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École des chartes » thèses » 2007

Les ordres mendiants et les pouvoirs à Rodez (XIVe-XVIe siècle)


Introduction

L’historiographie rouergate a fait très peu de place aux ordres mendiants ruthénois, sans doute à cause de la disparition de toute trace, ou presque, de la présence à Rodez des franciscains et des dominicains. Pourtant, alors que le couvent des franciscains est fondé seulement six ans après la mort de saint François, celui des dominicains est situé non loin du foyer originel de l’ordre qu’est Toulouse. Si l’historiographie des années 1960, et notamment l’École des Annales, a montré l’intérêt des études sur les Mendiants comme révélateurs de l’urbanisation, d’autres points sont aussi importants. Les Frères mineurs et prêcheurs ruthénois sont en effet au centre de la vie religieuse et politique de la ville, du comté et du diocèse de Rodez.

On voit ainsi que ces ordres constituent des révélateurs de l’emprise du comte et de l’évêque de Rodez sur leur ressort respectif. L’origine sociale et géographique des frères, les soutiens laïcs et religieux apportés à la construction des couvents, mais aussi les fondations, les confréries, tous ces éléments sont autant d’indices qui permettent de situer les couvents mendiants dans leur environnement social, d’établir les étapes marquantes qui ont fait de ces frères des acteurs essentiels de la vie religieuse rouergate. L’étude des soutiens, tant des membres de la famille comtale que de la noblesse et de la bourgeoisie, permet aussi de comprendre comment ces couvents ont traversé les crises de la fin du Moyen Age, comme le passage à l’Observance des franciscains à la fin du xve siècle.


Sources

La plus grande partie des sources se trouve aux Archives départementales de l’Aveyron qui ont récupéré à la Révolution les archives des couvents des franciscains et des dominicains de Rodez, aujourd’hui classées dans la série H, sous les cotes 11 H (dominicains) et 14 H (franciscains). Ces sources ont été très peu exploitées : après avoir été vu par un dominicain toulousain, le fonds des dominicains a servi à l’élaboration d’un mémoire de maîtrise et de quelques articles, alors que celui des franciscains est resté vierge de toute recherche jusqu’au récent colloque Sainte Claire en Rouergue organisé par les Archives départementales de l’Aveyron. Il est essentiel de noter la différence de ces deux fonds qui révèlent une pratique archivistique divergente entre les dominicains, qui gardent tout ou presque de leurs documents, et les franciscains dont seuls sont parvenus les actes solennels émanant du Saint-Siège et les testaments les plus importants rédigés en faveur du couvent. Si l’inventaire du fonds des franciscains a été établi durant nos recherches, celui des dominicains reste en préparation et sera certainement complété à partir des éléments contenus dans cette thèse.

Les axes de recherche de la présente étude ont bien sûr dirigé nos regards vers des documents émanant des pouvoirs civils et religieux ruthénois. Ainsi, pour tenter de saisir les rapports entre la ville et les couvents, ont été dépouillés les registres des délibérations consulaires de la Cité et du Bourg de Rodez, qui constituent une source inestimable sur la vie urbaine, à partir du XIV e siècle pour le Bourg et du xve pour la Cité, et qui contiennent des informations essentielles pour notre objet, comme les rémunérations accordées aux prédicateurs par la ville. Les séries G (fonds de l’évêché de Rodez) et 3 G (fonds du chapitre cathédral de Rodez) éclairent les rapports entretenus entre les Mendiants, l’évêque et le chapitre cathédral. Enfin quelques registres notariaux, comme ceux d’Adhémar Catel (C 1381-1388), et les comptes du comté de Rodez (C 1329-1336) ont été également examinés pour voir les différentes mentions qui y étaient faites des Mendiants, les testaments et pensions en faveur des frères par exemple. La série Q (domaines) a permis de donner une idée de l’état des bâtiments conventuels, du mobilier qui y était contenu, en bref de donner une idée des couvents et de ce qui subsistait à la Révolution des périodes médiévale et moderne.

Aussi riches qu’elles soient, ces sources locales ont été complétées par des documents conservés à Paris, à la Bibliothèque nationale de France et au Centre historique des Archives nationales. La collection Doat, à la BnF, a ainsi offert des copies d’actes ayant parfois disparu des couvents ruthénois. Aux Archives nationales, les documents établis pour l’enquête de la Commission des réguliers de 1768 donnent un instantané des couvents à la fin de l’époque moderne ; quelques actes concernant les comtes de Rodez, comme des testaments, éclairent les fondations faites par eux auprès des établissements religieux de Rodez.


Première partie
L’installation des mendiants à Rodez


L’installation des Mendiants à Rodez reste un événement mal connu, en bonne partie en raison de la pauvreté des sources. On sait que, contrairement aux couvents d’autres villes, les franciscains et les dominicains de Rodez n’ont jamais déplacé leur couvent, témoignage de la solidité de leur emprise sur la ville et des bons rapports entretenus avec les différents pouvoirs. Reste qu’au fil du temps, et plus particulièrement sur la période étudiée, cette implantation n’a jamais – ou presque – été mise en cause et cette domination sur l’espace urbain n’a jamais cessé d’augmenter, de plusieurs manières. D’abord, les Mendiants n’hésitent pas à recourir à des achats de terrains, directement ou en passant par des tiers, pour augmenter leur enclos. Ensuite, les revenus en rentes n’ont cessé de croître et leur gestion a fait l’objet d’une attention et d’un contrôle particuliers de la part des frères, tant à Rodez que dans la campagne environnante, et même plus loin. Mais on ne peut se limiter à l’emprise topographique des Mendiants ruthénois, ni négliger le rôle important que ceux-ci ont pu avoir dans le développement de nouvelles formes de dévotion, comme la confrérie du Rosaire qu’ils ont fortement contribué à développer dans le diocèse de Rodez. Cette présence quotidienne dans la vie religieuse des fidèles s’exprime également par la participation active aux moments forts de l’année liturgique. Prédicateurs, les franciscains et les dominicains ne délaisseront jamais cette fonction qui leur permet d’être au plus près des Ruthénois : ainsi les voit-on participer chaque année aux prédications d’Avent et de Carême dans les églises de Rodez, la cathédrale bien sûr, mais aussi Saint-Amans.

Chapitre premier
Les étapes et les soutiens

La ville de Rodez doit attendre 1282 pour voir l’arrivée des dominicains. Cette date est assez tardive si on la compare avec la fondation des autres couvents de la province de Toulouse et de Provence : en effet, il existe déjà, pour la seule province de Toulouse, vingt-et-un établissements lorsque est décidée la fondation de la maison de Rodez. Ce retard est d’autant plus notable que les franciscains sont arrivés à Rodez cinquante ans auparavant, en 1232, à l’appel du comte Hugues IV et de l’évêque Pierre Henri de la Treille.

Il paraît délicat d’expliquer par des considérations géographiques cette fondation tardive et surtout le vide rouergat laissé dans le quadrillage dominicain. Certes les vallées particulièrement difficiles d’accès de l’Aveyron, du Lot et du Tarn, véritables frontières hydrographiques, et les zones montagneuses du nord du diocèse de Rodez, ne contribuent pas à faire du Rouergue une région très urbanisée, ni à la placer au cœur d’échanges commerciaux au long cours… mais les franciscains n’ont pas craint ce relatif enclavement. En outre Rodez est le chef-lieu d’un puissant comté, d’un évêché aux revenus importants et se trouve situé, avec Millau, sur la route commerciale qui relie Montpellier à La Rochelle et que fréquentent les marchands cahorsins.

Ainsi, plus que dans la géographie, l’explication de ce retard doit résider dans des oppositions qu’ont dû rencontrer les frères dans la ville même. L’évêque de Rodez, de 1247 à 1274, n’est autre qu’un franciscain au caractère bien trempé, Vivien de Boyer. On peut supposer que Vivien n’ait pas vu d’un très bon œil la venue de rivaux potentiels pour le couvent franciscain ruthénois. Lui-même eut l’occasion d’entrer en compétition avec les inquisiteurs dominicains dans les années 1250, à une époque où la chasse aux hérétiques fut confiée pour quelques années aux évêques locaux. On peut aussi considérer que l’influence très faible du catharisme en Rouergue a conduit les dominicains à rattacher directement cette région à leur maison toulousaine et qu’ils n’ont pas cherché à imposer l’installation de couvents dans le diocèse, du vivant de l’évêque franciscain.

Le successeur de Vivien, Raymond de Calmont d’Olt, n’eut pas probablement pas les mêmes réticences : cinq ans après son accession sur le siège épiscopal, les Frères prêcheurs s’installaient à Millau en 1279, avant de rejoindre Rodez en 1282. La présence des armes de Raymond de Calmont d’Olt aux clefs de voûtes de l’église des jacobins est un indice supplémentaire du soutien du nouvel évêque ruthénois. Les dominicains bénéficièrent aussi du concours apporté par les comtes de Rodez : le comte Henri II se présente lui-même comme leur patronus dans son testament du 25 novembre 1290.

C’est donc en 1282 que les premiers frères viennent à Rodez, sans doute pour effectuer un repérage topographique de la ville et étudier les différentes possibilités d’installation. La fondation du couvent de Millau, en 1279, a ouvert une brèche dans le diocèse de Rodez, jusqu’ici sans présence dominicaine. Or l’on sait les difficultés engendrées par l’implantation millavoise. Les frères de Millau rencontrent l’opposition du consulat de la ville qui voit d’un très mauvais œil l’accroissement du couvent sur l’espace urbain, ce qui donne lieu à un procès de quarante ans. La volonté de trouver à Rodez un lieu qui ménagerait les susceptibilités politiques et religieuses locales tient probablement compte des problèmes rencontrés à Millau.

Le couvent de Rodez a un recrutement de proximité, qui met en relief cette nécessité de ménager la population dans le but évident de s’intégrer sans difficulté à la Cité. On retrouve cette prédominance locale dès la fondation officielle du couvent : sur les seize religieux envoyés alors, dix proviennent de couvents voisins, soit près de deux sur trois ; sur ces dix frères, quatre ont fréquenté le couvent de Millau, trois sont originaires de Cahors, deux de Figeac et un de Gaillac. Un peu plus de la moitié des quatorze premiers prieurs de Rodez vient des régions limitrophes du Rouergue et, si l’on ne tient pas compte de trois prieurs dont l’origine est inconnue, près d’un quart vient de plus loin (Carcassonne, Toulouse…). Sur les trente-quatre premiers frères de Rodez, prieurs inclus, dont on connaît l’origine, les deux tiers viennent de la région proche : cinq sont de Rodez même, ce qui constitue la plus grosse part et renforce l’idée d’un terrain propice aux dominicains et sans doute de l’existence d’une demande avant leur installation. Les frères ont une mobilité plus réduite que les prieurs : neuf frères sur dix demeurent au couvent de Rodez ou ne vont que dans un autre couvent.

Chapitre II
L’emprise géographique

Le site de la ville de Rodez représente en lui-même une contrainte pour les frères. L’installation d’un couvent, et surtout d’une communauté, demande de l’espace : pour se loger bien sûr, mais aussi pour s’agrandir. Aux contraintes géographiques de la ville répondent les recommandations pontificales qui interdisent aux Mendiants de s’installer trop près les uns des autres.

Le couvent des dominicains occupe dans la ville un quadrilatère de plus de six hectares, très bien desservi et quasiment inévitable, surtout pour les passants qui entrent par le côté est de la ville. Si au nord du couvent l’espace en friche reste important et laisse des possibilités d’extension, à l’ouest se déploient des quartiers densément peuplés, tandis qu’à l’est les portes assurent l’arrivée d’une population potentiellement sensible à la pastorale mendiante. Bien encadré par de grandes rues, balises s’il en est de l’espace urbain, le couvent est ainsi proche des centres névralgiques du pouvoir religieux et civil, tout en s’inscrivant comme relais entre ces centres et les villes voisines par sa proximité avec les remparts et les portes.

Il en est de même pour le couvent des franciscains. L’édifice s’impose à toute personne qui entre dans le Bourg par l’ouest de la ville et cette position névralgique facilite la venue des fidèles à l’église franciscaine.

Les nombreux travaux que subissent les deux établissements sont également connus par les archives qui permettent d’en retracer les étapes, du Moyen Âge jusqu’au début de l’époque moderne.

Chapitre III
L’emprise spirituelle

Plus encore que par leurs possessions foncières et leurs rentes, l’importance des Mendiants est révélée par l’emprise qu’ils ont sur les âmes des fidèles de la ville. Cette influence est due à plusieurs causes. On sait d’abord que le culte est célébré dans les églises mendiantes de Rodez, ce qui en fait, non des substituts, mais plutôt des alternatives aux églises paroissiales.

Mais l’influence des dominicains s’étend plus loin que les murs de leur couvent. Comme nous l’avons vu, celui-ci s’est installé dans une région vaste où certes les couvents alentours avaient l’habitude de venir faire des quêtes, mais qui permet tout de même à la maison de Rodez de se ménager un espace réservé pour les quêtes et les campagnes de prédication. Assez tôt les frères ruthénois se sont souciés de négocier avec les autres couvents la délimitation claire de leur aire d’influence.

C’est surtout avec la prédication que les frères s’imposent. Les deux ordres mendiants de la ville se sont visiblement entendus pour se partager les différentes campagnes de prédication qui marquent le temps religieux, aux moments forts de l’année liturgique, l’Avent et le Carême.

Chapitre IV
Les frères : un reflet de la société ruthénoise

L’étude de l’obituaire des dominicains permet de retracer le recrutement des frères et leur origine, tant sociale que géographique, ainsi que de dégager des parcours individuels, qui implique une formation spirituelle et intellectuelle dont rien n’avait été dit jusqu’alors. Le total des frères inscrits dans l’obituaire est de 239. Bien évidemment les informations contenues par chaque notice diffèrent considérablement : du fait du grattage du registre, il arrive régulièrement qu’ici manque un nom, là une date. L’importance du mort semble avoir déterminé son inscription dans l’obituaire : ainsi retrouve-t-on toutes les grandes personnalités du couvent de Rodez. Par ailleurs, les donations qu’ont pu faire les frères pour la construction ou l’embellissement du couvent se trouvent assez souvent mentionnées pour qu’on puisse penser qu’une telle libéralité justifiait la mention dans le livre d’obits. Pourtant tous les noms présents ne sont pas ceux de personnes qui ont aidé à la subsistance du couvent, bien au contraire. On trouve aussi bien des maîtres généraux de l’ordre que de simples convers, une dizaine, et même un frère lai, qualifié de simplex. Cet indice permet de croire que les qualités d’âme pouvaient aussi justifier une entrée dans le registre.

L’étude des grandes personnalités du couvent est ensuite faite, en rassemblant les éléments qu’il a été possible de repérer dans les archives et la bibliographie. Font l’objet de développements particuliers Jean Capreolus, Bringuier de Landorre, Pierre Aldebert ou Jean Vayssière, mais aussi des personnalités qui, n’étant pas originaires du couvent, ont pu y être ensevelies après y être décédées, comme Sylvestre de Ferrare, général de l’ordre mort pendant sa visite du couvent de Rodez.


Deuxième partie
Les mendiants conservateurs de la mémoire ruthénoise


Chapitre premier
Les fondations de messes

Si l’on excepte l’obituaire des Frères prêcheurs et, dans une moindre mesure, un mémoire concernant les Mineurs, les donateurs ne se laissent guère approcher que grâce aux documents de gestion du casuel, où sont portées des rentrées régulières de revenus, « fondements de la survie » mendiante. Il était donc nécessaire d’associer l’étude de ces différents types de revenus à celle de la nécropole conventuelle pour connaître les bienfaiteurs des deux maisons. On peut distinguer plusieurs groupes sociaux : les artisans, les marchands, les officiers et les gens de justice, les nobles et enfin les gens d’Église. À l’intérieur même de l’église des jacobins, ces groupes occupent une place définie pour leurs inhumations : plus la position sociale du fondateur est élevée, plus sa sépulture sera proche du maître autel, voire sera située dans une chapelle particulière. L’étude des fondations dans les couvents des Mendiants de Rodez est donc une source essentielle pour la compréhension des relations sociales dans lesquels sont inscrits les frères. Si ces fondations ont toujours représenté une source importante des revenus des couvents, il convenait d’envisager de manière détaillée leur chronologie afin de mesurer l’évolution de la faveur dont jouissaient les Mendiants auprès de la population.

Chapitre II
L’église mendiante lieu de prière et de sociabilité

Bonne de Berry, fille du duc Jean de Berry et de Jeanne d’Armagnac et épouse du comte de Rodez Bernard VII d’Armagnac, occupe une place importante dans le rayonnement spirituel du couvent des cordeliers de Rodez. On ne sait pas si les Mineurs tentèrent d’obtenir l’ouverture d’un procès de canonisation, mais tout laisse à penser que la volonté des frères allait dans ce sens. L’impulsion du culte fut donnée par les fidèles eux-mêmes, qui se rendaient en nombre au tombeau de la comtesse dans l’espoir de miracles et dont l’afflux causa des dégradations sur le bâtiment même. Cette volonté de faire de Bonne une sainte rappelle d’ailleurs ce qui se passa chez les franciscains de Guingamp, autour de Charles de Blois, au xive siècle.

Si les franciscains peuvent mettre en avant Bonne de Berry et utiliser ses miracles à leur avantage, les dominicains ne se font pas faute d’utiliser également les saints issus de leurs rangs. L’exemple le plus frappant est celui de saint Vincent Ferrier, le célèbre prédicateur, qui représente une formidable opportunité pour les jacobins de Rodez de promouvoir leur ordre, leur règle définie plus que jamais comme un moyen sûr d’atteindre la sainteté. Nul doute que l’impact psychologique auprès des fidèles est fort et que l’image du couvent des dominicains de Rodez en sort renforcée.

L’église des dominicains de Rodez est aussi le lieu de rassemblement de diverses confréries qui tiennent leurs réunions dans la chapelle qui est dédiée à leur patron et où s’organisent messes et célébrations. Si la confrérie représente en quelque sorte une « famille large », elle est également la preuve de l’ouverture des dominicains sur la société ruthénoise, sur l’accueil par les frères des habitants, dans leur diversité.

Une étude de deux familles ruthénoises, les Reysséguier et les Ratier-Maleville, démontre l’attachement particulier dont pouvaient jouir les Mendiants à travers plusieurs générations.

Chapitre III
Les mendiants au centre de la vie politique et sociale de Rodez

Les Mendiants ont toujours entretenu des relations étroites avec les institutions consulaires de la Cité et du Bourg, qu’ils considèrent comme une émanation de la communauté des fidèles. Ils n’hésitent pas à demander l’aide des représentants de la cité quand se fait jour la volonté de créer une nouvelle confrérie ou de fonder une nouvelle chapelle. Les consuls sont conscients de leur rôle et de leurs obligations et, tout comme ils prennent en charge la défense de la ville et les salaires de leurs protecteurs, ils rétribuent les frères qui édifient les âmes et prennent soin de l’hétérodoxie des fidèles par leurs prêches lors des temps forts liturgiques et les offices qu’ils célèbrent. Entrent notamment en ligne de compte dans le calcul de la rémunération des prédicateurs leur savoir, leur talent oratoire, mais aussi leurs origines ruthénoises, comme l’expriment sans ambages les comptes consulaires de la Cité. En retour, le vaste espace occupé par les couvents et la taille de leurs locaux permettent d’abriter et de réunir un grand nombre d’assemblées, comme par exemple les états de la province. Politique et religieux sont donc intimement liés, d’autant que les communautés mendiantes de Rodez comptent parmi leurs frères des membres issus de la bourgeoisie ruthénoise ou rouergate. Bien évidemment, ces rapports connaissent des fluctuations et parfois se tendent, comme le montrent les différentes crises étudiées dans ce chapitre.


Troisième partie
Les mendiants, acteurs et victimes des luttes de pouvoir


Chapitre premier
Les rapports privilégiés avec les comtes

Les Mendiants ont bénéficié de la protection sans faille des comtes de Rodez, et ce depuis leur venue dans la ville. Ce soutien n’a pas été unilatéral : les Mendiants incluaient la dynastie comtale dans leurs prières, lui offraient une nécropole et rappelaient aux yeux des Ruthénois sa puissance, en mettant par exemple les armes comtales aux voûtes de leur église. Ils ont joué aussi un rôle privilégié de conseil : plusieurs indices laissent deviner la présence de frères mendiants dans le proche entourage des comtes ; si le rôle de confesseur leur revient naturellement, il est clair que ce poste stratégique auprès d’un seigneur puissant permet aussi de s’assurer ses bonnes grâces, pour soi, son couvent, son ordre.

Chapitre II
Les rapports avec le clergé local

Les rapports privilégiés avec les pouvoirs urbains et seigneuriaux ont suscité de nombreuses jalousies, surtout au vu de la rapidité à laquelle les couvents ont prospéré dans la ville. Plusieurs querelles sont venues émailler la vie des jacobins et des cordeliers. Le monastère bénédictin de Saint-Amans, également église paroissiale du Bourg, n’a pas apprécié la faveur dont ont joui les Mendiants auprès des fidèles et, comme dans de nombreux autres cas, la pierre d’achoppement réside dans la question des sépultures. Des procès, parfois accompagnés de violences, se succèdent contre les Prêcheurs et les Mineurs. Pendant les trois siècles étudiés, les religieux de Saint-Amans reviendront régulièrement à la charge et les archives des Mendiants regorgent de privilèges pontificaux et de pièces de procès concernant autant leur couvent que les communautés alentours, preuve s’il en fallait que ce phénomène n’est pas proprement ruthénois et qu’il provoque chez les Mendiants une stratégie de défense associant les autres maisons de la province.

Chapitre III
Le passage des Franciscains à l’Observance

Le passage des franciscains conventuels à l’Observance est sans doute la plus grave crise qui ait secoué le couvent de Rodez. Celle-ci arrive en outre à un moment critique dans l’histoire du comté de Rodez qui traverse une période sombre liée aux mauvaises relations entretenues entre les comtes d’Armagnac et les rois de France. Plusieurs remarques contenues dans les pièces concernant la réforme et dans le fonds des franciscains de Rodez montrent aussi l’attachement des Ruthénois à leur dynastie comtale et la volonté de sauvegarder de la manière la plus intacte possible le souvenir des comtes, dont le pouvoir semble très menacé en cette fin de xve siècle.

La situation politique est en effet des plus confuses après le meurtre du comte Jean V d’Armagnac en 1473. La mort de ce personnage laisse le comté dans une situation dramatique que son successeur, Charles, ne parvient pas à rétablir, surtout après avoir sombré dans la folie. Le roi semble d’ailleurs avoir été le principal promoteur de la réforme du couvent et de son passage à l’Observance, en jouant certainement avec les troubles politiques du temps.

Les violences se succèdent entre les frères divisés et la situation s’étend à la ville de Rodez. La population ruthénoise s’implique directement dans le conflit, en hébergeant ou même en fournissant vivres, armes et hommes aux Conventuels retranchés dans leur couvent. Cette agitation s’explique d’autant mieux si l’on prend en compte l’origine des cordeliers, natifs pour beaucoup de la ville.

Si l’Observance finit par s’imposer, après quarante ans de conflits, de pertes et de reprises du couvent, le souvenir de ces événements laissera sans aucun doute un goût amer aux Ruthénois dans la période de questionnement religieux que représente ce début de XVI e siècle.


Conclusion

Les ordres mendiants de Rodez n’ont pas bénéficié de l’intérêt qu’ils auraient mérité auprès des historiens ; la disparition des couvents, dont il reste peu de traces, a sans doute contribué à cet oubli. Pourtant la richesse documentaire des fonds 11 et 14 H des Archives départementales de l’Aveyron démontre l’implication importante des Mendiants dans la vie religieuse, politique et sociale de Rodez et du Rouergue pendant cinq siècles. Un des meilleurs exemples de cette symbiose est le rôle tenu par les Mendiants comme soutiens des comtes de Rodez et la protection que ceux-ci leur ont accordée en retour : l’histoire des comtes et des Mendiants sont donc étroitement liées, notamment à la fin du xve siècle, lorsque le roi cherche à s’imposer dans l’ancien domaine Armagnac après le meurtre de Jean V et la mort de Charles d’Armagnac et promeut la réforme des cordeliers ruthénois.


Pièces justificatives

Édition du compte rendu écrit par Brémond de Saint-Félix, conseiller au Parlement de Toulouse, au sujet du passage du couvent des cordeliers à l’Observance. — Édition partielle de l’obituaire des dominicains.


Annexes

Tableaux statistiques sur l’origine et le parcours des premiers prieurs et frères ruthénois. — Cartes et plans. — Photographies.