« »
École des chartes » thèses » 2007

L’intervention française aux Açores en 1583


Introduction

L’intervention française dans la crise de succession de Portugal entre 1578 et 1583, si elle s’inscrit dans un processus de rivalité avec l’Empire espagnol, dont participent également les invasions des Pays-Bas et l’alliance avec l’Empire ottoman, présente toutefois, tant sur le plan politique que militaire, de nombreuses particularités. Initiative personnelle de Catherine de Médicis qui met tout en œuvre pour parvenir à ses fins face au roi Henri III, lequel ne se laisse entraîner qu’à contrecœur, elle se développe en plusieurs temps : d’abord des négociations diplomatiques, à la suite de la revendication personnelle de la couronne portugaise par Catherine, puis une première expédition militaire de soutien à un autre prétendant, dom António, qui se solde par un désastre en juillet 1582, enfin une nouvelle expédition en 1583 qui, quoiqu’elle s’achève plus honorablement que la précédente, n’en est pas moins une défaite retentissante. Cette escalade à partir d’une situation somme toute assez banale – Catherine de Médicis n’est ni la première, ni la dernière à défendre des droits douteux sur un territoire – ne s’explique qu’avec une étude minutieuse de la conjoncture française et européenne au tournant des années 1580 : la lutte contre une Espagne en plein essor, les relations mitigées avec Elisabeth Ière d’Angleterre, l’attentisme des autres puissances dessinent un arrière-plan cohérent aux tentatives de Catherine pour reconquérir le Portugal ; néanmoins ces raisons ne suffisent pas à expliquer l’acharnement de la reine-mère dans cette affaire, dont témoignent les deux opérations militaires successives aux Açores. Là où l’on s’attendrait à ce que la première défaite marque un coup d’arrêt aux ambitions de dom António et de Catherine, celle-ci persiste pourtant à renvoyer un contingent de soutien aux partisans de dom António, alors que la guerre fait déjà rage aux Pays-Bas.

L’expédition de 1583 est, à bien des égards, très différente de la précédente : mieux organisée, mieux encadrée par des « professionnels » de la guerre sur mer, elle annonce déjà une défaite prévisible, compte tenu du déséquilibre des forces, et mieux gérée, puisque son commandant en chef réussit à obtenir de l’ennemi des conditions de reddition satisfaisantes. Ces conditions en font donc une opération atypique, intéressante à étudier pour l’histoire tant militaire que maritime du xvie siècle.


Sources

La principale source utilisée pour ce travail est un document notarié conservé aux Archives départementales de Seine-Maritime sous la cote 2e70 (40). Il s’agit du recueil, sous la forme d’un registre relié, des minutes des actes passés devant notaire au Havre pour la préparation de l’expédition aux Açores de 1583. Ce recueil contient également, dans les dernières pages, une trentaine d’actes relatifs aux travaux effectués par Corberan de Cardaillac-Sarlabous, gouverneur du Havre, sur la jetée du port. D’autres registres notariés des Archives départementales de Seine-Maritime ont été utilisés pour ce travail, les cotes 2e70 (38) à (45).

La correspondance diplomatique de Tassis, ambassadeur de Philippe II à Paris, a été consultée au Centre historique des Archives nationales, dans les cartons K 1436, K 1539, K 1547, ainsi que K 1560 et K 1561 ; ces deux derniers cartons contiennent également diverses pièces intéressantes concernant les relations franco-espagnoles pendant le règne de Henri III. La correspondance de Henri III, celle de Catherine de Médicis et de plusieurs diplomates français ont été consultées au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, dans le fonds français (mss. franç. 3291, 3306, 3310, 3392, 6164, 6631, 15565, 16107, 16108, 16121), les nouvelles acquisitions françaises (nouv. acq. franç. 1245, 1249, 7225), le fonds Dupuy (ms. Dupuy 211) et le fonds espagnol (ms. esp. 466). Plusieurs récits de l’expédition de 1582 sont également conservés à la Bibliothèque nationale de France : dans le fonds français (mss. franç. 3959 et 17286), le fonds Dupuy (ms. Dupuy 844, qui contient un récit français et le récit espagnol publié par Santa-Cruz après la victoire), et aux Cinq-Cents (Cinq-Cents, Colbert, vol. 29).

Les archives espagnoles, en particulier à Simancas, présentent beaucoup plus de sources sur l’époque, montrant déjà par là une marine mieux organisée qu’en France. La collection privée Navarrete, au Museo Naval de Madrid, est une compilation, qui se veut exhaustive, de tous les documents d’archives concernant la Marine aux xvie et xviie siècles : elle recèle de nombreux documents et correspondances intéressant l’expédition des Açores. En revanche, après recherche, il semble que les archives portugaises sur la période, et particulièrement sur les Açores, aient subi de nombreuses pertes liées à des incendies ou à des troubles politiques.


Historiographie

Peu d’historiens se sont penchés avec précision sur cette expédition : on trouve des allusions et des relations plus ou moins détaillées dans les différentes histoires maritimes françaises et espagnoles, ainsi que dans certaines histoires du Portugal, mais aucun ouvrage ne s’y est entièrement consacré, à l’exception de celui de l’officier de marine espagnol C. Fernández Duro, La Conquista de las Azores en 1583, qui n’est que l’édition d’une compilation de documents d’archives concernant les deux expéditions aux Açores. C’est donc autour de deux axes plus généraux que s’oriente l’historiographie du sujet : les relations diplomatiques européennes sous le règne d’Henri III, et l’histoire maritime et militaire de la fin du xvie siècle.


Première partie


Chapitre premier
L’expédition ratée de 1582

La déshérence du trône de Portugal après la mort du roi-cardinal Henri provoque une crise de succession qui très vite oppose les intérêts de Philippe II, désireux de réunir les couronnes ibériques sous son autorité, à ceux du prieur de Crato, dom António, prétendant illégitime soutenu par Catherine de Médicis afin d’affaiblir les positions de Philippe II. Celle-ci lui manifeste son soutien en montant une expédition militaire, sous les ordres de son cousin Philippe Strozzi, destinée à défendre l’archipel des Açores, seul territoire portugais à être fidèle à dom António. Toutefois cette expédition, mal préparée, souffre de la méconnaissance de Strozzi de la mer et du combat naval : écrasée par la flotte espagnole du marquis de Santa-Cruz, l’expédition se solde par un désastre au retentissement européen. La cruauté dont fait preuve l’amiral espagnol vis-à-vis des vaincus soulève l’opinion et encourage la couronne française à prôner la vengeance.

Chapitre II
Préparer la revanche

Après cette première défaite cuisante, Catherine de Médicis n’a de cesse qu’une nouvelle expédition soit montée, sans pour autant perdre de vue son espoir d’arriver, à force de pressions, à un compromis avec Philippe II qui passerait par un mariage entre une Infante et François d’Anjou. Alors qu’Henri III se montre plus réticent à s’engager dans un conflit qui viendrait doubler la guerre aux Pays-Bas, la reine-mère tente de gagner à sa cause Elisabeth Ière d’Angleterre, briguant également sa main pour son plus jeune fils.

Chapitre III
Premiers préparatifs

Une fois l’expédition décidée, le manque de fonds amène la France à rechercher des alliances contre Philippe II. Elisabeth I ère d’Angleterre, alliée la plus plausible, répugne toutefois à s’engager sérieusement, préférant, par des demi-promesses, encourager la rupture entre ses deux principaux rivaux sans rien concéder. L’Empire ottoman, malgré des manifestations de bonne volonté, ne se montre guère plus actif, pas plus que les États du nord de l’Europe dont Catherine espère une aide maritime. L’organisation de l’expédition connaît quelques heurts, soumise à des querelles d’influence autour du choix du général commandant l’expédition. C’est finalement Aymar de Chastes, cousin du duc de Joyeuse et chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, qui est désigné.


Deuxième partie


Chapitre premier
Une expédition militaire en 1583

Le port du Havre est choisi comme point de départ de l’expédition, en raison de son ouverture maritime, de son dynamisme économique et du dévouement de son gouverneur, Cardaillac-Sarlabous, au pouvoir royal. Toutefois, malgré la bonne volonté de ce dernier, le manque d’argent et de troupes retarde le départ de l’armée de plus de trois mois : en effet la guerre aux Pays-Bas ponctionne les finances de la reine-mère et mobilise les soldats.

Chapitre II
Marine et marins en 1583

Au xvie siècle, les connaissances maritimes européennes sont au terme de l’évolution technique et scientifique qui a permis les grandes découvertes. L’effacement du navire long au profit du navire rond est en passe de s’achever tandis que l’artillerie maritime progresse considérablement. La société maritime évolue elle aussi et se met en place autour du commerce transatlantique et de la course. L’organisation de l’expédition aux Açores bénéficie donc de structures et de réseaux déjà existants.

Chapitre III
Le déroulement de l’expédition

L’expédition arrive sans encombre à Terceira et s’organise rapidement pour résister à l’assaut espagnol imminent. Néanmoins, la supériorité numérique de l’armada de Santa-Cruz vient à bout des résistances franco-portugaises ; le contingent français obtient une capitulation honorable, mais les conditions très précaires du retour en France déciment l’armée.


Conclusion

L’expédition française de 1583, comme la précédente, s’est soldée par un échec. Cette humiliation a longtemps suffi à désintéresser les historiens français d’un événement pourtant riche d’informations et de signification, tant sur le plan national qu’international. Les historiens étrangers, eux, ne s’y sont pas trompés : si la conquête des Açores en elle-même ne les a pas profondément intéressés, beaucoup y ont vu les germes du désastre de l’Invincible Armada cinq ans plus tard.

On a vu en effet à plusieurs reprises l’animosité de Santa-Cruz à l’égard des Anglais et son empressement à interroger les vaincus sur la présence de troupes anglaises dans leurs rangs. Dès le lendemain de la victoire, le chef espagnol écrit à Philippe II une lettre dans laquelle il lui expose un programme mûrement réfléchi pour la conquête de l’Angleterre, qui lui semble découler naturellement de la victoire aux Açores. Cette lettre, reproduite en annexe, n’est pas suivie d’effet immédiat, Philippe II ne se résolvant pas à repartir en guerre immédiatement. Mais la certitude de Santa-Cruz d’avoir défait au moins une partie de la flotte anglaise à Terceira amène le souverain et le général à sous-estimer la force navale d’Elisabeth. Santa-Cruz ne vit pas assez longtemps pour prendre conscience de son erreur : il meurt à la fin de l’année 1587, en pleins préparatifs de l’expédition contre l’Angleterre.

La résistance héroïque des Açoriens, vraisemblablement exagérée par les soldats espagnols pour souligner leur propre mérite, donne aux ennemis de la couronne la conviction que l’archipel est le point d’attaque le plus favorable pour nuire à Philippe II. Toutefois, les Français n’en profitent pas, malgré les velléités de vengeance de Catherine de Médicis. Outre la perte de son objectif principal avec la mort du duc d’Anjou, la reine-mère n’a plus les moyens de monter une nouvelle opération. Mais surtout, la France est déjà en train de replonger dans la guerre civile, avec la montée en puissance de la Ligue. Celle-ci a de funestes conséquences sur la prospérité des cités maritimes de la façade atlantique : déchirées par les troubles, suivant leur gouverneur pour ou contre Henri III puis Henri IV, menacées par les corsaires de l’un ou l’autre camp, celles-ci vivent une récession économique qui fait vite oublier que des expéditions de l’envergure de celles menées aux Açores ont pu être montées – et les pertes qu’elles ont entraînées, amorties. À l’exception des tentatives de Champlain au Canada, ce n’est qu’avec le cardinal de Richelieu puis surtout qu’avec Colbert que le pouvoir royal se tourne à nouveau vers la mer avec l’idée de devenir une puissance maritime et coloniale.


Pièce justificative

Est édité le registre 2e70 (40) des Archives départementales de Seine-Maritime, qui retrace la préparation de l’expédition aux Açores de 1583, ainsi que des travaux effectués par le gouverneur du Havre sur la jetée du port.

Parmi ces actes, on recense aussi bien des chartes-parties établissant l’affrètement d’un navire, que des actes de vente de provisions de bouche ou de matériel militaire, et des contrats d’engagement de médecins, de canonniers, de prêtres… Près de la moitié des actes est toutefois d’un intérêt moindre, notifiant l’avance faite à l’un ou l’autre fournisseur ou capitaine de navire, ou son paiement complet : à l’exception de quelques-uns, ils ne sont donc pas édités mais résumés en un regeste. Certains actes ont été barrés, il a semblé néanmoins intéressant de les conserver tout en spécifiant leur non-validité.

Chaque acte est précédé d’un regeste. La numérotation des actes, la disposition en paragraphes, les retours à la ligne et les sauts de page ont été ajoutés afin d’améliorer la lisibilité de l’édition : le registre ne comprenait aucune de ces marques de mise en page, se contentant d’introduire chaque acte par la mention des dates.


Annexes

Généalogies de la maison de Portugal. –– Extraits de correspondance. –– Discours et rapports. –– Cartes.