cartulaire. Cet intérêt est du reste renforcé par la répartition chronologique des sources : le registre consulaire livre de nombreux textes du xive siècle et, dans une moindre mesure, du XVI e siècle, périodes moins représentées dans le corpus des autres sources limougeaudes où prédominent les documents des XIII e et xve siècles.

Comme Alfred Leroux le soulignait déjà en 1907, il est peu probable que l’on découvre aujourd’hui de nouveaux éléments décisifs pour l’étude du dialecte limousin. Les fonds ont été explorés et, si certains restent à classer, aux archives départementales de la Haute-Vienne notamment, on peut faire confiance aux dépouillements et aux investigations des érudits locaux pour nous avoir livré l’essentiel de leurs trésors linguistiques.

En revanche, si ces richesses sont identifiées, leur exploitation globale est encore difficile et une connaissance précise de l’occitan limousin reste entravée par des éditions non dénuées de défauts inhérents à leur âge. L’absence d’un programme général d’édition, la diversité des règles adoptées, souvent empiriques et sans réelle cohérence d’un éditeur à l’autre, et l’inégalité des connaissances paléographiques des éditeurs portent préjudice à la qualité et la fiabilité des éditions et entraînent l’impossibilité intellectuelle et matérielle de confronter les textes du corpus entre eux. En outre, rares sont les éditions accompagnées des annexes nécessaires à leur compréhension et à une exploitation efficace. Ces défauts empêchent une véritable étude linguistique des documents d’archives en dialecte limousin.

Il faut donc reprendre l’édition des textes en tenant compte des progrès réalisés en la matière et en les dotant des clefs indispensables à leur compréhension et à leur exploitation. De ce point de vue, le chantier le plus urgent, tant par son ampleur que par l’incontestable primauté du document concerné, était la reprise de l’édition du cartulaire du consulat du Château de Limoges. En effet, la diversité, le nombre des textes et l’ampleur de la période couverte par celui-ci permettent d’avoir une vision diachronique de la langue, tant du point de vue du lexique, que de la syntaxe ou de la graphie. Ces caractéristiques en font le document idéal pour tester et définir la méthode et les choix d’édition d’un futur corpus de l’occitan limousin.


Première partie
Le contexte


Chapitre premier
Limoges et son histoire

L’histoire de Limoges et la détermination du contexte de la rédaction sont un préalable indispensable à l’édition du cartulaire municipal. Ainsi, la structure bipolaire de la ville, constituée de deux noyaux urbains bien distincts – la Cité de l’évêque et le Château de Saint-Martial – et organisée en deux consulats indépendants, donne-t-elle une importance particulière à la conservation d’un registre municipal comme le manuscrit AA1 des archives municipales. Le récit des origines de Limoges et l’étude des relations entre les grands pouvoirs (Château, Cité, abbaye de Saint-Martial, vicomtes) qui se partagent l’espace urbain limougeaud jusqu’à la Révolution sont autant d’éléments nécessaires à la compréhension des textes et des différents actes consignés dans le cartulaire. Le rappel de la présence anglaise et des relations avec la Couronne de France sur cette terre ravagée par la guerre de Cent Ans complète le panorama historique local.

L’étude des institutions propres du Château permet de décrire le consulat, les mécanismes d’élection qui le régissent et les attributions des consuls, comme de saisir la concrétisation dans l’espace de la communauté urbaine, par l’intermédiaire du sceau communal ou de l’hôtel de ville. Les consuls partagent leur pouvoir sur l’espace urbain avec les confréries de charité ou de dévotion et avec les corps de métiers qui apparaissent aussi dans le registre consulaire comme membres actifs de la ville municipale.

Chapitre II
Le manuscrit AA1

Le manuscrit AA1 des archives municipales de Limoges a été affublé de différents titres. Pendant longtemps, il a été pris pour le premier registre consulaire de Limoges, dont on trouve mention au préambule du registre BB1 ; en réalité, ce premier registre est perdu et ne correspond en rien au manuscrit AA1. Pour cette raison, il est désormais cité comme « Cartulaire du Consulat du Château » ou « Cartulaire municipal de Limoges» ou encore « Cartulaire de Limoges ». En l’éditant en 1895 successivement sous le titre de Mémorial du Consulat, puis de Cartulaire de Consulat, Camille Chabaneau a consacré ainsi pour longtemps l’appellation somme toute la plus juste.

Pourtant, si l’on confronte l’ensemble du manuscrit avec un article d’Henri Gilles consacré aux livres juratoires des consulats méridionaux ( Cahiers de Fanjeaux, n° 31), il semble que le manuscrit AA1 partage un certain nombre de caractéristiques communes à ce type de registres municipaux, qui étaient destinés à supporter la prestation du serment des consuls et des habitants à chaque élection ou en cas de danger, pour renforcer le lien communautaire, et qui servaient aussi à consigner les textes importants pour la gestion municipale et, plus généralement, pour la vie de la communauté urbaine. Ainsi de la définition de « recueil factice » donné par l’archiviste municipal Antoine Thomas, on passe à celle d’un livre certes hétéroclite, mais dont la cohérence est assurée par la notion de mémoire administrative du Consulat.

Le caractère composite de ce manuscrit est rendu évident par une étude codicologique précise, qui permet de distinguer ainsi plusieurs grands ensembles. L’étude de la composition permet d’étayer plus solidement la thèse du livre juratoire, puisqu’elle permet de retrouver les grandes catégories distinguées par Henri Gilles : des miniatures ; des textes liturgiques, dont cinq extraits des Évangiles synoptiques ; les deux ensembles de coutumes de Limoges ; le texte des serments des consuls et des habitants ; des documents économiques : un tarif des péages, un registre de mercuriales (appelées forléaux), les rentes de la confrérie des Suaires, dont la gestion a été reprise en main par les consuls. Telle est bien la mémoire de la communauté urbaine et de sa municipalité.


Deuxième partie
Édition


L’érudit Camille Chabaneau, titulaire de la chaire des langues romanes de Montpellier et majoral du félibrige limousin, est le premier à avoir donné une édition presque complète du livre juratoire de Limoges ( Revue des langues romanes,1895), reprenant ainsi les travaux partiels de nombreux prédécesseurs et contemporains. Son édition, restée longtemps le seul moyen d’accès au texte quasiment intégral du manuscrit AA1, ne suffit plus aujourd’hui pour entreprendre une étude scientifique précise du dialecte limousin.

Ainsi, Camille Chabaneau, dans une édition dépourvue de toute introduction, ce qui ne facilite pas l’intelligibilité de ses choix, opère une sélection des textes au nom de l’intérêt pour l’étude de l’occitan limousin. Il écarte les cinq extraits d’Évangiles et tous les textes liturgiques en latin du calendrier, dont il extrait uniquement les notes historiques, mentionne seulementles formulaires du greffe consulaire, édite partiellement certains textes, dont les forléaux et certaines ordonnances consulaires, et n’évoque pas un cahier relié à la fin du manuscrit, qui contient le sommaire des registres consulaires. Il choisit en revanche de compléter les statuts des selliers par un autre document, rédigé dans une langue plus tardive. Par ailleurs, Chabaneau répartit les actes du cartulaire municipal entre grandes matières et découpe artificiellement le texte : il rend ainsi impossible l’appréhension codicologique du manuscrit original et la numérotation continue des textes, nécessaire à l’indexation des termes utiles, et procède à des choix contestables, notamment pour la répartition des textes de coutumes.

La reprise du travail de Chabaneau nécessite avant tout de changer d’optique, en prenant en compte l’intégralité du manuscrit pour rendre compte de sa richesse linguistique. Ainsi la présente édition du cartulaire consulaire de Limoges livre-t-elle la totalité des textes du manuscrit AA1. Sont repris en particulier les extraits des Évangiles, le calendrier, les psaumes de la Pénitence, la litanie des saints et les oraisons limousines, délaissés par Chabaneau. Le texte des forléaux et des ordonnances du pain est complété et celui des statuts des selliers est donné tel qu’il est transcrit dans le manuscrit. Comme Chabaneau, nous avons écarté le sommaire des registres consulaires relié avec le livre juratoire : il ne faisait pas partie du document originel et il n’y avait aucun intérêt à livrer ici une table du XVIII e siècle.

Chaque texte est pourvu d’un numéro d’ordre, d’une analyse et d’une datation moderne.


Conclusion

Le cartulaire du consulat de Limoges est la clé de voûte des sources dont le chercheur dispose pour l’étude du dialecte occitan parlé et écrit à Limoges au Moyen Age et son édition permet de définir les règles qui présideront à l’établissement d’un corpus fiable et exploitable. Le rétablissement du livre juratoire de Limoges parmi ses semblables permet de redonner sa véritable place historique à la pièce principale des archives anciennes de la commune de Limoges.


Annexes

Glossaire – Index des noms propres. – Index des noms de lieux.