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École des chartes » thèses » 2005

“ Par devant moy, Martin Destourbe, tabellion et clerc juré ”

édition et étude de deux registres de tabellionage de Puisaye (XIVe-XVe siècles)


Introduction

Depuis le xixe siècle, l’attrait des historiens pour les archives notariales est un fait incontestable, ainsi qu’en témoignent les très nombreux ouvrages ou articles publiés à ce sujet. À l’intérieur de cette immense production, il convient de distinguer deux orientations historiographiques : l’une visant à étudier les archives notariales comme document diplomatique et comme source d’histoire des institutions ; l’autre cherchant à évaluer l’apport qu’elles donnent à la connaissance d’une société et d’une économie dans un certain contexte. Mais au-delà de ce constat général, il faut souligner un certain nombre de lacunes : rareté des études portant à la fois sur la diplomatique, l’histoire des institutions et l’histoire économique et sociale ; méconnaissance des juridictions gracieuses médiévales, spécifiques au nord, alors que le notariat public méridional de la même époque est beaucoup mieux connu et étudié ; quasi-absence d’éditions intégrales de registres.

Il a paru intéressant de combler ce vide à partir d’une étude de cas, centrée sur la Puisaye de la fin du Moyen Age. La thèse repose sur l’édition intégrale de deux registres médiévaux de tabellionage de Puisaye conservés aux Archives nationales dans le fonds de Saint-Fargeau (Yonne). Le plus ancien registre, celui du tabellion de Saint-Fargeau Martin Destourbe, compte 45 feuillets et couvre les années 1386 à 1392 ; celui de Jeannin du Meix, tabellion de Mézilles, est un cahier de 22 feuillets couvrant les années 1398 à 1400. L’édition critique est précédée d’une étude du contenu des actes, tant sous l’aspect diplomatique que sous l’angle économique et social.


Sources

Le fonds de Saint-Fargeau, déposé aux Archives nationales en 1966, a fourni matière à la plus grande partie des dépouillements. Parallèlement à l’édition et à l’analyse des deux registres médiévaux de tabellionage qu’il contient, ont été recherchés dans le fonds tous les documents susceptibles de se rapporter de près ou de loin à la production écrite des juridictions gracieuses en général et de nos deux tabellions en particulier. Ont été également parcourues toutes les sources existantes pour la période 1380-1420, notamment les registres de comptes et d’assises, qui éclairent abondamment le contexte socio-économique dans lequel s’inscrit l’activité des tabellions.

En-dehors des sources conservées aux Archives nationales, quelques fonds secondaires viennent compléter notre connaissance de la Puisaye médiévale. Il s’agit de quelques liasses conservées aux Archives départementales de l’Yonne, de deux cartulaires dits de la dame de Cassel conservés aux Archives départementales du Nord, et d’un ensemble de manuscrits latins ou français de la Bibliothèque nationale de France. Nos dépouillements, dans le cadre de cette thèse, sont restés limités aux fonds icaunais et nordiste.

Enfin, l’étude diplomatique s’est appuyée en partie sur la comparaison des registres de Puisaye avec quelques-uns des très nombreux registres que renferment les Archives départementales de la Nièvre et de la Côte-d’Or. Le registre de Philippe Laboche, tabellion à Decize (Nièvre), qui couvre les années 1386 à 1393, a été consulté, ainsi que neuf registres dijonnais des années 1311-1408.


Première partie
La juridiction gracieuse en Puisaye (XIVe-XVe siècles)


Chapitre premier
Gardes du sceau, tabellions et jurés dans la Puisaye des xive et xve siècles

L’apparition des juridictions gracieuses seigneuriales. – Un fragment de cartulaire rassemblant quelque 50 aveux et dénombrements rendus au comte édouard de Bar entre 1318 et 1336 est le plus ancien témoignage de l’existence de juridictions gracieuses seigneuriales en Puisaye : les trois quarts des aveux y sont en effet rendus par devant une autorité publique. À côté des institutions royales, des juridictions de l’évêque d’Auxerre et de celles des seigneuries limitrophes de la Puisaye (Nivernais, Berry), on note en particulier l’existence d’un garde-scel en 1318 dans la châtellenie de Champignelles et en 1324 dans celle de Bléneau. Les seigneurs de Pierrefort et de Pierrepont, qui possèdent respectivement les terres de Lavau et de Saint-Amand, ont chacun leur juridiction gracieuse dès les années 1320-1323.

La juridiction gracieuse du comte de Bar. – La juridiction gracieuse du comte de Bar, à qui, au partage de 1317, sont échus les trois cinquièmes de la seigneurie de Puisaye, n’est attestée qu’en 1343, soit vingt ans plus tard que les juridictions voisines de Lavau et de Saint-Amand. Le ressort de chaque juridiction est la châtellenie : il y a ainsi un tabellion établi à Saint-Fargeau, un à Mézilles, un à Perreuse et un à Toucy. Les trois premiers relèvent d’un seul garde-scel, le garde du “ scel aux causes et convenances de la terre de Puisaye ”, tandis que la châtellenie de Toucy a un garde-scel particulier. Une forte concurrence s’exerce entre les juridictions du seigneur de Puisaye et celles, voisines, des châtellenies de Donzy et Clamecy, dépendant du duc de Nevers, de Lavau et Saint-Amand, dominées par des branches cadettes de la maison de Bar, ainsi que celles de Bléneau et de Champignelles.

Les hommes du tabellionage : gardes du sceau, tabellions et jurés. – Si le garde-scel de Puisaye est un personnage assez peu éclairé par les sources, on est en revanche bien renseigné sur la personne du tabellion, qui est chargé de recevoir les contrats privés, de les rédiger sous forme d’acte authentique et d’en conserver les minutes dans son registre : ainsi est-il présent d’un bout à l’autre de la chaîne qui relie l’audition des parties à la réalisation de l’acte authentique. En outre, sa qualité de juré et sa compétence reconnue de professionnel de l’écriture lui valent d’apparaître régulièrement comme “ témoin privilégié ” dans le cadre d’affaires qui dépassent le cadre de la juridiction gracieuse, affaires dont il dresse un constat authentifié de son seing manuel. Son rôle important dans l’exercice de la juridiction contentieuse ainsi qu’en matière fiscale est également attesté par les sources. De même, celles-ci nous renseignent sur l’implantation locale des tabellions, personnages souvent aisés, qui ajoutent à leur office de tabellion d’autres fonctions lucratives. Leur formation juridique, acquise sur le tas ou sur les bancs de l’université, nous est en revanche inconnue.

Chapitre II
La production documentaire des tabellions

Les registres de tabellionage. – Si la comparaison des écritures entre registres et grosses semble montrer que la tenue des premiers et la rédaction des secondes sont le fait d’une même personne qui est le tabellion lui-même, il est permis de penser que celui-ci est aidé dans son travail par un ou plusieurs collaborateurs, dont la trace est révélée dans les registres par des changements d’écriture plus ou moins fréquents, voire par des imitations de signature dans le registre de Martin Destourbe. En outre, il apparaît de façon très nette que ces deux registres ne sont pas tenus au jour le jour mais rédigés et complétés par à-coups. Ce constat, ajouté à celui de l’écart chronologique considérable, parfois de l’ordre du mois, qui sépare les actes, conduit à croire que ces deux registres sont sélectifs et qu’ils ne contiennent qu’une partie plus ou moins grande des actes reçus par les deux tabellions. Parmi les mentions hors-teneur, la présence du seing manuel accompagnant les deux tiers des actes de Martin Destourbe et quasiment tous ceux de Jeannin du Meix semble être le signe du passage progressif du registre au statut d’original, au même titre que la grosse.

Les grosses. – La grosse est le document que le tabellion remet aux parties qui le lui demandent afin de garder la trace d’une convention. Écrite sur parchemin, à longues lignes et sans abréviations, elle est validée par le sceau de la juridiction dont dépend le tabellion qui a reçu le contrat ; à partir de 1369 au moins, en Puisaye, elle est également munie du seing manuel du tabellion, mais il faut attendre le dernier tiers du xve siècle pour que celui-ci soit également annoncé dans le corps de l’acte. Les registres portent assez souvent, en marge des actes, des mentions d’expédition généralement réduites au mot “ faite ”. Dans le registre de Jeannin du Meix, on relève ainsi des mentions d’expédition en marge de 98 actes sur un total de 111. Cette proportion est bien plus modeste chez Martin Destourbe, où seulement 55 actes sur 225 sont munis de telles mentions. Il est vrai que le grossoiement des actes est une opération onéreuse et que les parties n’en ont pas nécessairement l’utilité : une simple inscription au registre peut suffire. La grosse n’en est pas moins un document précieux, outil de pression du créditeur envers celui qui lui doit, sûreté du débiteur qui a honoré ses dettes ou simple titre de propriété pour l’acquéreur d’un bien immeuble.

Représentativité des sources. – L’étude diplomatique des registres a révélé que ces derniers étaient selon toute vraisemblance des registres sélectifs. Il est par conséquent difficile de reconstituer fidèlement les flux de l’activité des tabellions, même si dans le cas de Martin Destourbe, les actes paraissent plus nombreux autour de la fête de la Nativité de saint Jean-Baptiste, terme d’échéance de la plupart des fermes seigneuriales. On note aussi, dans les deux registres, une forte proportion d’actes reçus le dimanche. Mais la véritable question qui se pose est de savoir dans quelle mesure ces faibles reliquats sont représentatifs non seulement de l’activité des tabellions de Saint-Fargeau et de Mézilles, mais aussi de la production d’actes privés dans la région : ainsi, quelle part faut-il donner aux actes reçus par les juridictions voisines, aux contrats sous seing privé ou aux conventions demeurées orales ? La réponse, en ce domaine comme en d’autres, se heurte à l’écueil documentaire et au problème de la conservation des documents.


Deuxième partie
Quelques aspects de l’économie poyaudine au tournant du xve siècle


Chapitre premier
La seigneurie de Puisaye sous le duc Robert de Bar

Les contours géopolitiques. – Notion avant tout géographique, la Puisaye n’a que rarement coïncidé avec une entité politique au cours de son histoire. Ce n’est en effet qu’à partir des xiie et xiiie siècles, sous la domination des sires de Toucy, que le pays de Puisaye correspond grosso modo à la seigneurie du même nom. À l’époque où se situent les deux registres (fin du xive siècle), la seigneurie de Puisaye appartient au duc Robert de Bar, qui possède notamment les châtellenies de Saint-Fargeau, Mézilles, Perreuse et Toucy. En 1390, il acquiert celle de Lavau aux dépens des héritiers de Pierre de Bar-Pierrefort. La châtellenie de Saint-Amand demeure quant à elle aux mains des seigneurs de Bar-Pierrepont, tandis que Bléneau et Champignelles appartiennent à la maison de Courtenay.

Saint-Fargeau, capitale de la Puisaye. – Lieu de résidence favori des seigneurs, Saint-Fargeau occupe à la fin du XIV e siècle une place centrale dans l’administration de la seigneurie de Puisaye. Le bourg est doté d’une enceinte fortifiée et d’un cœur économique à l’activité assez dense : le belle. Son habitat se répartit selon un axe nord-ouest à partir du château, lequel domine l’ensemble. Le plat pays s’étend de la muraille jusqu’au bois des Malcouronnes au nord et à celui de Bailly au sud ; l’entre-deux est dominé par les masures des finages de Burcoy, de Chardonnières et de Montbolain. De nombreux moulins à eau sont établis sur le cours du Loing, qui coule au nord de Saint-Fargeau.

La Puisaye et la guerre. – La Puisaye fut une région particulièrement exposée aux dévastations guerrières pendant toute la durée de la Guerre de Cent Ans. Si les registres de tabellionage, datant de l’extrême fin du xive siècle, ne portent guère de traces des destructions antérieures, les sources comptables et quelques actes isolés de la même période témoignent des séquelles laissées par la guerre en Puisaye et des efforts entrepris par ses habitants pour les effacer, avant que le conflit entre Armagnacs et Bourguignons ne vienne à nouveau plonger la région dans une crise profonde et durable.

Chapitre II
L’économie rurale en Puisaye à la fin du xive siècle

Le paysage rural. – Pays de bocage, au sol ingrat, sillonné de nombreux cours d’eau et pourvu d’une ample couverture forestière, la Puisaye est délimitée à l’ouest par la Loire et à l’est par les plateaux calcaires de l’Auxerrois et de la Forterre ; son territoire se prolonge au nord et au nord-ouest jusqu’au Gâtinais et finit au sud là où commence le Morvan. Le paysage rural voit alterner les grands domaines que sont les granges et les métairies et les exploitations de moyenne ou de petite taille appelées masures. Il faut également noter dans la région l’abondance des moulins à eau, outils de production soigneusement contrôlés par les seigneurs.

Le cadre seigneurial. – En Puisaye comme ailleurs, la vie rurale est dominée par les structures seigneuriales. L’encadrement seigneurial se manifeste par le contrôle des outils de production tels que les moulins, ainsi que des ressources aquatiques et forestières souvent liées à la réserve des seigneuries. Il se fait également sentir par le biais des redevances foncières que sont le cens, la taille et le champart, appelé terrage en Puisaye. Enfin, le seigneur se réserve un certain nombre de monopoles économiques, tels que le banvin.

Étude comparée des baux agraires.– Les baux agraires, tels qu’on peut les étudier dans les registres, se différencient principalement par leur durée de vie, éventuellement par le mode de paiement exigé du preneur et par la participation plus ou moins grande du bailleur à l’exploitation des terres. À côté des baux à rente et à “ moison ”, où le preneur est tenu de verser chaque année au bailleur une redevance fixe, quelle que soit la qualité et la quantité de la récolte, le bail à métairie permet au preneur de bénéficier d’aides importantes de la part du bailleur, qui fournit semences et matériel agricole, tandis que les profits sont partagés par moitié entre bailleur et preneur. Il semble que ce type de bail “ doux ”, quoique largement minoritaire encore dans la Puisaye du XIV e siècle, commence dès cette époque à pénétrer les autres modes de faire-valoir.

Chapitre III
Une activité importante : la métallurgie

Mines, forges et ferriers. – La vigueur de l’activité métallurgique en Puisaye est attestée par la multitude de toponymes évoquant le travail du fer, ainsi que par l’abondance des ferriers, amas de scories métalliques répartis autour des gisements. F.-P. Chapat a classé ces ferriers en quatre groupes : le groupe de l’Ouanne, le groupe du Branlin, le groupe du Loing et le groupe de la Puisaye méridionale. Le minerai, une fois extrait du sous-sol, est chauffé puis martelé afin de séparer le fer des substances carbonées. L’apport des innovations techniques est important : à la fin du xive siècle, en Puisaye, la force hydraulique est couramment associée à la forge, tandis que le haut-fourneau, attesté en 1549, pourrait avoir été introduit dans la région dès le XV e siècle.

Les forges et leur approvisionnement. – Une distinction doit être établie entre grosses forges et menues forges : les premières sont manifestement les installations où l’on réduit le minerai de fer en lingots, tandis que les secondes, plus modestes, sont les ateliers où le fer est travaillé et transformé en produits finis. Dans les registres, les contrats de vente de fer nous donnent de précieuses indications sur le commerce du fer : on y voit en particulier qu’un certain nombre d’individus sont tour à tour vendeurs et acheteurs, tandis que d’autres comme le marchand parisien Jean Polier, originaire de Saint-Sauveur, investissent dans le commerce du fer sans que ce soit là leur unique activité.

Les cadres institutionnels. – L’influence seigneuriale est bien visible dans le domaine de la production du fer : elle s’exerce notamment par le contrôle des ressources forestières indispensables à l’alimentation des forges ; en outre, dans les terres du duc de Bar, ce dernier prélève un droit de ferrage sur les grosses forges dans les châtellenies de Saint-Fargeau, Mézilles et Toucy. Concernant l’organisation de la production, quelques indications brèves, éparses et confuses témoignent de l’existence dans la région de normes de production et d’une institution de contrôle de ces normes : la juridiction des fèvres de Puisaye.


Troisième partie
La clientèle des tabellions, un échantillon de la société poyaudine


Chapitre premier
Panorama de la clientèle des tabellions

Les comparants : qui sont-ils ? – Parmi les quelque 662 individus pouvant être qualifiés de comparants, les hommes sont en écrasante majorité, les femmes n’étant généralement présentes qu’avec l’autorité de leur mari ou de leur père. Le lieu de résidence de la majorité des comparants, pour autant qu’on en ait connaissance, est le lieu d’exercice du tabellion, Saint-Fargeau dans un cas, Mézilles dans l’autre ; environ 25 % proviennent de localités plus ou moins proches ; quelques individus enfin sont originaires des marges de la Puisaye, voire des régions limitrophes ; le cas de Jean Polier, demeurant à Paris, fait figure d’exception. Enfin, on constate que plus des deux tiers des comparants n’ont recours qu’une seule fois aux services du tabellion ; les comparants réguliers sont ceux dont la position économique ou sociale génère un besoin d’écrit plus important que la moyenne.

Essai de typologie sociale. – L’étude des qualificatifs appliqués aux personnes dans les actes permet de situer certaines d’entre elles dans la hiérarchie sociale. Toutefois, le nombre d’individus qui se voient qualifier d’une épithète d’honneur, d’une mention de statut juridique ou d’une activité professionnelle est très faible par rapport à l’ensemble des parties contractantes. En outre, l’épithète peut apparaître dans un acte unique et ne pas être reprise par la suite, ce qui montre que leur usage est loin d’être systématique et rigoureux. Des recoupements d’informations nous ont permis néanmoins de saisir l’importance d’une élite non noble dans la clientèle des deux tabellions : celle-ci se caractérise tout à la fois par une forte capacité contributive, par une assise foncière généralement solide, par une participation active à l’administration seigneuriale et par une position dominante dans les rapports entre parties révélés par les registres de tabellionage.

Chapitre II
Le motif des comparutions

Le déroulement de la “ confessio in jure ”. – La venue des parties au siège de la prévôté dans le cadre des assises de justice est l’un des schémas possibles de la comparution : ceci est attesté notamment par le registre du greffe de la prévôté de Mézilles (1388-1390). Toutefois, ce n’est sans doute pas l’unique possibilité : le tabellion peut instrumenter au cours de ses déplacements et il est également possible de venir le voir en dehors des assises prévôtales. Le rôle du tabellion est important à tous les stades de la “ confessio in jure ” : fort de sa triple qualité de témoin privilégié, de juriste et de professionnel de l’écriture, il joue un rôle capital dans la maturation et l’élaboration des contrats.

Panorama des différents types d’actes. – La précision du formulaire nous donne la possibilité d’étudier la répartition typologique des actes dans l’ensemble des deux registres. Les actes sont présentés tantôt sous la forme d’une convention unilatérale, tantôt sous l’aspect d’un contrat synallagmatique, où les deux parties s’engagent réciproquement l’une envers l’autre. Cette distinction ne recoupe qu’imparfaitement celle des types diplomatiques. Parmi ceux-ci, la somme des reconnaissances de dette et de leurs corollaires, les quittances, représente à elle seule près de 40 % du total des actes passés par les deux tabellions.

Une répartition par secteur socio-économique. – Dans l’optique d’une vision plus détaillée des activités économiques et sociales vues au travers des registres de tabellionage, la seule analyse diplomatique des actes ne suffit pas. Une répartition des actes non plus par type diplomatique mais par secteur socio-économique nous a permis de mieux saisir certaines singularités, qui trouvent leur origine tout à la fois dans l’environnement géographique et social des tabellions, dans la composition de leur clientèle et dans la relativité des besoins d’écrit selon les types d’actes.

Chapitre III
Les parties entre elles : des relations à divers degrés

Les relations familiales. – Si le mariage et la succession sont des événements-clés de l’histoire des familles, celle-ci ne se réduit pas pour autant à ces circonstances exceptionnelles. Les registres de tabellionage nous montrent que les rapports familiaux peuvent apparaître dans des contextes fort variés de la vie courante. La solidarité familiale peut se manifester tout simplement par le fait d’être témoin lors d’un contrat touchant un proche. Plus concrètement, la famille peut aider un de ses membres à honorer ses obligations : on se porte garant d’un frère ou d’un neveu lors d’une reconnaissance de dette. Ce soutien peut aller jusqu’à l’association, notamment lorsque les liens familiaux se doublent d’affinités professionnelles.

Les relations économiques. – Les relations économiques sont à l’origine d’une grande majorité des actes contenus dans les deux registres. Étudiées sous l’angle du crédit, elles permettent de mieux saisir les rapports entre créditeur et débiteur, où se confondent bien souvent intérêts économiques, pratiques sociales et liens affectifs et familiaux. Les modes de règlement des dettes diffèrent considérablement selon la nature de la dette, le degré d’urgence et la bonne volonté du créditeur : dans les registres, la pratique du paiement par termes s’oppose nettement au paiement à la volonté du créditeur, beaucoup plus contraignant pour le débiteur. Il faut cependant se garder d’une définition exclusivement négative du crédit. Facteur d’appauvrissement, le crédit peut aussi donner à certains les moyens d’une existence plus facile.

Les relations de voisinage. – Les relations de voisinage, plus difficiles à cerner que les liens économiques ou familiaux, devaient également jouer un rôle important. Dans les registres de tabellionage, ces relations sont attestées dans des actes tels que les ventes d’immeubles : dans au moins treize des quarante-deux actes de ce type, on constate que l’acheteur n’est autre qu’un des voisins du vendeur.


Conclusion

Cette recherche, essentiellement fondée sur des registres de tabellionage, a subi les contraintes liées aux caractères propres à ce type de sources : on peut en effet définir les registres comme le reflet d’une civilisation de l’écrit allié à la subjectivité du producteur d’actes, lui-même influencé par le milieu ambiant. Il en résulte une étude fondée avant tout sur la vision du tabellion, parfois revue et corrigée par la comparaison critique entre les actes d’une part, entre les registres et les autres sources d’autre part, mais toujours accompagnée de son lot d’incertitudes et de questions non résolues.


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L’édition comprend l’ensemble des actes des registres de Martin Destourbe et de Jeannin du Meix (Arch. nat., 90 AP 172), auxquels ont été adjoints les quelques actes authentiques se rapportant à la production écrite de ces deux tabellions retrouvés dans le fonds de Saint-Fargeau. Chaque acte est pourvu d’un sigle (M ou J, redoublé dans le cas des actes authentiques) et d’un numéro d’ordre correspondant à celui dans lequel chacun apparaît dans les registres. Suivent la datation contemporaine restituée, un regeste aussi précis que possible, le tableau de la tradition et le texte de l’acte, muni autant que de besoin de notes d’apparat critique.


Annexes

Édition de deux documents médiévaux en lien avec l’étude. – Dossier photographique de 44 planches reproduisant essentiellement des feuillets des registres et des documents extraits des sources complémentaires. – Cartes et tableaux relatifs à l’aire géographique de provenance de la clientèle des tabellions. – Typologie diplomatique des actes. – Répertoire analytique des actes. – Note métrologique. – Index nominum et l’index rerum de l’édition.