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École des chartes » thèses » 2007

La Grande Guerre dans les images de presse en France (1919-1939)


Introduction

Le premier conflit mondial constitue un épisode décisif de l’histoire européenne, souvent considéré comme la matrice des violences des années 1930 puis de la seconde guerre mondiale. Du côté français, son importance est perçue d’emblée : la « Grande Guerre » fait pendant les combats l’objet d’un fort investissement symbolique et idéologique. Une fois la paix signée, le culte du souvenir de 1914-1918, entretenu par les anciens combattants et par les familles en deuil, contribue à en faire une référence incontournable de la mémoire nationale. Du fait de l’ampleur des pertes et du degré de violence atteint, son souvenir hante durablement les consciences.

Pour appréhender la place qu’occupe la Grande Guerre dans l’imaginaire collectif des Français au cours des années 1920 et 1930, les images de presse fournissent un objet d’étude privilégié. Ces représentations, qui renvoient toujours à une conception de l’affrontement, laissent lire les regards posés sur la guerre par leurs auteurs et par les équipes éditoriales. En outre, du fait de leur diffusion dans la presse, elles interviennent dans le débat public. Elles s’insèrent ainsi dans un réseau d’images qui s’affrontent ou se confortent. Elles reflètent donc l’imaginaire national tout en contribuant à le structurer, alors que s’élabore la mémoire visuelle du conflit.

Après un exposé resituant les images considérées dans le contexte de leur production et de leur publication, il convient de montrer quelles sont les ruptures et les continuités entre l’iconographie de presse du temps de guerre et celle du temps de paix, et comment chaque titre réinvestit ou rejette l’héritage iconographique de 1914-1918. Cette première approche, centrée autour des notions de transition et de « démobilisation culturelle », cherche d’abord à expliquer les différences d’attitude envers cet héritage : quelle est l’influence des sensibilités idéologiques et politiques ? Quel rôle joue l’actualité nationale et internationale dans son appréciation ? Elle s’attache encore à évaluer la réaction de chaque journal face à la critique de l’attitude belliciste de la presse du temps du conflit. Alors même que les images de presse de la Grande Guerre sont assimilées à un « bourrage de crâne » éhonté, leurs rapports aux thématiques et aux stéréotypes bleu horizon renvoient les périodiques à leur propre attitude lors de l’affrontement. Que vont-ils donc choisir : passer le sujet sous silence, camper sur leurs anciennes positions ou les rejeter ?

Il s’agit ensuite, dans un deuxième temps, d’étudier comment les images de presse mettent en scène 1914-1918, et ce que cela révèle sur les représentations de la guerre dans la conscience collective. Ceci ouvre la voie à deux types de questionnements. Dans son sol (anciennes zones du front, cimetières militaires), dans son architecture (ruines et monuments aux morts), dans sa population (morts, mutilés, endeuillés), dans ses rituels commémoratifs (Toussaint, 11 Novembre), la France de l’entre-deux-guerres porte les stigmates d’une lutte âpre et violente. Que vont montrer les différents journaux de ces traces bien visibles ? Sur quels modes dépeint-on le conflit lui-même, et à quelles fonctions répondent les images qui le représentent ?


Sources

Les sources utilisées sont de différentes natures. Tout d’abord, dans la mesure où l’étude se base sur l’iconographie de quatre périodiques : Le Journal, L’Humanité, L’Illustration et Vu, ces titres, consultables dans diverses bibliothèques parisiennes telles que la bibliothèque de l’Arsenal et la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, ont constitué la première source utilisée. Afin de mettre en contexte ce premier corpus d’images, d’autres documents ont été consultés, tant des collections de presse que des monographies illustrées. Il s’agissait à la fois de mieux connaître l’iconographie de presse de 1914-1918, de mieux cerner l’œuvre de certains dessinateurs en se reportant à leurs albums, et d’obtenir une approche plus large des diverses représentations de la Grande Guerre au cours des années 1920 et 1930, des journaux anciens combattants aux guides illustrés des champs de bataille. Des archives écrites ont également été mises à profit, tant à la Préfecture de police qu’au Centre historique des Archives nationales, où est conservé le fonds du Journal. Le fonds iconographique d’un autre titre a pu être consulté : celui de L’Illustration, détenu par un particulier. Enfin, le fils d’un des principaux dessinateurs de L’Humanité a aimablement consenti à fournir des renseignements sur son père.


Première partie
Le contexte de production et de publication des images


Chapitre premier
Les difficultés de la presse dans l’immédiat après-guerre

En plus des difficultés d’ordre conjoncturel, liées à la reconversion de l’économie entraînée par la fin du conflit, puis à la crise de 1929, les journaux doivent faire face à l’essoufflement général du marché de la presse. Dès lors, le recours à l’iconographie peut apparaître comme un moyen de renouveler leurs formules pour faire face à la concurrence. En outre, dès l’immédiat après-guerre, les journaux souffrent d’une mauvaise image dans l’opinion publique. On leur reproche notamment d’avoir sciemment contribué au conditionnement idéologique des masses en 1914-1918, tandis que plusieurs scandales défraient la chronique.

Chapitre II
La production d’images de presse de 1919 à 1939

La place de l’image dans les journaux de l’entre-deux-guerres. — L’image gagne du terrain dans l’ensemble de la presse, tandis que le nombre d’illustrés augmente. En ce qui concerne les photographies, dont la présence progresse fortement, l’esthétique évolue progressivement, tendant à accorder davantage d’importance aux clichés pris in situ au détriment du portrait en studio. De même, relativement aux sujets photographiés, les personnalités officielles perdent de leur prééminence au profit des individus anonymes. Il est possible que la Grande Guerre, en suscitant la valorisation d’images prises sur le vif, ait favorisé cette tendance. Quant aux dessins, ils tendent à épurer leurs compositions et à promouvoir leurs légendes. Là encore, les quatre années d’affrontement ont dû jouer leur rôle : en 1914-1918, les dessinateurs ont plus souvent dû travailler dans l’urgence, d’où un plus grand dépouillement du trait, et ciseler des légendes cinglantes dans un contexte de forte mobilisation des esprits.

Diversité des sources et diversité des types d’images publiés. — Les photographies de presse proviennent de trois types de sources : les agences, les photoreporters indépendants et les services photographiques des journaux. Parmi ces derniers, l’originalité du porte-parole du Parti communiste français (PCF) tient au recours à l’Association photographique ouvrière, également communiste, qui souligne la volonté des dirigeants de L’Humanité de faire participer les militants à sa confection et de promouvoir des journalistes ouvriers. Pour la place dévolue à la photographie, le clivage entre les quotidiens, qui présentent longtemps une mise en page terne et des illustrations de facture classique, et les magazines illustrés, qui mettent en valeur les clichés, se fait fortement ressentir. Les deux hebdomadaires diffèrent eux-mêmes sensiblement, dans la mesure où L’Illustration reste assez conventionnel, alors que Vu se veut moderniste.

La proximité entre dessinateurs et photographes. — Les producteurs des images considérées, qu’ils soient dessinateurs ou photographes, se révèlent proches par leurs modes de travail, mais aussi par leur statut particulier au sein du journal. Enfin, la technique elle-même les rapproche, dans la mesure où toute photographie, pour être publiée, doit passer entre les mains d’un dessinateur-retoucheur.

Trois générations de dessinateurs de presse, trois expériences différentes de la Grande Guerre. — Parmi les dessinateurs actifs dans l’entre-deux-guerres, on distingue d’abord les artistes déjà reconnus en 1914, qui, généralement trop âgés pour combattre, ont contribué à l’effort de guerre en livrant des compositions cocardières. Les plus marqués par le conflit appartiennent à la génération suivante et émergent durant les années 1920. Enfin, les plus jeunes, qui débutent à la veille de la seconde guerre mondiale, étaient enfants en 1914-1918 et ne sont guère représentés dans le corpus étudié.

Chapitre III
Présentation du corpus

Les quatre titres étudiés : L’Illustration, Le Journal, L’Humanité et Vu, possèdent des profils fort différents. Alors que les deux premiers sont orientés à droite, les deux autres sont orientés à gauche, L’Humanité représentant même le porte-parole privilégié du PCF à partir de 1920. L’Illustration et Vu constituent deux hebdomadaires illustrés, Le Journal et L’Humanité deux quotidiens d’information. Enfin, Vu se distingue du reste du corpus dans la mesure où il est créé longtemps après la guerre et où il a recours quasi exclusivement aux illustrations photographiques.


Deuxième partie
Comment sortir de la guerre : le rapport problématique à un legs iconographique contesté


Chapitre premier
L’héritage iconographique du conflit

Le développement d’une iconographie spécifique au cours de la guerre. — Une imagerie abondante se développe en 1914-1918. La censure officielle se révèle assez clémente. Les photographies publiées proviennent à la fois des soldats et de la Section photographique des armées (SPA). Elles évitent de montrer la mort et la violence dans toute leur crudité, malgré la présence de cadavres allemands et d’images de ruines. Les illustrations dessinées hésitent moins à mettre en scène des exactions – toujours imputées à l’ennemi – et nourrissent une vision manichéenne de l’affrontement. Certains thèmes reflètent avec aigreur le clivage entre l’arrière et le front, en fustigeant l’ingratitude des non-combattants. Si dans l’ensemble ces représentations s’avèrent partiales et cocardières, elles correspondent davantage à un consensus national qu’à une propagande officielle, et leur évolution au fil du temps reflète les interrogations des Français.

L’expérience de guerre des dessinateurs. — Les équipes de collaborateurs de L’Illustration, L’Humanité et Le Journal se recoupent très peu. Les dessinateurs du quotidien communiste, généralement plus jeunes, sont les plus nombreux à avoir combattu, et ont sans doute été les plus marqués par le conflit ; l’équipe de L’Illustration comporte des peintres aux armées, qui ont pu voir la réalité du combat. Quant à la participation à l’iconographie de guerre, elle concerne surtout les membres de L’Illustration et du Journal.

Chapitre II
Les filiations avec l’iconographie de 1914-1918
quelles résurgences dans l’entre-deux-guerres ?

Le patriotisme. – Les résurgences de l’inspiration patriotique, des stéréotypes, du vocabulaire et des symboles qui l’accompagnent, se retrouvent surtout dans les deux titres conservateurs, en particulier en 1919. Elles déclinent très vite, traduisant une vision désabusée de la victoire, tandis que L’Humanité subvertit systématiquement les représentations triomphalistes du temps de guerre.

La germanophobie. — La diabolisation de l’ennemi allemand n’est plus de mise, mais les deux périodiques de droite continuent à faire preuve d’une germanophobie latente. Le Journal et L’Illustration restent hantés par le souvenir du militarisme et de l’impérialisme allemands, qu’ils associent toujours à la République de Weimar. La force du thème de la menace allemande transparaît encore dans Vu au cours des années 1930, sans toutefois viser l’ensemble des habitants du iiie Reich. L’Humanité affirme de son côté la volonté de rétablir l’amitié entre les peuples et détourne les critiques contre l’Allemagne, désormais dirigées contre les dirigeants et les industriels des deux pays. Enfin, les torts causés par les troupes allemandes sont peu évoqués, hormis dans quelques dessins du Journal et surtout dans des photographies de L’Illustration des années 1920. Seul Le Journal persiste réellement à faire preuve de germanophobie dans les années 1930, et encore est-ce largement dû à la personnalité du dessinateur Abel Faivre.

La subversion de l’héritage iconographique de 1914-1918 par L’Humanité. — Le quotidien communiste récupère la figure du profiteur de guerre et reprend le thème de l’ingratitude envers les combattants. Il réinvestit le stéréotype du fauteur de guerre, autrefois associé à Guillaume II, qui se rattache désormais à l’homme politique Raymond Poincaré. De même, il continue à fustiger « l’impérialisme fauteur de guerre », sans plus mettre en cause l’impérialisme allemand, mais celui des classes dirigeantes et des capitalistes des différents pays occidentaux, pour mieux se démarquer du substrat iconographique de 1914-1918.

Chapitre III
Voir la guerre en temps de paix
le cas des photographies d’archive de la guerre

Les clichés du conflit en circulation dans l’entre-deux-guerres. — Globalement, les images prises durant la guerre connaissent un fort succès. Les publications pacifistes font preuve d’une optique militante visant à contrer l’iconographie « mensongère » du temps du conflit et présentent des images violentes sur le mode de la révélation ; leur nombre reste minoritaire. Les anciens combattants, de leur côté, prônent une pédagogie par l’image pour éviter un nouvel embrasement de l’Europe. Cependant, la plupart des clichés d’archives qui circulent demeurent très consensuels et s’avèrent proches de ceux publiés en 1914-1918, sans trace de mort ou de violence.

Quelles photographies réapparaissent et quels usages la presse en fait-elle ?– Pour ce qui est de la provenance des photographies de guerre, le fonds d’archives de la SPA fournit une source potentielle, de même que les agences et les clichés conservés au sein des journaux eux-mêmes. Le cas du Journal révèle ainsi une suprématie des images de la SPA. Par ailleurs, on observe l’emploi des mêmes photographies par différents titres, particulièrement au sein des publications pacifistes qui ont dû procéder à des échanges. Quant au recours aux clichés d’archive, il se pratique surtout dans les années 1930 et culmine avec le vingtième anniversaire du déclenchement des hostilités en 1934. Ceci dénote un regain d’intérêt pour la Grande Guerre au cours de la seconde décennie de l’entre-deux-guerres, qu’on peut imputer tant à l’apaisement des blessures les plus vives qu’à la menace d’un nouvel affrontement.

Les sujets représentés. — Les images de militaires dominent le corpus, marquées par une forte prééminence accordée aux chefs de guerre, y compris dans le magazine pacifiste qu’est Vu. De même, les hommes politiques sont particulièrement bien représentés. Tous ces clichés d’officiels, très proches des illustrations de presse de 1914-1918, mettent en valeur les grands hommes tandis que la guerre reste une simple toile de fond. Comme dans l’iconographie du conflit, les forces françaises et alliées sont surreprésentées, à l’exception des Russes, coupables d’avoir abandonné leurs camarades de combat. Seul le quotidien communiste rompt avec l’héritage iconographique. De plus, ni la violence ni la mort ne trouvent leur place dans les pages des périodiques, qui refusent même de montrer des corps ennemis, et qui livrent donc une vision encore plus aseptisée qu’en 1914-1918. Enfin, deux moments sont clairement privilégiés, la mobilisation et l’armistice.

Les usages des clichés d’archive de la guerre. — À l’occasion du décès d’un dirigeant en poste pendant la guerre, les images contribuent à une forme de panégyrique exaltant le rôle du défunt durant ces heures sombres. Elles permettent aussi d’établir des parallélismes éloquents pour apprécier l’actualité, ce qui est le cas dans tous les journaux considérés. Ainsi, L’Humanité joue sur le souvenir des horreurs de 1914-1918 et sur la menace de les voir se reproduire pour inciter son lectorat à se rallier au communisme. Les images pacifistes possèdent leurs propres caractéristiques : décontextualisation, généralisation à partir d’un exemple, ironie, photomontage.


Troisième partie
Le spectre de la Grande Guerre
une présence diffuse et indirecte


Chapitre premier
L’empreinte de la guerre

Les traces matérielles de 1914-1918. — Les ruines et les difficultés des populations sinistrées apparaissent peu dans l’iconographie. Alors que L’Illustration s’en sert pour vanter les progrès de la reconstruction, L’Humanité y a recours pour souligner les injustices sociales. Contrairement au temps de guerre, elles ne sont plus utilisées pour dénoncer la barbarie allemande. L’ancien champ de bataille, fréquemment associé aux cimetières militaires, évoque surtout l’ampleur des pertes et prend dans les publications pacifistes une coloration ouvertement hostile à la guerre. Dans les titres conservateurs, les images de cimetières et de monuments aux morts attestent plutôt les honneurs rendus aux soldats morts et relayent à leur tour cet hommage.

Les cérémonies commémoratives. — Les clichés de commémorations tiennent une place de plus en plus grande au fil du temps, ce qui correspond à la fois au regain d’importance des cérémonies et à un nouvel intérêt des Français pour 1914-1918 durant les années 1930. Ils permettent souvent de répercuter l’hommage aux morts. Seule L’Humanité fustige dans ses légendes des mascarades bellicistes, qui accompagnent des illustrations en réalité très similaires à celles de la grande presse. Il faut attendre 1935 et le ralliement communiste à la politique de défense nationale pour que ses critiques cessent. Globalement, les photographies restent centrées sur les personnalités politiques et militaires, le poids des conventions se faisant particulièrement ressentir pour ce type d’images. Peu à peu, les anciens combattants et les groupes d’endeuillés, acteurs de premier plan de ces manifestations, sont mieux représentés. Le regard porté sur les poilus tués est ambivalent. Si les journaux conservateurs rappellent le devoir de mémoire envers leur sacrifice, ils n’exaltent plus la « belle mort » du combattant.

Les groupes sociaux issus de la guerre : des laissés pour compte ?– Les victimes civiles, sinistrées et endeuillées, voient leurs souffrances éludées par la presse. Même dans les dessins, le deuil personnel est éclipsé par l’hommage collectif. Les anciens combattants sont surtout montrés dans le cadre cérémoniel et sont de plus en plus visibles ; toutefois, les mutilés, symboles dérangeants du gâchis humain causé par la guerre, restent largement sous-représentés, surtout lorsque leur blessure est laide à voir.

Chapitre II
L’ombre de la Grande Guerre
un conflit toujours évoqué, mais rarement représenté

Où est la guerre ? Où est la mort ?– Très peu d’images figurent la guerre en elle-même, alors que beaucoup l’évoquent. Le conflit est ramené à certains symboles qui le lient à la mort, au détriment d’une représentation réaliste des combats, comme si l’expérience de guerre relevait de l’immontrable.

Le cas des publications pacifistes : comment concilier iconographie et idéologie ?– Dans leurs discours, Vu et L’Humanité expriment leur rejet des hécatombes de 1914-1918 et clament leur volonté de contrer l’iconographie mensongère du temps de guerre. Dans les faits, ils restent proches de cette iconographie décriée et évitent dans l’ensemble les illustrations violentes, susceptibles de choquer leur lectorat. Ils préfèrent avoir recours à des publications annexes pour diffuser leurs images militantes, évitant ainsi d’être directement mis en cause. Les images pacifistes partagent des traits communs, qui traduisent une lecture particulière de l’affrontement, marquée par l’insistance sur le conditionnement des esprits et par la victimisation des combattants.

La guerre comme clé de lecture de l’actualité. — Dans la plupart des images, le premier conflit mondial sert à décrypter l’actualité, dans une période où les engagements militaires français sont nombreux et où la peur de voir revenir la guerre reste forte. Parfois, le souvenir de 1914-1918 est instrumentalisé à des fins idéologiques ou politiques, la figure de l’ancien combattant servant de caution à toutes les causes. Enfin, le rappel des quatre années de lutte révèle surtout les désillusions sur la victoire, qui n’est même pas jugée capable d’assurer une paix stable.


Conclusion

Les différences d’interprétation de la Grande Guerre suivant les sensibilités idéologiques et politiques des journaux soulignent combien elle constitue un enjeu mémoriel fort, revendiqué par tous. Un certain malaise est perceptible par rapport à l’iconographie si décriée de 1914-1918 : alors que L’Humanité la réinvestit pour mieux s’en démarquer, Le Journal et L’Illustration font profil bas, reniant leur ancien triomphalisme bleu horizon, ce qui ne les empêche pas de conserver des accents germanophobes. Les images de l’affrontement évoluent au fil du temps ; elles progressent à partir de la fin des années 1920, témoignant ainsi d’un intérêt renouvelé pour cet épisode sanglant de l’histoire nationale. Les événements d’actualité infléchissent le regard posé sur la guerre, tandis que cette dernière représente à son tour une clé de lecture incontournable pour appréhender le monde extérieur. Ses représentations dans l’iconographie tendent à éluder toute forme de violence et à gommer les stigmates des combats. Le conflit lui-même n’est pas montré directement, malgré son omniprésence. Il se voit plutôt associé à des symboles forts, comme la croix de bois, qui mettent l’accent sur son caractère mortifère. Enfin, le traumatisme qu’il constitue encore est particulièrement sensible dans les images d’épouvante publiées par les titres pacifistes, qui projettent le lecteur dans la guerre future en empruntant des souvenirs ou des photographies de 1914-1918. Les journaux oscillent donc entre une attitude de fuite face aux images des violences et des souffrances nées de l’affrontement, et leur volonté d’invoquer sans cesse le souvenir d’une expérience qui fait autorité.


Annexes

Les annexes comportent principalement un index biographique des dessinateurs et des photographes considérés dans le corpus, ainsi que des exemples d’images auxquelles le texte se réfère.