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École des chartes » thèses » 2007

Henry Marcel (1854-1926)


Introduction

Le personnage d’Henry Marcel jouit d’une historiographie particulièrement positive. Bien qu’il ait fait partie de l’administration des Beaux-arts de la Troisième République durant une période très contestée de son histoire, il est généralement présenté comme un homme ouvert à la modernité et curieux de nouveauté, qui s’est opposé à l’Institut et aux professeurs de l’École des Beaux-arts. Cette image est due en grande partie à l’action qu’il a menée au moment où il était directeur des Beaux-arts, entre octobre 1903 et janvier 1905. Il est intéressant de comparer cette réputation flatteuse avec ce que les écrits d’Henry Marcel peuvent révéler sur sa conception personnelle de l’art, qu’ils relèvent de la sphère purement privée, comme sa correspondance personnelle, ou qu’ils aient fait l’objet de publication dans diverses revues. La dernière partie de la biographie d’Henry Marcel s’attache plus précisément à l’étude des Musées nationaux de 1913 à 1919, période pendant laquelle Henry Marcel s’est trouvé à leur tête. On y considère les conséquences du vol de la Joconde de 1911, mais aussi celles du déclenchement de la première guerre mondiale qui a éclaté alors qu’Henry Marcel se trouvait à leur tête depuis tout juste un an.


Sources

Henry Marcel est un homme qui a beaucoup écrit et dont la journée est rythmée par différents travaux d’écriture. Ceci explique l’importance de sa correspondance dont ses héritiers ont fait don à la Bibliothèque nationale de France en 1987 et 1988. Les papiers personnels d’Henry Marcel font partie d’un fonds plus large, intitulé « fonds Henry et Gabriel Marcel », lequel est essentiellement constitué des archives du philosophe Gabriel Marcel, le fils d’Henry Marcel. Quand les descendants de Gabriel Marcel ont décidé de faire don de ses archives à la BnF, ils ont également versé celles de son père, ainsi que les documents qui concernaient sa famille maternelle. En 1997, ils ont fait un deuxième versement qui, pour la partie qui concerne Henry Marcel, est surtout constitué de documents de travail, de brouillons de discours et d’épreuves corrigées d’articles. Outre les fonds Marcel de la BnF, il a été nécessaire de consulter la série F21 du Centre historique des Archives nationales où sont conservés les archives de l’administration des Beaux-arts, et en particulier celles de la direction des Beaux-arts, et celles qui sont en rapport avec la gestion des Musées nationaux pendant la première guerre mondiale. Les archives des Musées nationaux ont également été exploitées, tout comme les dossiers d’actualité sur les Musées nationaux qui sont conservés à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris.


Première partie
Henry Marcel ou la vie d’un grand bourgeois
sous la Troisième République


Chapitre premier
Enfance et adolescence

Henry Marcel est né le 25 novembre 1854 à Paris, de Pierre-Marie Marcel, architecte, et Clémentine Louise Lucas de Montigny. C’est le dernier des trois enfants du couple Marcel. Par sa mère, il est le descendant du grand homme de la Révolution, Mirabeau, et des sculpteurs Philippe Laurent Roland et Jean-Robert Nicolas Lucas de Montigny. Sa famille s’est installée dans les nouveaux quartiers haussmanniens où Henry Marcel a été élevé par une bonne, comme beaucoup d’enfants de la grande bourgeoisie. Son adolescence s’est déroulé à l’ombre des marronniers du jardin du Luxembourg et à la lueur des bougies des théâtres pour lesquels Henry Marcel nourrit une véritable passion qui le pousse un temps à envisager la carrière de comédien. Au Conservatoire, il a rencontré Gabriel Hanotaux qui est devenu son ami. Néanmoins, il est vite rappelé à l’ordre par ses parents et rejoint les bancs de la faculté de droit où il obtient sa licence en 1877.

Chapitre II
Henry Marcel et la République

En 1878, Henry Marcel est admis au concours d’auditeur de seconde classe du Conseil d’État. L’année suivante, il bénéficie des mesures de républicanisation qui touchent cette institution et devient auditeur de première classe moins d’un an après être entré en poste. Au Palais-Royal, ses compétences et ses qualités le font remarquer et, en 1880, Armand Fallières le nomme chef de son cabinet. En 1883, Jules Ferry fait appel à ses services lors de la formation de son cabinet et Henry Marcel retrouve son ami Gabriel Hanotaux au Quai d’Orsay. C’est d’ailleurs grâce à l’intervention de Ferry qu’il devient maître des requêtes au Conseil d’État en 1885. Les différents postes qu’il a occupés dans l’administration ministérielle au cours des années 1880 lui ont permis de nouer des relations avec les hommes influents des débuts de la Troisième République, parmi lesquels Léon Gambetta et Joseph Reinach. En 1893, Henry Marcel se présente comme candidat aux élections législatives dans l’arrondissement de Sisteron. La campagne y est particulièrement houleuse et haineuse contre celui que l’on considère comme l’intrus de Paris, complice des députés compromis dans le scandale de Panama, et de surcroît, marié à une juive depuis février 1889. La défaite qu’il essuie est cuisante et marque fortement ses conceptions politiques. Il en retire un profond mépris pour le peuple et les hommes politiques prêts à toutes les bassesses pour séduire les électeurs. Henry Marcel est un homme résolument de droite, qui défend l’ordre et la tradition. À la suite à cet échec, son ami Hanotaux le prend dans son cabinet ministériel et l’envoie comme ministre plénipotentiaire à Stockholm en 1898, mais Henry Marcel ne se plaît pas en Suède et rentre en France dès 1899.

Chapitre III
Henry Marcel, un grand bourgeois de Paris

Henry Marcel est un Parisien de cœur et il est toujours resté fidèle à sa ville natale. Il y a toujours vécu, malgré ses déménagements successifs et ses deux mariages. En février 1889, il a épousé Laure Meyer, la fille de Maurice Meyer, ancien directeur de la banque hollandaise. Les Meyer, originaires de Francfort, se sont installés à Paris dans les premières années du Second Empire. À l’instar d’autres grandes familles juives de l’époque, comme celle des Reinach, les Meyer sont particulièrement attachés à la République et bien intégrés à la société française. Ils ont eu quatre enfants, Ernest, Édouard, Marguerite et Laure. Cette dernière a donné à Henry Marcel un fils, Gabriel Honoré, que ses prénoms placent sous la protection de son illustre ancêtre, le comte Riqueti de Mirabeau. Après le décès prématuré de Laure, Henry Marcel épouse sa belle-sœur Marguerite Meyer en 1896 et le jeune Gabriel part vivre chez sa tante et sa grand-mère, Berthe Meyer : l’écart qui s’est alors creusé entre le fils et son père n’a jamais pu se combler, d’autant que le caractère de ce dernier ne le porte pas vers les enfants. Malheureux dans son propre foyer, Henry Marcel cherche la paix dans ses nombreux voyages en France et en Europe, et une autre famille chez son frère et sa belle-sœur, Jules et Caroline Marcel.


Deuxième partie
Henry Marcel et les Beaux-arts


Chapitre premier
L’amateur et le collectionneur

Parallèlement à ses activités au Conseil d’État et dans les ministères, Henry Marcel tente de percer sur la scène littéraire. Il se frotte à divers genres littéraires, le théâtre, la poésie et même le roman, mais il ne rencontre pas le succès qu’il espérait. Ce sont ses chroniques d’art dans le journal La Gironde puis dans La République française, le journal de Joseph Reinach, qui le font remarquer ; en 1900, il propose un article sur son ancêtre le sculpteur Philippe-Laurent Roland au directeur de la Gazette des Beaux-arts qui accepte de le publier : c’est le début d’une collaboration fructueuse. Les nombreuses contributions d’Henry Marcel à la presse spécialisée dans la critique d’art de son époque révèlent un amateur passionné et sincère que ses goûts personnels portent volontiers vers la peinture hollandaise de Bosch et Brueghel, à l’instar de nombre de ses contemporains, vers les peintres français du xviiie siècle, ou encore pour le xixe siècle, Corot, Millet et Daumier. Henry Marcel montre également un grand intérêt pour l’art de son temps et en particulier celui que l’on célèbre chaque année durant les Salons de peinture de la Société des artistes français et de la Société nationale des Beaux-arts. Ainsi, il affectionne tout particulièrement les œuvres des peintres Alfred Roll, Henri Le Sidaner ou encore Ernest Laurent qui ont chacun réalisé son portrait.

De fait, Henry Marcel ne se contente pas de contempler des toiles et des sculptures : il a besoin de la proximité des artistes, de partager leur intimité. Au cours de ses visites à leurs ateliers, mais aussi lors des banquets et réceptions qui réunissent le Tout-Paris, Henry Marcel noue des amitiés solides, comme c’est le cas avec les trois artistes déjà cités, mais aussi avec le sculpteur et graveur Pierre Roche dont il apprécie particulièrement les gypsographies. À la fin du xixe et au début du XX e siècle, la visite aux artistes est une véritable pratique sociale, tout comme l’est la visite aux grands collectionneurs. Ses relations dans les milieux politiques, mais aussi sa collaboration à de grandes revues d’art comme la Gazette des Beaux-arts et La Revue de l’art ancien et moderne lui ouvrent les portes des collections les plus prestigieuses, comme celle de Nelly Jacquemart à Paris, ou celle de Lord Rotschild en Grande-Bretagne. À l’image de la « République des lettres » du XVI e siècle, il existe une « République des collectionneurs et amateurs d’art » dont Henry Marcel fait partie ; à Paris, des sociétés dont le but est de promouvoir l’art voient le jour à cette époque et Henry Marcel a adhéré à nombre d’entre elles.

Henry Marcel lui-même est un collectionneur : les murs de son appartement de la rue Meissonnier sont couverts des tableaux et dessins qu’il achète à des artistes contemporains ou à l’Hôtel Drouot. Dans son cabinet, il serre dans d’immenses chemises les dessins et gravures qu’il a jugées dignes d’enrichir sa collection. Les sculptures occupent aussi une place de choix dans l’appartement qui est tout entier rempli des œuvres choisies par le maître de maison. Après sa mort, une grande partie de sa collection a fait l’objet d’un don au musée des Beaux-arts de la ville de Reims.

Chapitre II
Henry Marcel et l’administration des Beaux-arts

Dès 1891, alors qu’il était maître des requêtes au Conseil d’État, Henry Marcel a tenté de se rapprocher de l’administration des Beaux-arts : il s’est porté candidat à la succession de Gustave Larroumet, le directeur des Beaux-arts, mais son nom a pesé bien peu face à celui d’Henri Roujon, lequel a fait toute sa carrière au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Malgré son échec, Henry Marcel ne se décourage pas et grâce au soutien de Poincaré, il est d’abord nommé, en 1896, membre de la Commission des Travaux d’art, qui a pour mission de sélectionner les œuvres susceptibles d’être achetées par l’État ; puis, en 1897, membre du Conseil supérieur des Beaux-arts où il rencontre tous ceux qui font partie du paysage artistique français, qu’ils soient des hommes politiques, des artistes, des hauts fonctionnaires ou des critiques d’art.

En octobre 1903, Henri Roujon abandonne son poste et Henry Marcel est appelé à le remplacer par Chaumié, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts dont dépend la direction des Beaux-arts. Marcel n’est resté que quinze mois à ce poste, jusqu’en janvier 1905 : il est alors victime de la chute du ministère Combes et de la création d’un sous-secrétariat d’État aux Beaux-arts au profit d’Étienne Dujardin-Baumetz. Son action à la direction des Beaux-arts est principalement marquée par le soutien sans failles qu’il a apporté à Frantz Jourdain et au Salon d’Automne. Malgré les attaques de l’Institut et des Sociétés d’artistes, Henry Marcel a autorisé la tenue du salon au Grand Palais et a fait acheter par l’État des œuvres qui y étaient exposées, parmi lesquelles des toiles de Matisse, Vuillard et Valloton. Il a également fait l’acquisition, pour le compte de l’État, du château de Maisons-Laffitte et il a commandé à Henri Martin, Hélène Dufau, Ernest Laurent, René Ménard et André Devambez les derniers grands panneaux décoratifs destinés à orner les murs de la Sorbonne. Son tempérament décidé et parfois autoritaire, ainsi que son engagement en faveur du Salon d’Automne, lui ont valu d’être la cible d’une virulente campagne de presse du Figaro qui ne manque pas une occasion de le tourner en ridicule. En janvier 1905, quand la direction des Beaux-arts est supprimée, il lui faut quitter la rue de Valois.

Se pose alors la question de son reclassement ; ses goûts personnels le portent vers la Comédie française mais les négociations menées auprès de Jules Claretie, qui en est l’administrateur, n’aboutissent pas. Henry Marcel doit se résoudre à accepter de prendre la tête de la Bibliothèque nationale et de devenir l’homme qui a poussé le vénérable Léopold Delisle vers la porte. Henry Marcel a passé huit années à la tête de la Bibliothèque nationale, pendant lesquelles il a beaucoup écrit et cultivé ses relations avec les hommes de lettres qu’il recevait dans son bureau de la rue de Richelieu. Toutefois, Camille Barrère, ambassadeur de France à Rome et ami de longue date, lui propose de devenir le commissaire général pour la France de la grande exposition qui doit se tenir à Rome en l’honneur du cinquantième anniversaire de l’unité italienne en 1911. Henry Marcel renoue ainsi avec l’administration des Beaux-arts, ce qui explique qu’on fasse appel à lui en 1913 quand il s’est agi de trouver un nouveau directeur des Musées nationaux.


Troisième partie
Les Musées nationaux au temps d’Henry Marcel (1913-1919)


Cette troisième partie abandonne le point de vue biographique et se concentre sur la vie des Musées nationaux et sur l’action d’Henry Marcel quand il s’est trouvé à leur tête. Elle donne une vision assez large des Musées nationaux et offre un bilan de leur gestion pendant la période troublée du premier conflit mondial. Henry Marcel a en effet occupé le poste de directeur durant la première guerre mondiale et il est évident que ses décisions et sa marge de manœuvre ont été en grande partie limitées par les circonstances.

Chapitre premier
Le visage des Musées nationaux à l’arrivée d’Henry Marcel

En 1913, les Musées nationaux sont une vieille institution dont l’histoire remonte aux dernières années de l’Ancien Régime et dont les fondements idéologiques et l’organisation remontent à la Révolution française. Au xixe siècle, les Musées nationaux deviennent un enjeu international et les grandes puissances européennes s’affrontent lors des grandes ventes d’antiquités et d’œuvres d’art. Parce qu’ils sont considérés comme des vitrines de la richesse nationale et des preuves du haut degré de civilisation des nations qui les abritent, les Musées nationaux se trouvent au cœur des rivalités qui agitent l’Europe. Enjeux culturel, politique, ils prennent une importance accrue en France au lendemain de la défaite française de 1871, lorsqu’il s’agit de rendre à la nation française l’honneur qu’elle a perdu face aux armées du Kaiser. Les Musées nationaux font ainsi partie intégrante du programme éducatif de la toute jeune Troisième République qui souhaite former de nouvelles générations dans une perspective de revanche.

En 1913, on compte sept Musées nationaux : le musée du Louvre, le musée du Luxembourg, les musées de Versailles et des Trianons, le musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, le musée des Thermes et de l’Hôtel de Cluny et le musée de Maisons-Laffitte. Chaque musée est dirigé par un conservateur, sauf celui de Maisons-Laffite qui est rattaché au Louvre, lequel est divisé en sept départements, avec à leur tête un conservateur. En tout et pour tout, les Musées nationaux sont placés sous l’autorité de onze conservateurs, eux-mêmes sous les ordres du directeur des Musées nationaux qui est nommé par décret du président de la République sur proposition du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts. Outre le personnel scientifique, le directeur commande aux personnels administratifs, ouvriers et de gardiennage.

Les différents acteurs des Musées nationaux sont de nature et d’origines diverses. Outre les conservateurs qui sont issus de milieux sociaux favorisés et dont la moyenne d’âge, à l’arrivée d’Henry Marcel à la tête des Musées nationaux, est d’une cinquantaine d’années, on trouve également deux cent quatre-vingt-six personnes attachées à leur surveillance. Les musées n’accueillent cependant pas que des professionnels, ils sont également un lieu touristique pour de nombreux visiteurs, étrangers, provinciaux, mais aussi un lieu de promenade dominicale pour les Parisiens, et même un refuge pour les sans-abri et les souteneurs. Parmi les visiteurs se trouvent des membres de la Société des Amis du Louvre dont certains siègent au Conseil des Musées nationaux, qui décide de l’utilisation des fonds gérés par la Réunion des Musées nationaux pour acquérir des œuvres destinées aux Musées nationaux.

Chapitre II
Les débuts d’Henry Marcel à la tête des Musées nationaux
(mai 1913-août 1914)

L’arrivée d’Henry Marcel au Louvre est saluée avec enthousiasme par la presse et les conservateurs des Musées nationaux. Elle intervient alors que ces derniers connaissent une crise sans précédent provoquée par la disparition de la Joconde au mois d’août 1911. Depuis cette date, conservateurs et gardiens sont la risée de l’opinion. Afin de pallier les évidentes carences en matière de sécurité, Pierre Eugène Pujalet, contrôleur général des services extérieurs de la sûreté générale et inspecteur général du ministère de l’Intérieur, est nommé directeur des Musées nationaux avec la mission de réorganiser les services de surveillance. Une fois sa tâche accomplie, il regagne le ministère de l’Intérieur et Henry Marcel prend sa suite. Au cours de la première année de sa direction, l’essentiel de son action se concentre sur la réforme de la Réunion des Musées nationaux dont le déficit empêche les Musées de s’enrichir autant qu’ils le souhaiteraient ; il réfléchit aussi à une réorganisation des salles d’exposition du musée du Louvre. Son image de directeur bénéficie du retour de la Joconde au Louvre au mois de janvier 1914 et les Musées nationaux retrouvent une partie du prestige qu’ils avaient perdu dans le scandale. Néanmoins, la déclaration de guerre au mois d’août 1914 empêche Henry Marcel de mener à bien les projets qu’il a lancés et de profiter de sa récente renommée.

Chapitre III
Les Musées nationaux dans la guerre
(août 1914-octobre 1919)

Les Musées nationaux ferment leurs portes le 2 août 1914, au lendemain de la mobilisation générale. Dans un premier temps, Henry Marcel donne les ordres nécessaires pour que les œuvres des Musées nationaux soient mises à l’abri dans les caves ou les renfoncements des murs. Les conservateurs sont unanimement opposés à un déménagement des œuvres qui comporterait plus de risques à leurs yeux que de les laisser à Paris. Néanmoins, l’avancée des troupes allemandes amène Dalimier, le sous-secrétaire d’État aux Beaux-arts, à ordonner l’évacuation des œuvres les plus précieuses vers le couvent des Jacobins de Toulouse. Malgré les protestations d’Henry Marcel et des conservateurs, le transfert commence le 28 août.

Durant toute la durée de la guerre, Henry Marcel se voit dépossédé de son pouvoir de décision et il devient le simple maillon transmetteur entre le sous-secrétaire d’État et les conservateurs. Privés de leurs collections et de leurs visiteurs, les Musées nationaux vivotent ; les conservateurs doivent faire face à des hivers de guerre très rigoureux, sans charbon pour chauffer les salles où subsistent quelques œuvres. Au mois de juillet 1918, alors que l’armée allemande lance sa dernière grande offensive, Paris et ses musées se trouvent à nouveau sous le feu des bombes et on procède à l’évacuation des dernières œuvres restées dans la capitale.

La période de la guerre est une période de réflexion pour les Musées nationaux : on travaille à une révision du statut des conservateurs de musée dont les traitements sont ridiculement bas par rapport à leurs collègues conservateurs des bibliothèques. On s’interroge sur l’intérêt qui pourrait résider dans la fusion de la direction des Musées nationaux et celle des Palais nationaux. Profitant du fait que les salles d’exposition sont vides, Henry Marcel et son équipe travaillent à la réinstallation des collections selon une nouvelle muséographie.

Àpeine l’armistice signé, les œuvres entreposées à Toulouse reprennent le chemin de leurs musées d’origine. Henry Marcel est sollicité au sujet de la rédaction des traités de paix, qui prévoient, dans un premier temps, de prélever dans les musées allemands, en guise de punition, des toiles et des sculptures. Il n’est cependant pas donné suite à ce projet et les listes établies par Henry Marcel n’ont pas été utilisées. Après sept années de bons et loyaux services, Henry Marcel est mis d’office à la retraite à compter du 1 er octobre 1919. Sa carrière de haut fonctionnaire est terminée.


Conclusion

Sa vie durant, Henry Marcel a cherché la compagnie des artistes. Son entrée au Conseil d’État en 1878 n’a pas sonné tout à fait le glas de ses ambitions artistiques et, en fin stratège, il a réussi à orienter sa carrière de haut fonctionnaire de façon à garder un pied dans le monde des arts. Grand bourgeois de Paris, érudit et grand collectionneur, Henry Marcel est un homme de son époque, avide de nouveauté tout en restant très attaché à la tradition. Son renvoi brutal en 1919 est à l’image des relations qu’il a entretenues avec la République : souvent ingrate, elle lui a promis les plus grandes dignités et les lui a très vite reprises. Il s’éteint en mars 1926, chez lui, au milieu de ses tableaux et de ses livres.


Annexes

Chronologie. — Extraits de ses œuvres littéraires. — Édition de quelques lettres des fonds Henry et Gabriel Marcel de la Bibliothèque nationale de France. — Photographies. — Reproduction d’une partie du don Henry Marcel fait au musée des Beaux-arts de la Ville de Reims. — Texte réglementaire sur l’administration des Musées nationaux. — Dossier thématique sur le vol de la Joconde. — Documents budgétaires sur les Musées nationaux.