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École des chartes » thèses » 2007

Les lettres de dénonciation à l’encontre des conventionnels pendant la Terreur et la Réaction thermidorienne

Représentants face au peuple


Introduction

La France révolutionnaire est un pays en proie à des affrontements violents, au bord de la guerre civile, où les oppositions s’exacerbent. Ces tensions peuvent se traduire par l’envoi de dénonciations, phénomène connu et récurrent dans l’histoire. L’époque de la Convention correspond à un des moments clefs de la Révolution, sûrement celle où les oppositions sont les plus vives au sein de la nation. De nombreuses lettres de dénonciation ont été envoyées à cette Assemblée de septembre 1792 au 4 brumaire an IV : nous en avons retrouvé un peu plus de cinq cent. La dénonciation n’est pas, en 1792, un phénomène nouveau : nombreux sont les penseurs qui ont essayé de valoriser la dénonciation « patriotique », celle qui vise à signaler des erreurs à la nation. Ceux qui prennent la plume en l’an II et en l’an III pour dénoncer des représentants sont les héritiers de cette tradition. À l’aide d’une base de donnée informatique, nous avons essayé de comprendre et d’analyser ces nombreuses lettres. En effet, la dénonciation est un objet d’étude pour l’historien, en ce qu’elle offre de nombreux renseignements sur la relation des Français avec les événements, tant nationaux que locaux, sur leur univers mental, sur leurs expériences… La dénonciation est un témoin, non pas tant de la réalité, mais de sa perception et de son instrumentalisation.


Sources

Toutes les dénonciations étudiées se trouvent aux Archives nationales. La plupart sont classées dans le fonds du Comité de législation, sous les cotes D III 343-359 essentiellement, car c’est ce Comité qui a eu en charge, à partir de prairial an III, de rassembler les différentes dénonciations pour en faire des rapports. Nous avons cependant trouvé des lettres dans les cartons du Comité de sûreté générale surtout sur les affaires concernant les « Quatre » (Collot d’Herbois, Vadier, Barère et Billaud-Varenne) et Joseph Le Bon, mais il se trouve également quelques pièces dans le fonds du Comité de salut public. Bien sûr, manque un certain nombre de lettres comme le prouve « l’État général » fait par les commissaires du Comité de législation recensant toutes les lettres conservées au Comité, mais le corpus étudié donne déjà une bonne idée de la production délatrice du temps.


Première partie
Dénoncer un représentant en l’an III


Chapitre premier
La « Réaction » et les historiens

La « Réaction » thermidorienne est « coincée », pour ainsi dire, entre deux périodes fortement chargées de sens : la Terreur et l’épopée napoléonienne. Pour de nombreux historiens, ces quelques mois de l’histoire de la Convention ne seraient, au mieux, qu’une pâle transition entre ces deux moments forts de l’histoire révolutionnaire, mais, pour d’autres, les événements qui scandent l’histoire de cette Assemblée constituent une véritable régression. Quelques recherches plus récentes ont mis l’accent sur l’intérêt particulier de cette période qui constitue un champ d’expériences politiques. En fait, en l’an III, les Français se positionnent par rapport aux événements qu’ils viennent de vivre, face aux effets de la Terreur et à son interprétation ; en ce sens, cette période est une véritable réaction et les lettres de dénonciation sont un des vecteurs privilégiés pour saisir comment les Français ont réagi pendant la Terreur et après.

Chapitre II
Comment la Convention remet en cause son histoire terroriste

Le lourd héritage de Robespierre. — Si la chute de Robespierre ne signifie pas, dans un premier temps, la fin de la Terreur, nombreuses sont les voix qui s’élèvent, à Paris surtout, pour demander la libération des suspects incarcérés durant la Terreur. Ceux qui ont fait le 9 thermidor se divisent sur le sens à donner à cette journée ; pour certains il convient de conserver le gouvernement révolutionnaire sans les abus robespierristes, pour les autres la chute de Robespierre doit marquer l’avènement d’une nouvelle ère.

Du procès du comité révolutionnaire de Nantes à l’enquête sur les « Quatre ». — La révélation des horreurs qui se sont commises dans la cité nantaise sous l’égide d’un représentant, Carrier, et la volonté de satisfaire une opinion publique qui réclame la punition de la « Queue de Robespierre », décident un certain nombre de conventionnels à s’allier aux « réacteurs ». Dès lors, Carrier est mis en accusation et des terroristes sont dénoncés à la barre de la Convention. Le 7 nivôse an III (27 décembre 1794), ce sont les anciens membres des Comités de salut public et de sûreté générale, Vadier, Barère, Collot d’Herbois et Billaud-Varenne, les « Quatre », qui sont soumis à une enquête sur leur rôle durant la Terreur. À partir de frimaire, la réaction paraît triompher.

Les hésitations d’une assemblée divisée. — Les esprits se calment durant ce rude hiver 1795. Jusqu’en germinal, la Convention ne semble pas pressée de mener à bien l’épuration que réclament les plus extrémistes dans l’Assemblée et l’enquête qui a été ordonnée sur les « Quatre » traîne en longueur de même que les débats sur leur mise en accusation. Certains même essaient de mettre un terme à ces mesures en proposant des amnisties.

Les journées de germinal et de prairial et la chasse à la « Queue de Robespierre ». — Ce sont les émeutes populaires de germinal et de prairial qui vont précipiter la Convention dans une politique d’épuration. À la suite de l’émeute du 12 germinal (1er avril 1795), les passions se déchaînent et les vieilles peurs ressurgissent dans la Convention. Dix-huit députés sont décrétés d’arrestation durant le seul mois de germinal et les « Quatre » sont déportés en Guyane. Ce sont surtout les émeutes de prairial, qui durent plus longtemps et ne se limitent pas à la capitale, qui effraient la Convention. Si l’épuration avait été volontairement limitée en germinal, il n’en va pas de même en prairial où quarante-deux conventionnels sont mis en arrestation et six d’entre eux, les « martyrs de prairial  », sont mis à mort.

De l’épuration à l’amnistie. — À la suite de ces arrestations décidées dans l’urgence et dans la peur, la Convention décide de s’épurer définitivement de ses éléments terroristes avant de voter la Constitution de l’an III. Les 21 et 22 thermidor an III (8 et 9 août 1795), le Comité de législation fait un rapport sur les lettres de dénonciations qui ont été envoyées contre des représentants du peuple. À l’issue de ces débats, dix autres députés sont mis en état d’arrestation. La Convention se consacre alors à la finalisation de la Constitution qui est votée le 5 fructidor an III (22 août). Le soulèvement royaliste de vendémiaire ranime la peur d’un complot à droite et rapproche la Convention de ses anciens ennemis. Le jour même de sa séparation, le 4 brumaire an IV (26 octobre 1795), la Convention décrète, afin de conjurer le péril royaliste, l’amnistie pour tous les faits de Révolution.

Chapitre III
Le temps de l’épuration
le Comité de législation et les lettres de dénonciation

Après la Grande Terreur, les députés, qui se sont sentis personnellement menacés par les pouvoirs du Comité de salut public, veulent garantir leur sécurité tout en permettant de mettre en accusation les députés suspects de « robespierrisme ». C’est avec la loi du 8 brumaire an III (29 octobre 1794) que la Convention se dote d’un arsenal juridique complexe déterminant les modalités de mise en accusation d’un député. En fait, cette procédure longue ne sera pas beaucoup mise en application puisqu’au lendemain des émeutes de germinal et de prairial, les conventionnels, dans une atmosphère de peur et d’urgence, décrètent les arrestations à la hâte. C’est par un décret du 5 prairial an III (24 mai 1795) que la Convention confie au Comité de législation le soin de lui présenter un rapport sur les dénonciations, ce qu’il fera lors des séances des 13 prairial (1er juin) et 21-22 thermidor (8-9 août).

Le Comité de législation est devenu, en l’an III, un organe essentiel du gouvernement et c’est lui qui est chargé d’analyser les nombreuses lettres de dénonciation qui ont été entassées dans les bureaux des Comités de gouvernement en l’an II jusqu’en prairial an III. Du 13 prairial au 21 thermidor, le Comité rassemble les lettres, les confronte entre elles et écarte celles qui lui semblent suspectes. Il fait donc un véritable travail à partir de ces documents, travail qui se voit encore aujourd’hui dans l’organisation du fonds de ce Comité.


Deuxième partie
Comment dénoncer un conventionnel ?


Chapitre premier
Les lettres dans le temps

La plupart des lettres de dénonciation qui sont aujourd’hui dans les cartons des Comités de gouvernement ont été écrites après le 9 thermidor. L’analyse du rythme des dénonciations tant en l’an II qu’en l’an III montre l’inscription de ces lettres dans les luttes politiques qui jalonnent les trois ans d’existence de la Convention. C’est au moment des luttes des factions, en l’an II, que le nombre de lettres de dénonciations envoyées à la Convention augmente pour chuter dès le mois de prairial.

En fait, c’est surtout à partir de la mise à mort de Robespierre que les langues se délient ; se sentant libérés, les Français prennent plus massivement leur plume pour dénoncer les abus. Ce mouvement faiblit durant l’hiver et ce sont les événements de germinal, et surtout de prairial, qui vont lui donner une vigueur jusque-là inégalée. Les émeutes jouent un rôle catalyseur dans le phénomène de dénonciation. La crainte d’un retour à la Terreur et la mise en place de nouvelles autorités qui favorisent la réaction entraînent un flot de dénonciations sans précédent qui se poursuit, quoique moins significativement, durant tout l’été 1795, saison des règlements de compte. Cependant, le vote de la Constitution de l’an III et les épurations menées depuis germinal aboutissent à un quasi arrêt du mouvement à la fin de l’été.

Chapitre II
Le choix des mots

Les dénonciateurs emploient souvent un vocabulaire particulier visant à renforcer l’image qu’ils veulent donner dans leurs lettres de dénonciation des événements qu’ils ont vécus. On trouve beaucoup de références à la Terreur dans ces lettres mais aussi à l’Antiquité, avec des personnages comme Catilina ou Verrès, ou encore à l’Ancien Régime. Certains vont même chercher un peu plus loin leurs exemples et les puisent dans les civilisations orientales. Pour d’autres, les agissements de ceux qu’ils dénoncent sont barbares, cannibales et même bestiaux. L’emploi de ce vocabulaire varié, mais souvent répétitif, traduit une certaine vision de la Terreur – la grande majorité des lettres renvoient en effet à cette période. Ce vocabulaire dont on use vise souvent à faire du terroriste un être sanguinaire, monstrueux, cruel à l’excès mais aussi barbare, ignorant et tyrannique ; on dépeint un être inhumain, c’est-à-dire dangereux pour la société, et ces nombreuses références tendent souvent à appeler à un châtiment.

Les images qu’on utilise le plus dans ces lettres sont aussi celles qu’on retrouve dans la presse de l’époque ou dans les nombreux pamphlets qui sont alors publiés, même si certains font preuve d’un peu plus d’originalité.

Chapitre III
Les motifs de dénonciation

Dans ces écrits, on dénonce surtout le despotisme des représentants, les arrestations et les condamnations à mort qu’ils ont ordonnées mais on met aussi en avant des motifs plus proprement politiques et les accusations de royalisme, de robespierrisme… se succèdent. On reproche aussi aux représentants leurs pillages et les actes de vandalisme auxquels ils ont participé ou qu’ils ont laissés faire. Enfin, dans une société où la moralité est une chose importante, un certain nombre de dénonciateurs mettent en avant les actes de débauche, de luxure et d’immoralité qu’ils attribuent aux anciens « proconsuls ».

En fait, le principal reproche que l’on fait aux anciens représentants en mission, c’est d’avoir détourné les importants pouvoirs qui leurs avaient été confiés pour leur usage propre plutôt que de s’occuper de l’intérêt général… Tous ces actes que l’on dénonce sont, selon une optique rousseauiste, contre-révolutionnaires. Si l’accusation de contre-révolution est moins présente de façon explicite dans les lettres en l’an III qu’en l’an II, moment où l’exclusion et la violence qui frappent les contre-révolutionnaires atteint son paroxysme, elle n’en demeure pas moins implicite par divers procédés qui visent à faire de celui qu’on attaque un être hors l’humanité.


Troisième partie
Les dénonciateurs


Chapitre I
La géographie de la pratique dénonciatrice

Tous les départements n’ont pas participé de la même façon au mouvement dénonciateur en l’an II comme en l’an III. Les régions qui connaissent la plus forte pratique dénonciatrice sont avant tout les régions qui ont participé à l’insurrection fédéraliste et les zones qui ont connu une forte répression durant la Terreur. Cependant, la carte des dénonciateurs ne révèle pas seulement les lieux où la Terreur a été la plus dure ; elle révèle aussi, en négatif, les régions où la « contre-révolution » est à l’œuvre en l’an III. C’est ce qui explique le calme apparent de certains départements bretons, le quasi silence des citoyens de la vallée du Rhône et la modération des lyonnais, pays livrés à la « Terreur blanche ». La carte de la répartition des dénonciations donne aussi un aperçu de l’intensité de la réaction dans les départements, intensité qui n’est pas toujours en rapport direct avec la force de la Terreur dans ces régions. Des zones qui ont connu des situations comparables durant la Terreur n’ont pas nécessairement la même pratique dénonciatrice, les événements locaux, les luttes dans un village, une ville, un canton pouvant se traduire par l’envoi d’une dénonciation à la Convention contre un représentant jugé trop proche du parti adverse.

Si une partie des dénonciateurs agissent en leur nom propre et de leur propre initiative, il faut souligner que les mouvements de dénonciation, bien souvent, ne sont pas vraiment spontanés et les autorités constituées, les événements nationaux, voire les représentants en mission thermidoriens, ont parfois influencé la rédaction de certaines lettres.

Chapitre II
Les dénonciateurs : portrait de groupe et évolutions

Il existe différents types de dénonciateurs : il y a ceux qui agissent seuls, anonymement ou non, il y a aussi ceux qui écrivent collectivement mais il y a également des administrations, régulières ou révolutionnaires, qui prennent la plume et des conventionnels écrivent même à l’Assemblée pour dénoncer un de leurs collègues… La plupart des dénonciateurs sont des hommes relativement cultivés, mais quelques-unes des personnes qui prennent la plume semblent issues de milieux plus populaires, certaines étant même à la limite de l’analphabétisme. Les dénonciateurs sont majoritairement des hommes baignant dans le milieu révolutionnaire, les femmes et les « contre-révolutionnaires » n’ayant pas ou peu la parole.

Si le nombre de dénonciateurs agissant en leur nom propre reste stable de part et d’autre du 9 thermidor, il n’en va pas de même pour les lettres collectives ou les administrations. En l’an II, les sociétés populaires ont un quasi monopole sur les dénonciations collectives. La Réaction change complètement les choses puisque, les sociétés populaires devenant suspectes, ce sont les associations « libres » de citoyens qui deviennent la voie normale pour les dénonciations à plusieurs voix. L’an III est également le moment où les administrations, jusque-là assez silencieuses, prennent la parole pour dénoncer ce qui s’est passé sur leur territoire durant la Terreur à la suite du renouvellement de celles-ci après le 9 thermidor.

Chapitre III
Dénonciateurs et luttes politiques

Dans de nombreuses lettres, il est fait allusion à des événements marquants de l’histoire révolutionnaire. On retrouve surtout des mentions des journées des 31 mai et 2 juin 1793 mais, après la chute de Robespierre, on fait aussi beaucoup de références au 9 thermidor et, plus tard, aux émeutes des 12 germinal et 1er prairial an III.

En fait, la façon dont les dénonciateurs présentent et analysent ces événements est révélatrice de leurs pensées politiques. Si les dénonciateurs font preuve de conformisme dans l’évocation de ces grands épisodes de la Révolution, la façon dont ils présentent ces moments forts de la Révolution trahit souvent leurs attentes et leurs opinions. Un « Réacteur » et un homme resté fidèle aux idéaux de l’an II n’ont pas la même perception de ces événements.


Quatrième partie
Les Conventionnels dénoncés


Chapitre premier
Qui attaque-t-on ? Esquisse d’un portrait de groupe des conventionnels qu’on dénonce

Selon quels critères attaque-t-on un conventionnel ?– Le dénonciateur connaît dans la plupart des cas, de manière directe ou indirecte, celui qu’il dénonce pour l’avoir vu agir en mission, l’avoir vu passer ou avoir vécu dans la même région que lui. Ce sont les représentants en mission qui sont, de loin, les plus attaqués mais on dénonce aussi un conventionnel pour ses liens avec son département d’élection ou pour des faits antérieurs à son entrée dans l’assemblée, ce qui montre combien on est proche de celui qu’on attaque. Enfin, on trouve quelques dénonciateurs qui critiquent les anciens membres des Comités de l’an II, ceux qui ont dirigé le pays durant la Terreur.

Dénonciations et groupes politiques. — Les Montagnards sont les principales cibles des dénonciateurs, surtout en l’an III où les attaques contre les membres de la Plaine ou de la Gironde se font plus rares qu’en l’an II où une partie des dénonciations qui sont écrites s’appliquent à dénoncer des actes de « fédéralisme ».

En fait, ce sont ceux qui ont exercé des missions avec des objectifs politiques en l’an II et ceux qui se sont rangés sur les bancs de la Montagne qui sont les plus attaqués mais ce schéma d’ensemble est à nuancer. L’appartenance politique n’est pas le principal facteur de dénonciation, même si celle-ci peut parfois être déterminante, surtout au moment des purges politiques.

Chapitre II
Comment attaque-t-on un conventionnel ?

Le sérieux des dénonciations. — Il s’agit en fait de voir comment les dénonciateurs motivent leurs dénonciations. En règle générale, et même si tous ne produisent pas des pièces justificatives, les dénonciateurs cherchent à montrer qu’ils disent la vérité et peu nombreux sont ceux qui dénoncent de façon vague et allusive. Le souci de sérieux est parfois poussé à son comble et on voit quelques dénonciateurs accompagner leurs lettres d’une longue série de pièces justificatives servant à prouver les faits qu’ils avancent et parfois à prouver leur propre civisme. Il ne s’agit pas seulement d’accuser mais aussi de démontrer la culpabilité de celui qu’on attaque au travers de quelques exemples frappants présentés comme véridiques avec un luxe de détails.

Fantasme et réalité : reconstruction des faits par les dénonciateurs. — À travers quelques exemples, il apparaît que derrière la volonté de sérieux dont font preuve bon nombre de dénonciateurs se cachent parfois des déformations de la réalité. Qu’elles soient volontaires ou non, ces déformations qui n’ont d’autre but que l’accentuation des crimes que l’on veut dénoncer montrent que certains dénonciateurs sont prêts à tout pour noircir l’image de ceux à qui ils s’en prennent, le but de toute dénonciation étant la condamnation de celui qu’on accuse.

Vengeance et dénonciation. — Si les dénonciateurs n’hésitent pas à déformer les faits, parfois de façon élaborée et consciente, c’est sans doute aussi parce qu’en général ceux qui prennent la plume sont les victimes des conventionnels qu’ils dénoncent, ou tout au moins des proches de celles-ci. On peut dès lors se demander si, derrière les proclamations de bonnes intentions que font les dénonciateurs, ne se cachent pas des ressentiments et un certain esprit de vengeance.

Chapitre III
Les Conventionnels face aux dénonciations

L’acharnement. — Il s’agit ici de distinguer les conventionnels qui font l’objet d’un nombre important de dénonciations de ceux qui ne sont qu’occasionnellement attaqués et d’analyser d’où viennent les attaques. En fait, il apparaît que, dans certaines régions, sont organisées de véritables campagnes de dénonciation contre un représentant. Ces campagnes peuvent être « spontanées », mais elles peuvent aussi avoir été orchestrées par un conventionnel influent ou encore par une administration locale… Elles se traduisent par une concentration géographique et temporelle de lettres contre un seul et même conventionnel.

Les rapports du Comité de législation (prairial-thermidor an III) : dénonciations et épuration. — Nous avons essayé, dans cette partie, d’analyser la façon dont la Convention a utilisé les dénonciations qui lui ont été envoyées dans l’épuration qu’elle a entreprise après les émeutes populaires de prairial et de germinal. L’acharnement dont ont fait preuve certains dénonciateurs s’est avéré payant puisque la majorité de ceux qui ont été la cible de plus de dix dénonciations ont été décrétés d’arrestation. Le rapport du 13 prairial se fait sous le signe de la passion, de la vengeance, malgré un semblant de sérieux. Les séances des 21 et 22 thermidor ont été préparées par le Comité de législation avec beaucoup plus de soin et d’équité pour les accusés. La Convention s’est transformée, durant ces deux jours, en un véritable tribunal chargé de l’épuration. Il ne s’agissait plus, pour la majorité des députés, de se venger d’un « terroriste » ou d’un « Montagnard » mais de punir justement un coupable pour des crimes avérés. Il apparaît tout de même que des considérations politiques ou personnelles sont entrées en compte pour le choix des députés qui devaient faire l’objet d’une enquête, ni Tallien ni Dumont, par exemple, n’ayant été cités lors de ces séances.


Conclusion

Les dénonciations sont un témoin privilégié du rapport des Français avec leur époque car, dans leurs lettres, ils racontent ce qu’ils ont enduré avec leurs mots, mais ils insinuent aussi ce qu’ils souhaitent. Le phénomène dénonciateur est pleinement inscrit dans un espace donné et dans le temps, il est autant le produit de l’histoire locale que des événements nationaux dont il répercute les effets. La dénonciation est donc bien un matériau historique à part entière. L’étude de ces nombreuses lettres révèle la complexité d’un phénomène qui s’inscrit à la fois dans un contexte politique, géographique, mental, social et culturel. C’est l’intersection de ces différents domaines qui donne à la dénonciation un statut si particulier.


Annexes

Edition de onze dénonciations (avec quelques photographies). — Tableau des représentants du peuple dénoncés entre 1792 et 1795 avec le nombre de dénonciations. — Chronologie de la « Réaction thermidorienne ». — Index des noms de lieu et des noms de personne.