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École des chartes » thèses » 2006

Les châteaux de l’orbite des Polignac en Velay (XIIIe-XVIe siècles)


Introduction

Le Velay possède un grand nombre de châteaux médiévaux, dans des états divers allant de la disparition complète à la conservation presque totale en élévation. Il n’a cependant pas encore bénéficié d’une étude archéologique à vocation de synthèse. Ce travail se limite aux châteaux qui appartinrent, dans cette région, aux vicomtes de Polignac entre les xiiie et xvie siècles, ainsi qu’à ceux qui furent tenus d’eux par leurs vassaux. Fondé essentiellement sur un corpus écrit et non sur des observations archéologiques, il vise à reconstituer le réseau de fidélité que s’étaient constitué les Polignac à partir du contrôle des châteaux, et au-delà, à cerner le château sous tous ses aspects, tel qu’il apparaît dans les textes.


Sources

On a eu recours essentiellement à des sources éditées, constituées par les différents cartulaires vellaves ou auvergnats (Le Monastier-Saint-Chaffre, Pébrac), les chroniqueurs (Médicis, Burel) et surtout l’énorme corpus rassemblé et publié par Antoine Jacotin entre 1898 et 1906, les Preuves de la Maison de Polignac. Cette somme réunit plus de 800 textes de toutes sortes, allant du IX e siècle à la fin de l’Ancien Régime, qui concernent directement les Polignac ou attestent de la participation, même minime, d’un de leurs membres à une action. C’est autour de cette armature qu’on a constitué l’essentiel de la réflexion de ce travail, en la complétant par l’Histoire de la maison de Polignac rédigée par Gaspard Chabron au début du xviie siècle, et restée inédite. Enfin, on a exploité une partie du fonds des jésuites du Puy, conservé aux Archives départementales de la Haute-Loire, pour ce qui concerne les prieurés de Polignac et de Solignac. Pour l’iconographie, centrée sur le château de Polignac, le département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France a fourni un contingent important, mais non exhaustif, de documents.


Première partie
Essai de synthèse


Chapitre premier
Présentation générale du contexte

Présentation historique. — Le Velay, qui forme aujourd’hui plus de la moitié est du département de la Haute-Loire, qui l’a réuni au Brivadois, auvergnat, et au nord-est du Gévaudan, était sous l’Ancien Régime un pays compris dans la province de Languedoc. Le nom recouvre au fil des siècles plusieurs réalités administratives différentes mais dont les limites sont globalement les mêmes : cité gauloise puis gallo-romaine des Vellavi ayant pour capitale Ruessio(Saint-Paulien), diocèse centré sur Anicium(Le Puy) à partir du ive siècle, comté ou comitatus Vellavensisà l’époque carolingienne. Au sortir de cette période et à la faveur de la « révolution féodale », tandis que le Velay passe sous la domination des comtes de Toulouse à partir de 923, le pouvoir réel tombe entre les mains de dynasties locales, tandis que dès la fin du xe siècle apparaissent des circonscriptions territoriales nouvelles, les mandements, qui se généralisent au xiiie siècle pour se stabiliser vers 1450. Les mandements, ou seigneuries hautes justicières dont le ressort s’organise autour d’un castrum, demeurent les cellules essentielles de l’organisation féodale, judiciaire et fiscale du Velay jusqu’à la Révolution. Face à la puissance des féodaux, le pouvoir royal s’appuie sur l’Église, favorisant dès le X e siècle la construction de la juridiction temporelle de l’évêque du Puy sur son diocèse. Seul seigneur haut-justicier de la cité ponote, l’évêque possède aussi en propre, à l’extérieur, seize castra assortis de la justice seigneuriale, et la suzeraineté sur les grands fiefs laïcs du comté de Velay : vicomté de Polignac (à compter de 1154-1213), seigneuries de Montlaur (1274), Solignac (1309), Bouzols (1196), etc. Parallèlement se met en place une géographie administrative qui se superpose, sans coïncidence des limites, à la géographie religieuse : bailliage royal de Velay sous le règne de Louis IX, rattachement à la sénéchaussée de Beaucaire décidé en 1306 et valable jusqu’à la création de la sénéchaussée du Puy en 1558. Enfin, dès avant 1350, le pays possède des états particuliers formés par les représentants des trois ordres, qui se réunissent afin de répartir dans le diocèse l’impôt royal en Languedoc. La reconquête royale en Velay sur des pouvoirs épiscopaux jugés trop étendus se concrétise à partir de 1305, date du paréage conclu entre Philippe IV le Bel et  l’évêque du Puy Jean de Cuménis. En réaction à cette politique entreprenante, pour ne pas dire agressive, qui vise à mettre le prélat en minorité face à la justice royale, au chapitre cathédral et au consulat du Puy, l’évêque Jean de Chandorat s’attribue en 1343 pour la première fois le titre de comte du Velay, qu’il conserve toujours par la suite, même si le roi est devenu de fait, dès le milieu du xive siècle, le seul détenteur au Puy de la souveraineté. À côté du roi et de l’évêque, la troisième force influente est incarnée par les féodaux : les grandes familles possessionnées en Velay ou sur ses marges ont alors pour nom Beaumont, Polignac, Mercoeur, Chanteuges, Chapteuil, Fay, Chalencon, Rochebaron ; souvent originaires des contrées limitrophes – Brivadois, Vivarais, vallée du Rhône - , elles prennent dans le courant du xie siècle le nom du castrum où elles se sont fixées. Les Polignac sont sans doute alors la famille la plus puissante de la contrée, la seule capable de rivaliser avec les évêques du Puy, ce dont elle ne se priva d’ailleurs pas au fil des siècles du Moyen Âge. Elle est établie en Velay, au château éponyme, dès le xie siècle au moins, et possède à cette date, depuis peut-être un certain temps déjà, le titre vicomtal. Détournée de son origine publique — le vicomte est un agent nommé par le comte pour assurer ses fonctions dans une circonscription donnée —, rendue héréditaire et confortée par une solide assise foncière, la charge vicomtale permet aux Polignac d’occuper le premier rang de la noblesse dans la gestion politique du pays de Velay tout au long du Moyen Âge. La vicomté est la première des dix-huit baronnies diocésaines aux états particuliers de Velay, et le vicomte représente le pays dans les rangs de la noblesse aux états provinciaux de Languedoc. La famille prend une part active dans les événements de l’histoire locale, par les désordres qu’elle suscite en raison de ses luttes incessantes avec les évêques du Puy ou des guerres privées qui l’opposent à des familles rivales, ou au contraire en défendant la contrée face aux troubles venus de l’extérieur, en particulier pendant la guerre de Cent ans. Sa puissance se fonde sur une assise foncière et familiale étendue, accrue au fil des siècles grâce à une politique matrimoniale habile, et qui dépasse de loin les frontières vellaves avec des possessions en Auvergne, Gévaudan, Vivarais.

Présentation géographique. — Le Velay constitue également une région naturelle, séparée à l’est, du Vivarais, par la chaîne du Mézenc, à l’ouest, de l’Auvergne, par la chaîne du Devès, tandis qu’au sud-ouest l’Allier constitue la frontière avec le Gévaudan. Au nord en revanche, aucune limite naturelle claire ne sert de délimitation avec le Forez. Du point de vue de la géographie physique, on distingue le Velay volcanique, au sud avec en son centre le bassin du Puy, et le Velay granitique, au nord d’une ligne Allègre, Vorey, Yssingeaux, Saint-Agrève, au sol infertile et au climat rigoureux. Au xive siècle, la seule ville importante est la capitale, Le Puy, du fait de son rôle politique, de son pèlerinage et de sa situation sur la route du Midi et de l’Empire. On  dénombre, à côté, des villes closes de quelque importance, qui sont seulement des centres agricoles groupés autour d’un château (Yssingeaux, Espaly, Bouzols) ou d’une abbaye (Le Monastier). Conséquence d’une activité volcanique importante, le relief local présente de multiples éminences naturelles (dont les necks de la vallée du Puy), dont l’utilisation au Moyen Âge comme sites d’implantation castrale a évité le recours à des mottes anthropiques, extrêmement rares dans la région. Les bâtiments furent construits dans des matériaux extraits sur place, avec utilisation de polychromie pour les églises : basaltes, tufs, brèches et arkose.

Présentation archivistique. — L’examen des inventaires d’archives seigneuriales dressés à l’époque moderne et édités dans les Preuves permet de comprendre quelles archives étaient sécrétées par les acteurs qui nous intéressent et quelles furent les modalités de leur conservation. Ces mentions modernes de documents – terriers et livres d’hommages innombrables, comptes mentionnant les campagnes de travaux, contrats divers entre familles, testaments, etc. – en sont souvent les seuls vestiges après les destructions révolutionnaires. Il apparaît, ainsi, que la dispersion fut bien souvent la règle au Moyen Âge et à l’époque moderne, quand les archives préalablement inventoriées suivaient leur seigneurie en cas d’aliénation de celle-ci ou étaient conservées chez les rentiers, bénéficiaires directs des revenus de la terre. Certains chartriers importants émergent cependant, comme ceux de Bouzols ou de Polignac, conservés à l’époque moderne dans une salle spécifique de leur château respectif ou « trésorerie », et pour le dernier transféré dans une salle du couvent des dominicains du Puy dans le courant du xviie siècle.

Chapitre II
Le réseau castral des vicomtes en Velay :
un réseau de pouvoir

Constitution : typologie. — Le patrimoine foncier propre des Polignac en Velay s’est constitué par l’accumulation d’achats et d’héritages successifs. De sorte que sur une assise originelle déjà assez conséquente à la fin du xiie siècle (huit châteaux, après de possibles évolutions dès le xiie siècle) vinrent petit à petit se greffer, à la suite d’habiles alliances des vicomtes avec des héritières, les successions de Ceyssac (début du xiiie siècle, un château), de Bouzols (1300, six fortifications), de Solignac (1357, sept fortifications, ramenées à cinq par l’accord de 1414), Saint-Didier (un château), avant que les Chalencon n’assurent la succession des Polignac par les femmes en 1421 et n’apportent donc leur propre patrimoine. Les Polignac essaimèrent en outre dans des branches alliées, les Polignac d’Adiac et les Chalencon-Rochebaron. Il faut ajouter à ces possessions directes – mais tenues en fief de divers suzerains, principalement l’évêque du Puy, mais aussi le roi ou le comte de Forez – les domaines vassaux des Polignac au titre des seigneuries de Polignac, de Solignac ou de Chalencon. La quantité appréhendée ici – une vingtaine de châteaux – n’est sans doute, cependant, qu’une approche imparfaite de la réalité, la documentation féodale manquant en particulier pour la vicomté de Polignac, de sorte qu’on sous-estime certainement le nombre de seigneurs châtelains qui en étaient vassaux. La liste de ces lieux détermine en tous les cas un cercle de fidèles, dont les noms fluctuent avec le temps, rassemblés autour du lignage vicomtal.

Le cas particulier du château de Polignac. — Le château éponyme des vicomtes est presque un hapax dans la région du fait de son statut, de ses dimensions et de la nature de son programme architectural. Celui-ci est cependant bien difficile à appréhender aujourd’hui, après plusieurs siècles d’ajouts, de transformations puis de destructions opérés sur le site. Trois axes d’approche ont donc été privilégiés, choisis d’après ce que permettait d’atteindre la documentation écrite. Le « piège » du « temple d’Apollon » d’abord, lieu littéraire créé vers la fin du Moyen Âge et colporté au fil des siècles par divers auteurs, qui voulait qu’un temple païen dédié au dieu des arts eût précédé le château, mais auquel les témoins de l’époque moderne voulurent assigner un lieu précis encore visible à leurs yeux. Cherchant à savoir si ce lieu pouvait renseigner l’histoire architecturale médiévale du château, on a constaté que, parcequ’imaginé, il avait migré au fil des descriptions, lesquelles donnaient donc autant de clefs d’approche du site dans un état plus ou moins ancien. Ce sont donc essentiellement des hypothèses qui sont proposées ici. Le prieuré de Polignac, en revanche, est bien documenté grâce au fonds des jésuites. Les Polignac fondèrent entre 1062 et 1075 une chapelle dans le château, desservie par les chanoines de Pébrac tout juste réformés par saint Pierre de Chavanon. La petite communauté chargée d’animer le prieuré et ses trois églises (Saint-Andéol dans le château, l’église paroissiale Saint-Martin, et Saint-Pierre de Bilhac toute proche) fut richement dotée et demeura à Polignac jusqu’au début du xviiie siècle. L’histoire de la chapelle castrale et de ses relations avec le prieuré a donc été relativement aisée à reconstituer pour toute cette période. Les textes saisissent, enfin, d’autres aspects du château : l’accès et les portes, les logis (XIIe-XVe siècles), le donjon, les bâtiments utilitaires et les jardins. Polignac est le seul site pour lequel on a pu effectuer un va-et-vient constant entre les textes et l’architecture et utiliser de la documentation archéologique, à la suite de sondages récents.

Chapitre III
Le château en Velay d’après l’exemple des Polignac :
essai de définition

Fonctions du château. — Qu’est-ce qu’un château en Velay au Moyen Âge ? Les textes font apparaître trois fonctions principales. Le château possède d’abord un rôle militaire évident ; forteresse assiégée pendant les conflits nationaux – guerre de Cent ans durant laquelle le Velay est sillonné par les routiers, guerres de religion – et à l’occasion des guerres privées qui sévissent au sein de l’aristocratie au xive siècle, il est aussi, ou veut être, lieu de refuge et de protection pour les populations du mandement qu’il contrôle, affirmant ainsi la mainmise du seigneur sur ses sujets par l’imposition des taxes et de corvées qui sont associées à la forteresse. Le château est aussi lieu de résidence et de parade pour le seigneur et son entourage. Quelques mentions textuelles mises bout à bout déclinent la présence des lieux emblématiques du château où le pouvoir se met en scène, principalement la salle et les chambres, mises en relation autant que possible avec les actions qui s’y font. Mais le château est essentiellement, plus qu’un lieu, une matérialisation du pouvoir des nobles, un nœud d’articulation du réseau constitué par les mandements, un symbole et un gage des liens de vassalité.

Personnel du château. — Le château a généré la mise en place d’un personnel particulier, dont il s’agissait de percevoir la nature et le rôle, en recourant à un éventail de mentions plus large que les attestations fournies pour les seuls châteaux dépendant des Polignac. Le bayle est le représentant du seigneur dans le mandement et assume un ensemble de tâches de nature militaire, judiciaire et de gestion ; le château est seulement un des cadres d’exercice de ses fonctions. Le capitaine ou châtelain est plus particulièrement basé dans la forteresse, dont il a la charge en l’absence du seigneur ; ses fonctions se rapprochent cependant parfois assez fortement de celle du bayle. Le portier enfin a une tâche plus limitée mais possède un rôle symbolique fort puisqu’il est garant des entrées et des sorties du lieu clos qu’est le château. Ces trois agents sont choisis par le seigneur, qui use souvent de ces offices dans son testament pour récompenser des fidèles. Le caractère limité des données utilisées ne permet pas de saisir le rang social habituel de ces individus. Leur présence est à compléter par celle des gardes pour la surveillance, et d’habitatores castri qui semblent résider, à demeure ou occasionnellement, à l’intérieur de l’enceinte. Il semble en revanche que le système castral des Polignac n’ait pas suscité le recrutement d’un personnel spécifique affecté à l’entretien des châteaux.

Approche terminologique. — Le relevé systématique des termes, latins ou français, employés dans les textes pour désigner le château a permis de dresser une typologie des lieux en fonction du vocabulaire utilisé, afin de mieux cerner quelle idée les contemporains se faisaient des bâtiments. En réalité, plus qu’un indice archéologique, le vocabulaire apparaît avant tout comme un révélateur du statut du lieu et de son seigneur. Le château par excellence est le castrum, c’est-à-dire le château chef-lieu de mandement ; cette signification est tellement forte que le terme même de castrum en est venu, dès le début du xiiie siècle, à être le synonyme exact du terme mandamentum, les deux mots apparaissant toujours et indissociablement groupés dans les textes dans le doublon «  castrum et mandamentum ». À côté, divers termes se déclinent pour désigner les châteaux secondaires : fortalicium et castellum apparaissent comme des variantes de castrum, tandis que d’autres édifices se voient refuser le nom de château au profit des termes d’hôtel, qui désigne une maison forte, de borie ou de métairie, qui mettent l’accent sur le rôle agricole du lieu. Une évolution chronologique précise n’est pas vraiment décelable entre ces termes au sein de la période envisagée.


Deuxième partie
Monographies


Le catalogue monographique répertorie 72 sites, dont 8 péages, relevant des vicomtes de Polignac et recense 55 familles. Les données sont présentées dans le cadre de notices individuelles, sont classées dans un ordre chronologique strict et prennent systématiquement en compte les mêmes éléments distinctifs : vocabulaire employé pour désigner la personne ou le château, référence du texte, renvois vers les autres notices concernées par le même document. Ces notices sont un reflet brut de ce que livrent les textes utilisés.


Conclusion

La documentation médiévale montre ici sa limite essentielle : masquer presque entièrement le château dans la réalité qui est pourtant la première à le caractériser aujourd’hui : sa réalité monumentale. À côté d’un bâtiment qui se dérobe et n’apparaît jamais en tant que tel dans les textes, on rencontre en permanence un château symbole et objet de pouvoir. Le château vellave est un peu, dans les textes, l’absent qui est toujours présent.  Non pas que les fonctions traditionnelles du lieu comme habitat fortifié n’aient pas existé dans la région – bien des textes viennent en attester – ; mais c’est avant tout le statut juridique et administratif qui est mis en avant par l’écrit. C’est en ce sens que le château a été le fil d’Ariane permettant de retrouver quelques uns des vassaux des Polignac pour leurs diverses seigneuries, et d’appréhender ainsi une orbite qui est avant tout un réseau de relations. Dans un second temps, une étude archéologique poussée des sites concernés, travail long et ambitieux très partiellement entrepris pour la région à ce jour et qui n’était pas l’objet de cette recherche, viendrait judicieusement compléter ces données en les éclairant d’un jour plus matériel.


Annexes

Divers textes ayant pour sujet principal le château. — Reconstitutions généalogiques simplifiées des familles de Polignac, Poinsac et Chalencon. — Carte du Velay. — Photographies et plans de monuments cités, notamment du château de Polignac.