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École des chartes » thèses » 2007

Napoléon François Libois

Procureur de la société des Missions Étrangères de Paris à Macao et Hong Kong (1837-1866)


Introduction

À partir du deuxième tiers du xixe siècle, les contacts entre l’Occident et l’Asie se développent à une vitesse exponentielle, à la faveur de la croissance des liaisons maritimes et des ambitions commerciales des Européens et des Américains, puis de leurs entreprises de conquête territoriale. Les missions chrétiennes jouent un grand rôle dans ces contacts, et la France en particulier tient un rôle prééminent dans le renouveau missionnaire de ce siècle. Si la Révolution n’a fait que mettre la dernière touche au ralentissement de l’activité missionnaire française au xviiie siècle et si l’attitude de Napoléon face au Saint-Siège, dont dépendent directement les missions d’Extrême-Orient, n’a guère favorisé la renaissance des vocations, à la Restauration, la tendance s’inverse. Le dynamisme se manifeste d’abord dans les missions intérieures, puis dans les missions chez les païens, à partir de 1840.

Napoléon François Libois (1805-1872), membre de la société des Missions étrangères de Paris, est au cœur de ces deux phénomènes, dans une situation aux exigences contradictoires. Lorsqu’il choisit de devenir missionnaire, il se croit appelé à évangéliser des contrées dangereuses où, à tout moment, il peut subir le martyre ; il devient procureur à Macao puis à Hong Kong, gestionnaire du trafic des biens et des hommes. Il rêve d’être un noble passeur de la foi ; il est pris dans les manœuvres politiques des Occidentaux en Asie et noue des relations étroites et complexes avec les bailleurs de fonds, les diplomates, les missionnaires sur le terrain. Il veut porter un message divin universel ; il est avant tout français, missionnaire français que Rome oppose à la domination des religieux portugais dans la région, citoyen français qui cherche à retirer le plus de bénéfices possibles des prises de position de son gouvernement. Libois est procureur adjoint à Macao de 1837 à 1841, procureur à Macao, puis à Hong Kong, à partir de 1847 et jusqu’en 1866. Il exerce un temps les fonctions de préfet apostolique du Kouang-tong et du Kouang-si et finit sa carrière comme procureur des Missions étrangères à Rome. Ses fonctions l’amènent à traiter de tous les aspects matériels de la vie des missions confiées à son ordre, transports, courrier, approvisionnement, financement, mais aussi à composer avec les autres Occidentaux présents dans la région, ecclésiastiques et laïcs, tout en étant au contact des populations indigènes et en centralisant les informations sur les pays alentour grâce à sa correspondance avec les missionnaires sous sa responsabilité. Suivre son action nous guide au sein d’une période de développements successifs dans la pratique des missions et dans le rôle des Européens en Asie, de l’aube du réveil missionnaire et des premiers postes européens et américains sur le continent, à la normalisation des missions sous Léon XII et l’établissement des colonies.


Sources

La Société des Missions étrangères de Paris a une longue tradition de conservation des documents de sa pratique, depuis le XVII e siècle, tant au Séminaire de Paris que dans les missions, et elle les classe et les inventorie depuis le XIX e siècle. Grâce au travail continu des archivistes de la Société, à commencer par le père Adrien Launay au tournant des xixe et xxe siècles, le fonds s’est considérablement enrichi jusqu’à son ouverture au public dans les années 1990.

Les fonds anciens, de 1660 à 1920, comprennent d’une part les archives produites par le séminaire de Paris, organe de direction de la société, et d’autre part et surtout une abondante correspondance : échanges de courrier entre les missions et les directeurs, entre les missions et les procureurs, ou d’une mission à l’autre. Une grande masse de documents a été rapportée des missions de Chine à la fin du XIX e siècle, tandis que les archives des missions du Viêtnam, du Japon et de Corée n’ont jamais été rapatriées, ce qui confère d’autant plus d’importance aux archives de la procure de Hong Kong : en raison de l’étendue des activités de cette institution, ce fonds était déjà considéré comme la mémoire commune des missions, et on l’a fait transférer à Paris en bloc dès 1877. On y trouve quantité de lettres ou de minutes rédigées par Libois et un bon nombre d’autres lettres et documents qu’il a rassemblés pour l’information du Séminaire. Le prêtre est également l’auteur d’un journal qui court de 1853 à 1872, jusqu’à sa carrière à la procure de la Société des Missions étrangères de Paris à Rome. Une même affaire peut être présentée de manière très différente à un directeur à Paris, à un membre d’une autre congrégation, à un missionnaire sur le terrain ou aux œuvres charitables qui financent largement les activités de la société. Par ailleurs certains courriers sont elliptiques et leur sens est difficile à saisir, soit qu’il s’agisse de minutes que l’on ne peut recouper, soit que la correspondance se fasse entre missionnaires qui résident au même endroit et qu’une partie des informations se transmettent oralement.

Les archives diplomatiques fournissent heureusement un autre point de vue sur certaines affaires. Les archives du ministère, conservées au Quai d’Orsay, permettent de replacer le jeu politique de la procure dans le contexte général d’une diplomatie de plus en plus volontariste de la France en Asie, dont les missions sont à la fois un prétexte et un outil. Les archives des postes consulaires les plus proches géographiquement du siège de la procure générale fournissent de rares et précieux contrepoints à la description que Libois fait de ses rencontres avec les représentants français.


Première partie
Napoléon François Libois à la conquête de l’Asie (1837-1842)


Lorsque le jeune prêtre Napoléon François Libois quitte la France pour une mission en Chine, il est probable qu’il ne sache pas grand chose de ce qui l’attend – il ne sait même pas quel sera exactement son futur lieu de résidence. La date de son départ, 1837, se situe avant l’essor des moyens de navigation et des relations commerciales et diplomatiques qui permettront bientôt à ses confrères de le rejoindre plus rapidement et mieux préparés. Mais son départ n’est pas non plus complètement incongru : il fait partie de la première génération de missionnaires issus du renouveau missionnaire français sous la Restauration ; il en partage les enthousiasmes et les innocences. Cette phase de découverte couvre la période où Libois réside à Macao comme second du procureur d’alors, M. Legrégeois, de 1837 à 1843 ; à partir de sa nomination comme procureur, son implication dans les relations internationales et son souci de déménager la procure à Hong Kong pour suivre l’évolution des rapports de force et des routes commerciales dans la région l’entraînent dans d’autres problématiques.

Chapitre premier
De l’Orne à la Chine

Le parcours de Napoléon François Libois est caractéristique des premiers Français à s’engager dans l’évangélisation de l’Asie, après la période de recul qu’ont représentée la Révolution et ses suites. Il grandit à une époque où apparaissent en France de nouveaux ordres religieux dédiés à l’évangélisation des peuples païens, et de nouveaux moyens de financement de ces derniers, sous la forme d’œuvre pieuses très actives, notamment l’œuvre de la Propagation de la Foi. Il reçoit sa première éducation dans une région de reconquête catholique dynamique, la Normandie. Il entre au Séminaire des Missions étrangères de Paris quand ce dernier commence à se réorganiser et ses effectifs à se multiplier.

Chapitre II
La procure, « les Européens » et les autres : appuis et conflits

En arrivant en Asie, Libois se prend dans l’écheveau des luttes d’influences entre ordres missionnaires, puissances occidentales et pouvoirs asiatiques. La rivalité des Missions étrangères avec les autres ordres missionnaires est quasiment inscrite dans sa création, qui en fait une arme dans les mains du pape pour lutter contre la mainmise des clergés nationaux espagnol et portugais sur les pays asiatiques. La procure, située à Macao, est principalement en conflit avec les autorités civiles et religieuses portugaises, qui cherchent à préserver les avantages que leur confère depuis le xve siècle le droit de Padroado par lequel le Saint-Siège leur accordait notamment le choix des évêques dans tous les pays d’Extrême-Orient, en dehors de l’empire espagnol. Elle est également menacée par la guerre de l’Opium qui oppose Chine et Royaume-Uni de 1839 à 1842 et marque le point de départ d’une réorganisation importante de la région.

Chapitre III
Une vocation contrariée

Libois ne pense pas rester au service de la procure quand il débarque à Macao ; il se destine à la mission du Fujian. Ce n’est qu’un an après son arrivée qu’il apprend que les directeurs de la Société ont changé sa mission. Tout en faisant appel de cette décision, Libois apprend peu à peu à se charger de ses nouvelles responsabilités de gestionnaire des biens et des hommes, et de diplomate.


Deuxième partie
La vie de la procure, responsabilités et résultats


Résigné à assumer des tâches plus matérielles que spirituelles au service des Missions étrangères, Libois commence une œuvre remarquable au poste de procureur général. Il est le représentant en toutes choses de la société dans toute sa sphère d’action en Asie, principalement chargé des affaires financières et juridiques.

Chapitre premier
La vie quotidienne de la procure

La procure a toujours été stratégiquement placée à un carrefour des voies de communications en Asie orientale et méridionale : Canton de 1685 à 1732, puis Macao. Une des premières tâches de Libois à sa tête est d’en organiser le déménagement à Hong Kong en 1847, quand aux problèmes de juridiction qui opposent missionnaires français et autorités portugaises s’ajoute le déclin économique de plus en plus évident de Macao. Hong Kong, colonie britannique depuis 1842, est en revanche en plein essor. Le procureur y supervise la vie quotidienne d’une petite communauté cosmopolite, qui mêle missionnaires français, élèves asiatiques et domestiques chinois. Il mène aussi des missions d’inspection des différentes implantations de la Société en Asie de l’Est et du Sud-Est, ce qui lui donne un champ d’action étendu et la possibilité d’observer plusieurs aspects de la région.

Chapitre II
Les finances

Les attributions de Libois sont avant tout financières. Il hérite de son prédécesseur un circuit financier relativement bien organisé et qui devient plus régulier à mesure que la présence occidentale en Asie se renforce et que les moyens de communications s’améliorent. Il gère un budget en augmentation constante, à mesure que les œuvres pieuses qui collectent en France des dons pour les missions se développent ; l’origine de ces revenus lui impose de leur rendre des comptes et de contribuer à leurs publications en présentant son activité. Il s’intéresse particulièrement à l’action de l’œuvre de la Sainte-Enfance, qui se crée en 1843 avec pour objectif de faire baptiser les enfants chinois grâce aux contributions versées par les enfants européens.

Chapitre III
Poste et communications

Le procureur joue un rôle essentiel dans le mouvement des fonds, des biens et des hommes entre Paris et l’Asie d’une part et à l’intérieur de l’Asie d’autre part. Cette action de centralisation des ressources venues d’Europe et de redistribution évolue largement au cours des quelque trente années d’action de Libois. Elle est d’abord limitée en volume et entravée par les difficultés matérielles du transport et les frictions politiques de la région : conflits entre les puissances occidentales, fermeture des pays d’Asie à la présence d’étrangers sur leurs terres, voire persécutions déclarées. Puis, à partir de la seconde moitié du xixe siècle, les obstacles se lèvent peu à peu et les communications prennent un tour plus massif et routinier auquel Libois sait s’adapter, en bon gestionnaire qu’il est.


Troisième partie
la procure et l’expansion occidentale (1842-1866)
frontières de l’évangélisation


Tout au long de sa carrière, Libois fait preuve d’une certaine capacité à jouer des relations sociales pour faire avancer les intérêts de la procure, de ses confrères, de la cause missionnaire française en Asie. Sa stratégie en la matière suit toujours les mêmes principes directeurs : multiplier les rencontres avec les personnages d’importance, qu’ils soient clercs, diplomates, marins ou soldats ; ménager les susceptibilités de toutes les parties en présence ; rendre le plus de services possibles afin de pouvoir demander la réciproque plus tard. En cela il ne se distingue guère de ses confrères qui comme lui résident dans les villes tenues par les Européens, car là se rassemblent les Occidentaux en quête de nouveaux débouchés, pour leur religion, leur diplomatie ou leurs marchandises, mais il fait preuve d’une grande habilité, qu’il a le temps de développer pendant les trente ans qu’il passe à son poste.

Chapitre premier
La Chine : de la guérilla missionnaire à la morgue du conquérant

La Chine représente le plus grand domaine d’action pour le procureur, à cause de la masse considérable de population qui s’y trouve à convertir, mais aussi parce qu’elle suscite le plus d’intérêt auprès des commerçants et des diplomates occidentaux, et que Libois sait faire converger leurs intérêts et les siens. Mieux, sa conduite lors de la guerre de l’Opium et de la mission diplomatique et commerciale française qui s’ensuit, la mission Lagrené, constitue un modèle qu’il tentera de reproduire avec d’autres interlocuteurs et dans d’autres affaires. Grâce à ses bonnes relations personnelles avec les représentants de son pays, il pense influencer les négociations qui se soldent en 1844-1845 par la concession par l’empire chinois de libertés religieuses accrues et il cherche à peser de la sorte sur toute la série de conflits consécutifs, notamment la seconde guerre de l’Opium (1856-1860). Quand il est rappelé en France en 1866, Libois peut se vanter d’avoir contribué à ce que les Chinois jouissent de la liberté de culte et les prêtres de la liberté de prêcher, dans tout l’empire.

Chapitre II
La péninsule indochinoise : la procure et l’avancée française

Libois ne s’implique pas dans les affaires de la péninsule indochinoise aussi directement que dans les affaires de Chine. Sans doute est-ce dû à son éloignement géographique de la région, et à la concurrence qu’exerce dans ces domaines l’établissement de la société à Singapour, qui s’organise à partir de 1840 et devient officiellement une procure en 1857. Il suit cependant de près les persécutions exercées contre les chrétiens et cherche systématiquement à contacter Français, diplomates et militaires, qui se rendent sur place pour remédier à ces persécutions et posent les premiers jalons de la colonisation française.

Chapitre III
La Corée, le Japon et le Tibet : encore hors d’atteinte

Libois réside à Macao et à Hong Kong, qui sont des étapes obligées sur le chemin de la majorité des expéditions missionnaires vers la Corée, le Japon et le Tibet. Mais il ne peut y exercer que peu d’influence : ces pays sont encore rétifs à la présence des prêtres européens et les puissances occidentales ne s’y intéressent que tardivement dans la carrière du procureur. Libois s’intéresse pourtant à toutes les expéditions qu’y mènent ses confrères et continue autant que possible à tenter d’enrôler le soutien des laïques qui pourraient aider l’action de la Société dans ces contrées.


Conclusion

Libois rentre en Europe en 1866 et va prendre ses fonctions de procureur des Missions étrangères de Paris auprès du Saint-Siège. Il est malade, incessamment préoccupé par sa mauvaise santé, mais son caractère reste le même que celui qu’au cours de ses vingt-neuf années passées en Asie : modéré, raisonnable. Son attitude lui permet d’étendre son réseau de relations dans des milieux différents, de se faire apprécier partout, de sembler être un interlocuteur objectif, quand certains de ses confrères s’aliènent les faveurs d’autres ordres religieux ou des autorités laïques par leurs réclamations continuelles.

En toutes choses, Libois est aussi français : quand c’est possible, il recherche en premier lieu la protection et le soutien des diplomates ou des marins de son pays. Il comprend l’intérêt qu’a l’État français à utiliser l’apostolat catholique comme moyen d’influence, en Chine ou en Indochine par exemple. Mais on ne peut aller jusqu’à avancer qu’il agit dans le sens de la future colonisation. En premier lieu, ce serait contraire aux objectifs de la société des Missions étrangères, qui consistent, depuis sa fondation, à former un clergé indigène capable un jour de prendre entièrement le relais des prêtres français. En outre, ce serait un anachronisme de penser que Libois, au moment où il quitte l’Asie en 1866, a l’idée que se formera plus tard une Indochine française, dont il n’a vu que brièvement vu les prémices en Cochinchine. Il a simplement bien fait son métier et fait de la procure des Missions étrangères à Hong Kong un outil efficace dans la promotion de l’apostolat des prêtres français en Asie orientale et méridionale.


Pièces justificatives

Brouillon de lettre de Libois au curé de Chambois. — Lettre de Libois à Tesson, directeur au Séminaire des Missions étrangères. — Acte de nomination de Libois au poste de procureur.


Annexes

Portrait de Napoléon François Libois. — Cartes. — Tableau chronologique des vicaires apostoliques des Missions Étrangères en Extrême-Orient au xixe siècle. — Budget annuel des Missions étrangères de 1836 à 1866.