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École des chartes » thèses » 2006

La représentation diplomatique française en Russie dans la seconde moitié du xviiie siècle


Introduction

En 1748, lors de la guerre de Succession d’Autriche, la Russie envoya un secours de trente mille hommes aux états alliés contre la France. Ce soutien provoqua le retour des diplomates français en poste en Russie, MM. d’Usson d’Allion et de Saint-Sauveur ; en réaction, l’impératrice rappela son ministre à la cour de Versailles, M. Gross, en décembre de la même année. Après quelques missions secrètes dont les succès furent variables, il fallut attendre 1756 pour que reprennent des relations diplomatiques entre la France et la Russie ; elles durèrent jusqu’en 1792, année où le chargé des affaires de France Edmond-Charles Genet, resté à Saint-Pétersbourg après le départ du ministre plénipotentiaire Louis-Philippe de Ségur, reçut l’ordre de quitter la capitale et l’Empire russe.

Entre 1756 et 1792, la France entretint donc une légation permanente, fait presque unique dans l’histoire des relations entre les deux pays à l’époque moderne — cette situation ne s’était produite auparavant que sur un temps très court, de 1739 à 1748. Le but de cette recherche est d’étudier le personnel diplomatique français en poste en Russie durant la période, de comprendre le fonctionnement de la légation et de dresser le bilan de l’action des représentants français, notamment en matière politique et commerciale. L’image ainsi obtenue permettra de dégager, au-delà des traits communs partagés avec les autres ambassades françaises à l’étranger, les particularités de la représentation diplomatique française en Russie.


Sources

Les sources principales sont constituées par les archives diplomatiques : registres de correspondance, mémoires et documents conservés aux archives du Ministère des Affaires étrangères au Quai d’Orsay, ainsi que les archives de la légation conservées au Centre des archives diplomatiques de Nantes. Ces dernières n’ont été que peu utilisées par les chercheurs jusqu’à présent. Le dossier de succession du marquis de Bausset, mort en poste, s’est révélé particulièrement riche.

À ces fonds, il faut ajouter les écrits des diplomates français ayant effectué une mission en Russie. Deux se sont révélés extrêmement intéressants : le journal du chevalier de Corberon, secrétaire de légation puis chargé d’affaires en Russie, conservé à la médiathèque Ceccano d’Avignon avec les papiers de la famille, et les Mémoires ou souvenirs et anecdotes du comte de Ségur, publiés en 1827.

Certains actes notariés ont également permis d’obtenir des renseignements sur le milieu social dont sont issus les diplomates français en Russie.


Première partie
Les préparatifs de la mission en Russie


Chapitre premier
Le choix des diplomates

Le caractère des diplomates.– Exception faite de l’ambassade du marquis de L’Hôpital, qui marque la reprise des relations et l’union politique entre les deux pays, les diplomates envoyés en Russie sont revêtus du caractère de ministre plénipotentiaire. Des chargés d’affaires assurent l’intérim entre les missions ; la nomination de chargés d’affaires est également un moyen de contourner les problèmes de protocole et de titulature à la cour de Russie.

Critères de recrutement. – Les diplomates sont choisis en fonction de leurs qualités personnelles, mais aussi de leur carrière antérieure. On n’envoie pas des ecclésiastiques dans ce pays car le gouvernement russe refuse de reconnaître aux membres du clergé toute charge au sein de la cour. Les critères de naissance et de fortune sont également primordiaux.

Origines des diplomates.– Les diplomates français en Russie, comme la plupart des membres de ce corps, sont pour une majorité d’entre eux issus de la noblesse et ont effectué une carrière dans les armes. Les liens de parenté et le clientélisme tiennent un rôle déterminant dans le choix d’une personne.

Chapitre II
Les préparatifs de la mission en Russie

Le secrétariat d’État des Affaires étrangères prépare les instructions données aux diplomates avec grand soin. De leur côté, les diplomates se renseignent sur un pays dont ils ignorent tout : leurs principales sources d’information sont la lecture des archives diplomatiques et d’ouvrages sur la Russie, ainsi que la rencontre de personnages connaissant le pays. De même, ils consacrent une attention particulière à choisir le personnel qui les accompagnera dans leur mission, notamment le secrétaire, dont la nomination peut être décidée par le secrétariat d’État, en concertation avec le diplomate.

Chapitre III
Le voyage en Russie

On compte plusieurs relations de voyages de diplomates en Russie, qui permettent de dégager certaines caractéristiques communes. Ce voyage très long et coûteux s’effectue le plus souvent par terre, afin d’éviter les risques importants de naufrage lors des trajets en mer. Les routes empruntées varient en fonction du contexte international : les différentes guerres rendent parfois préférable le contournement d’un pays, au risque d’allonger encore le parcours. La mauvaise qualité des chemins empruntés rend le périple d’autant plus difficile. Sa longueur et son coût sont bien souvent sources de plainte pour les diplomates français et leur suite.


Deuxième partie
La vie quotidienne de la légation


Chapitre premier
Le diplomate et la cour de Russie

L’accueil à la cour de Russie. – Lors de son arrivée, le diplomate est reçu en audience ; cette séance se déroule normalement quelques jours après son arrivée, mais son report est fréquent dans la seconde moitié du xviiie siècle. C’est lors de celle-ci qu’il présente ses lettres de créance, qui ont la particularité d’être rédigées en latin à partir de 1772, en raison d’un problème de protocole.

Le cérémonial à la cour de Russie. – En effet, le cérémonial en vigueur à la cour de Russie posent deux difficultés aux diplomates. Le baisement de main est accepté par la France, mais il est considéré comme l’expression de la galanterie due à l’impératrice en tant que femme, et non comme une marque de déférence à son titre. L’adjonction de l’épithète « Impériale » au titre de Majesté, que la France refuse de reconnaître à l’impératrice, est en revanche à l’origine d’une difficulté plus longue à régler : cette situation conduit la France à se faire représenter par un chargé d’affaires, qui ne doit présenter ses lettres de créance qu’aux ministres russes ; le problème est toutefois résolu en 1772 par la rédaction en latin des lettres de créance des ministres plénipotentiaires.

Chapitre II
La vie à l’intérieur de l’ambassade

La légation française ne dispose pas d’un bâtiment permanent. Les diplomates doivent louer leur lieu de résidence, à proximité du palais impérial où réside la cour et où les appellent les obligations de leur charge. À l’intérieur de ce bâtiment, le mode de vie privilégié par le diplomate est un mode de vie à la française, notamment par la consommation de produits importés de France. De même, les occupations culturelles du diplomate le renvoient à ses habitudes françaises : les livres possédés sur place par le marquis de Bausset sont semblables à ceux que l’on peut trouver dans la bibliothèque d’un noble parisien du xviiie siècle.

Chapitre III
Le personnel du poste diplomatique

Le diplomate dispose autour de lui d’un personnel diplomatique, qui l’assiste dans sa tâche politique, ainsi que d’un personnel domestique, qui veille au bon fonctionnement au quotidien de la résidence diplomatique.

Le personnel diplomatique est composé de secrétaires, principaux collaborateurs du diplomate, en charge de la correspondance et qui assurent le plus souvent l’intérim comme chargés d’affaires lors du départ d’un ministre, de gentilshommes d’ambassade qui participent à la mission de représentation de l’ambassade, d’un interprète chargé de la traduction des conversations mais aussi des documents russes envoyés à la cour de France et d’un aumônier, qui dirige la chapelle du ministre français.. Le personnel domestique est souvent relativement nombreux, conformément au train de vie luxueux mené par les représentants français en Russie. Le statut du personnel de la légation française est défini par le droit international : ces agents sont, tout comme la résidence diplomatique elle-même, protégés par une immunité qui les fait dépendre en Russie de l’autorité du diplomate et du consul.

À ce personnel reconnu viennent s’ajouter les espions, que les diplomates n’hésitent pas à utiliser fréquemment afin de recueillir des informations.

Chapitre IV
Les finances de la légation

Les diplomates français en Russie reçoivent des appointements considérables, parmi les plus importants des postes français à l’étranger, qui leur assurent un certain train de vie dans la capitale, Saint-Pétersbourg, ville réputée comme l’une des plus chères de l’Europe de la seconde moitié du xviiie siècle. À cela viennent s’ajouter de nombreuses gratifications, afin de les dédommager de dépenses extraordinaires, telles que les frais de douanes, le coût du voyage et du premier ameublement, le voyage à Moscou, assez fréquent dans ce pays où le rôle de l’ancienne capitale est encore important, et les cérémonies extraordinaires. L’entretien d’un poste diplomatique permanent en Russie coûte donc fort cher au gouvernement français.


Troisième partie
Les diplomates au travail


Chapitre premier
Le travail diplomatique

Les cadres de travail. – Le diplomate installe dans sa résidence un cabinet, où il travaille et conserve les archives de la légation. Lors de l’expulsion de Genet en 1792, le rapatriement de ces archives posa certains problèmes.

Le travail quotidien du diplomate. – Le diplomate doit avant tout recueillir des informations, qu’il transmet au secrétariat d’État des Affaires étrangères au moyen de la correspondance, mais aussi de bulletins dans la Gazette de France et de mémoires de fin de mission. Le diplomate est en outre en charge de la nation française : il doit accueillir les Français de passage en Russie et traiter les affaires particulières.

Les difficultés du travail en Russie. – L’éloignement de la cour de France laisse aux diplomates en Russie une indépendance assez grande, qu’ils utilisent à plus ou moins bon escient. Souvent privés d’instructions, ils doivent prendre des décisions par eux-mêmes, au risque de se voir désavouer après coup par la cour de France. Une autre entrave au travail diplomatique peut découler d’un contexte politique tendu : c’est le cas de 1789 à 1792, lorsque la Russie rejette la Révolution et isole le chargé d’affaires français au sein de la cour de Russie.

Chapitre II
La correspondance

La correspondance diplomatique souffre particulièrement de l’éloignement entre les deux cours : les délais d’acheminement sont d’environ un mois. Les diplomates ont souvent recours aux courriers extraordinaires, afin de protéger les informations recelées dans les dépêches qu’ils envoient. La correspondance en chiffre – part la plus importante des dépêches – requiert beaucoup de temps et d’application de la part des secrétaires. Le soin apporté au chiffrage ne met toutefois pas les diplomates à l’abri des déchiffreurs : le chiffre doit être changé régulièrement car il n’est pas rare que celui-ci soit connu du gouvernement russe, malgré l’attention qu’on apporte à sa protection.

Chapitre III
Négocier avec la Russie :
les négociations politiques

La France et la Russie ne furent unies par un traité diplomatique que durant la guerre de Sept ans, en l’occurrence par le traité de Versailles, négociée par le chevalier Douglas durant l’année 1756 ; la question de la déclaration secrétissime, qui visait à contraindre la France à intervenir en cas de guerre contre la Porte ottomane, faillit bien empêcher la conclusion de cette alliance. Dans les années suivantes, le marquis de L’Hôpital négocia la participation de la Russie à d’autres alliances nouées entre la France et un pays étranger. Après la guerre de Sept ans, les deux pays proposèrent leur médiation dans des traités de paix, mais ne conclurent plus d’alliance. Le comte de Ségur s’attacha à négocier une nouvelle alliance politique, mais la Révolution française et son retour en France mirent fin à ce projet.

Chapitre IV
Négocier avec la Russie :
le traité de commerce de 1787

L’Angleterre est le principal partenaire commercial de la Russie dès le xvie siècle. Des projets voient le jour en France au xviie siècle, avec notamment la création sous Colbert d’une Compagnie du Nord qui bénéficie de privilèges sur le commerce avec la Moscovie ; toutefois, les résultats sont maigres. L’accroissement des liens commerciaux entre les deux pays est l’une des instructions majeures que reçoivent les diplomates lors de leur mission en Russie. Pour cela, ils travaillent de concert avec le consulat général de France à Saint-Pétersbourg, ainsi qu’avec les vice-consulats de Moscou et de Kronstadt, qui n’ont qu’une existence éphémère durant la période. Après diverses tentatives plus ou moins fructueuses, comme celle d’importer régulièrement des tabacs d’Ukraine, le comte de Ségur réussit à négocier un traité de commerce avantageux, qui est signé le 11 janvier 1787. La France obtient le statut de nation la plus favorisée et des avantages importants, lui permettant de rivaliser dans ce domaine avec l’Angleterre. Toutefois, les événements de la Révolution française stoppent les efforts et les succès obtenues en Russie dans le domaine commercial.


Conclusion

Le poste diplomatique français en Russie se présente donc, dans le paysage des ambassades et des légations en pays étranger de la seconde moitié du xviiie siècle, comme une institution mêlant à la fois attributs communs à toutes les légations et des spécificités dues au pays. Si les diplomates français en Russie sont issus du même milieu que leurs collègues en poste dans les autres états, ils s’adaptent plus ou moins bien à la vie sur place. Or cette capacité d’adaptation conditionne bien souvent le succès de leur mission. Le comte de Ségur, qui a réussi à se faire une place au sein de la cour de Russie, est aussi le diplomate qui a fait le plus d’efforts pour aboutir à la conclusion de traités. Il s’est vu récompensé dans son travail et une alliance durable avec la Russie semblait en bonne voie en 1789. Toutefois, les événements politiques de la Révolution française vinrent interrompre la bonne entente entre les deux pays et mettre fin à une représentation diplomatique ayant duré plus d’un quart de siècle.


Pièces justificatives

Édition de correspondance, de mémoires et d’actes notariés.


Annexes

Notices biographiques des diplomates français en Russie. — Photographies.