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École des chartes » thèses » 2008

« Tam Parisius quam alibi »

Unité et pluralité de la chancellerie royale au temps de Charles VII (1418-1461)


Introduction

La chancellerie royale a été très étudiée pour le xiv e siècle, par Octave Morel et Robert-Henri Bautier, et pour le xvi e siècle, par Hélène Michaud. Ces travaux laissent entrevoir un vide concernant la chancellerie royale au temps de Charles VII, même si elle est éclairée par des recherches portant sur l’histoire des petites chancelleries créées à l’époque moderne ou sur les chancelleries royales étrangères et les chancelleries princières. Or il existe depuis une vingtaine d’années une véritable émulation autour du thème des chancelleries en Europe, que l’on étudie sous des aspects extrêmement variés, dans des perspectives comparatistes et diplomatiques, ou d’histoire sociale et intellectuelle. L’objectif de cette étude est de poser les jalons d’une histoire institutionnelle des démembrements de la chancellerie entre 1418 et 1461, dans le cadre d’un royaume tour à tour divisé, en guerre, reconquis et pacifié, mais surtout de comparer l’organisation et l’activité de la chancellerie de la Cour, ou grande chancellerie, et celle du Palais, ou petite chancellerie, établie auprès du Parlement.


Sources

Pour mener à bien ce projet, il ne s’agit pas de retrouver tout ce qui a subsisté de la production de la chancellerie, évaluée au cours du xv e siècle à plusieurs dizaines de milliers d’actes par an dont il ne reste bien souvent que des épaves très dispersées, mais de repérer, dans la masse documentaire, des archives dont le nombre et la teneur permettent d’alimenter la comparaison. C’est pourquoi les dix-sept registres du Trésor des chartes conservés aux Archives nationales, contenant 5 241 lettres royaux traduisant une décision d’effet perpétuel, émis tant par la chancellerie de la Cour que par celle du Palais pour la période 1441-1461, constituent la source principale de ce travail. àl’issue du dépouillement, un corpus de 2 914 actes a alimenté une base de données informatisée permettant de multiplier les tris et les analyses croisées selon un ou plusieurs critères. Pour approfondir les comparaisons, les formulaires de chancellerie et les comptes de l’audience du sceau, conservés au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, se sont révélés indispensables. Au-delà, les traités de l’époque moderne consacrés à la chancellerie et aux chanceliers, les éditions et inventaires d’actes, les chroniques et les registres des parlements ont apporté leur pierre à l’édifice.


Première partie
La chancellerie royale de 1418 à 1461


Chapitre premier
Une chancellerie, des chancelleries, de l’expérimentation à l’institutionnalisation (1418-1436)

Les précédents. – Jusqu’au début du xiv e siècle le principe de l’unité de la chancellerie royale est intact, à de très rares exceptions près ; mais avec la fixation à Paris des grands organes administratifs de la royauté, se pose le problème de l’expédition des affaires courantes en l’absence du chancelier, qui se sépare le moins possible du grand sceau. Deux principes apparaissent alors : soit le chancelier, à son départ, confie le sceau à la garde de deux préposés et la chancellerie se fixe à Paris en son absence, soit il s’en va avec le sceau et les administrations parisiennes ont alors recours à un sceau de substitution. Ces précédents, ainsi que l’épisode du contre-gouvernement installé à Troyes par Isabeau de Bavière, inspirent le dauphin Charles lorsqu’il se trouve en situation de devoir à son tour organiser un contre-gouvernement dans le royaume de Bourges, après la prise de Paris par la faction bourguignonne en mai et juin 1418.

1418-1422 : le « Schisme royal » et ses conséquences sur la chancellerie. – Le 21 septembre 1418, par l’ordonnance de Niort, le dauphin installe à Poitiers un parlement et, le même jour, donne pouvoir à certains officiers du Parlement de tenir la chancellerie à Poitiers en l’absence du chancelier, pour que le fonctionnement de la cour ne souffre pas des déplacements à répétition de ce dernier. En pratique, la chancellerie se met en place très rapidement. Son personnel se compose d’anciens officiers de la chancellerie de Charles VI, écartés de leurs anciens offices de notaires et secrétaires par les Anglo-bourguignons. Entre 1420 et 1422, le dauphin est d’abord lieutenant général du royaume avant de s’autoproclamer régent mais sa situation, du vivant de Charles VI, demeure ambiguë et sa légitimité contestée : le chancelier Robert le Maçon n’est ainsi jamais considéré comme un chancelier de France, mais comme le simple chancelier du dauphin, et tous les officiers se déclarent serviteurs de Charles VI. La situation est plus nette en 1422, à partir de la mort de Charles VI, Charles VII devenant, pour les officiers qui l’ont suivi, le seul roi légitime. Un nouveau démembrement de la chancellerie intervient provisoirement au profit du parlement de Toulouse, entre 1420 et 1428, date à laquelle il est réuni au parlement de Poitiers : quelques rares indices de l’activité de cette petite chancellerie permettent de prouver son existence. La situation se stabilise définitivement sous le cancellariat de Regnault de Chartres, après 1428.

Chapitre II
Une chancellerie, des chancelleries, un modèle bien rodé

1436 : les suites du retour du roi et des cours souveraines à Paris. – àpartir du 20 novembre 1437, quand Charles VII entre triomphalement à Paris, rien ne s’oppose à ce que les institutions un temps délocalisées à Poitiers et à Bourges retournent dans la capitale. En attendant l’accomplissement du transfert du Parlement, une commission intérimaire formée de conseillers poitevins et parisiens fonctionne, avec auprès d’elle une petite chancellerie dotée d’un nouveau sceau. Le rétablissement d’un seul et unique parlement à Paris implique aussi une fusion des personnels des chancelleries de Poitiers et d’Henri VI. Un esprit d’apaisement et de compromis préside à cette opération : les notaires et secrétaires travaillant pour Charles VII avant 1436 sont maintenus et partagent leurs offices avec ceux qui travaillaient déjà pour Charles VI avant 1418 et qui ont servi les Anglo-bourguignons mais se sont ralliés à Charles VII en 1436. Les autres s’enfuient avec les Anglais à Rouen puis en Angleterre, ou sont définitivement écartés de la chancellerie. Alors que les registres du parlement de Poitiers sont intégrés à la série des registres du parlement de Paris, il ne reste aucune trace de registres de la chancellerie ayant fonctionné dans le royaume de Bourges. Les recettes de la petite chancellerie à Paris sont mentionnées dans le compte de l’audience du 14 mai 1440 au 31 mai 1441, ses dépenses en cire y sont distinguées de celles de la chancellerie de la Cour et deux séries de registres coexistent de façon certaine à partir de 1441. Les recettes des deux chancelleries ne sont clairement distinguées qu’à partir de 1443. Une preuve du bon fonctionnement de ce modèle est sa diffusion, à commencer par la mise en place d’une chancellerie annexée au parlement de Toulouse dès sa création le 11 octobre 1443. Même si les ordonnances qui créent le parlement ne la mentionnent pas, elle est placée sous l’autorité de l’archevêque de Toulouse et figure dans les comptes de l’audience du sceau dès le mois de juin 1444. La chancellerie royale est donc fragmentée de fait.

Le modèle des petites chancelleries. – Les chancelleries princières sont réputées être les relais, les miroirs ou les compétiteurs de la chancellerie royale française. L’examen du fonctionnement des chancelleries de Bourgogne, Flandre et Brabant montre que si une part d’imitation existe, cette similitude d’organisation a des limites : les chancelleries princières n’atteignent pas la complexité ni les effectifs de la chancellerie royale, et les adaptations locales sont constantes. De même, si l’on peut tout à fait voir dans le modèle anglais des deputed chanceries une source d’inspiration, la comparaison butte rapidement sur des différences essentielles : le royaume de France reste très attaché à l’idée de l’unité de la chancellerie royale et ne pousse jamais aussi loin que l’Angleterre le principe du démembrement de la chancellerie, accompagné Outre-Manche d’une spécialisation et de duplications du grand sceau. Un tour d’horizon des chancelleries en France à l’époque moderne montre l’impact des décisions prises au temps de Charles VII, concernant l’adoption du système des petites chancelleries et leur maintien dans l’orbite de la grande chancellerie, sous l’autorité du chancelier.

Chapitre III
Le chancelier

De la désignation à la rémunération. – Héritiers d’une tradition séculaire, ceux qui se succèdent à la tête de la chancellerie royale sous Charles VII exercent une charge dont les caractères sont codifiés de longue date. Il leur faut néanmoins s’adapter aux circonstances de leur nomination et d’exercice de leur office. Les chanceliers doivent leur nomination plus à leur fidélité qu’à leur origine sociale et ne sont en aucun cas inamovibles, comme le montre le remplacement de Martin Gouge par Regnault de Chartres, annulé ensuite à la prière du connétable de Richemont. Après la nomination le 16 juin 1445 de Guillaume Jouvenel des Ursins, son frère Jean, alors évêque de Laon, lui adresse une épître sur « ce que c’est que d’estre chancellier ». Ainsi selon lui, le chancelier est réputé avoir un droit de nomination au premier office vacant de notaire et secrétaire, droit qui, dans la pratique, est fortement contesté, comme le montrent les procès à ce sujet devant le Parlement. Il est également intéressant de comparer la théorie de la rémunération des chanceliers évoquée par Jean Jouvenel avec la pratique, connue par les comptes de l’audience du sceau, du moins en ce qui concerne Regnault de Chartres et Guillaume Jouvenel des Ursins. Leur rémunération présente des caractéristiques communes connues de Jean Jouvenel, mais sont largement soumises aux circonstances, c’est-à-dire aux montants des revenus fiscaux et de l’émolument du sceau, liés au contexte général de guerre ou de paix.

Parcours de chanceliers au temps de Charles VII. – Sont présentés les parcours des chanceliers exerçant leur charge entre 1418 et 1461, tant auprès de Charles VI puis du roi anglais à Paris que de Charles VII, vers qui se succèdent des hommes d’une fidélité à toute épreuve qui participent au redressement du royaume tout en affirmant de plus en plus l’importance de la charge de chancelier autant que leur position sociale. Le rôle primordial de Robert de Rouvres, parfois qualifié de « vice-chancelier » car il tient le sceau ordonné en l’absence du chancelier des années 1430 à sa mort en 1453, est analysé en détail.


Deuxième partie
De la minute au sceau : l’élaboration des actes en chancellerie


Chapitre premier
La rédaction des actes

Souplesse et rigidité des formules. – C’est la première fois que les modalités d’écriture des différentes catégories d’actes royaux contenues dans les registres de la chancellerie, et bien connues par ailleurs, sont envisagées sous l’angle de la « double » chancellerie. Les formules sont également comparées à celles du recueil d’Odart Morchesne, notaire et secrétaire auteur d’une compilation de modèles d’actes achevée au plus tard vers 1427. L’étude des créations de foires et marchés permet de décortiquer les rouages administratifs qui vont de la requête à l’octroi des lettres définitives, tout en montrant que les formules utilisées, bien qu’imprégnées des formules traditionnelles véhiculées par le recueil, présentent des différences, liées entre autres au commandement de l’acte — le conseil à Paris emploie un formulaire très sec. Le recueil d’Odart Morchesne fonctionne également pour les amortissements comme un formulaire-réservoir, qui autorise les micro-variations de vocabulaire dans ces lettres, rédigées presque exclusivement par deux notaires et secrétaires. Les lettres d’anoblissement et de légitimation emploient concurremment deux formules que les rédacteurs mélangent, enflent ou abrègent.

La langue des actes. – La domination du français dans ce domaine n’est qu’une fausse apparence, comme l’a montré Serge Lusignan : le choix de la langue des actes dépend en réalité de trois critères principaux, le type d’acte, la localisation géographique (pays de droit écrit ou coutumier) et la catégorie sociale du requérant. Les requêtes n’ayant pas été conservées, il est impossible de mesurer l’influence de la langue utilisée sur la rédaction définitive. La langue d’Oc est maîtrisée par le personnel de la chancellerie qui l’emploie dans certains passages et actes vidimés.

La date des actes. – Il est difficile de faire la part des actes datés du commandement et de ceux datés du scellage — pour lesquels la date est ajoutée après coup — mais il semblerait qu’il n’y ait pas d’uniformité en la matière. Les chartes, en tant que lettres à valeur perpétuelle, sont en théorie simplement datées du mois. Pourtant, une petite proportion d’actes, dont les trois quarts sont expédiés par la chancellerie de la Cour, est datée du jour. La précision du quantième semble être liée en premier lieu aux circonstances qui entourent le commandement de l’acte : c’est notamment le cas pour des actes commandés par le roi lors d’assemblées du grand conseil, événements suffisamment importants pour que la date soit mentionnée au jour près.

De la minute à l’expédition. – Il convient ensuite d’établir la succession des actions qui permettent l’élaboration d’un acte en chancellerie, de la minute à l’expédition, en portant une attention particulière aux différentes mentions de collation, de duplication et de réécriture, relativement rares à cette période, ou encore au rôle des messagers à travers l’étude des relations entre la Sainte-Chapelle et la chancellerie.

Chapitre II
Les signes de validation

Les sceaux. – Le grand sceau de majesté est un attribut majeur de la royauté et occupe à ce titre une place centrale dans la cérémonie des entrées royales. Au-delà de ce rôle symbolique, le sceau est appendu au bas des actes par les chauffe-cire assistés d’un valet chauffe-cire, en présence du chancelier, au cours de l’audience du sceau. Il n’y a entre les quatre chauffe-cire répartis à la Cour, au Palais et auprès du chancelier aucune hiérarchie et ils perçoivent des gages journaliers dont le montant n’a pas changé depuis le xiv e siècle. En 1447, un notaire et secrétaire du roi échange son office contre celui d’un chauffe-cire, mais la grande nouveauté est l’apparition d’un cinquième officier mentionné pour la première fois en 1445 : il s’agit de Jean Allodat, commis à la chancellerie établie auprès du parlement de Toulouse. Le sceau ordonné en l’absence du grand, signalé dans l’annonce du sceau des actes enregistrés, est employé à la Cour en l’absence du chancelier, notamment lors de grands déplacements du roi, d’éloignements temporaires du chancelier ou pendant la vacance de la chancellerie. Mais ce sceau est également utilisé à Paris : pour cela il faut que le roi soit présent à proximité et que le chancelier soit absent. C’est le cas à l’automne 1441, lors de la campagne militaire menée en région parisienne par Charles VII. Sinon, la chancellerie du Palais use d’un sceau ordonné à Paris, héritier du sceau ordonné pour la chancellerie auprès du parlement de Poitiers, dont l’iconographie diffère à la fois du sceau de majesté et du sceau ordonné en l’absence du grand, et qui est confié à la garde des maîtres des requêtes de l’Hôtel. Il sert de modèle au sceau ordonné pour la chancellerie auprès du parlement de Toulouse. De l’examen de l’émolument des différents sceaux et des dépenses en cire, il ressort que la chancellerie suivant le roi produit le plus grand nombre de lettres à valeur perpétuelle et que l’activité de la chancellerie de Toulouse est très inférieure à celle des deux autres branches.

Les présents, acteurs ou spectateurs ?– Les listes de présents, sans être à proprement parler des signes de validation, sont garantes de l’authenticité de l’acte. Elles ne sont établies que pour les actes commandés en présence du roi. La question de l’implication des présents dans la prise de décision et le commandement de l’acte se pose. Il est possible dans certains cas d’établir une relation entre le requérant et une personne siégeant au conseil mentionnée dans la liste de présents. D’autres conseillers exercent également des fonctions de bailli ou de sénéchal et se retrouvent parfois juges et parties, présents au commandement de l’acte et responsables de son application dans leur juridiction. En observant l’apparition chronologique des conseillers dans les listes de présents, on voit se dessiner plusieurs physionomies du conseil du roi : par exemple avant 1440, celui-ci reste marqué par une présence armagnaque, tandis qu’après plusieurs remaniements, à partir de 1450, la place des juristes augmente de façon significative. Avant l’audience du sceau, les lettres, commandées en présence de conseillers du roi parfois longuement mentionnés, passent entre les mains des notaires et secrétaires, responsables de la rédaction.

Chapitre III
Les notaires et secrétaires, responsables de la rédaction des actes

Des conditions matérielles variables, parfois inconfortables. – Il faut rappeler ici que seuls sont observés les officiers travaillant à la chancellerie et chargés d’y rédiger les lettres à valeur perpétuelle. Leurs conditions de travail sont aléatoires, en raison de l’itinérance de la chancellerie suivant le roi et de l’absence de locaux spécifiques. À leur rémunération connue par les comptes de l’audience, il convient d’ajouter les libéralités royales, parfois très importantes.

Les notaires et secrétaires au travail. – La rédaction de lettres scellées de cire verte est pour la plupart des notaires et secrétaires une activité occasionnelle, voire exceptionnelle. À la chancellerie du Palais un très petit nombre de secrétaires, dotés d’une ancienneté certaine et semblant travailler exclusivement à Paris, détient le quasi monopole de la rédaction des lettres à valeur perpétuelle, tandis qu’à la chancellerie de la Cour un plus grand nombre de notaires et secrétaires semble habilité à signer ces actes. En fonction du lieu où ils se trouvent, les notaires et secrétaires peuvent exercer indifféremment dans l’une ou l’autre des chancelleries. Au-delà de ces séjours ponctuels, certains changent franchement de chancellerie en cours de carrière, dans un sens comme dans l’autre. Certains notaires et secrétaires exercent des responsabilités supplémentaires à la chancellerie : c’est le cas de l’audiencier Dreux Ier Budé, du contrôleur Jean Budé puis Jean de Xaincoins, qui délèguent à des commis la perception de l’émolument du sceau à la Cour et à Toulouse. Le visiteur des lettres en chancellerie, choisi par le chancelier parmi les maîtres des requêtes, tient l’audience du sceau à Paris. Quant aux receveurs des collations nommés au sein du collège des notaires et secrétaires, qui perçoivent et redistribuent les droits de collation, ils sont deux à Paris et deux à la Cour. Leur succession est reconstituée grâce à leurs signatures.

Un milieu social clos ?– Majoritairement originaires de la région parisienne et de la vallée de la Loire, les notaires et secrétaires tissent entre eux des liens familiaux, notamment par le biais d’alliances matrimoniales. Les offices se transmettent en général par résignation en faveur d’un membre de la famille, mais les rachats, les divisions et recompositions des deux membres d’un office — gages et bourses — et les litiges portés devant les tribunaux ne sont pas rares. Les offices de notaires et secrétaires permettent à leurs détenteurs d’exercer des responsabilités dans la chancellerie et en dehors, par exemple en travaillant pour le dauphin ou en détenant des bénéfices ecclésiastiques. Beaucoup s’enrichissent et n’hésitent pas à investir dans l’immobilier. Les offices de notaire et secrétaire ne sont pour certains qu’un tremplin vers de brillantes carrières dans le domaine des finances et favorisent l’accès à la noblesse de quelques autres.


Troisième partie
L’enregistrement et la diffusion des actes


Chapitre premier
L’enregistrement

L’examen codicologique des registres de la chancellerie. – L’enregistrement, très partiel puisque seules les lettres scellées de cire verte sont enregistrées à la chancellerie, peut-être sur demande du bénéficiaire, s’effectue cahier par cahier, sans souci d’harmoniser les formats. Dans l’ensemble, on ne peut que constater la mauvaise qualité du support de l’écriture, papier ou parchemin, et des copies, souvent faites hâtivement. Une impression de désordre général se dégage, dont témoignent en particulier des perturbations chronologiques et un mélange des cahiers des deux chancelleries, imputables au désordre dans lequel les cahiers ont été reliés. Il est néanmoins possible de reconstituer les deux séries d’enregistrement parallèles et de rétablir pour chaque chancellerie la succession chronologique des cahiers, sachant que plusieurs cahiers pouvaient être ouverts simultanément. Cet examen montre que l’enregistrement est continu au Palais d’une année sur l’autre, alors qu’à la Cour une nouvelle série de cahiers semble être ouverte au mois de janvier, après que des cahiers récapitulant les actes « oubliés » ont été remplis en fin d’année. Rien ne permet d’affirmer que l’enregistrement se fait mois par mois, mais il est certain que les actes sont copiés par piles et non au fur et à mesure.

Gros plan sur les actes enregistrés. – Il est par ailleurs possible de proposer une évaluation du nombre d’actes enregistrés par an et par chancellerie et d’expliquer les irrégularités constatées, notamment en fonction des événements politiques. On constate ainsi que les années de vacance de la chancellerie et celles où ont eu lieu de grandes campagnes militaires correspondent à des creux du point de vue du nombre de lettres scellées de cire verte enregistrées. En revanche, la typologie des actes enregistrés fait apparaître une différence fondamentale entre les chancelleries : la chancellerie de la Cour a un monopole quasi absolu sur la rédaction des actes à valeur perpétuelle, à l’exception remarquable des lettres de rémission. Les lettres de création de foire, commandées et vérifiées par la Chambre des comptes à Paris, sont les seules lettres expédiées régulièrement par la chancellerie du Palais hors du domaine des lettres de rémission, même si des circonstances exceptionnelles, telles que la présence du roi, peuvent justifier l’expédition depuis Paris d’actes de toutes sortes et si les notaires et secrétaires de la chancellerie du Palais sont aussi compétents que ceux de la Cour pour rédiger n’importe quel type de lettre.

Chapitre II
Le rayon d’action des chancelleries

« Si donnons en mandement... ». – C’est aux bénéficiaires des lettres de grâce d’accomplir les démarches nécessaires pour donner à l’acte force exécutoire, selon les indications contenues dans la clause injonctive. Aux différentes institutions concernées (bailliage, Chambre des comptes, Parlement...) correspondent plusieurs procédures de contrôle et d’exécution. Les règles suivies sont les mêmes dans les deux chancelleries, à savoir que la clause injonctive dépend du type d’acte et de la compétence des juridictions. Ensuite, la procédure à la Chambre des comptes puis le rôle des parlements et des tribunaux de bailliages dans l’exécution des lettres de rémission sont décortiqués, en particulier dans l’établissement des clauses de réparation et des peines de prison, des amendes et des pénitences. Il s’agit aussi de mesurer les prérogatives du roi, qui peut imposer silence à son procureur ou rendre l’entérinement d’une lettre obligatoire. Le Parlement débat de la valeur juridique de la lettre, de la nature du crime, dont l’énormité peut justifier une opposition à la grâce, et du contenu, qui doit être à la fois exact et complet. Il ressort de cette analyse que l’exécution des lettres de grâce est très réglementée.

La carte des bailliages et sénéchaussées d’après les clauses injonctives. – Par ailleurs, la majorité des clauses injonctives concerne les bailliages et sénéchaussées. Il est même possible d’en dresser une carte à partir de ces listes. L’apport de la géographie historique est ici essentiel pour expliquer la différence de densité du maillage d’officiers royaux d’une région à l’autre, et rappeler l’appartenance plus ou moins récente de ces lieux au royaume de Charles VII, en fonction notamment des étapes de la reconquête. C’est également l’occasion de s’intéresser aux relations privilégiées du roi de France avec les confins du royaume ou avec des villes situées à l’extérieur des frontières, comme Saint-Pierre-le-Moûtier ou Épinal.

Les rayons d’action des chancelleries. – La comparaison du rayon d’action des deux chancelleries au cours du temps révèle que la chancellerie du Palais est principalement tournée vers le nord du royaume, surtout vers Amiens et le Vermandois, et n’intervient qu’à titre exceptionnel en faveur de requérants originaires du sud de la Loire — en particulier lorsque le roi et la Cour se trouvent dans le nord et sont encore plus difficile à rejoindre que Paris. Au contraire la chancellerie de la Cour rayonne dans toutes les directions et son action couvre de façon homogène l’ensemble du royaume, sans spécialisation géographique. Alors que le volume d’actes expédiés par an augmente, le nombre d’actes envoyés vers le sud du royaume par la chancellerie de la Cour stagne, en raison de l’activité de la chancellerie établie auprès du parlement de Toulouse en 1444.

Chapitre III
Un dialogue entre le roi et ses sujets ?

Les bénéficiaires de la grâce royale. – Les requérants peuvent être décrits en fonction de la nature des actes qu’ils impètrent : alors que les confirmations de privilèges s’adressent à des villes et des communautés religieuses, les femmes demandent le plus souvent des lettres de légitimation. Les laboureurs et artisans dominent le paysage des requérants de lettres de rémission mais sont exclus de l’octroi de lettres d’autorisation de fortifier ou de création de foire et marché, au profit des nobles et des clercs. Ceci dit, le profil des nobles, des clercs et des officiers bénéficiant de la grâce royale est loin d’être homogène : tandis que la petite noblesse, les étudiants et les sergents en ont besoin pour se sortir d’un mauvais pas, les grands nobles, ecclésiastiques et officiers bénéficient des largesses royales. Des étrangers originaires de toute l’Europe tentent d’en appeler directement au roi en s’adressant à la chancellerie de la Cour. Les bénéficiaires de lettres de rémission sont les seuls qui ont véritablement le choix de la chancellerie à laquelle ils s’adressent : dans ce cas les nobles et les hommes d’armes choisissent plutôt la Cour parce qu’ils espèrent du roi la reconnaissance des services rendus et les marchands et bourgeois font de même dès que leurs moyens le leur permettent. Une pratique courante est de citer le nom de son protecteur, grand seigneur ou conseiller du roi, en espérant sans doute qu’il joue le rôle d’intercesseur. Le recours à des lettres collectives,  en direction le plus souvent de jeunes hommes réunis par une fête de village ou à la taverne, n’a pas un caractère obligatoire et il arrive que pour un même crime chaque personne impliquée impètre des lettres individuellement, par exemple quand un meurtre a été commis mais qu’un seul d’entre eux a porté le coup fatal. Il est par ailleurs possible de repérer des exemples de recours multiples aux chancelleries pour une même personne.

Le roi et le monopole royal de la grâce. – L’organisation de la chancellerie permet d’offrir à chacun la possibilité d’accéder à la grâce royale tout au long de l’année, même si un contingent de lettres de grâce est bel et bien attribué à l’occasion de fêtes religieuses solennelles ou lors des entrées royales. La grâce royale peut apparaître comme un moyen d’étendre l’influence des droits royaux face à l’Église ou aux grands princes, comme le montre le nombre de requérants vivant en territoire bourguignon. Quant au lien entre le roi et ses sujets, on peut se demander s’il n’est pas cassé ou distendu par la multiplication des rouages administratifs et en particulier par la procédure d’entérinement, susceptible de remettre en cause la décision royale. La posture des requérants est la sollicitation, sans que l’on sache de quelle marge de manœuvre dispose le roi face à elle. Celui-ci reste aux commandes pour ce qui est des donations et peut formuler des conditions, comme dans les lettres de rémission accordées aux collaborateurs de Jacques Cœur. De nombreux facteurs tels que la personnalité des bénéficiaires interfèrent avec l’octroi de la grâce. De la même manière, les villes sont récompensées du rôle qu’elles ont pu jouer dans la défense du royaume. Les registres reflètent aussi l’actualité du règne, comme les mesures prises au temps de la reconquête et celles consécutives à l’arrestation de Jacques Cœur. Enfin, il est probable que le conseil parisien se montre plus sévère que le roi en personne présent à son conseil ou en ses requêtes. Aux yeux des suppliants, et bien que la délégation du droit de gracier existe et que la chancellerie du Palais soit très sollicitée, le roi reste la seule véritable source de grâce.


Conclusion

Dans l’histoire de la chancellerie royale, la période qui s’étend de la fuite du dauphin en 1418 à la mort du roi Charles VII en 1461 est d’une importance capitale : c’est au moment de la désorganisation la plus complète du royaume, lors du « Schisme royal », que le démembrement de la chancellerie est érigé en principe. En effet, à partir de 1418, des preuves tangibles de l’existence d’au moins deux chancelleries fonctionnant simultanément, auprès du roi et auprès du Parlement, peuvent être rassemblées, tandis qu’une double série d’enregistrement est conservée à partir de 1440. Entre 1420 et 1428, puis surtout après 1444, la tripartition de la chancellerie est avérée, « tam Parisius quam alibi », puisqu’elle apparaît clairement dans les comptes de l’audience du sceau. En s’immergeant au cœur de cette réalité, il est possible de comparer l’organisation et le rayonnement de la chancellerie de la Cour et de celle du Palais et de rendre palpable l’efficacité et les avantages d’un fonctionnement bipartite ou tripartite, s’appuyant sur le corps des notaires et secrétaires, sous l’autorité du chancelier. Les démembrements de la chancellerie remettent en cause le monopole de la grâce royale car ils supposent une délégation permanente du droit de grâce, notamment au conseil établi à Paris. Pour pallier cette tendance à l’éclatement, tout est mis en œuvre pour rappeler que le roi est source de toute grâce et pour contrôler l’action des chancelleries. Le succès de la chancellerie du Palais n’est plus à démontrer : c’est sur ce modèle que sont constituées les petites chancelleries créées par les successeurs de Charles VII.


Annexes

Une approche méthodologique.– Méthode de constitution, de dépouillement et d’exploitation du corpus.

Édition. – Notice codicologique, commentaire du manuscrit latin 18347 conservé à la Bibliothèque nationale de France et édition d’extraits de comptes de l’audience du sceau (14 mai 1440 – 30 juin 1452), index des noms de personnes.

Annexes classées par grande partie. – édition de pièces justificatives tirées des registres des parlements de Poitiers et Paris, des registres du Trésor des chartes ou de recueils de formules manuscrits. – Iconographie du chancelier Guillaume Jouvenel des Ursins. – Liste des présents : brèves indications biographiques et mentions de présence. – Récapitulatif de la transmission des offices de notaires et secrétaires et index des noms de personnes. – Reconstitution chronologique des cahiers des registres de la chancellerie.

Index général des noms de personnes. – Tables des illustrations, cartes et graphiques du volume principal et des annexes.