Les duchés de Bénévent et de Spolète
de la conquête lombarde au début de l’époque carolingienne
Introduction
Les duchés lombards de Bénévent et Spolète apparaissent à la fin du vi e siècle en Italie centro-méridionale, au moment où l’invasion lombarde porte ses premiers coups contre le pouvoir byzantin en Italie. Les deux duchés, fondés par des troupes d’auxiliaires lombards autrefois au service de Byzance, se trouvent indépendants de fait du pouvoir royal qui s’installe à Pavie. Ils ont construit l’un et l’autre leur territoire propre aux dépens de Rome et de l’Italie byzantine, en demeurant à l’écart du regnum. Leur autonomie, favorisée par leur séparation géographique du reste du royaume, les différencie des autres duchés. A partir du viii e siècle, ils sont cependant en butte aux attaques d’un pouvoir royal de plus en plus hégémonique.
Les similarités entre les deux duchés indépendants sont indéniables, tant sur le plan institutionnel et politique que sur le plan diplomatique. Leur association récurrente dans les sources témoigne de leur attitude souvent analogue face aux événements déterminants qui ont marqué l’histoire lombarde de la fin du vi e siècle au tout début du ix e siècle.
Le rapprochement, si naturel pour les contemporains du viii e siècle, des deux duchés l’est aussi pour l’historien. La comparaison spontanée de Bénévent et de Spolète se trouve également largement confirmée par l’historiographie de la question lombarde, y compris la plus contemporaine. Aucune étude consacrée à l’un ou l’autre des deux duchés n’a pu faire absolument abstraction du second : ils sont toujours en regard l’un de l’autre et seule leur évolution différente à partir de l’époque carolingienne a pu rendre – dans une mesure qui reste à déterminer – cette comparaison caduque.
Première partieNaissance de Bénévent et de Spolète
Chapitre premierLes sources
Les sources pontificales sont les plus anciens témoignages que nous possédions sur l’existence des duchés de Bénévent et de Spolète. La correspondance de Grégoire le Grand, à la fin du vi e siècle, constitue une mine d’informations irremplaçable sur l’époque où apparaissent les deux duchés centro-méridionaux. La période suivante est en revanche beaucoup moins bien documentée. Les sources romaines sont muettes pour cette période et la documentation propre aux deux duchés n’apparaît qu’à partir du viii e siècle. Les résultats de la recherche archéologique permettent, dans une certaine mesure, de pallier cette absence de documentation. À partir du viii e siècle, on assiste à une véritable explosion documentaire dans les duchés. Les premiers actes des cartulaires des grands monastères bénédictins de la région, rédigés au début du xii e siècle, datent de cette époque. Les chartes compilées dans le recueil de l’abbaye spolétine de Farfa, ceux des cartulaires de Saint-Vincent-au-Volturne, des archives du Mont Cassin et du Chronicon de Sainte-Sophie, en territoire bénéventain, constituent une masse documentaire de première importance, riche d’environ trois cents actes pour la période qui nous intéresse – essentiellement des donations pro anima d’origine laïque ou ducale. L’Histoire des Lombards de Paul Diacre, rédigé à la fin du viii e siècle au Mont Cassin, consacre également d’importants développements à la situation des deux duchés centro-méridionaux et en particulier à celle de Bénévent. Les sources narratives plus tardives, que sont l’Histoire des Lombards de Bénévent d’Erchempert et la Chronique de Salerne, concernent ensuite exclusivement la principauté de Bénévent, détachée de son voisin spolétin.
Chapitre IIGéographie des deux duchés
La chaîne des Apennins qui s’étend du nord-ouest au sud-est de la péninsule, est la colonne vertébrale qui structure la physionomie des deux duchés. Elle constitue une ligne de fracture majeure entre un versant adriatique et un côté sud-ouest descendant vers la mer tyrrhénienne. Les reliefs, le plus souvent boisés, dominent le territoire des deux duchés ; les plaines, en dehors des plaines littorales, sont formées de petites vallées enclavées. Bénévent et Spolète ont hérité du réseau routier existant au Bas-Empire. Les deux villes jouissaient d’une position de carrefour et contrôlaient les axes transversaux qui traversaient le massif des Apennin. La via Flaminia orientait naturellement le duché spolétin vers Rome, tandis que les anciennes voies consulaires bénéventaines tournaient le duché méridional vers les territoires byzantins de la Pouille, via la voie Trajanne, du duché de Naples, via l’Appia, et vers la Calabre, via la voie Popilia.
Chapitre IIIOrigine des duchés, conquête et mise en place des frontières
Le désastre lombard a longtemps été un lieu commun galvaudé par l’historiographie : l’arrivée de la nation barbare dans la péninsule était considérée jusque récemment comme synonyme de cités désertées, de campagnes vidées. Une relecture des sources et en particulier des sources archéologiques montre que le dépérissement des villes italiennes est antérieure à la conquête, celle-ci contribuant néanmoins à accélérer le phénomène d’abandon urbain.
La formation des duchés centro-méridionaux est indépendante de l’invasion lombarde proprement dite. Les villes de Bénévent et de Spolète ont servi de points d’appui aux anciennes troupes fédérées, détachées de la fidélité byzantine à la fin du vi e siècle. Leurs groupes, peu nombreux, virent leur nombre accru par l’apport d’hommes venus du regnum. Ces guerriers arrivés du Nord contribuèrent à renforcer la présence lombarde en Italie centro-méridionale et à combler en partie le fossé « culturel » entre le regnum Langobardorum du Nord et les deux duchés d’origine fédérée.
La conquête bénéventaine et spolétine se poursuit, entre la fin du vi e siècle et la première moitié du vii e siècle, sous forme dispersée et sans grande bataille. Les ducs s’assurent dans un premier temps du contrôle des points stratégiques ; les côtes, d’abord délaissées, ne passent sous le contrôle lombard qu’à partir du vii e siècle. A la fin du vii e siècle, les duchés de Bénévent et de Spolète ont ainsi acquis leur forme quasi définitive.
Chapitre IVDe la conquête a l’assimilation
La première image qu’évoque l’implantation lombarde dans la péninsule italienne est celle d’un séparation radicale entre deux peuples. Véhiculée par la littérature grégorienne, cette image a été constamment reprise ensuite par l’historiographie. Par affinité culturelle avec un empire à vocation universaliste et par origine sociale, les autorités de l’Eglise ne pouvaient que ressentir de façon très douloureuse les conséquences de l’invasion. L’essentiel de nos sources écrites concernant cette période provient de ce milieu dont Grégoire le Grand est l’archétype. L’usage conjoint des sources archéologiques et la relecture des textes anciens permettent cependant d’apercevoir les étapes de ce que l’on peut qualifier de fusion entre les conquérants lombards et la population indigène, romaine et catholique. Si la séparation entre population conquérante et population conquise est un fait certain pour le début de la période, très vite elle a dû laisser place à une lente fusion des deux peuples ; fusion d’autant plus rapide, dans les duchés bénéventain et spolétin, que les Lombards y représentaient une petite minorité conquérante de quelque milliers d’hommes. Lorsque la documentation écrite bénéventaine et spolétine apparaît en abondance, cette fusion semble entièrement achevée au début du viii e siècle. Dans un second temps, la conversion des Lombards « romanisés » scelle l’achèvement de la fusion entre le peuple conquérant et les indigènes romains et catholiques. Elle marque aussi la fin de la période de conquête. Dès la fin du vii e siècle, on ne trouve plus à Bénévent et à Spolète que des Lombards réunis sous une même loi. Le terme de Romanus désigne désormais exclusivement les Byzantins et la population du duché romain.
Deuxième partiePouvoir et institutions dans les duchés
Chapitre premierDeux duchés autonomes au sein du regnum langobardorum
Les ducs bénéventains et spolétins ont joui, tout au long de leur histoire, d’une autonomie unique au sein du monde lombard. Leur éloignement de la capitale, Pavie, et le maintien jusqu’au milieu du viii e siècle d’un « tampon byzantin » entre leur territoire et ceux du regnum assuraient aux deux duchés la possibilité de mener une existence indépendante vis-à-vis du reste du royaume. Les ducs reconnaissaient en principe l’auctoritas du roi de Pavie qui tolérait en contrepartie leur situation autonome. Cet équilibre persista jusqu’à la première moitié du vii e siècle.
Le règne de Grimoald i er, à partir de 647, marque un moment-clef dans l’intégration des deux duchés au royaume. Le duc bénéventain, devenu roi des Lombards grâce à l’appui des troupes bénévento-spolétines, confie le duché méridional à son fils, tandis que son gendre Transamund, comte de Capoue, devient duc de Spolète. Toutefois cette étroite union des deux duchés au regnum ne survit pas à la disparition du souverain d’origine bénéventaine. A compter de cette époque, les deux duchés centro-méridionaux deviennent des acteurs de premier plan de l’histoire lombarde. La particularité de leur situation, à la fois autonome et partie prenante du royaume, est au cœur des relations que les deux duchés autocéphales entretiennent désormais avec Pavie, jusqu’à la chute du royaume lombard en 774.
Le règne de Liutprand constitue ensuite un tournant majeur dans l’histoire des rapports entre Bénévent et Spolète et le pouvoir royal. Il inaugure une période d’expansion du royaume et de renforcement du pouvoir royal vis-à-vis des pouvoirs locaux, heurtant de plein fouet les intérêts des ducs méridionaux, forts de leur traditionnelle autonomie. Les révoltes spolétines puis bénéventaines, appuyées à plusieurs reprises par la papauté elle aussi menacée, se soldent par la victoire du pouvoir royal. Spolète, arrimé au royaume, passe alors sous la tutelle royale. Le duché connaît un assujettissement de plus en plus étroit, entrecoupé de brèves périodes d’une indépendance relative, vite réprimée par le pouvoir. La révolte de 757, en dépit de son échec, permet cependant au duché de retrouver un duc et d’échapper à la mainmise directe du roi, renouant ainsi avec une tradition d’autonomie qui permet seule de comprendre le sort particulier du duché après 774. Le duché bénéventain, plus puissant et surtout plus éloigné de la puissance de Pavie, parvient de son côté à maintenir une autonomie plus large au sein du regnum, manifestée à travers sa fidélité maintenue à la dynastie ducale descendante de Grimoald, et contrepartie du maintien de la loyauté bénéventaine au pouvoir royal. L’échec de la révolte de 757 et la fin de la dynastie de Grimoald, marqué par l’avènement du Frioulan Arichis à la tête du duché, ne remettent d’ailleurs pas sérieusement en cause l’autonomie du duché.
Chapitre IILe prince en son duché : un modèle de pouvoir a part
Leur qualité de chefs de guerre et de conquérants – et non la nomination royale, comme pour les autres duces du royaume – fondait, à l’origine, la légitimité du pouvoir des ducs bénéventains et spolétins. La singularité de ces « duc-conquérants », dans le monde lombard, perdure bien au-delà de la conquête et se manifeste dans l’exercice de fonctions régaliennes, apanage des ducs de Bénévent et de Spolète dans leurs duchés respectifs.
L’existence d’un fisc ducal, à l’imitation du fisc royal, en est un premier trait caractéristique. L’essentiel des biens fiscaux était constitué de terres, souvent partiellement incultes, désignées sous le nom de gualdi– ou de gaio dans le domaine bénéventain. Bien que parfois remis en cause par le pouvoir royal, notamment à Spolète, l’existence de ce fisc ducal continue de distinguer les duchés spolétins et bénéventains jusqu’à la fin de la période lombarde. L’exercice de la justice et du mundium public constitue un autre pan essentiel des fonctions « princières » remplies par les ducs bénéventains et spolétins. Le duc se substitue au roi pour rendre la justice et pour exercer son rôle de tutelle sur les femmes lombardes.
Les chefs spolétins et bénéventains ont largement contribué à dessiner la physionomie particulière de leurs duchés respectifs. Si l’existence d’une stirps ducale est depuis longtemps avérée à Bénévent, l’enracinement symbolique de la lignée du duc Transamund de Spolète dans la descendance du duc fondateur Faroald traduit un même souci d’affirmer une continuité du pouvoir. Le maintien au pouvoir d’une dynastie et la volonté de s’y rattacher apparaissent à la fois comme un moyen d’affirmer leur autonomie vis-à-vis du reste du regnum pour les deux duchés et comme un support à l’ « identité régionale » qui tend de plus en plus à se développer, à Spolète et à Bénévent, à partir du viii e siècle, en opposition à un royaume « d’Outre-Pô » de plus en plus considéré comme une véritable terre étrangère.
Chapitre IIILes institutions du duché
Bénévent comme Spolète constituent à la fois une exception au sein du monde lombard et un modèle de son fonctionnement étatique. Toute la hiérarchie et l’organisation propre au regnum se retrouvent à Bénévent et à Spolète – à une autre échelle et avec des distinctions.
Le gastaldat, vaste circonscription administrative centrée autours d’une civitas et avec à sa tête le gastald, constitue la première et la plus importante des circonscriptions administratives des deux duchés centro-méridionaux, où elle se développe, à l’instar du royaume, à partir du vii e siècle. A côté des gastaldats, on trouve le palatium, à la fois lieu et symbole de l’auctoritas ducale où sont donnés la plupart des préceptes. L’enracinement du duc au sein de cet ensemble donne une forme de stabilité à la structure administrative des deux duchés, en réalité encore bien lacunaire. Centre de l’organisation administrative et judiciaire, il fait le lien entre le duc et ses élites.
Le tableau des institutions des deux duchés méridionaux resterait incomplet sans celui de son organisation religieuse. Elle se caractérise par le contraste entre la puissance de grandes fondations monastiques, favorisées par le pouvoir ducal, et la relative faiblesse d’un réseau épiscopal, demeuré très affecté par la crise urbaine du vi e siècle et par les conséquences de la conquête. A côté des grands monastères et des évêchés, cohabitent également tout un ensemble d’églises particulières ou « Eigenkirche », fondées par de riches laïcs ou par les ducs eux-mêmes.
Troisième partieélites et société
Chapitre premierLes élites dirigeantes
Au cours de la période lombarde, on assiste à l’émergence dans les deux duchés d’une « noblesse » ducale, qui se distingue par sa richesse foncière et par la détention d’offices publics. Elle devient, à partir du viii e siècle, le principal interlocuteur du souverain dans l’exercice de son pouvoir. L’administration naissante qu’elle constitue tend à se substituer à l’exercitus dans le rôle qui lui était traditionnellement dévolu : être un lien direct entre le duc et le peuple en arme. Le gastald est le personnage dont la figure émerge le plus distinctement de la structure administrative des deux duchés. A l’origine simple agent du fisc, il tend à s’affirmer rapidement comme le représentant par excellence du pouvoir ducal dans les circonscriptions administratives et judiciaires du duché. Parallèlement aux fonctions gastaldales se développe un ensemble de charges palatiales dont les titulaires forment une administration centrale avant la lettre : le palatium.
L’existence d’un rapport de type clientéliste entre le duc et ses élites constitue un fait central dans la vie politique des duchés au viii e siècle. Les liens entre le groupe dirigeant et le duc se fondaient, outre sur l’accession aux charges palatiales et dirigeantes, sur les concessions de biens publics. L’efficacité des largesses ducales reposait beaucoup sur la capacité du duc à reprendre ses dons. Dans ce domaine, la puissance du duc bénéventain semble avoir été bien supérieure à celle de son petit voisin spolétin. Les rapports entre les ducs bénéventain et spolétin et leurs élites reposaient sur leur besoin réciproque l’un de l’autre. D’un côté la noblesse des duchés avait besoin du pouvoir ducal pour obtenir titres et biens et surtout pour les transmettre. Les ducs de leur côté avaient besoin du concours de leurs élites pour organiser et diriger l’important territoire que représentaient les duchés. Dans le contexte de « centralisation » précoce du pouvoir qui caractérise le monde lombard, les élites proches de la cour vont jouer un rôle déterminant en tant qu’intermédiaire. Le palatium bénéventain et spolétin devient le lieu par excellence de rencontre entre les élites dirigeantes et leur duc, un véritable organe de liaison entre le centre et la périphérie. L’accès aux charges palatiales sanctionnait la fidélité au duc de l’élite gouvernante du duché. Il témoignait en même temps de la proximité de ces hommes avec le pouvoir.
Chapitre IIÉlites et société locale
La stabilité du système politique bénéventain et spolétin reposait à la fois sur la capacité du pouvoir ducal à intégrer ses élites et sur la capacité de ces dernières à assumer à leur tour, en concurrence avec le duc, ces mêmes fonctions de redistribution des richesses et de patronat, à l’échelon local. La gestion des biens ducaux et la charge de judex permettaient à des personnages de rang plus modeste de constituer à leur profit une clientèle propre à asseoir leur autorité régionale.
La présence comme témoins de dignitaires titrés est une manifestation caractéristique du patronat des élites locales sur la société des libres et des dépendants. La « foule » de notables et de fonctionnaires ducaux observée dans les procès spolétins contraste, a contrario, avec l’apparente faible implication de l’aristocratie bénéventaine dans les jugements rendus par le duc, ce dernier jouant un rôle quasi-exclusif dans le domaine judiciaire.
Outre les liens verticaux du clientélisme, les élites bénéventaines et spolétines entretenaient, à l’intérieur même de leur groupe, des liens horizontaux d’amitié, cimentés par la parenté. L’observation de différents lignages permet de constater la remarquable conservation des offices ducaux au sein d’une même famille. La création de liens familiaux permettait de conforter les réseaux d’influence d’une lignée donnée, en assurant à ses enfants l’appui de leurs cognati.
Chapitre IIIRichesse foncière et mobilité des terres
L’ensemble des cartulaires qui regroupent la documentation des duchés, pour le viii e et le début du ix e siècle, offre un échantillonnage des différentes fortunes foncières existant dans l’Italie centro-méridionale. Dès la seconde moitié du viii e siècle, cohabitent dans les duchés bénéventain et spolétin toutes les tailles de propriété : du petit alleu paysan à la très grande propriété monastique ou ducale. Au regard de la richesse que l’on connaît des élites franques, l’élite lombarde fait pâle figure. Les patrimoines aristocratiques italiens étaient bien moins importants que ceux que l’on rencontre à la même époque dans le monde franc. La noblesse lombarde n’était cependant pas démunie. Les sources révèlent, à travers l’importance des différents patrimoines qu’elles permettent d’observer, toute une hiérarchie « aristocratique », du petit propriétaire local au grand officier ducal, familier du prince.
La détention d’une « église privée » et d’une résidence en ville est un des traits caractéristiques du patrimoine de l’élite lombarde. L’éclatement de ces domaines, favorisé par les héritages, les mariages et les donations pieuses – qui deviennent importantes surtout à partir de la fin du viii e siècle – en est un autre élément distinctif.
Troisième PartieLes deux duchés face a la conquête franque
Chapitre PremierHildeprand et le duché de Spolète
Au moment de la défaite lombarde, le duché spolétin retrouve son indépendance sous les auspices romains. Le nouveau duc élu à Rome, Hildeprand, est un Lombard, un adversaire de l’ancien parti royal au pouvoir à Spolète avant la chute du regnum lombard. Le duc spolétin, bien loin d’avoir été un simple pion dans la partie qui s’engage après 774, a été un acteur à la mesure de celui qu’on peut qualifier comme son alter ego bénéventain, Arichis. Son règne a constitué pour Spolète un temps fondateur, riche de conséquences pour l’avenir du duché. Après 776 et la rupture avec Hadrien i er, le duc choisit en effet de mener une politique de rapprochement avec Charlemagne. Ce revirement en faveur du pouvoir franc et la rupture qu’il impliquait avec l’allié traditionnel bénéventain marquaient une profonde remise en cause des fondements identitaires du duché. Le choix stratégique d’Hildeprand reposait cependant sur une analyse sensée de la situation et des capacités du duché. Le duché de Spolète n’avait ni le prestige ni la puissance de son voisin du Sud pour pouvoir prétendre reprendre l’héritage du regnum Langobardorum. De surcroît, Hildeprand lui-même est un nouveau venu en 774. Dès lors le duc spolétin a adopté une autre voie : celle de la fidélité au nouveau royaume et du renoncement à l’appartenance lombarde, désormais monopole de la principauté bénéventaine. Spolète à travers Hildeprand est entré dans le camp des vainqueurs et a poursuivi son existence sinon indépendante, du moins relativement autonome.
Chapitre IILe règne fondateur d’Arichis II de Bénévent
La chute de la monarchie lombarde constitue également un moment déterminant pour le duché bénéventain. Contrairement à ce que l’on observe pour le duché spolétin, qui tombe dans un certain anonymat, la postérité a retenu le « coup de génie » d’Arichis ii, en 774. En érigeant son duché en principauté le nouveau prince reprend à son compte l’héritage du royaume disparu et sa décision détermine pour deux siècles la destinée de l’ancien duché, métamorphosé en principauté et devenu le dépositaire des traditions lombardes et le refuge d’une partie de ses élites dépossédées. Resté soigneusement à l’écart des derniers soubresauts du royaume lombard et protégé par son éloignement, le duché bénéventain a d’abord observé une prudente neutralité à l’égard de Charlemagne. Toutefois, l’érection du duché en principauté constituait déjà une déclaration d’hostilité du prince lombard à l’égard du nouveau pouvoir de Pavie. La politique « princière » de construction, les nombreuses fondations monastiques et les translations de reliques menées par Arichis dès 758 offraient à la future principauté les fondements symboliques de cette métamorphose. Menacé par les Francs et par les ambitions pontificales, Arichis sut par ailleurs gagner l’alliance byzantine afin de faire pièce au pouvoir franc. Son règne, ducal et princier, constitue donc un moment-charnière de la vie du duché.
Chapitre IIIL’héritage d’Arichis et d’Hildeprand
La disparition en 788 des deux protagonistes du passage dans l’époque franque marquait un véritable tournant dans l’histoire des deux duchés. Arichis et Hildeprand disparaissaient en effet presque simultanément, laissant derrière eux un héritage politique considérable. L’heure de leur succession est aussi celle du premier bilan. A l’issue de cette crise, la principauté bénéventaine a réussi à maintenir son indépendance vis-à-vis du regnum. Grimoald reprend l’héritage de son père et maintient Bénévent sur la voie tracée par Arichis depuis 774. En revanche, Hildeprand n’a pas d’héritier pour lui succéder dans son œuvre. L’avènement d’un Franc, Guinichis, sonne le glas de l’autonomie du duché et l’échec posthume de la politique menée par l’énergique duc spolétin.
Conclusion
Les duchés de Bénévent et de Spolète ont suivi, à la période lombarde, un parcours très analogue, tant sur le plan institutionnel et politique que sur le plan diplomatique. On retrouve à Bénévent comme à Spolète des institutions comparables, fidèles au modèle lombard et à ses particularités. La prééminence, dans le couple formé par ces deux duchés, revenait cependant au grand duché méridional, dont l’influence commence à s’imposer à son voisin spolétin dès le vii e siècle. Si les deux duchés ont dû faire face, tout au long de leur existence, aux mêmes pressions de la part d’un pouvoir royal de plus en plus jaloux de son autorité, le duché de Spolète n’aura en fait joui qu’avec irrégularité d’une véritable autonomie vis-à-vis de Pavie. Géographiquement plus proche de la capitale du regnum que Bénévent, moins à l’abri de ce fait des éventuelles répressions royales, il a toujours été davantage à la merci d’incursions armées venues du Nord que son voisin méridional. Au contraire, Bénévent a su maintenir, loin de Pavie, et en dépit des aléas politiques, une quasi indépendance qui se manifeste pleinement à partir de la conquête carolingienne.
Après 774, l’attitude face au passé lombard devient la véritable pierre de touche de la rupture entre les deux duchés. Tandis que le duc spolétin y renonçait, au contraire les princes bénéventains le mettaient à l’honneur. L’avènement d’un Franc à Spolète scelle ensuite la fin du duché « lombard » et de la communauté formée avec son voisin bénéventain. La frontière nouvelle qui s’élève entre eux après 788 a un sens tout à fait particulier. Avant la conquête carolingienne, les deux duchés sont un point de convergence des influences lombardes et romaines ; après 774 et la chute du royaume, la limite qui se dessine entre une sphère occidentale, franque et romaine, et une zone d’influence orientale et byzantine passe entre eux. L’espace de contact et d’acculturation que constituaient les deux duchés entre le monde lombard et le monde romain laisse la place à une frontière culturelle et étatique durcie que l’on retrouvera encore mille ans après à travers l’existence du Mezzogiorno italien.
Annexes
Carte de Bénévent et Spolète au viii e siècle. – L’histoire de Bénévent et de Spolète à travers l’Historia Langobardorum. – Tableau des ducs de Spolète. – Tableau des ducs de Bénévent. – Reconstitutions généalogiques de la noblesse bénévento-spolétine. – Liste des abbés de Farfa. – Monnaies bénéventaines. – Dossier sur Sainte-Sophie de Bénévent. – Index des noms.