Édition partielle de l’œuvre de Jean du Quesne,
traducteur de César et chroniqueur à la cour de Charles le Téméraire
Introduction
En 1473-1474, un copiste lillois, Jean du Quesne, réalise pour Charles le Téméraire une traduction de La Guerre des Gaules de César. À l’image d’autres ’’translateurs’’, comme Vasque de Lucène donnant une version française de la Cyropédie de Xénophon sous le règne de Philippe le Bon, Jean du Quesne répond ainsi aux goûts bien connus du duc de Bourgogne et de sa cour pour l’histoire antique et ses héros.
L’un des enjeux majeurs de l’édition de tels textes est de situer les traductions du xve siècle dans l’histoire des mentalités et de la culture, en particulier de déterminer les rapports éventuels de cette appropriation vernaculaire des classiques avec la « Renaissance » française du xvie siècle.
En posant les premiers jalons pour l’édition de ce texte, Robert Bossuat conclut en 1943 à l’appartenance de Jean du Quesne au monde médiéval, plutôt qu’à celui de la modernité humaniste. Il est vrai que la structure du texte fournit un argument important à l’appui de cette affirmation : plus qu’une traduction, l’auteur a réalisé une adaptation en encadrant les huit livres « translatés » du texte de César par deux livres « forains » qui relatent la vie du général romain avant et après ses campagnes en Gaule et qui sont inspirés par deux compilations historiques du XIIIe siècle, respectivement les Faits des Romains et la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes.
En outre, si l’on ne peut nier les efforts de Jean du Quesne comme traducteur pré-humaniste, il faut reconnaître que sa version du texte classique est parfois nettement fautive et manque souvent d’élégance.
Néanmoins, c’est un autre élément qui permet aujourd’hui de confirmer l’ancrage médiéval de Jean du Quesne. La découverte d’un nouveau manuscrit contenant non seulement la traduction de La Guerre des Gaules, mais aussi une Cronicque habregie absente des autres témoins prouve désormais que le copiste lillois a bel et bien mené à terme le projet qu’il annonçait dans l’un de ses prologues et que l’on pensait avorté : insérer l’œuvre de César dans une vaste compilation historique universelle, en somme achever le programme des Faits des Romains et le prolonger jusqu’à la fin du xve siècle, même si l’ensemble, principalement consacré au récit des campagnes gauloises, est excessivement déséquilibré.
La longueur de cette œuvre, ainsi que la localisation actuelle du manuscrit contenant la Cronicque habregie, dans une collection privée, ont obligé à traiter en priorité cette seconde partie et à ne donner qu’une édition partielle du premier volume contenant la traduction à proprement parler.
Première partieEdition partielle de la traduction de
La Guerre des Gaules par Jean du Quesne (1473-1474)
Chapitre premierDescription des manuscrits
On connaissait jusqu’alors sept manuscrits de la traduction de La Guerre des Gaules par Jean du Quesne. Parmi eux se distinguent nettement quatre témoins de la « version bourguignonne » (D, G, A et C) et trois de la « version française » (B, E et F) : le texte y a été expurgé des références à Charles le Téméraire et à son duché dans le but, vraisemblablement non atteint, de lui donner un destin au-delà de la Bourgogne et de 1477. Le huitième témoin du texte contenant la Cronicque habregie(H) vient se ranger dans la première catégorie.
L’ensemble de ces témoins a été copié dans un laps de temps très resserré, à savoir entre 1473 et la moitié des années 1480 environ, sur un territoire restreint. A l’exception de B, ils sont représentatifs de la production flamande de manuscrits de luxe à la fin du XV e siècle.
Ils font ici l’objet de notices codicologiques précises, qui reposent souvent sur l’observation des originaux. On s’est également attaché à décrire les riches programmes iconographiques qui les illustrent et à retracer leur histoire jusqu’à nos jours.
Chapitre IIClassement des témoins
et choix du manuscrit de base
Afin de déterminer le manuscrit sur lequel appuyer l’édition, plusieurs éléments externes ont été pris en compte. Il a d’abord semblé plus judicieux d’opter pour un témoin offrant la « version bourguignonne », de toute évidence antérieure à la « version française ». L’observation de la disposition du texte, ainsi que celle des différents programmes iconographiques, ont conduit à établir des parentés entre témoins. En revanche, un examen paléographique des manuscrits D, C et H n’a pas permis de statuer fermement sur leur caractère autographe.
L’analyse textuelle menée à partir de trois passages-témoins (César à Rhodes I-9, la flotte romaine détruite par la tempête V-15 et la déploration de la mort de Pompée X-41) confirme l’extrême proximité des manuscrits, ainsi que les parentés précédemment observées. Elle permet de proposer un stemma, néanmoins provisoire et révisable.
C’est finalement la présence de la Cronicque habregie dans H (collection privée) qui a amené à choisir ce témoin comme manuscrit de base. Il est en effet le seul qui permette de réaliser un établissement complet et cohérent de l’ensemble de l’œuvre de Jean du Quesne, basé sur un manuscrit unique. Mais, en raison de sa plus grande correction textuelle, D (British Library, Royal 16 G. VIII) se recommande comme manuscrit de contrôle de premier ordre.
Chapitre IIIRemarques sur la langue du texte
et sur le travail de traduction
Compte tenu du caractère partiel de l’édition, les conclusions d’ordre linguistique concernant le texte de la traduction sont nécessairement provisoires. On peut néanmoins affirmer que la langue de Jean du Quesne est quasiment denuée de couleur dialectale : les picardismes y sont en effet extrêmement rares. D’un point de vue syntaxique, il faut noter la tendance forte du traducteur à la subordination, en particulier au moyen de pronoms relatifs complexes créant des enchaînements de propositions parfois très longs. Si l’influence de la langue latine se fait souvent sentir dans le lexique ou dans des constructions comme les propositions participiales et infinitives, cette caractéristique syntaxique ne semble pas s’expliquer par la fréquentation des classiques latins, en particulier César, dont la prose est plutôt sèche et directe. Jean du Quesne n’hésite donc pas à modifier la structure des paragraphes qu’il traduit ; quant au sens, on constate que les passages incompris du texte latin sont propices soit au calque, soit à un développement original.
Chapitre IVPrincipes d’édition
L’édition suit donc le manuscrit H. Le découpage des paragraphes a été conservé tel qu’il apparaît dans ce témoin, dans la mesure de son adéquation avec le sens du texte. L’apparat critique contient l’ensemble des variantes, de telle manière que l’on puisse notamment apprécier la nature du remaniement de la « version française ».
Chapitre VEdition
On a retenu dans cette édition partielle les six premiers chapitres du livre I, c’est-à-dire le premier livre « forain ». Il s’agit de longues pièces liminaires, prologues et préambules, où Jean du Quesne explique sa démarche de traducteur et donne une coloration politique à son entreprise, véritable miroir du prince à l’usage du duc de Bourgogne, et du premier chapitre retraçant à proprement parler la vie de César. Ce dernier (chapitre 6) permet d’amorcer une comparaison entre le texte de Jean du Quesne et celui des Faits des Romains, sa source.
Vient ensuite le livre II, à savoir la traduction du livre I de César, sur lequel s’appuient les premières conclusions relatives au travail de Jean du Quesne « translateur ».
Par la mise en relation des toponymes et des anthroponymes français avec ceux de la version originale latine, l’index des noms propres permet d’apprécier l’important travail d’identification effectué par Jean du Quesne.
De même, le glossaire tente de relever les mots du texte accompagnés de leur équivalent latin de manière à évaluer l’ampleur des phénomènes de calques lexicaux et d’emploi de latinismes.
Annexes
Notice bio-bibliographique sur Jean du Quesne. — Tableau de correspondance entre les paragraphes de la traduction de Jean du Quesne et ceux de l’édition du texte latin par L.-A. Constans.
Deuxième partieEdition de la Cronicque habregiede Jean du Quesne (1478-1479)
Chapitre premierPrésentation de la Cronicque habregie
La Cronicque habregie se présente comme un texte déséquilibré et hétéroclite. Par sa nature et sa relative brièveté, elle contribue elle-même au manque d’harmonie générale de l’œuvre de Jean du Quesne.
Une première partie, correspondant environ à la moitié du texte, relate les règnes des empereurs romains d’Auguste à Nerva ainsi que les événements contemporains de Judée. Les sources indirectes en sont les Histoires contre les païens d’Orose et l’œuvre de Flavius Josèphe. Ces éléments sont parvenus à Jean du Quesne à travers la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes dans une version remaniée telle qu’elle est contenue dans le manuscrit BnF fr. 279. Robert Bossuat avait d’ailleurs attirer l’attention sur la proximité d’une partie de ce texte avec celui du deuxième livre « forain » (livre X) et il n’est pas exclu de voir dans la version de BnF fr. 279 une ébauche du travail de Jean du Quesne.
La seconde partie de la Cronicque habregie poursuit l’évocation des règnes impériaux de manière de plus en plus succinte. Les notices proviennent également de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, puis de la Chronique martinienne. S’y entremêlent des paragraphes compacts consacrés aux souverains pontifes, également inspirés par la Chronique martinienne, et des résumés des règnes des rois de France, provenant sans doute, directement ou indirectement, des Grandes Chroniques de France. Enfin, le tableau est complété par des notices traitant non pas des ducs de Bourgogne, comme l’auteur l’annonce dans son prologue, mais des rois d’Angleterre. La date de la composition de la Cronicque habregie a en effet été clairement établie en 1478-1479, années où s’arrête le récit des événements. Il semble donc qu’après la mort de Charles le Téméraire, Jean du Quesne ait modifié son projet de manière à se trouver un nouveau protecteur.
Toutefois, les difficultés patentes du chroniqueur pour trouver des sources fiables sur l’histoire d’Angleterre, ses subterfuges pour y pallier et les problèmes posés par l’alternance de paragraphes traitant de sujets divers, en favorisant les décalages chronologiques et les répétitions, font de ce texte une œuvre certes complète et, par là-même méritoire, mais médiocre. Le fait qu’il ne nous soit parvenu qu’à travers un seul témoin semble le confirmer.
Chapitre IIRemarques linguistiques
De même que pour la première partie, constituée de la traduction en elle-même et des deux livres « forains », le caractère dialectal de la langue de Jean du Quesne dans la Cronicque habregie est extrêmement discret. En revanche, on relève plusieurs archaïsmes, sans doute imputables à l’utilisation de sources anciennes. La diversité de ces sources, dont l’auteur apparaît assez dépendant, crée enfin une hétérogénéité stylistisque entre les paragraphes traitant de sujets différents.
Chapitre IIIPrincipes d’édition
Cette édition se caractérise par le fait qu’elle s’appuie sur un manuscrit unique (H, collection privée). Le texte en est globalement correct, mais le manuscrit BnF fr. 279, contenant une version remaniée de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes, a permis d’effectuer certaines corrections dans la première moitié du texte. Pour la suite, on a eu recours au texte même des différentes sources identifiées. La légèreté de l’apparat critique a d’ailleurs permis d’insérer un deuxième niveau de notes consacrées à l’explication de passages difficiles.
Le découpage du texte en paragraphes a été conservé tel quel, comme témoignage de la dépendance de Jean du Quesne vis-à-vis de ses différentes sources et de son travail de compilation.
Chapitre IVEdition
L’édition porte sur l’ensemble de la Cronicque habregie. Elle est enrichie par un ensemble de notes directement rattachées au texte qui signale les erreurs d’ordre historique commises par Jean du Quesne et s’efforce de les expliquer par la citation des sources de la compilation, ainsi que par un index des noms propres et un glossaire, où sont notamment relevés hapax, premières attestations et latinismes.
Annexe
Édition de la table des rubriques de la Cronicque habregie.