« »
École des chartes » thèses » 2008

Rendre la justice au parlement de paris sous la ligue (1589-1594)

Procédure civile et conciliation


Introduction

Le parlement de Paris a fait l’objet de nombreuses études historiques, tant institutionnelles, politiques, juridiques que judiciaires. L’intérêt des historiens sur tel ou tel aspect a cependant varié au cours du temps et selon les périodes étudiées. Celle de la Ligue a suscité de nombreux ouvrages sur les réactions politiques du Parlement, face à la nouvelle religion et aux troubles religieux qui suivirent, face aux difficultés de la monarchie, et quand, en janvier 1589, la rupture sera consommée entre le roi et une partie de la France. Le Parlement se retrouve alors devant un véritable dilemme : comment continuer à être le garant de l’ordre et des lois fondamentales du royaume, tel qu’il se plaît à l’affirmer, et ne pas reconnaître le roi légitime ? Cette question, déjà étudiée, ne sera pas l’objet de cette thèse.

L’objectif de cette étude est de savoir comment le Parlement, dans une période de guerres civiles, sous la domination d’un des partis et la pression de la population parisienne régulièrement échauffée lors des prêches, et alors qu’il est lui-même divisé de fait par la mise en place d’un Parlement royaliste à Tours, a pu ou non rendre la justice normalement et selon les principes fondamentaux d’impartialité et d’équité. Répondre à cette problématique impose de reconstituer la procédure civile à la fin du xvi e siècle avant d’appréhender les bouleversements qui touchent alors non seulement le personnel du Parlement, mais aussi son ressort et son calendrier. Enfin est examinée la façon dont les parlementaires rendent la justice dans certains types particuliers d’affaires, afin de déterminer leur attitude devant des situations où ils doivent rendre plus un jugement en équité qu’en droit et où le rôle d’arbitre et de médiateur du Parlement est mis en avant, mais soumis aux luttes d’influences et aux pressions diverses.


Sources

Les sources manuscrites consultées viennent exclusivement de la série X des Archives nationales. Ce sont les registres de transcription des minutes, de 1589 à mars 1594, présents dans la sous-série X1A, qui ont été utilisés pour servir de base à cette étude. Ils sont divisés en trois types principaux : les Jugés, le Conseil et les Plaidoiries. Dans la mesure où les minutes n’apportent que peu d’informations différentes ou supplémentaires aux transcriptions des registres, le recours aux registres a été privilégié, essentiellement pour des raisons pratiques. Les difficultés paléographiques n’ont pas été déterminantes : l’écriture des minutes est certes moins soignée, mais reste lisible avec un peu d’habitude… La difficulté majeure tient au fait que les minutes des Plaidoiries, constituées en grande partie de feuilles d’audience, nécessitent une reconstitution pour retrouver l’intégralité d’un acte ; faite à l’époque par les commis du greffe, cette opération aurait pris beaucoup trop de temps dans le cadre d’une thèse. Le recueil Pithou (X 1A9324B), composé d’actes retirés des minutes lors de leur épuration après le retour d’Henri IV à Paris en mars 1594, n’a pas été utilisé pour des raisons de temps, malgré son intérêt pour la période.

Les sources imprimées utilisées concernent principalement la procédure civile ou permettent de la comprendre, comme les styles du Parlement, les ouvrages de juristes, les recueils d’actes royaux et les dictionnaires juridiques, ceux de Ferrière et de Guyot en particulier. Pour rappeler le contexte historique, la lecture des Mémoires-journaux de Pierre de l’Estoile est un préalable, ceci d’autant plus qu’il exerce une charge au sein du Parlement.


Première partie
La procédure civile


Chapitre premier
Les textes législatifs, réglementaires et juridiques

Les textes législatifs et réglementaires.— La fin du xvi e siècle est particulièrement intéressante pour l’étude de la procédure qui arrive alors à une certaine maturité et ne changera guère avant les grandes ordonnances de Louis XIV. La procédure civile au parlement de Paris se fonde, au-delà des pratiques coutumières, sur plusieurs textes législatifs et réglementaires depuis l’époque de saint Louis. Les ordonnances royales forment une grande partie de ces textes. En un siècle et demi, une dizaine d’ordonnances royales de réformation, de celle de Montils-lès-Tours de 1454 à celle de Blois de 1579, font profondément évoluer la procédure civile. Conçues pour rétablir un ordre judiciaire antérieur considéré comme meilleur, le plus souvent elles ne font qu’accompagner des évolutions de la pratique et de la jurisprudence et demandent sans discontinuer l’application des mesures disciplinaires décidées auparavant. L’introduction de la requête civile comme voie de recours extraordinaire, par l’ordonnance de Blois de 1579, est une des seules nouveautés mises en place par la législation royale. C’est plus souvent le Parlement lui-même qui fait évoluer sa procédure, notamment par les arrêts de règlement qui décident des points de droit ou de discipline non encore réglés par la loi.

Les textes de la pratique.— En raison de la multiplicité des textes encadrant la procédure civile et de la diversité de leur origine, de nombreux praticiens (magistrats, procureurs…) ont ressenti le besoin d’écrire des ouvrages sur la procédure. Il s’agit d’une tradition continue depuis la création du Parlement, notamment celle d’écrire des styles, livres qui récapitulent les règles en vigueur devant la cour et fournissent des formulaires pour les actes procéduraux, dont l’exemple le plus représentatif est le style confectionné par Guillaume Du Breuil. Il est nécessaire de consulter les styles de l’époque étudiée, surtout en cette fin de xvi e siècle. Deux d’entre eux ont été retenus pour cette thèse : Le nouveau stile de la court souveraine de Parlement… de 1577 et Le stile de la court de Parlement… de Philbert Boyer de 1591. Conçus pour des procureurs débutants ou comme aide-mémoire pour les procureurs aguerris, ils sont très utiles pour entrer plus facilement dans les registres du Parlement. S’appuyant sur des arrêts de la Cour et sur les ordonnances royales, ils doivent être accompagnés d’écrits de juristes plus généraux, qui permettent de replacer la procédure dans un contexte juridique élargi, comme le Code du roy Henry III de Barnabé Brisson et les Treze livres de parlemens de France de Bernard de la Roche Flavin. Il convient de croiser tous ces ouvrages pour avoir une idée plus exacte de la procédure et de les consulter avec prudence. Ils ne sont, en effet, pas exempts de partialité et parfois d’imprécision.

Chapitre II
Le déroulement d’un procès

Le déroulement normal d’un procès est assez régulièrement perturbé par toutes sortes de voies de recours et d’incidents de procédure. C’est pour cette raison que la procédure telle qu’elle doit se dérouler est mise en avant, afin de démêler lors de la consultation des registres du Parlement ce qui relève des étapes nécessaires de ce qui est anecdotique. Un schéma simplifié, situé en annexe, trace à grands traits les différentes étapes, de l’introduction de l’affaire devant le Parlement à l’exécution du jugement rendu. Une cause prend des chemins différents selon son type, sa nature et sa difficulté. Le plus souvent, les procès viennent devant la cour après un appel, celui-ci pouvant être soit une appellation verbale, soit un procès par écrit. Les affaires sont alors respectivement mises aux rôles ordinaires suivant leur provenance ou distribuées à des conseillers rapporteurs chargés d’examiner les pièces présentées. Dans un cas comme dans l’autre, elles seront jugées rapidement à l’audience, après les plaidoiries des avocats, et un arrêt est rendu et consigné dans les registres des plaidoiries ; ou bien quand elles présentent une difficulté, il y a une instruction. Elle peut se faire de plusieurs façons, mais elle est toujours ordonnée par un appointement. S’il est au conseil, l’arrêt terminant le procès se trouvera dans les registres du conseil ; s’il s’agit d’un appointement en droit ou à faire preuve, il y a une enquête qui débouche ensuite sur un jugé. Pour que les arrêts de la cour soient exécutés, il faut qu’ils soient prononcés. Quant à l’exécution, elle relève des juridictions inférieures et elle n’apparaît dans les registres du Parlement que lorsqu’il y a eu un problème à ce sujet.

Chapitre III
Incidents de procédure et voies de recours

L’intérêt de la plupart des parties ayant un procès devant le Parlement est parfois de le faire durer aussi longtemps que possible, dans l’espérance que la partie adverse abandonne, ruinée ou morte. Pour ce faire, elles multiplient incidents de procédure et voies de recours, malgré les ordonnances royales qui visent à l’abréviation des procès et la réglementation de plus en plus stricte de ces recours. Les incidents de procédure caractérisent tout ce qui est introduit par une partie pour s’opposer à l’action en cours. Il en est ainsi des exceptions, comme les fins de non procéder qui visent à récuser les juges ou à les déclarer incompétents, ou les délais demandés pour avoir un conseil ou chercher un garant. Le système des congés et des défauts est une autre façon de retarder le jugement d’une affaire. Le congé s’obtient lorsque le demandeur ou l’appelant ne se présente pas devant la cour, le défaut quand il s’agit du défendeur ou de l’intimé. Une fois que la sentence est définitivement rendue par le Parlement, il n’y a pas de recours ordinaire contre elle, la cour jugeant souverainement et en dernier ressort. L’article 92 de l’ordonnance de Blois de 1579 ne reconnaît que deux moyens de droit pour se pourvoir contre les arrêts des cours souveraines : la proposition d’erreur et la requête civile, introduite à cette occasion. La partie peut aussi toujours faire appel au roi, si elle ne peut présenter un recours extraordinaire. La faute du Parlement n’est jamais alléguée, il s’agit toujours de la faute d’une des parties si un arrêt de la cour a été mal rendu. Malgré les différences théoriques entre la proposition d’erreur et la requête civile, dans la pratique, les différences semblent ténues. En effet, il arrive de temps en temps que les instances de proposition d’erreur se transforment en requête civile à la demande de la partie requérante.


Deuxième partie
Un parlement bouleversé


Chapitre premier
Les greffes

Étudier les greffes du Parlement sous la Ligue consiste à envisager deux époques différentes : celle de la Ligue avec les minutes et les registres du greffe, et une époque postérieure, celle de la confection des registres. Ces deux époques forment un tout pour appréhender le fonctionnement des greffes. Des trois greffes du Parlement, deux sont étudiés : le greffe civil et le greffe des présentations. L’organisation des greffes est gérée en interne par le Parlement : par exemple, le greffe civil a été organisé par une ordonnance du Parlement de 1521. Il y a peu de traces dans les sources sur l’activité réelle des greffiers civil et des présentations. Ils n’apparaissent le plus souvent qu’en tant que parties d’un procès. Le travail des clercs et des commis au greffe est très visible. Les personnes qui occupent cette charge le font souvent de façon temporaire, avant de pouvoir être reçues procureur en parlement, parfois en occupant même cette fonction, comme Blanc Dumans. Certaines places du greffe sont au contraire très disputées, comme celle qu’occupait Gabriel Breuillet, clerc au greffe en charge du conseil, demandée par quatre personnes, dont Hugues Lemasson et Pierre Senault.

Chapitre II
Les cadres du jugement

Les chambres, les présidents et les conseillers.— Ainsi que la procédure civile, l’organisation des chambres et leur composition ont beaucoup évolué au cours du siècle. Au début du xvi e siècle, le Parlement compte trois chambres : la Grand Chambre et deux chambres des enquêtes. Deux chambres supplémentaires sont créées d’ici à la fin du siècle. Ces créations s’accompagnent d’une augmentation considérable du nombre de conseillers et de l’érection de nouveaux présidents. Ces mesures, faites à la fois pour répondre aux besoins des justiciables et pour des raisons financières, ne sont pas toujours bien perçues par les parlementaires. Pourtant la diminution de leur nombre pendant la Ligue ne va pas sans provoquer de nombreux problèmes. Une hémorragie lente et continue des conseillers marque la période, après l’épuration de janvier 1589 et le départ volontaire ou forcé de certains. L’on assiste alors à un véritable jeu de chaises musicales : les conseillers qui refusent de recevoir les nouveaux conseillers pourvus par le duc de Mayenne, s’ils n’ont été pourvus de sièges vacants par mort ou par résignation, passent d’une chambre à l’autre, ou plutôt montent d’une chambre à l’autre, suivant le tableau d’avancement. Cette situation est particulièrement remarquable lors du remplacement du premier président Brisson, puisqu’à ce moment, quatre nouveaux présidents sont choisis parmi les conseillers de la cour et même de l’extérieur. Il faut noter cependant que la place de premier président ne sera jamais vraiment occupée dans les faits, le nom de Chartier n’apparaissant pratiquement pas dans les registres. Quant aux présidents des chambres des enquêtes, ils ne sont pas remplacés définitivement : un des conseillers de la chambre en tient lieu et est dit « loco presidis ». Mais comment juger avec moins de conseillers ? À cause de l’attitude du Parlement, certaines chambres sont presque vides et les jugements ne peuvent être rendus faute de conseillers. Le duc de Mayenne propose la fusion des chambres, la cour préfère installer un système de rotation des conseillers : ils viendront faire l’appoint quand le besoin s’en fera sentir. Parfois aussi le Parlement renvoie l’affaire devant une autre chambre. La cour tente, par ces biais, de sauver les apparences de la normalité, quitte à retarder le jugement des procès.

« Le parquet des gens du roy ».— Le parquet n’a guère varié au cours des siècles. Trois personnes le représentent depuis les débuts du Parlement : le procureur général et les deux avocats généraux. Ces derniers sont assistés par des substituts, pour le premier, et par des clercs, pour les seconds. Organisation jusque là très stable, c’est elle qui subit le plus de changements lors de la Ligue. Changements de personnes : en janvier 1589, il n’y a plus personne à la tête du parquet. Le 21 janvier, sont élus Edouard Molé, procureur général, Jean Lemaître, premier avocat général – remplacé en décembre 1591 par Antoine Hotman –, et Louis Dorléans, second avocat général. Du procureur général Molé, peu de choses apparaissent dans les registres. La personnalité des avocats généraux est plus facilement visible. Plaidant le réquisitoire du procureur général, ils peuvent infléchir plus ou moins ce qu’il avait écrit. Malgré une marge de manœuvre limitée, leurs convictions politiques peuvent émerger. Cela a une importance toute particulière en raison des engagements des avocats généraux pour la Ligue ou en faveur de ses idées, au point qu’il convient de se demander si le parquet n’est pas devenu pendant cette période le parquet des gens de la Ligue. C’est une question difficile, nécessitant la consultation attentive de tous les réquisitoires. Un rapide examen permet de voir évoquer certains thèmes, sinon chers aux ligueurs, du moins présents dans de nombreuses réquisitoires, comme le rappel à la dignité de la justice ou l’exemplarité en matière religieuse par exemple. Cependant, dès que les excès sont commis par les ligueurs – assassinat de Brisson ou atteinte aux lois fondamentales du royaume –, les avocats généraux, Dorléans comme Hotman, ont tendance à se désolidariser de leurs amis politiques. Cela ne les empêchera tout de même pas, en mars 1594, de devoir quitter la France.

Chapitre III
Un espace et un temps difficiles à maîtriser

Géographie de l’appel.— À la mort d’Henri III, un sixième seulement du territoire reconnaît Henri IV comme son successeur. À partir de ce moment, la géographie de l’appel ne va cesser de changer, suivant les avancées et les retraites des différentes armées et avant les ralliements massifs liés à la conversion d’Henri IV et à son entrée dans Paris. Les prises et les sièges de villes sont presque immédiatement visibles dans les registres du Parlement, par l’absence soudaine d’affaires provenant du lieu.

Rythme de la justice.— Le temps accordé à la justice au parlement de Paris est régi de façon très stricte. L’année, la semaine, la journée obéissent à un calendrier établi depuis des générations. Les troubles de la Ligue perturbent tous ces temps judiciaires. Sur le temps long, la période la plus marquante est le siège de Paris qui provoque une chute sensible du nombre des affaires traitées. L’assassinat de Brisson quant à lui et les quinze jours de fermeture du palais qu’il a provoqués ne font qu’accentuer une période de creux cyclique. Sur le temps plus court, de nouveaux jours fériés sont mis en place : la célébration de la journée des Barricades en particulier, et même la mémoire de Brisson, avec la Saint Barnabé. Surtout le Parlement doit suivre les nombreuses processions religieuses faites pour sauver la France des royalistes.


Troisième partie
Rendre la justice au temps de la ligue


Chapitre premier
Le rôle régulateur du parlement

Règlements de métiers.— La réglementation des métiers est normalement le fait des municipalités, des prévôts royaux, rarement celui du Parlement. S’arranger en première instance est généralement plus avantageux pour les gens de métier. Les conflits les concernant se cristallisent autour de deux sujets principaux : la définition des métiers les uns par rapport aux autres et les problèmes nés de l’arrivée des gens de métier des faubourgs dans les murs de la ville. Définir strictement les attributions de chaque métier est une manière de rétablir l’harmonie sociale perturbée par la confusion des genres et de la préserver en évitant tout conflit futur. C’est pour cette raison que les arrêts rendus en cette matière sont très précis. Dans les cas de conflits entre gens de métier de la ville et des faubourgs, il s’agit plus d’un problème conjoncturel. Les guerres civiles, le passage des armées, le vagabondage de leurs résidus, les sièges des villes créent souvent des situations difficiles pour ceux des faubourgs. Alors quand ils arrivent en ville pour se protéger et veulent exercer leur métier, des tensions ne manquent pas de naître. Par peur de la concurrence et d’une baisse de leurs revenus, ceux des villes refusent de les laisser exercer librement. La réponse du Parlement est alors toujours la même : ceux des faubourgs pourront exercer tant que les troubles dureront.

Les affaires matrimoniales.— Le Parlement ne règle pas les questions de divorce, qui relèvent des juridictions ecclésiastiques. Il gère les demandes en séparation de biens et parfois de corps entre époux. Le procès peut venir pour simple mésentente et peut aller jusqu’aux coups et blessures, voire à la tentative d’empoisonnement, et se trouver ainsi à la porte du procès criminel. Fort heureusement, la majorité des séparations de biens se passent plus paisiblement. Quand la situation prend un tour violent, le Parlement intervient en sa qualité de protecteur de l’ordre social et, de là, des individus et des familles. Protection des individus, et principalement des femmes, quand elles sont battues : la cour prévoit alors généralement l’éloignement, menace d’une punition corporelle. Protection des familles, quand le comportement d’un de ses membres, le mari ou la femme, n’est pas conforme aux bienséances. Mais, malgré les récits faits à la cour, malgré la preuve apportée de maltraitances ou les signes évidents de mésentente, dans un grand nombre d’affaires, le Parlement ordonne le retour de l’épouse chez son mari et enjoint ce dernier de bien la traiter. Prédomine donc la volonté de réconcilier les époux, sans doute par souci d’ordre social, de ne pas désunir ce qui a été uni par Dieu. Une seconde chance est donnée au mariage, souvent contre l’avis du juge de première instance.

Les réparations d’honneur.— L’honneur, la réputation sont des qualités très importantes au xvi e siècle et sur lesquelles se focalisent les hommes. Le parlement de Paris, institution des plus vénérables, a lui aussi une réputation à tenir et une dignité à défendre. En cette époque des guerres de Religion, il doit reconquérir sa bonne réputation auprès du peuple français, victime qu’il est du mépris général de la justice et des juges. Par ailleurs, il est considéré par les ligueurs qui tiennent Paris comme favorable ou ouvert aux idées des Politiques. Il faut l’assassinat de Brisson pour que la cour commence à relever la tête face aux ligueurs, aux Seize et à Mayenne et qu’elle informe des insultes proférées contre elle. Ce type d’acte est assez rare, ainsi qu’il l’est pour les justiciables en général. Les demandes en réparation d’honneur font assez peu souvent l’objet d’un procès en lui-même et sont fréquemment insérées dans un procès plus large en demande secondaire. La peine la plus lourde qui peut être infligée est la note d’infamie, peine qui n’apparaît pas dans les registres de l’époque. Le plus souvent, celui qui injurie est condamné à une amende pécuniaire, à une amende honorable ou à l’obligation de demander pardon à l’offensé.

Chapitre II
Quelle influence de la ligue et des ligueurs sur les décisions prises ?

Le problème particulier des offices.— Les conflits concernant les offices de judicature naissent à cette période dans un contexte très particulier qui favorise les tensions. Il y a bien sûr le problème ancien de la vénalité des offices, bientôt accompagné de celui des résignations et des survivances. Ces offices étant considérés de plus en plus comme une propriété patrimoniale, il en résulte un malaise social chez ceux qui aspirent à les obtenir. Il y a alors une fermeture progressive des offices les plus importants à ceux qui ne sont pas du même milieu que leurs détenteurs. Par ailleurs, la multiplication des offices boursaux en dévalorise un certain nombre. Les tensions sont à leur comble et la Ligue ne fait que les exploiter. Le Parlement est très sensible à ces sujets et refuse régulièrement d’enregistrer les édits de création d’offices, rappelant sans cesse les promesses d’Henri III, mais sans succès. C’est dans ce contexte tendu que le parlement de Paris est censé juger en toute impartialité les causes relatives aux offices. La tâche, loin d’être aisée en temps de paix, est rendue encore plus complexe par les luttes de partis des guerres de Religion et les conflits de compétence liés à la mort d’Henri III. En effet, sans roi, la question est de savoir qui délivre les lettres de provision d’office et parfois deux hommes ont été pourvus du même office. Les autorités concurrentes sont souvent celle du duc de Mayenne et celle des pouvoirs locaux, parfois même du conseil général de l’Union. Pour le Parlement, les lettres de provision signées par le duc de Mayenne sont les seules qui ont de la valeur et une légitimité. Lieutenant général de l’état et couronne de France, il est en quelque sorte le vice-roi et détenteur de l’autorité royale. Il arrive aussi parfois que toute une communauté d’officiers d’une juridiction refuse la réception d’un officier en son sein. L’opposition est, dans certains cas, tellement forte qu’elle peut s’apparenter à une affirmation farouche d’indépendance locale et d’une volonté de ne pas se laisser contraindre par le pouvoir central et notamment par le Parlement qui, dans ce genre de procès, a déjà reçu le nouvel officier. La période de la Ligue semble plus favorable aux compagnies d’officiers pour agir et protester fermement contre cet abus du pouvoir. Les compagnies d’officiers ont tendance à se replier sur elles-mêmes et à repousser tout élément extérieur. Le passage, volontaire ou contraint, de certaines villes dans le camp royaliste oblige ceux qui refusent le roi de Navarre comme roi de France à se réfugier dans les villes ligueuses. Les officiers locaux sont souvent peu accueillants envers les officiers « forains ». La ville de Beauvais est particulièrement remarquable à ce sujet. Dans d’autres cas, il s’agit pour les compagnies d’officiers de ne pas recevoir en leur sein quelqu’un d’indigne à leurs yeux. Le Parlement réagit très mal à ce genre de manifestations. En refusant d’exécuter un arrêt de la cour, les juridictions inférieures bafouent ouvertement son autorité. Dans le cas particulier de Charles Loyseau, des mesures autoritaires sont prises : les gages des conseillers du bailliage de Sens ne leur seront pas payés tant qu’ils ne l’auront pas reçu. Malgré ces conflits entre juridictions inférieures et souveraine, une certaine solidarité apparaît dès qu’il s’agit d’exécuter l’ordonnance de Blois de 1579 et les édits de suppression. Il n’y a en effet plus d’autorité royale pour faire pression sur les conseillers. Même s’il n’y a pas de suppression généralisée, l’essentiel pour le Parlement est de pouvoir, dès qu’il le peut, réduire le nombre d’officiers inutiles, notamment en s’attaquant aux auxiliaires de justice.

Du parti pris ?— La question du « parti pris » est difficile à trancher parce que les arrêts du Parlement ne sont pas motivés : l’historien doit rester prudent et ne pas surinterpréter les arrêts de la cours. La période de la Ligue oblige souvent à prendre parti. Quand une personne prend fermement parti pour la Sainte Union et rend service à la « cause », parfois au péril de sa vie, elle s’attend logiquement à ce qu’elle en soit récompensée par ceux qui détiennent le pouvoir. Il arrive parfois que la récompense vienne sous la forme d’une procédure judiciaire favorable ou de lettres permettant de passer outre la procédure habituelle, notamment au-dessus d’une instance normale devant le Parlement. Ce dernier est classiquement défiant envers la justice retenue. De fait, dès que ce genre de récompense est accordé, la cour répond en rejetant cette faveur. Quand la rétribution se fait sous la forme d’un don de biens, le Parlement ne semble jamais y accéder d’emblée. En ce qui concerne le jugement des affaires des gens tenant le parti contraire, s’il y a déjà eu une instance présentée au parlement de Tours ou celui de Châlons, tout acte qui y a été fait est considéré comme nul. Mais la cour reste en-deçà des demandes des parties adverses qui réclament dans ce cas la condamnation pour crime de lèse-majesté. Un second principe prévaut au Parlement vis-à-vis des gens tenant le parti contraire : toute audience leur est déniée et il est interdit aux procureurs en parlement de s’occuper de leur cause. Malgré cela, la cour fait preuve d’une certaine prudence pour éviter les abus. Il est en effet facile d’accuser quelqu’un d’être du parti contraire. C’est pour cette raison que le Parlement ne refuse pas d’entendre une partie « accusée », tant que n’a pas été faite la preuve des accusations.

Chapitre III
Les troubles, la misère et la calamité du temps

Une excuse alléguée.— La misère et la calamité du temps ne sont ni propres ni consécutives aux troubles de la Ligue et aux guerres civiles. Ce sont des arguments que l’on trouve très régulièrement dans les plaidoiries des avocats entre 1589 et 1594. Ils permettent d’alléguer l’impossibilité de plaider, le procureur n’ayant pas eu de nouvelles de sa partie, les chemins étant peu sûrs ou encore la partie adverse ayant précipité le jugement de l’affaire. Les troubles ne créent pas uniquement des problèmes aux parties pour se rendre devant le Parlement ou pour continuer à plaider avec tous leurs moyens. Ils mettent aussi bien souvent les justiciables dans des conditions difficiles, notamment les marchands, en raison des ravages des armées et des sièges. Tous ces faits exposés par les parties ont pour but de faire fléchir le Parlement en leur faveur. Les gens de l’époque ne s’y trompent pas et se montrent fréquemment méfiants envers ceux qui utilisent les troubles et la calamité du temps comme excuse, même si parfois certaines parties les prennent en compte. Cette dernière réaction est minoritaire. Une autre attitude que prennent souvent les parties est d’alléguer le même motif. Elles-mêmes ne sont pas épargnées et il n’y a donc aucune raison pour qu’une partie soit plus favorisée qu’une autre. La misère du temps est loin d’attendrir la plupart des plaideurs.

Une situation prise en compte par le Parlement ?— La cour, quant à elle, est traditionnellement attentive à la situation du moment ou aux situations individuelles. Elle a pour ce faire la possibilité de juger en équité et non seulement selon le droit. Dans cette époque particulière, la cour semble innover par rapport à ses habitudes. En effet, les conseillers motivent certains de leurs arrêts et accordent, après l’exposé des malheurs des parties, les demandes qui lui sont faites en raison de la calamité du temps et de l’urgente nécessité. Le Parlement est particulièrement sensible en ce qui concerne la question des dettes et des loyers, en accordant des arrêts de surséance pour leur paiement. Cependant, la cour est loin d’être dupe face à ces allégations. Ses arrêts sont souvent nuancés, ce qu’elle accorde est souvent moindre que ce qui était demandé et ne tire pas à conséquence pour l’avenir. De plus, dès qu’il s’agit d’une demande de congé ou de défaut, interrompant le cours normal de la procédure ou le ralentissant, le Parlement la refuse généralement.


Conclusion

Lorsque Henri IV fait son entrée à Paris, les parlementaires l’accueillent avec joie comme signe de rétablissement prochain de l’ordre. De fait, la réunion des parlements se fait facilement, le parlement de Paris ayant fait en sorte de conserver une normalité malgré tout. En effet, en refusant de remplacer les absents, il a permis leur retour sans conflit, sauf au greffe civil. Faire comme si de rien n’était a été une sorte d’obsession de la part du Parlement dans tous les domaines et tout ce qui pouvait nuire à l’harmonie sociale qu’il était censé préserver a été mis de côté ou a fait l’objet de mesures transitoires.


Pièces justificatives

Édition d’actes tirés des registres du parlement de Paris regroupés en dossiers suivant les thèmes abordés dans cette thèse : les cadres du jugement, les affaires matrimoniales et les offices de judicature. Dans la mesure du possible, tous les actes d’un même procès ont été édités.


Annexes

Glossaire de termes juridiques. — Schéma simplifié de la procédure civile au parlement de Paris au xvi e siècle.