Cartographier la Louisiane française au xviiie siècle
Introduction
La cartographie de la Louisiane française, déjà partiellement étudiée dans les historiographies française, canadienne et américaine, est abordée au travers d’un fonds encore largement inexploité, déposé en partie à la Bibliothèque nationale de France, celui du Service hydrographique de la Marine. Il s’agit de l’ancien Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine, qui a géré une bonne partie de la production cartographique, et pas seulement hydrographique, des colonies françaises au xviii e siècle.
Définition du sujet : une remise en contexte de la carte. — Le choix d’un fonds de cartes comme point de départ de l’étude, avec un découpage selon des critères géographiques, permet une approche intéressante et renouvelée, à la fois politique et scientifique, de l’activité cartographique française dans un espace donné au xviii e siècle, à une période clé où les transformations des techniques et des pratiques s’accélèrent et où la science cartographique évolue de manière décisive.
L’histoire de la Louisiane française, oubliée par l’historiographie ?— Cette approche générale s’inscrit dans un contexte précis : celui de la Louisiane, dernière colonie française créée avant la Révolution et perdue rapidement dans les faits. L’intérêt de se concentrer sur cette colonie découle de la relative négligence dont elle a fait l’objet dans l’historiographie jusqu’à une date récente, mais aussi de la différence de traitement qu’il peut exister entre les approches des différentes nations concernées par cette aire coloniale : américaine, canadienne, espagnole aussi. On constate cependant, depuis quelques années, un renouveau de l’intérêt de la recherche pour les régions coloniales françaises en Amérique du Nord.
Le dynamisme actuel de l’historiographie des nations amérindiennes.— Parmi les thèmes privilégiés abordés par l’historiographie sur la Louisiane, la question amérindienne, liée de manière étroite à la cartographie notamment par le biais de l’occupation de l’espace et de sa caractérisation sur les cartes à travers la toponymie, occupe une place de choix, même si elle n’échappe pas à la déformation des conceptions actuelles. Le succès de l’anthropologie historique et les travaux pour dresser une carte toponymique de l’Amérique du Nord ont aussi encouragé ce mouvement.
Les autres tendances de l’historiographie.— Néanmoins, les tendances de la recherche sont plutôt axées aujourd’hui sur la langue, les interpénétrations entre les communautés, le métissage, questions mises en perspective dans l’espace intérieur de la colonie et dans son environnement extérieur, avec les influences des aires coloniales et commerciales voisines. L’appréhension de la pratique cartographique est toutefois plus traditionnelle, axée sur les grandes figures qui ont marqué l’histoire scientifique et politique de la Louisiane et sur les travaux d’aménagement (fortifications, villes). L’étude de la cartographie de la Louisiane est elle aussi plus dynamique aux États-Unis et au Canada qu’en France, même si on observe depuis quelques années un regain d’intérêt de la part des milieux scientifiques et militaires français.
Notions et problématiques abordées dans cette étude.— L’étude se propose, en se concentrant sur les cartes, leurs composantes, les différents niveaux d’analyse, de mieux faire le lien entre elles, les archives et les hommes, pour véritablement remettre les cartes en contexte et comprendre les différentes forces et influences qui déterminent leur création, leur circulation, leur conservation. L’angle adopté est avant tout politique, puisque le corpus de base de l’étude émane d’un organe du département royal de la Marine et des Colonies, le Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine. Il va de soi que la constitution d’un tel fonds trahit la vision de la politique coloniale qu’ont les dirigeants français, mais aussi ceux de Louisiane. Ce que les cartes révèlent des relations entre les différents organes de pouvoir, y compris les ingénieurs, est également traité. L’intérêt d’aborder un corpus géographique est la transversalité de l’approche qui permet de saisir des évolutions sur une période suffisamment large et d’appréhender les influences réciproques entre cartes et colonisation progressive d’un territoire par les pouvoirs officiels.
L’autre pan de l’étude privilégie une approche du support en tant que tel, la carte, ici essentiellement manuscrite. Les aspects les plus techniques, les couleurs obéissent à des codes et des pratiques qui peuvent également avoir des implications et des significations particulières, au niveau politique ou scientifique. La notion de carte est elle-même remise en question, dans sa nature, mais aussi son statut, et notamment sa valeur juridique.
Est donc privilégiée ici une approche politique du processus d’implantation coloniale et sa matérialisation dans tous les aspects de la production et de la vie des cartes, replacées dans leur contexte politique, scientifique et humain.
Sources
Les sources sont principalement de deux natures, écrites et cartographiques. Les unes et les autres sont très éclatées et réparties dans les différents établissements français qui conservent des archives anciennes des colonies.
C’est l’approche de la source cartographique qui est au centre de l’étude. Le noyau de ce corpus sont les portefeuilles 138 et 138bis (« Louisiane et côtes de la Floride ») de la collection du Service hydrographique, conservés à la Bibliothèque nationale de France. Les cartes issues du Service hydrographique sont actuellement réparties dans plusieurs institutions ; ainsi des cartes hydrographiques de la Louisiane se trouvent aussi en nombre important dans les recueils de la Bibliothèque de la Marine à Vincennes, complétant celles de la Bibliothèque nationale. Les Archives nationales (centre historique de Paris et centre des archives d’Outre-Mer) en conservent également quelques-unes, de même que le Service historique de la Défense nationale, les archives du ministère des Affaires Etrangères ou l’Institut de France.
Les archives sont tout aussi éclatées : les sources principales utilisées ici se trouvent dans les correspondances des archives de la Marine, conservées au Centre historique des Archives nationales, et des Colonies, au Centre des Archives d’Outre-Mer.
Devant leur ampleur, les sources ont été volontairement restreintes ; un travail préliminaire d’identification et d’indexation, notamment pour les cartes, a été nécessaire, avant leur traitement pour la rédaction d’une synthèse.
Première partieDélimiter le corpus
Chapitre premierDélimiter la Louisiane française
La délimitation du corpus demande la compréhension de l’espace étudié. Or la notion de Louisiane pose problème. Fruit d’une volonté politique plus que d’une logique géographique, prise dans les feux de l’ambition coloniale des grandes nations européennes en Amérique du Nord, forte de sa position stratégique, de son ouverture sur l’ouest à explorer et conquérir, la Louisiane semble avoir du mal à se trouver une identité, une unité lors de la présence française, concentrée essentiellement sur les côtes entre le Mississipi et la Floride.
La création de la Louisiane. — On considère que la Louisiane a été « découverte » à la fin du xvii e siècle par Cavelier de La Salle. Son exploration, de même que sa colonisation, s’est faite par le Mississipi. Les terres couvertes par ce territoire revendiqué par les Français, les Espagnols et les Anglais, n’étaient pas complètement ignorées à la fin du xvii e siècle et partiellement explorées par des expéditions espagnoles à partir du xvi e siècle. Peu de cartes et mémoires, cependant, sont parvenus jusqu’aux contemporains de Cavelier de La Salle. Si bien que la vision de la Louisiane avant son exploration, relayée par plusieurs cartes espagnoles et hollandaises, était dès le départ déformée. Le besoin d’informations géographiques se fait sentir pour repérer de nouveaux territoires où développer le commerce des fourrures, pour déterminer où installer des défenses contre les menaces anglaises et espagnoles plus ou moins importantes. Jolliet et Marquette, puis Cavelier de La Salle, vont contribuer à corriger, préciser la représentation cartographique de la Louisiane, ouvrant directement la voie à son exploration par d’Iberville et ses hommes, et à sa colonisation.
Une définition difficile d’un espace mal défini. — La Louisiane est une colonie qui a longtemps eu des difficultés à justifier son existence pour elle-même, car dès le départ cette existence tient plus à une volonté politique qu’à une occupation réelle. Le nom même de la colonie n’a pas toujours été « Louisiane » ; ses frontières sont sujettes à discussions, tout au long de la période, puisqu’on est incapable de les fixer avec précision, en partie par manque d’informations. Une autre raison est que bien souvent la Louisiane n’est pas définie pour elle-même, mais par ce qui l’entoure, par défaut. Elle entre en concurrence tour à tour avec les Espagnols, à l’ouest, et les Anglais, au nord-est ; elle complète l’espace colonial français en Amérique du Nord, prolongement du Canada et base pour les Antilles. Elle occupe donc l’espace que les autres colonies n’occupent pas. Reste que cet espace est sans cesse en extension, demeure en grande partie inconnu et présente ainsi un potentiel qui attire les convoitises. Les contours de la Louisiane sont donc mouvants et l’occupation des colons français si faible numériquement, malgré les points stratégiques que représentent les forts, qu’ils ne peuvent être précisés dans les faits. La Louisiane s’est donc formée progressivement, au fil des explorations et des installations humaines.
Un territoire sans cesse réinventé. — La Louisiane est avant même sa création un objet de fantasmes et de projections et le reste durant une bonne partie de son histoire et de son occupation. Consciemment ou non, en est présentée une image déformée, par les écrits et les récits notamment, et non uniquement sur les cartes.
Chapitre IIDéfinir le corpus des cartes de la Louisiane française :
une approche critique et archivistique des sources
cartographiques
La carte possède plusieurs niveaux de compréhension, étant déjà par nature une représentation de la réalité et son impact historique et politique n’est compréhensible que si on a une bonne connaissance des limites du corpus étudié, de son contour, de ses caractéristiques : l’étude de cartes s’arrête trop souvent à un ou deux exemples isolés et manque du recul que peut apporter un ensemble produit sur un territoire homogène.
Des sources cartographiques éclatées et hétérogènes.— La caractéristique principale des sources cartographiques est leur diversité et leur morcellement dans les fonds français, à cause des démembrements et des enrichissements successifs des collections du xviii e siècle à nos jours, comme de la nature du support, qui, jusqu’à une date très récente, n’a pas été reconnu et conservé en tant que tel au niveau archivistique. Les cartes du Service hydrographique, le noyau de la collection, sont réparties entre trois établissements principaux : la Bibliothèque nationale de France, la Bibliothèque de la Marine à Vincennes et les Archives nationales. Les archives sont un complément indissociable aux cartes, puisque ces dernières accompagnent bien souvent des mémoires ou des lettres, les uns éclairant le sens des autres.
Les cartes issues du Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine : corpus et répartition dans les différents fonds.— Les cartes du Service hydrographique ne regroupent pas l’ensemble de la production cartographique concernant la Louisiane, même si on y trouve des cartes topographiques d’origines très diverses, dues aux versements successifs qui y ont été faits. Il importe donc de saisir comment les instances administratives ont constitué cette collection au service de la politique coloniale et de l’implantation territoriale de la France. Malheureusement la dispersion du fonds entre plusieurs institutions de conservation selon des critères dont la logique échappe souvent rend ce travail particulièrement complexe : il est ainsi difficile de distinguer ce qui constituait le fonds du Service hydrographique dès le xviii e siècle des ajouts ultérieurs.
Reconstituer le corpus : indices archivistiques et éléments d’identification.— La reconstitution du fonds d’origine implique tout d’abord l’utilisation des anciens inventaires, conservés dans les papiers du dépôt aux Archives nationales : on peut ainsi retrouver les cartes mentionnées dans les inventaires grâce aux anciennes cotes et autres mentions écrites qui y sont portées. Par ailleurs, les cartes elles-même livrent des indices importants, notamment les estampilles, qui permettent de se faire une idée un peu plus précise du parcours de chaque carte et de reconstituer ainsi des ensembles insoupçonnés à première vue, puisque quelques cartes se trouvent aujourd’hui dans un fonds qui ne correspond pas à leur estampille d’origine.
Les caractéristiques des portefeuilles 138 et 138bis : approche chiffrée et typologique.— Cette partie livre la description et la répartition des pièces et des divisions au sein du corpus. Les cartes sont essentiellement manuscrites, les cartes gravées étant surtout des pièces produites par le Dépôt des cartes, plans et journaux lui-même. Le classement typologique des cartes est assez difficile, étant donné la complexité et la multiplicité des niveaux de compréhension et d’interprétation d’un objet cartographique. Les fonds recèlent également quelques cartes espagnoles et anglaises, ces dernières plutôt issues d’achats effectués par le Dépôt à la fin du xviii e siècle. Enfin on a distingué cartes de cabinet, qui sont des travaux de copie ou de synthèse, et cartes faites sur le terrain.
Deuxième partieDresser les cartes de la Louisiane française
Chapitre premierLes étapes de la fabrication de la carte manuscrite : conventions et originalités
Les cartes de la Louisiane française dans le contexte de la production cartographique française et coloniale au xviiie siècle.— Le corpus, même s’il est forgé par les particularités de l’espace colonial représenté qu’est la Louisiane, s’inscrit dans le contexte général de la production cartographique française au xviii e siècle. Les cartes, de qualité extrêmement variable, montrent que les progrès scientifiques constatés dès la fin du xvii e siècle ne s’imposent que peu à peu au siècle suivant, et que les techniques utilisées pour les mesures et la confection de la plupart des cartes sont parmi les plus simples, répandues, sans être les plus précises, bien souvent. La Louisiane, néanmoins, n’est pas ignorée des savants et des avancées scientifiques, puisqu’elle est l’objet de quelques missions commandées par l’Académie des Sciences. La recherche de l’exactitude scientifique et des mesures et l’excellence de la France dans ce domaine, qui rejaillissent sur la Louisiane dans certains cas, peuvent devenir un enjeu stratégique majeur.
Avec un corpus représentatif, se dégagent des tendances, des schémas, des symboles et des signes, qui permettent d’avoir une vision globale des composantes de la carte au xviii e siècle. Cette confection, cependant, est conditionnée par les conditions de vie et de travail si particulières à la Louisiane, marquées par un faible niveau de ressources et par un climat meurtrier pour les Européens. Si on ajoute le manque de matériel et de personnel qualifié, qui vont de pair avec les faibles moyens de la colonie, on peut comprendre que le niveau et le nombre de cartes produites ne soient, d’une manière générale, pas très élevé, même si des travaux de qualité ne manquent pas.
Les éléments constitutifs de la carte. — Une carte est le résultat d’une succession d’opérations, pas toujours effectuées par les mêmes personnes. Elle est composée de tracés, résultats de mesures scientifiques ; de mentions écrites, les informations d’ordre bibliographique et juridique qui y sont directement reportées, les toponymes ; de couleurs et de décorations de type ornemental, qui ont longtemps valu aux cartes d’être classées dans les bibliothèques avec les estampes, comme un sous-genre. Si la carte manuscrite est intrinsèquement unique, l’étude du corpus permet de repérer des copies, ou différents états, plus ou moins aboutis, d’une même carte. Le travail d’identification est facilité par les langues employées, par la présence éventuelle d’armoiries ou de dédicaces – du fait de leur précision et de l’admiration qu’elles suscitent, les cartes sont des objets de prestige dont la propriété ou la transmission ont une portée politique et sociale. La décoration n’échappe pas à ce qui est parfois appelé un « art maritime ».
Chapitre IIÉtude toponymique des premières cartes de l’installation française en Louisiane (1698-1702)
Les toponymes présents sur les cartes de la Louisiane sont un des principaux indices de l’appropriation progressive du territoire colonisé par les Français. Outre les rapports de force et les modalités d’occupation du territoire qu’elle traduit de la part des différentes communautés présentes (Français, Espagnols, Amérindiens, Anglais), la toponymie est un moyen d’affirmer une suprématie sur un espace, de se familiariser également avec lui, en recréant des repères déjà familiers.
La colonisation par les noms : toponymie et appropriation du territoire louisianais au début du xviiie siècle.— Le mécanisme consistant à attribuer des noms à un territoire encore inconnu, inexploré, est une des bases de la colonisation par les Français d’un espace auparavant exploré par les Espagnols. C’est ainsi que les premières cartes, qui servent à l’exploration de la Louisiane, désignent essentiellement les lieux rencontrés par des toponymes espagnols, qui peu à peu sont francisés ou sont remplacés par de nouveaux noms français.
Le processus d’application de nouveaux toponymes et leur fixation.— Le recensement des toponymes anciens et de leur tradition a été grandement facilité par les travaux actuels de commissions étasuniennes et canadiennes chargées d’élaborer la carte des toponymes de leur pays respectif. Les premiers toponymes attribués par les Français se retrouvent sur les cartes, mais aussi dans quelques récits des premières expéditions de d’Iberville, entre 1698 et 1702 ; la relation faite par Pénicaut par exemple, témoin de l’installation française durant les vingt premières années de l’existence de la Louisiane, est riche en explications sur les noms donnés aux lieux, souvent reliés à des anecdotes hautes en couleur. Si des toponymes tombent rapidement en désuétude, une bonne part se distingue par leur remarquable stabilité. On retrouve plusieurs sources d’inspiration pour attribuer un nom à un lieu : le nom d’un explorateur ou d’un habitant ; le jour du calendrier où il a été découvert ; une description (faune, flore, paysage, ressource, objet) ; les habitations prennent souvent le nom de la communauté amérindienne voisine ou de la rivière sur laquelle elle se trouve. Les toponymes formés par des noms de personnes sont souvent peu stables : donnés au tout début d’une installation, ils sont remplacés par des éléments de description plus commodes ou par des noms pris avec l’usage. La continuité des toponymes français résiste également aux changements de régime et de langues. Ainsi, les cartes sont-elles de bons indicateurs du niveau d’implantation d’une colonie sur un territoire.
Troisième partieCartes et implantation coloniale en Louisiane française (1698-1722)
Chapitre premierLes premières cartes de la Louisiane française, découverte et installation (1698-1702)
Les expéditions de Pierre Lemoyne d’Iberville et la première installation dans la colonie (1698-1702).— Les années 1698-1702 marquent une transition entre la cartographie espagnole et des expéditions de La Salle du xvii e siècle et les cartes du xviii e siècle. En raison du contexte très chaotique de la colonie dans ses premières années, les cartes issues des découvertes de d’Iberville restent pendant longtemps des références et occupent une bonne place dans la pratique cartographique sur la région.
Les cartes et les informations géographiques rassemblées.— Il s’agissait ici de déterminer les sources cartographiques des expéditions de Pierre Lemoyne d’Iberville, de voir leur rôle et leur utilité, puis leurs transformations à l’aide des nouvelles informations géographiques rassemblées au cours de ces voyages. Les Français se sont servi des cartes, mais aussi de cartographes ou d’officiers espagnols qu’ils ont interrogés ; on voit également dans les archives l’analyse de la correspondance anglaise, ainsi que l’utilisation de l’expérience des Canadiens et des Français, notamment dans leurs relations avec les nations amérindiennes.
Les cartes des portefeuilles 138 et 138bis de 1699 à 1715.— Elles sont en nombre non négligeable. La confrontation avec les anciens inventaires et les archives permet d’en retrouver le contexte et la signification. On constate en outre la présence de ces cartes et une activité de copie dans le Dépôt de la Marine dès le début du xviii e siècle. Cette dernière se remarque surtout, sur les différentes cartes, dans le tracé des côtes, pour lesquelles on ne disposait que de quelques points de référence aux débuts de la Louisiane.
Chapitre IIL’impulsion donnée à l’entreprise de colonisation au début du règne de Louis XV :
cartes, projets, aménagements
(1716-1722)
L’île Dauphine et la reprise en main du Conseil de Marine : premières manifestations de l’intérêt accru pour la Louisiane (1716-1717).— Au début du règne de Louis XV, l’intérêt renouvelé pour la colonie de la part du Conseil de la Marine entraîne des changements dans la gestion de la colonie, qui se traduisent par la création des compagnies de commerce de Law, mais aussi par une production importante de cartes. Il s’agit alors de mieux connaître le territoire, pour l’aménager, l’exploiter, l’étendre.
Les cartes dans la campagne de publicité et de mise en valeur pour la Compagnie d’Occident (1718-1719).— Les cartes montrent en ces années le rôle qu’elles peuvent jouer comme relais pour faire valoir la colonie en devenir. Ainsi s’explique probablement la recrudescence contemporaine des cartes gravées représentant la Louisiane.
Reconnaissance des côtes et tentatives d’installation (1717-1720).— L’engorgement du port de l’île Dauphine, en 1717, qu’on espérait devenir le port central de la colonie, relance la navigation pour trouver un nouveau port. Les dirigeants de la colonie en profitent pour essayer d’étendre l’aire d’influence française, en envoyant ingénieurs et officiers tenter des installations à la Baie Saint-Bernard, à l’ouest du Mississipi, ou Saint-Joseph, à l’est. Mais ils doivent vite renoncer. Avant même l’arrivée des ingénieurs du roi, les connaissances géographiques de la Louisiane se précisent, s’affinent.
Le conflit franco-espagnol et son impact sur la production de cartes en Louisiane.— La production cartographique s’inscrit également dans un contexte de concurrence avec les Anglais et surtout avec les Espagnols, qui culmine en 1719. Les cartes sont les témoins privilégiés des opérations brèves qui ont eu lieu entre l’île Dauphine et Pensacola.
Synthèse : cartes, hommes et pouvoir en Louisiane française au xviiie siècle. — La période 1716-1722 a donc montré beaucoup des implications et des fonctions des cartes dans le développement et la conduite de la colonie. Elle est en cela exemplaire de l’ensemble de la période, où l’on remarque une adéquation importante entre la production cartographique et les hauts et les bas de la politique louisianaise.
Quatrième partieHommes et institutions.
Les cartes au centre des dynamiques individuelles et de groupe
Chapitre premierApproche typologique et dynamique :
l’hétérogénéité des cartographes à l’image de leur production et leurs
conditions de travail
La qualité d’une carte, le choix des éléments représentés, la reprise éventuelle d’autres cartes dépendent des connaissances du cartographe, de son apprentissage, de son expérience, des relations qu’il entretient avec les milieux politiques et scientifiques, de ses convictions ou de ses objectifs.
Les différents types de cartographes.— Les personnes amenées à dresser des cartes dans une colonie comme la Louisiane sont d’origine et de métier assez divers. On trouve des pilotes, des officiers, des arpenteurs, des scientifiques envoyés en mission en Louisiane, des missionnaires et des hommes d’Église. De ce fait, les cartographes de cabinet interviennent de façon plus indirecte et synthétique.
Les cartographes au service des institutions de commandement.— La confection des cartes n’est pas qu’une initiative personnelle du cartographe, elle est aussi grandement conditionnée par les besoins des institutions de commandement, sur place et dans les bureaux centraux. La Louisiane reste peu de temps au centre des préoccupations de la Marine. Les cartes passent entre plusieurs mains, avant d’être conservées au dépôt, et peuvent devenir un moyen pour certains de faire carrière. Les relations qu’entretiennent les représentants de la Compagnie ou de la couronne, en Louisiane, avec les ingénieurs sont quant à elles parfois houleuses : les cartes se trouvent alors au centre de conflits d’intérêts ou d’influences autour de la recherche d’une nouvelle capitale ou du recensement des concessions, par exemple.
Chapitre IILe Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine et les cartes de la Louisiane française
Le fonds qui conserve la plupart des cartes de la Louisiane française et une bonne part des cartes des colonies françaises de cette période s’avère, à l’examen des archives, tenir une place de plus en plus importante dans le système mis en place par le pouvoir central au xviii e siècle.
Rappel historique : un fonds marqué par de multiples versements et démembrements.— Retracer rapidement l’historique du Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine montre à quel point ce fonds a été manipulé, enrichi, transformé au cours des deux siècles de son existence. Retrouver son aspect du xviii e siècle était donc d’autant plus important pour comprendre le travail qui y était effectué et son rôle dans la production et la conduite des affaires coloniales.
Un rôle de conservation et de compilation.— L’activité du Dépôt, avec sa structure à la fois scientifique et politique, ne se borne dans les premières années qu’à la copie, à la compilation et à la conservation des cartes hydrographiques. Les collections, constituées à partir des papiers de la Marine, sont enrichies par collecte, dons, legs, commandes aussi ; elles sont conservées, classées, inventoriées au couvent des Petits-Pères, place des Victoires, dans un premier temps. Pour la compilation des journaux de bord, on fait souvent appel à des pilotes, régulièrement renouvelés.
Production et redistribution des cartes.— Ainsi traitées, les cartes sont rendues plus aptes au service et au travail effectué au dépôt même. Le dépôt, peu à peu, s’impose comme le premier producteur de cartes hydrographiques du royaume et veut devenir la référence, en France et ailleurs, pour la navigation et la géographie, dans le contexte des Lumières et des travaux de l’Académie des Sciences. C’est ainsi que le Dépôt des cartes entreprend de grandes publications de cartes, comme le Neptune françois ou le Neptune américo-septentrional.
Conclusion
La production cartographique de la Louisiane française au xviii e siècle s’inscrit naturellement dans son contexte politique, stratégique, économique et commercial. Elle reflète avec beaucoup de justesse les attentes des colons et des hommes de pouvoir, comme la formation d’un territoire en fonction de la conception qu’on en a et des activités auxquelles on le destine.
Le corpus des cartes de la Louisiane rassemble également toutes les caractéristiques d’un fonds de cartes coloniales au xviii e siècle et, à travers lui, se dessine l’évolution des techniques, de la fonction et de l’usage des cartes, ainsi que le développement d’une institution qui prend de plus en plus de place dans le monde de la marine tout au long du xviii e siècle : le Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine.
Pièces justificatives
Des extraits d’inventaires, des documents d’archive complètent ou élargissent le propos abordé dans le texte, en suivant la structure de ce dernier. Ont surtout été édités des extraits des papiers du Dépôt des cartes, plans et journaux de la Marine (1JJ 1, 1JJ 2), encore peu exploités et extrêmement riches sur l’histoire de la cartographie au xviii e siècle.
Annexes
Catalogue de cartes : sont décrites ici les cartes du corpus étudié, et indiquées des cartes d’autres fonds qui les complètent ; des planches illustrent le catalogue. — Notices biographiques sur des acteurs importants pour la cartographie et l’administration de la Louisiane et du Dépôt, accompagnées d’indications bibliographiques et de renvois. — Index des noms de personnes.