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École des chartes » thèses » 2007

Les Augustins déchaussés de Notre-Dame-des-Victoires (1629-1790)


Introduction

Parmi les couvents parisiens de l’époque moderne, celui de Notre-Dame-des-Victoires est très mal connu. Cet établissement appartenait à la congrégation des Augustins déchaussés de France (aussi appelés Petits-Pères), branche de l’ordre de Saint-Augustin née à la fin du XVI e siècle. Sa principale caractéristique était d’être une fondation royale et d’avoir entretenu des liens multiples avec la monarchie au cours de son histoire. Il bénéficiait en outre du statut de chef de la province de France et, au xviiie siècle, devint de fait la principale maison de la congrégation. Sa réputation reposait, en outre, sur une riche bibliothèque et sur un cabinet de curiosités.


Sources

La petite partie des registres et des papiers du couvent encore disponibles est conservée aujourd’hui aux Archives nationales (séries S et L). S’y ajoutent des sources administratives et judiciaires variées qui éclairent certains événements particuliers. Les ouvrages généraux de l’époque sur Paris et les ordres religieux, ainsi que les productions de certains membres de la congrégation, fournissent des renseignements complémentaires utiles.


Préambule
Les origines de la congrégation

La congrégation des Augustins déchaussés est née en Espagne en 1592. Elle s’est implantée rapidement en Italie et a acquis progressivement une grande indépendance vis-à-vis du grand ordre. C’est de Rome que partent, en 1595, les religieux français qui fondent le premier établissement de la réforme en France, dans le Dauphiné. Les fondations se multipliant, la branche française se détache progressivement des autres et acquiert son indépendance définitive entre 1610 et 1630. C’est vers 1640 qu’elle est divisée en trois provinces ; ce cadre reste inchangé jusqu’à sa disparition pendant la Révolution française.


Première partie
Le destin d’une fondation royale


Chapitre premier
Les origines du couvent

La première fondation parisienne date de 1609, à l’initiative de la reine Marguerite de Valois. Mais les Augustins déchaux sont chassés dès 1613 et remplacés par les Petits-Augustins. Ils reviennent dans la capitale en 1619 et, dix ans plus tard, acquièrent des terrains dans le nouveau quartier situé autour de la rue de Richelieu. Ils sollicitent alors l’intervention de Louis XIII qui accepte de se déclarer fondateur du couvent de Notre-Dame-des-Victoires : il impose ce nom en souvenir de ses victoires récentes sur les protestants. Il vient en personne poser la première pierre de l’église le 9 décembre 1629.

Chapitre II
L’âge d’or du couvent

Les années 1629 à 1700 sont indiscutablement celles de l’âge d’or du couvent et de la congrégation. Mis à part l’église, le couvent de Paris est bâti rapidement et achevé dès les années 1680. Sa notoriété s’accroît brusquement à partir de 1637 grâce au frère Fiacre de Sainte-Marguerite, humble frère commis auquel une apparition de la Vierge Marie révèle la naissance prochaine d’un dauphin, le futur Louis XIV. Dès ces années-là, la maison accueille régulièrement les souverains, en particulier la reine Anne d’Autriche. Pourtant, un certain relâchement s’installe dans le dernier tiers du xviie siècle : les plus jeunes religieux tempèrent les constitutions austères de la congrégation et y introduisent des nouveautés. L’afflux de riches fidèles provoque l’enrichissement de la liturgie et des religieux qui profitent des abus concernant les pensions.

Chapitre III
Le relâchement de la discipline et la première commission d’inspection (1700-1708)

Le relâchement s’accentue encore au début du xviiie siècle. L’indiscipline devient telle qu’en mai 1706, des supérieurs sont obligés d’en appeler au roi. Celui-ci mandate des commissaires qui inspectent le couvent et recueillent les témoignages. Il s’ensuit, à la fin de l’année, un règlement qui vise à rétablir l’austérité initiale et à éloigner les religieux coupables. Mais malgré cela, le calme ne revient pas immédiatement. Le recours au Saint-Siège semble indispensable pour faire cesser définitivement les troubles. Le couvent ne se relève jamais vraiment de cet épisode qui marque la fin quasi définitive de ses liens privilégiés avec la monarchie.

Chapitre IV
La seconde commission d’inspection (1709-1711) et le premier tiers du xviiie siècle

Rome envoie un commissaire apostolique dès 1709. Il inspecte tous les couvents de la province avant de rendre un nouveau règlement qui reprend largement le précédent. En 1711, l’ordre est globalement rétabli mais le chapitre provincial de 1717 et le chapitre général de 1718 sont encore agités. Le Régent doit intervenir, notamment par le truchement du père Jacques de Saint-Gabriel, religieux du couvent, qui le connaît personnellement. Mais le rétablissement de l’austérité initiale est de courte durée : en 1726, le pape Benoît XIII unifie les congrégations d’Augustins déchaussés en adoucissant certains points des constitutions. Il ne reste alors que quelques religieux pour tenter de s’y opposer.

Chapitre V
Les Petits-Pères et la Commission des Réguliers (1766-1778)

Comme tous les ordres religieux, les Petits-Pères sont concernés par la Commission des réguliers. Celle-ci ordonne principalement la fermeture de quelques maisons pour maintenir la conventualité ainsi qu’une nouvelle rédaction des constitutions intégrant les adoucissements apportés au long du siècle écoulé. L’opposition de religieux provençaux sur un point de détail entrave un temps la procédure ; d’une façon générale, les évêques refusent de voir fermer les maisons d’Augustins déchaussés de leur diocèse. Le chapitre général de 1772 entérine les modifications effectuées. Concernant le couvent de Paris, la décision essentielle porte sur ses finances : il faut résorber l’énorme dette de la maison. Les Petits-Pères doivent se résoudre, en 1778, à vendre une partie de leur jardin. Si l’action de la Commission s’est faite sans heurts, elle n’a pas permis de maintenir le recrutement de la province, déjà en baisse vers 1760.

Chapitre VI
Notre-Dame-des-Victoires de 1730 à sa fermeture

Mis à part la Commission des réguliers, peu d’événements importants jalonnent la vie du couvent au xviiie siècle. Des agitations sporadiques éclatent de temps à autre, entraînant la présence répétée de commissaires royaux dans les chapitres généraux. Un nouveau bref achève d’adoucir les constitutions en 1746 en autorisant le port de chaussures ; le déclin de la vie spirituelle est en partie compensé par le dynamisme intellectuel et artistique de l’établissement. Mais lorsque la Révolution éclate, un assez grand nombre de religieux quittent le couvent. L’église est transformée en paroisse en 1791 puis accueille la Bourse ; les bâtiments conventuels sont utilisés par l’armée et des administrations. Lorsque l’église est rendue au culte, seuls deux religieux sont encore sur place.


Deuxième partie
La vie au couvent


Chapitre premier
Comptes et finances

À l’austérité mendiante initiale succède, dès la fin du xviie siècle, une relative richesse. Les religieux sollicitent les dons et les fondations pour enrichir la liturgie ; ils acceptent les pensions et en jouissent au mépris des constitutions. Leurs revenus consistent essentiellement en rentes et baux passés sur des parties du couvent. Ils acquièrent, dans les années 1730, deux fermes près de Dourdan. Mais cela ne suffit pas à financer l’église et, au milieu du xviiie siècle, les Petits-Pères sont criblés de dettes qui les forcent à vendre, en 1778 une partie de leur jardin. D’une façon générale, il semble bien qu’ils aient vécu au-dessus de leurs moyens à cause des abus introduits dans la vie religieuse.

Chapitre II
La vie à Notre-Dame-des-Victoires

La vie des Petits-Pères au couvent est avant tout rythmée par l’organisation de la congrégation et les chapitres qui se réunissent à intervalles réguliers. L’emploi du temps des journées et les fonctions des religieux sont théoriquement bien définis, mais s’agissant de mendiants appelés à sortir de la clôture, il n’est pas toujours strictement appliqué. D’autre part, le couvent de Notre-Dame-des-Victoires devient au xviiie siècle un lieu de vie très fréquenté par des laïcs. Les locations de nombreuses parties du couvent contribuent à la perméabilité de la clôture sur le monde extérieur et favorisent ainsi le relâchement. Les Petits-Pères ont hébergé entre autres des archives de fermiers généraux, des papiers de la Grande Chancellerie et le dépôt de la Marine ; dans les années 1780, ce qui reste de leur jardin est loué aux messageries royales.

Chapitre III
Les fidèles et les habitués de Notre-Dame-des-Victoires

Situé dans un quartier récent, le couvent est fréquenté par l’élite de la population parisienne. Seul couvent sur le territoire de la paroisse Saint-Eustache, il ne souffre pas de la concurrence d’autres ordres. Si nous ignorons à peu près tout du petit peuple de Paris, nous savons en revanche que les Petits-Pères comptent parmi leurs fidèles des familles aussi illustres que les Phélypeaux, les Colbert ou les Des Maretz. Certaines, comme celles de Lully ou du marquis de L’Hospital, font même élection de sépulture dans l’église. Cela contribue à maintenir un lien, certes plus lâche qu’au xviie siècle, avec la monarchie à travers ses serviteurs. À la fin du xviie siècle, il semble cependant que les fidèles illustres soient moins nombreux et plus ou moins remplacés par des catégories sociales un peu inférieures comme le milieu des financiers.

Chapitre IV
Les religieux de Notre-Dame-des-Victoires

Chef de la province de France, Notre-Dame-des-Victoires a vocation à accueillir un grand nombre de religieux. L’apogée du recrutement se situe au xviie siècle. La population de l’établissement est difficile à estimer précisément, car les mendiants sont par vocation très mobiles au sein de leur province. Celle-ci compte jusqu’à une centaine de personnes au xviie siècle, mais ce chiffre diminue ensuite : à la Révolution, il n’y a plus qu’une soixantaine de Petits-Pères dans les six maisons de la province. Le couvent de Paris peut abriter jusqu’à une soixantaine de religieux ; il est toujours le plus peuplé de la province de France. Les origines des Augustins déchaussés, tant sociales que géographiques, sont assez variées mais reflètent le succès de la réforme chez les élites au xviie siècle. Certains émergent du lot, soit qu’ils se soient fait remarquer lors de troubles, comme le père Hyacinthe de l’Assomption, soit qu’ils aient entretenu des liens particuliers avec un grand personnage, comme le père Jacques de Saint-Gabriel avec le Régent. Nous évoquons à la fin de ce chapitre quelques-unes de ces personnalités.


Troisième partie
Aspects intellectuels, artistiques et archéologiques


Chapitre premier
La bibliothèque du couvent

Comme tous les couvents de religieux mendiants, les Petits-Pères se devaient d’avoir une bibliothèque. Sous l’impulsion de certains clercs érudits, elle s’est accrue rapidement dès la fin du xviie siècle. Située sous les combles à partir de 1682, elle y occupe deux puis trois ailes du couvent. L’étude du seul catalogue encore existant, composé vers 1700, révèle des collections très variées, comparables à celles d’autres grands monastères parisiens. Si les ouvrages religieux en constituent la plus grande partie, elle est aussi riche en histoire, lettres et sciences. Alors qu’elle est estimée à 20 000 ouvrages vers 1720, l’inventaire dressé à la Révolution lui attribue 39 545 volumes. Cette riche collection est alors stockée au dépôt littéraire situé chez les Capucins de la rue Saint-Honoré, puis dispersée entre différentes bibliothèques et sans doute en partie détruite.

Chapitre II
L’architecture et le mobilier de l’église

L’église Notre-Dame-des-Victoires, seul élément subsistant aujourd’hui de l’ensemble conventuel, a fait l’objet de toutes les attentions des religieux. Commencée en 1629, la construction est interrompue régulièrement et reprise par plusieurs architectes. À Pierre Le Muet, auteur du plan, succèdent notamment Gabriel Le Duc et Sylvain Cartaud. C’est ce dernier qui la termine en 1739. Bien qu’encore inachevée, elle est ouverte au culte dès 1666. Progressivement, les Petits-Pères l’embellissent grâce aux dons des fidèles : statues, tableaux et monuments funéraires ajoutent à la solennité du lieu. Des reliquaires précieux et de riches ornements liturgiques font la fierté des religieux. Avec ses orgues créées par Lesclop, Notre-Dame-des-Victoires peut rivaliser avec les monuments contemporains comme Saint-Roch. Mais tout cela a un coût : le chantier est estimé à 600 000 livres au total, somme doublée par les intérêts des emprunts.

Chapitre III
Le cabinet de curiosités et les tableaux du couvent

À l’instar de l’abbaye Sainte-Geneviève, Notre-Dame-des-Victoires abritait un riche cabinet de curiosités. Il a été fondé par quelques religieux au tout début du xviiie siècle et constamment enrichi par la suite. L’inventaire qui en a été dressé à la Révolution témoigne des goûts éclectiques et de la curiosité de certains Petits-Pères. Certains objets, comme un buste de Diderot, prouvent aussi que l’esprit du siècle des Lumières avait pénétré la clôture : il est en partie responsable du déclin spirituel du couvent. En outre, les Augustins déchaussés possédaient de nombreux tableaux dont certains de grands maîtres. À côté de programmes commandés par les religieux, comme le cycle du réfectoire ou celui du chœur de l’église sur la vie de saint Augustin, se trouvaient un grand nombre de portraits et de toiles variées. Preuve de la notoriété des Petits-Pères, deux d’entre eux se sont fait peindre par Hyacinthe Rigaud. Toutes ces collections ont été dispersées à la Révolution.

Chapitre IV
Les religieux célèbres

Le couvent de Notre-Dame-des-Victoires a abrité un certain nombre de religieux dont les œuvres sont encore connues de nos jours. Le plus célèbre est peut-être le frère Fiacre, même s’il n’a laissé qu’un manuscrit. Certains religieux étaient théologiens : il faut citer entre autres le père Léon de Sainte-Monique qui a écrit plusieurs ouvrages. D’autres étaient plutôt spécialisés dans les humanités : c’est le cas du père Léonard de Sainte-Catherine-de-Sienne, dont les très nombreux portefeuilles manuscrits sont très éclairants sur l’érudition à la fin du xviie siècle. C’est aussi le cas du père Anselme de la Vierge-Marie, auteur de l’Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, ouvrage encore utilisé aujourd’hui par les historiens.


Conclusion

Le couvent de Notre-Dame-des-Victoires a été injustement oublié par les historiens. Ses liens avec la monarchie et ses richesse artistiques en faisaient l’un des principaux établissements religieux de Paris à l’époque moderne. C’est d’ailleurs cette notoriété qui est en partie responsable de son déclin spirituel, déclin dont les crises du xviiie siècle sont les révélateurs. La volonté de satisfaire les fidèles illustres qui fréquentaient leurs murs a poussé les Petits-Pères à s’éloigner de leurs constitutions, à tel point que peu de particularités les distinguent du grand ordre à la fin du xviiie siècle. C’est en partie pour cela que le couvent n’a pas été rouvert après la Révolution.


Annexes

Édition de textes relatifs à la congrégation et à son établissement parisien. — Répertoire de fidèles ayant fréquenté Notre-Dame-des-Victoires. — Glossaire. — Plans du couvent.