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École des chartes » thèses » 2007

Les moniales de Saint-Antoine-des-Champs au xiiie siècle

« Velut lucernas in loco caliginoso lucentes »


Introduction

L’abbaye de Saint-Antoine-des-Champs a été fondée aux portes de Paris à l’extrême fin du xiie siècle par le prédicateur Foulques de Neuilly. Si l’abbaye acquiert rapidement une grande renommée et intègre l’ordre cistercien dès 1204, la fondation elle-même est très peu documentée. Il s’agit donc de chercher quelles ont été les conditions précises de la fondation ainsi que de déterminer le rôle joué par les différents acteurs : Foulques, l’évêque de Paris, le roi, les familles de donateurs, etc. Par l’étude de sources économiques, on peut reconstituer partiellement les réseaux sociaux, économiques et spirituels dans lesquels Saint-Antoine était insérée et voir ainsi à quels besoins l’abbaye a répondu. Au niveau du recrutement, l’abbaye a connu au xiiie siècle au moins trois phases différentes, difficiles à dater avec certitude mais qui montrent une communauté ouverte aux diverses vocations du temps, accueillant prostituées repenties, veuves de la noblesse de la région mais aussi jeunes demoiselles de la bourgeoisie parisienne émergente. Voir comment un établissement nouveau se développe et s’adapte aux besoins de la société qui l’entoure, en conciliant idéal religieux et gestion pragmatique, est l’objectif de cette étude.


Sources

Les archives de Saint-Antoine sont conservées pour l’essentiel aux Archives nationales, dans les séries H5, L et S. Les sources prises en compte pour cette étude sont les actes du xiiie siècle, dont l’écrasante majorité est constituée d’actes de gestion, à teneur économique : dons, ventes, achats, amortissements ou ratifications. Très peu d’actes permettent d’appréhender la vie au sein du monastère. Les archives étudiées permettent néanmoins de situer Saint-Antoine dans différents réseaux, grâce à l’identification de ses donateurs, des établissements religieux avec lesquels elle est en conflit ou en partenariat ou encore par l’étude des rapports de l’abbaye avec l’évêque, grand notificateur d’actes pendant le premier tiers du siècle... De plus, la présence de deux cartulaires dans le chartrier permet une étude du statut des archives de l’abbaye, des moyens de conservation et du classement de celles-ci par les moniales.


Première partie
La fondation de Saint-Antoine


Chapitre premier
Les conditions de la fondation

Contexte politique et religieux. — Avant toute étude particulière, il convient de dresser un rapide tableau de l’époque. La fondation de Saint-Antoine s’inscrit dans un contexte politique et religieux particulier, du conflit entre Capétiens et Plantagenêts à l’échec de la Troisième croisade ou de l’émergence de mouvements hérétiques à leur répression par les seigneurs du nord, parmi lesquels se trouvent les premiers grands donateurs de Saint-Antoine. Enfin, la recherche d’une nouvelle spiritualité, plus rigoureuse, trouve son épanouissement dans les nouveaux ordres religieux, en particulier les cisterciens.

La « Frauenfrage ». — Cette exigence spirituelle se retrouve chez les femmes, dont la place dans l’Église reste néanmoins limitée. Certaines se tournent du côté des prédicateurs cathares, obligeant l’Église à réagir et à réellement prendre la mesure de la question des aspirations féminines. Les ordres religieux ont eux aussi une attitude ambivalente à l’égard des femmes, pour des raisons aussi bien spirituelles (les femmes peuvent-elles mener cette vie déjà si dure aux hommes ? N’est-ce pas mettre en péril les hommes mis à la disposition des sœurs ?) que pragmatiques (comment adapter les règles ? Comment ne pas freiner l’essor des communautés masculines en affectant des hommes aux communautés féminines ?).

Paris. — Enfin, cette période est celle de l’essor de la capitale capétienne : essor urbain, économique, social et politique. La ville s’enrichit, une bourgeoisie marchande émerge, les maîtres et écoliers de la rive gauche se regroupent et formeront bientôt l’Université, les faubourgs se développent. C’est dans ce contexte que Saint-Antoine est fondée aux portes est de la ville, dans un faubourg qui prendra son nom. Les raisons de l’implantation de la communauté sont difficiles à cerner avec précision : présence d’un oratoire ancien ? D’une communauté pré-existante ? Ou bien doit-on simplement penser que Foulques installa ces femmes dans le seul faubourg encore peu peuplé ? En ce cas, l’attitude du roi à l’égard de Saint-Antoine est à examiner : Saint-Antoine est-elle perçue comme un moyen de développer un territoire ?

Chapitre II
Les acteurs de la fondation

Foulques de Neuilly. — Le fondateur de Saint-Antoine est connu essentiellement grâce au portrait que dresse de lui Jacques de Vitry dans son Historia occidentalis. Curé vivant comme un laïc et dans l’ignorance, Foulques eut un jour une révélation et se réforma, avant de suivre à Paris les enseignements de Pierre le Chantre et de devenir un fameux prédicateur. Prêcheur de la Quatrième croisade, il s’éteint avant le début de celle-ci. Sa lutte contre la luxure – et non une affection particulière à l’égard des femmes – le mène à prendre sous son aile des prostituées repenties, pour lesquelles il fonde Saint-Antoine. Il est intéressant de comparer la figure de Foulques à celle des prédicateurs de son époque ou des grands prédicateurs des années antérieures, comme Robert d’Arbrissel et Vital de Savigny, afin de voir comment sa prédication s’inspire de celles de ses aînés, tout en s’adaptant au public parisien.

L’évêque de Paris. — Les différents évêques de Paris ont joué un rôle fondamental dans l’essor de l’abbaye. À cet égard, c’est Eudes de Sully qui est le plus important puisque c’est à son initiative que Saint-Antoine intègre l’ordre cistercien, dès 1204 et en même temps que l’abbaye de Port-Royal, fondée quelques mois dans la vallée de Chevreuse. Eudes reste très présent dans le chartrier de l’abbaye, de même que son cousin et successeur Pierre de Nemours. Quant à Guillaume de Seignelay, célèbre pour ses conflits avec Philippe Auguste, il fonde à Auxerre une communauté féminine avec une colonie de moniales de Saint-Antoine, montrant à nouveau le lien si particulier unissant l’abbaye aux évêques de Paris.

Le chapitre de Cîteaux. — Les relations entre les Cisterciens et Foulques de Neuilly paraissent avoir été plutôt tendues, surtout lorsque celui-ci entreprit de prêcher la croisade. Néanmoins, elles s’améliorèrent avec le temps. Pour autant, il semble bien que l’intégration de Saint-Antoine soit l’initiative d’Eudes de Sully et que le chapitre de Cîteaux l’ait suivi sur cette voie. On perçoit une différence de traitement entre Saint-Antoine et Port-Royal, toutes deux filles directes de Cîteaux, puisque, si Port-Royal est placée sous la responsabilité de l’abbaye masculine de Vaux-de-Cernay, aucune mesure de cet ordre n’est connue pour Saint-Antoine. Aussi, la présence des cisterciens est-elle très peu perceptible dans le chartrier de Saint-Antoine.

La première communauté. — La première communauté est l’acteur par excellence. Pourtant, on ne connaît le nom d’aucune moniale originelle. Plusieurs questions se posent au sujet de la nature de la communauté : rassemblement de prostituées repenties ? Communauté mixte à l’origine ? À vocation charitable ou uniquement religieuse ? L’étude des sources tend à faire de Saint-Antoine une communauté féminine dès l’origine, avec des hommes à son service – comme dans toute communauté féminine – et non des frères, composée de femmes d’horizons divers – ou s’ouvrant très rapidement à des femmes d’extraction différente des pionnières – regroupées dans un but religieux et non hospitalier, même si l’abbaye put apporter soutien matériel et spirituel à des laïcs.

Le grand absent : le roi. — Contrairement à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, Philippe Auguste paraît n’avoir joué aucun rôle dans la fondation et l’essor de Saint-Antoine, communauté implantée pourtant aux portes de sa capitale, sur la route de Vincennes. On peut trouver plusieurs raisons à cette absence : relation tendue avec l’évêque (Eudes ou Guillaume, par exemple), méfiance à l’égard des grands bienfaiteurs de l’abbaye (tels les Montfort pris entre Capétien et Plantagenêt), désintérêt. On peut aussi penser que le roi, voyant un de ses faubourgs se développer sans qu’il ait à intervenir, ait considéré que la meilleure attitude était une position de retrait attentif.


Deuxième partie
La pérennisation de la fondation (1200-1233)


Chapitre premier
Les donateurs

La dotation initiale. — Le propriétaire du terrain sur lequel s’élève Saint-Antoine n’est pas connu. Il est ainsi difficile de savoir si l’implantation de la communauté est liée à une relation particulière avec un premier donateur dont le chartrier n’a pas gardé la trace ou bien si l’installation des femmes de Saint-Antoine a donné lieu à des conflits avec le tenant de ces terres. Certains historiens ont avancé l’idée d’une dotation royale mais aucune source ne permet d’aller dans ce sens.

Les premières donations (1200-1208). — Saint-Antoine reçoit très vite des aumônes qui permettent à ses membres de survivre et à la communauté de se stabiliser. Deux traits majeurs caractérisent cette période : les liens entre les différents donateurs et Eudes de Sully, qui est souvent seigneur de ceux-ci, en tant qu’évêque de Paris, et la nature des donations, essentiellement non foncières : cens en blé, rente en argent.

Le temps des croisés (1209-1218). — Cette décennie est capitale pour comprendre l’essor de Saint-Antoine puisqu’elle met en lumière le rôle fondamental de quelques grandes familles nobles d’Île-de-France, qui participent à la croisade des Albigeois : Montfort, Mauvoisin, Beaumont notamment. Ces familles comptent parmi les plus grands et les plus fidèles des donateurs de l’abbaye. Il convient de faire une place particulière à l’un de ces hommes, Robert Mauvoisin qui, en plus d’être très généreux à l’égard des moniales, fonde une chapelle à Saint-Antoine, où il sera enterré. L’image de Saint-Antoine refuge de femmes repenties semble avoir joué un grand rôle dans l’affection portée par ces familles.

L’effacement de l’évêque (1219-1233). — Si pendant les vingt premières années de la communauté les évêques de Paris Eudes de Sully et son cousin Pierre de Nemours étaient assez présents, notifiant des actes et encourageant les donations, la mort de ce dernier semble marquer un tournant dans les relations entre l’abbaye et l’évêque de Paris. On peut y voir aussi une preuve supplémentaire de la stabilité de la communauté, désormais capable de voler de ses propres ailes et disposant d’un réseau solide de donateurs, considérablement élargi avec la présence plus visible des Parisiens.

Bilan. — L’étude des donateurs permet de comprendre comment était perçue l’abbaye et comment elle s’est, petit à petit, constitué un réseau de relations qui lui permet de se développer et d’attirer les femmes désirant se retirer du siècle. La grande diversité des donateurs, nobles d’Île-de-France (petits ou grands), bourgeois de Paris, simples Parisiens ou encore curés de la région, est un facteur certain de pérennisation de la communauté. Elle est aussi gage d’un temporel varié.

Chapitre II
Le temporel

Le premier temporel (1198-1210). — Saint-Antoine reçoit des biens dès les premières années de son existence grâce à l’appui de l’évêque de Paris. Ces biens sont essentiellement composés de rentes en nature ou de dîmes en argent, demandant peu d’investissements et permettant à la communauté de s’enrichir progressivement. On remarque aussi que Saint-Antoine possède des droits sur trois péages (Mantes, Lieusaint et Tournan) qui lui assurent des revenus stables et importants et que la quasi-totalité des biens donnés à l’abbaye se situe à proximité d’une voie d’eau, facilitant leur perception. Il apparaît alors que l’évêque a joué un rôle bien plus important dans la constitution du temporel de l’abbaye : non seulement il encourage les donations mais il semble aussi faire en sorte que les aumônes soient les plus profitables possibles à Saint-Antoine. Si la grande majorité des biens reçus est située dans un rayon d’une quinzaine de kilomètres de l’abbaye, avec quelques rentes à Paris même, Saint-Antoine possède, dès ces années, quelques arpents de terre aux confins de l’Île-de-France.

L’essor du temporel (1210-1218). — Les biens donnés par les croisés et leurs proches sont considérables. Les seules donations de Robert Mauvoisin doublent le temporel de l’abbaye. Saint-Antoine est donc alors en possession de nombreux biens, très divers et très éloignés les uns des autres. Pourtant, il n’y a, dans le chartrier, rien qui laisse penser que les moniales ont eu des difficultés à gérer ce patrimoine. Bien au contraire, on perçoit, notamment par le jeu des échanges ou des achats-ventes, une vraie réflexion sur le remembrement du temporel et la création toute cistercienne d’espaces spécialisés : vignes, terres, prés, etc. Ainsi, on a pu dégager trois grandes zones : Paris même, où Saint-Antoine s’implante très sporadiquement, se contentant des donations ; une zone correspondant à la petite couronne actuelle, à la fois lointaine et suffisamment accessible pour y envoyer des hommes ou rapatrier la production rapidement, qui a pour centre la zone Aulnay-Savigny, berceau de la famille Mauvoisin ; enfin aux limites de l’Île-de-France et au-delà, l’abbaye possède quelques biens, essentiellement des dîmes en argent. Saint-Antoine est donc connue bien au-delà de sa zone directe d’influence. Par ailleurs, de nombreuses donations prennent sens grâce à la mise en parallèle des aumônes effectuées dans la même zone : la constitution du temporel fait apparaître certaines connexions qui n’étaient pas visibles autrement. Les réseaux de donateurs sont définitivement une clé pour comprendre le succès de l’abbaye.

Les années 1219-1233. — Une fois lancé, ce mouvement de rationalisation de la gestion du temporel et de spécialisation des espaces ne s’arrête plus. Il permet à Saint-Antoine de prospérer. Le temporel continue de s’agrandir, mais dans les limites des possessions de la décennie antérieure, à de rares exceptions près : il s’agit donc de se développer autour de possessions et de structures déjà existantes. L’abbaye intensifie les opérations d’achat et d’accensement, cédant volontiers ce qui lui demanderait trop d’investissement. Le point central du temporel reste Aulnay et ses environs, seule zone où toutes les cultures sont présentes. Saint-Antoine tente de créer un deuxième centre au sud de Paris, autour de Corbeil, mais les conflits nombreux avec les différentes institutions ecclésiastiques du lieu semblent l’échauder quelque peu. L’abbaye continue par ailleurs à recevoir des biens à Paris, essentiellement des maisons qu’elle loue le plus souvent ou des rentes. C’est donc un temporel bien géré, qui semble être construit de façon méthodique – quitte à faire pression sur certains donateurs ? – et qui favorise un essor certain de l’abbaye. Cela est d’autant plus remarquable qu’on ne trouve, dans les actes du chartrier de Saint-Antoine, pour ainsi dire aucune mention de procureur de l’abbaye ou de vice domus, comme c’était le cas à Port-Royal : il semble donc bien que ce sont l’abbesse et ses moniales qui aient mené cette politique très fructueuse de développement du temporel.


Troisième partie
Évolution de l’abbaye de Saint-Antoine (1234-1303)


Chapitre premier
Évolution de la communauté

Une relative mixité sociale (1234-1270). — Après le premier bouleversement dans le recrutement de l’abbaye, qui a vraisemblablement fait disparaître les prostituées repenties de la communauté, Saint-Antoine semble avoir rassemblé des filles et des femmes assez différentes : des veuves, nobles essentiellement, comme des jeunes filles, des membres de grande famille comme des inconnues. L’évolution de la communauté est étudiée par abbatiat, afin d’évaluer l’impact de chaque abbesse sur le recrutement de la communauté. En effet, les deux premières abbesses de cette période sont membres de la communauté depuis de nombreuses années au moment de leur élection et appartiennent à des grandes familles. La première, Agnès de Cressonsacq, est la sœur de Robert Mauvoisin et est une des donatrices les plus fidèles de l’abbaye avant d’y prendre le voile aux alentours de 1220. Abbesse de 1233 à 1240, il semble qu’elle ait cherché à stabiliser la communauté, au niveau du temporel et par rapport aux donateurs. Les actes de son abbatiat contiennent ainsi de nombreuses ratifications de dons faits dans les années précédentes, alors que la génération des donateurs croisés s’éteint. Pour autant, le chartrier ne renferme aucun nom de moniale pendant son abbatiat, ce qui ne permet pas de dire si son conservatisme a eu des conséquences sur le recrutement. On peut faire presque les mêmes remarques au sujet de l’abbesse suivante, Amicie II (1240-1253), bien que la proportion de ratifications baisse. Une évolution commence pourtant à se faire sentir, avec la mise à Saint-Antoine de jeunes, voire très jeunes, filles, parfois par deux, qui semblent appartenir à des familles parisiennes, bourgeoises ou non.

L’uniformisation de la communauté. — Les années suivantes confirment cette tendance, qui s’accentue. La communauté de la fin du siècle est bien mieux connue car les actes renfermant des noms de moniales sont plus nombreux. Or, il en ressort que la quasi-totalité de celles-ci sont des filles de la bourgeoisie parisienne, souvent assez jeunes. On détecte même la reconstruction, au sein de la communauté, des réseaux sociaux extérieurs, avec la présence de membres de familles alliées ou parentes. Les relations de Saint-Antoine avec la ville toute proche s’en trouvent transformées. Pour autant, quelques exceptions montrent que les liens historiques avec la noblesse d’Île-de-France persistent. Cependant, alors que les premières nobles semblaient être entrées à Saint-Antoine pour appartenir à une communauté favorisée par leurs familles en raison des origines de la communauté première, les nobles de la fin du siècle ne semblent plus avoir aucun lien avec les croisés ou leur rigueur spirituelle.

Chapitre II
Évolution des donateurs

La persistance des familles nobles. — Quelques familles de donateurs historiques sont présentes dans le chartrier de Saint-Antoine jusqu’à la fin du siècle : Montfort, Mauvoisin et leurs parents, Beaumont, Cressonsacq et Aulnay, ou encore les Garlande. Certains descendants des tous premiers donateurs continuent à faire aumône à l’abbaye mais on perçoit tout de même une évolution dans les actes de donation : alors que les premiers dons ne contiennent aucune demande particulière des donateurs en échange de la libéralité, ceux de leurs successeurs mentionnent des demandes, de messes notamment. Est-ce à dire que la relation est devenue intéressée ou doit-on plutôt y voir un regard différent sur un même acte, la donation, dont on taisait, par pudeur, les véritables raisons au début du siècle ? On trouve aussi de nouvelles familles nobles parmi les donateurs, liées aux nouvelles moniales nobles présentes dans la communauté. On constate néanmoins une inversion des tendances au cours du siècle : les nobles, premiers donateurs, deviennent minoritaires et sont remplacés par les bourgeois de Paris.

Les bourgeois de Paris. — Les bourgeois s’affirment en effet de plus en plus au cours du siècle, surtout dans les trente dernières années, pendant lesquelles leurs filles entrent en nombre dans la communauté. Comme chez les nobles se constituent des dynasties de donateurs et se reconstruisent les réseaux d’amitié ou d’alliance élaborés dans le siècle. Les donateurs bourgeois sont mieux connus néanmoins et pour une raison particulière : contrairement aux nobles du début du siècle, réticents à donner une raison autre que l’aumône pure et perpétuelle pour leurs dons, les bourgeois affirment, de plus en plus largement, leurs motivations. On remarque une autre différence fondamentale entre nobles et bourgeois : ces derniers assignent, dans leur majorité, leur donation non pas à Saint-Antoine directement mais à leurs filles. Il est même des cas où, à la mort de la moniale, la somme assignée revient dans la famille du donateur. La question de la propriété personnelle des moniales est alors moins épineuse qu’en début de siècle. Mais ce n’est pas la seule explication que l’on peut fournir. En effet, placer sa fille à Saint-Antoine a pris, à cette époque, une toute autre signification : la réussite sociale passe par la présence d’un de ses membres dans une institution religieuse reconnue. Aussi se pose la question de la réelle vocation des nouvelles moniales et celle, corollaire, de la nouvelle place que tient Saint-Antoine dans la société de son temps et dans ses représentations.

Cas particuliers, pistes à explorer. — Le chartrier de Saint-Antoine est si riche qu’il n’a pu être étudié de façon exhaustive. Certaines pistes mériteraient un approfondissement, comme par exemple, la place remarquable parmi les donateurs d’ecclésiastiques (curés, chanoines), dont certains entretiennent des liens avec la famille royale ou exercent sur des terres assez lointaines. Une autre enquête qu’il faudrait mener est celle des élections de sépultures à Saint-Antoine ou bien des fondations d’anniversaires et de messes, qui permettent d’entrevoir tout un réseau de bienfaiteurs distincts des donateurs parents de moniales.


Conclusion

Partir de sources économiques paraissait un handicap, c’est finalement la richesse de ce fonds – dont de nombreux aspects restent à étudier – qui est le trait le plus marquant. Saint-Antoine a connu en très peu de temps de profonds bouleversements, une mutation qui montre sa grande adaptabilité à la société de son temps, clé de son succès.


Annexes

Édition d’actes. — Graphiques (répartition des actes par abbatiat, par type ; répartition des différents types de donateurs etc.). — Tableaux (listes récapitulatives des dons, des ventes, des conflits ; des moniales et des abbesses rencontrées, des personnes enterrées à Saint-Antoine, des fondateurs de messes ; désignation de Saint-Antoine dans les actes ; le culte de saint Antoine ; le rôle de l’évêque de Paris dans différents chartriers). — Cartes (évolution du temporel). — Reconstitutions généalogiques.