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École des chartes » thèses » 2008

François Sublet de Noyers (1589-1645)

Ad majorem regis et Dei gloriam


Introduction

S’intéresser à François Sublet de Noyers, plus d’un siècle après Charles Schmidt, qui en fit son sujet de thèse d’École des chartes à la fin du xix e siècle, c’est se pencher sur lui en bénéficiant d’un renouvellement complet de l’historiographie. En effet, il n’est plus question de célébrer la geste de Richelieu à partir de l’une de ses créatures, de même qu’il n’est plus envisageable de suivre l’approche de Charles Schmidt, qui raisonnait selon une problématique réductrice : « Sublet de Noyers, précurseur de Louvois et de Colbert  ».

Le règne de Louis XIII est bien sûr marqué par la présence au pouvoir du cardinal de Richelieu, mais depuis Orest Ranum et son ouvrage sur Les créatures de Richelieu, on porte un œil nouveau sur la place de ces collaborateurs privilégiés du pouvoir que sont les secrétaires d’État. Dans le contexte de la montée en puissance des États monarchiques, qui se traduit par un état de guerre quasi-permanent, à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume, et un renforcement de l’administration royale, la figure du secrétaire d’État prend un poids politique réel. Il est donc nécessaire d’étudier les figures du Conseil du roi afin de pouvoir projeter une lumière sur l’origine et le mécanisme des prises de décisions royales.

La figure de Sublet de Noyers est complexe et ses facettes multiples. Son histoire familiale le place dans une tradition de service du roi et de fort attachement au catholicisme. Secrétaire d’État de la guerre, surintendant des Bâtiments du roi, mécène austère et protecteur des Jésuites, Sublet de Noyers est plongé dans les contradictions de son siècle, qui voit le roi Très-Chrétien, allié avec des protestants, mener une guerre contre le Roi Catholique d’Espagne. Mais la raison d’État l’emporte dans les consciences et Sublet de Noyers incarne la génération des premiers vrais administrateurs du royaume. Le service du roi dans les plus hautes sphères du pouvoir et le service de Dieu en toute circonstance, sont les clefs de lecture pour comprendre cette figure du Grand siècle.


Sources

La vie de François Sublet de Noyers ne se peut reconstituer qu’avec des sources extrêmement éclatées par leur dispersion. Pour ce qui est de la vie privée et de la famille de Sublet de Noyers, il faut se tourner en premier lieu vers le minutier central des notaires parisiens aux Archives nationales, en particulier les études XIX, XXIV, XXVI, LXXXIV (pour la famille de son épouse Isabelle Le Sueur), LXXXVII (branche des Sublet d’Heudicourt). La reconstitution de l’histoire familiale des Sublet a été possible grâce à la consultation du Cabinet des titres à la Bibliothèque nationale de France. Ont été également dépouillées les séries B, E, F et G des Archives départementales de l’Eure et de la Seine- Maritime, qui abondent en documents concernant les propriétés, la fortune et les donations pieuses des Sublet aux xvii e et xviii e siècles. L’activité de Sublet de Noyers, d’abord comme intendant des finances, puis comme secrétaire d’État et surintendant des Bâtiments du roi, a été retracée en mettant à contribution de diverses sources. Un manuscrit inédit de la Biblioteka Narodowa à Varsovie, dans lequel ont été compilés des ordonnances, lettres et devis, a permis de saisir son activité en tant qu’intendant des armées en Picardie et en Champagne. La sous-série A1 du Service historique de la Défense a été entièrement dépouillée pour les années 1636 à 1643 : a ainsi pu être reconstituée l’activité du département de la guerre sous l’égide de Sublet de Noyers, au service de Richelieu et de Louis XIII. Ces milliers de lettres, actes, ordonnances, ont été complétés par des recherches au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, où sont conservées de nombreuses lettres éparses dans divers volumes de correspondance (Le Tellier, La Valette, Sourdis, Séguier...). On a également effectué avec profit des sondages dans les archives du ministère des Affaires étrangères, séries « Mémoires et documents France » et « Correspondance politique », où l’on a retrouvé nombre de lettres échangées entre Richelieu et Sublet de Noyers. Enfin, la bibliothèque de l’Institut et la bibliothèque du Musée Condé à Chantilly ont complété de nombreuses zones d’ombre en livrant des compilations de correspondance sur des sujets variés : famille du secrétaire d’État, gestion de l’administration des Bâtiments du roi, etc.


Première partie
François Sublet de Noyers, de la magistrature au pouvoir ministériel


Chapitre premier
Les origines de Sublet, de Blois à Paris

La famille Sublet trouve ses origines à Blois, où Jean Sublet, greffier du bailliage, donne naissance à dix-huit enfants. L’un devient aumônier de Catherine de Médicis ; deux autres fils sont des officiers de finances, anoblis à la fin du règne de Charles IX, et forment respectivement les deux branches de la famille : Sublet de Noyers et d’Heudicourt. À la fin du xvi e siècle, la famille est implantée à Paris ainsi qu’en Normandie, où sont situés les terres et les châteaux familiaux, en particulier dans le bailliage de Gisors où est située la terre de Noyers.

Jean Sublet, petit-fils du greffier de Blois, connaît une belle carrière au service d’Henri III puis d’Henri IV. Son mariage avec Madeleine Bochart le fait entrer dans les réseaux de la noblesse de robe très catholique. S’illustrant par une piété exemplaire et par un engagement en faveur des ordres issus de la Réforme catholique – Carmélites, Jésuites –, il constitue au même moment un patrimoine solide qui lui permet de marier ses deux filles aînées dans des familles dont les membres se situent dans la frange inférieure des cours souveraines (Chambre des comptes, parlement de Paris). Son testament, rédigé avant sa retraite au couvent des Chartreux de Paris, révèle un homme attaché à l’unité de sa famille, à l’égalité entre ses enfants, mais aussi au patrimoine familial qu’il tient à préserver.

Les Sublet forment, aux xvi e et xvii e siècles, une famille unie, vivant dans le même quartier de Paris, le Marais. Se soutenant en cas de difficulté, les Sublet cherchent à éviter la dispersion des forces financières, patrimoniales et humaines de la famille. La famille ne se distingue pas particulièrement dans la bonne société parisienne – on la voit peu dans les cours souveraines, et jamais dans des charges de marguilliers de paroisses –, mais doit plutôt son ascension à la faveur du roi qui l’a anoblie. La proximité géographique, l’existence de « lieux de mémoire » – les tombes dans les paroisses parisiennes –, le « projet culturel » général de la famille qui s’illustre dans la dévotion active proche des idéaux de la Réforme catholique par nombre de ses membres, religieuses ou abbés, sont autant d’éléments de cohésion au sein de la nébuleuse des Sublet.

Chapitre II
François Sublet de Noyers, à la croisée des réseaux

François Sublet de Noyers, né en 1589, est plongé dès sa jeunesse dans le réseau de ses parents, en particulier lorsque son oncle Jean Bochart, président du parlement de Paris et surintendant des finances, le prend sous son aile et lui ouvre les portes du Conseil des finances. François Sublet de Noyers, devenu chef de famille après le retrait du monde de son père, est d’abord commis de son oncle le surintendant des finances, puis intendant des finances. Il a épousé, en 1613, Isabelle Le Sueur, fille d’un maître des comptes, qui lui apporte une forte dot et consolide ses liens avec la noblesse de robe.

La parenté avec Jean Bochart de Champigny, cousin éloigné de Richelieu, place François Sublet de Noyers dans l’orbite de ce dernier et sous la protection de la reine Marie de Médicis, ainsi que du prince de Condé. Le cardinal de Richelieu s’intéresse de près aux capacités de travail de François Sublet, au point de lui confier, au début des années 1630, l’intendance des armées de Champagne et de Picardie, épisode pendant lequel François Sublet se distingue par son activité, en particulier dans le domaine des fortifications du royaume. Il y acquiert sur le terrain une expérience de la réalité de la guerre qui lui sera propice par la suite.

Le début des années 1630 marque un tournant dans la vie de François Sublet de Noyers. Après son veuvage, il entame une vie austère, qui fait dire à ses détracteurs qu’il a secrètement prononcé les voeux de la Compagnie de Jésus. Membre de la Confrérie des Messieurs de Paris, il est de fait, et comme beaucoup de « créatures de Richelieu », de plus en plus proche des Jésuites. Grâce à son argent, le Noviciat des Jésuites est en construction. L’arrivée de François Sublet de Noyers dans les hautes sphères du pouvoir est relativement tardive : au moment de son arrivée au secrétariat d’État de la guerre, il est âgé de quarante-sept ans. Son ascension n’est pas due à Richelieu lui-même, mais plus généralement à un État monarchique en construction.


Deuxième partie
Ad majorem regis gloriam


Chapitre premier
La créature de Richelieu

François Sublet de Noyers succède à Abel Servien dans le poste de secrétaire d’État de la guerre. Servien a dû céder face à l’hostilité des autres secrétaires d’État et des surintendants des finances, et en particulier du « clan » formé par les surintendants des finances Bullion et Bouthillier, ainsi que du fils de ce dernier, Chavigny, secrétaire d’État des affaires étrangères. Entre ces personnages se créent des relations tantôt cordiales, tantôt hostiles. Les conflits entre créatures de Richelieu sont essentiellement liés à des empiètements par l’un d’entre eux sur les attributions de l’autre, ainsi qu’à une rivalité autour de la faveur du cardinal en ce qui concerne Chavigny et Sublet de Noyers, qui deviennent à partir de 1640 les collaborateurs priviliégiés de Louis XIII et de Richelieu pour mener à bien leur politique.

La notion de « créature de Richelieu » sous-entend un lien priviliégié avec le cardinal et n’est pas a priori négative. Sublet de Noyers, comme Chavigny, doit sa fortune, son prestige, son poids politique, à la faveur de Richelieu, qui réclame de lui un dévouement absolu envers sa personne. Orest Ranum a même parlé de « parti » pour désigner le groupe de créatures qui gravitait autour du cardinal. Sublet de Noyers joue en particulier le rôle d’intermédiaire entre le roi et le cardinal, exposant au premier les vues du second et transmettant au second les volontés du roi.

Le secrétaire d’État n’inspire d’abord à Louis XIII que peu d’affection, mais la dévotion et l’austérité les rapprochent. Le roi finit par se servir avec confiance de celui qu’on considère comme une « âme damnée » du cardinal, n’hésitant pas à effectuer les basses besognes comme se charger de l’éviction des opposants au cardinal (Mademoiselle de La Fayette, Cinq-Mars).

Lorsque Sublet de Noyers devient secrétaire d’État, les contours de la charge n’ont été défini que récemment, par une série de règlements, en particulier en 1617 et 1619. Le secrétaire d’État est avant tout celui par qui passe toute la correspondance administrative relative aux affaires de la guerre. Il en donne un rapport au roi et se charge d’expédier les ordres royaux. Il a donc une place privilégiée au Conseil du roi.

Chapitre II
Monsieur de Noyers, secrétaire d’État

François Sublet de Noyers doit gérer les aspects administratifs des guerres menées par Louis XIII de 1636 à 1643. Guerre contre l’Espagne, révoltes paysannes, prises d’armes nobiliaires sont autant de facteurs d’instabilité pour le royaume en ces années, d’autant que le secrétariat de Sublet de Noyers s’ouvre sur « l’année de Corbie » qui voit s’accumuler les désastres militaires. La présence de Sublet de Noyers au gouvernement est révélatrice de la recomposition du paysage politico-religieux : en sa qualité de dévot, il montre par son comportement la réconciliation entre un « parti dévot » et les gallicans, et en sa qualité de créature, il incarne les nouvelles méthodes de gouvernement du « régime de l’extraordinaire » (R. Descimon et C. Jouhaud). Le secrétaire d’État de la guerre entreprend une série de réformes qui visent à mettre en place une armée à la dimension des ambitions royales. Le recrutement, le logement, la nourriture et le paiement de la solde des troupes sont les principaux angles d’attaques pour l’amélioration du fonctionnement de l’armée, ainsi que la gestion de la violence des troupes sur les populations locales et en leur sein même. Le soin que Sublet de Noyers prend à créer des hôpitaux, souvent tenus par les Jésuites, pour soigner les corps et les âmes des soldats, est une autre réponse pratique à l’état de dégradation des armées. Pour mener à bien ses réformes, le secrétaire d’État met en place sous ses ordres un cadre administratif efficace. Il ne s’agit pas d’une révolution administrative, mais de la systématisation de l’emploi de créatures et de familiers à tous les niveaux. On note ainsi que les intendants dans les armées et dans les provinces – du moins celles qui se trouvent dans le département de Sublet de Noyers – sont souvent liés par le sang au secrétaire d’État, comme c’est le cas pour un François Bochart ou un René d’Argenson. Les commissaires des guerres constituent un autre corps sur lequel le secrétaire d’État s’appuie en toute confiance.

Sublet de Noyers, qui se rend progressivement indispensable, est couvert d’honneurs par le roi, qui le fait en 1638 surintendant des Bâtiments. À ce poste, il utilise le même genre de système administratif, fondé sur les liens d’amitié et du sang. Ses cousins les frères Fréart de Chambray et de Chanteloup jouent un rôle déterminant dans l’orientation des choix artistiques de la période. Les chantiers du roi sont essentiellement des travaux de restauration et d’embellissement des châteaux royaux (Fontainebleau, le Louvre). Les églises parisiennes et l’urbanisme à Paris occupent également une bonne partie des occupations du surintendant des Bâtiments. Il s’agit de donner à la ville de Paris l’aspect de la capitale catholique du roi Très-Chrétien. Enfin, le moment fort de l’activité de Sublet de Noyers se situe en 1640 et 1641, quand il est question de faire venir Nicolas Poussin en France.

D’autres projets de Sublet de Noyers, certains menés à bien – l’Imprimerie royale – et d’autres avortés – la construction de nouveaux locaux pour la Chambre des comptes à Paris –, révèlent les ambitions de Sublet de Noyers au service de Louis XIII : il s’agit de redonner à la France, par le biais de ses bâtiments comme de ses manufactures, un lustre antique sans précédent.

Chapitre III
Le secrétaire d’État au travail

Afin de poser les jalons d’une étude des bureaux du département de la guerre sous Richelieu, ont été examinées les archives conservées au Service historique de la Défense. Les mentions dans la marge des minutes des actes, les billets qui circulent entre le secrétaire d’État et les commis, sont autant d’indices du fonctionnement de ces bureaux. La période est propice à une démultiplication sans précédent de l’écrit. Cela n’est pas dû à la sédentarisation qu’on a longtemps cru voir pour les bureaux de la guerre : Sublet de Noyers passe une bonne partie de l’année sur les routes du royaume et a visité quasiment tous les fronts de guerre entre 1636 et 1643, aux côtés de Louis XIII et de Richelieu. L’augmentation de l’écrit est dû à l’obsession du gouvernement de devoir rester en contact permanent avec l’administration sur le terrain, avec les cadres de l’armée et les moindres agents du roi. Par ailleurs, au regard de quelques indices, les archives semblent organisées et confiées à un commis dès ce moment, avant même la création d’un Dépôt de la guerre sous Louis XIV.

S’il n’est pas encore possible de déterminer l’existence de bureaux constitués avec des spécialités, il faut en revanche souligner le rôle du secrétaire d’État, qui est encore largement un technicien, un correcteur et un rédacteur d’actes, en plus des lettres personnelles qui ne sont pas conservées – sinon dans des collections éparses. Le secrétaire d’État donne ses ordres, émanant du roi ou de Richelieu, au premier commis, Timoléon Le Roy, lequel semble répartir le travail entre les autres commis. Au total, les bureaux de la guerre comportent une petite dizaine de personnes, auxquelles il faut probablement rajouter un certain nombre de scribes dont il est impossible de déceler la présence.

L’étude des carrières, des origines et des familles des commis donnent l’impression d’un groupe homogène, issu de familles de petits officiers. Leur poste de commis auprès du secrétaire d’État leur vaut gratifications, charges, places pour leurs parents. Le passage par le poste de commis est source d’ascension sociale pour la famille. Proches de Sublet de Noyers, ils appartiennent parfois comme lui à la confrérie des Messieurs de Paris – c’est le cas de Séraphin de Mauroy. Ils peuvent encore intervenir comme témoins dans ses affaires privées. Ce sont des conseillers, des confidents, bref des hommes de confiance et, là encore, des créatures. Les bureaux de la guerre sont encore largement à l’état embryonnaire et reposent sur des liens d’homme à homme, ce qui n’empêche pas des carrières dans les bureaux sur le long terme, même après la disgrâce de Sublet de Noyers.


Troisième partie
La puissance d’un ministre et ses faux-semblants


Chapitre premier
Monseigneur de Noyers, les splendeurs d’un ministre

Sublet de Noyers devient, du jour où il est nommé secrétaire d’État de la guerre, un « haut et puissant seigneur ». Sa fortune est difficile à déterminer, mais on peut évaluer ses revenus annuels à 50 000 livres tournois, qui proviennent de ses charges mais aussi de ses terres normandes et de diverses maisons parisiennes en sa possession de par l’héritage paternel et de par la dot de son épouse.

Le secrétaire d’État partage son temps entre un certain nombre de demeures : lorsqu’il rejoint le roi à Fontainebleau ou le cardinal à Rueil, il réside dans des maisons situées près de ses maîtres. À Paris, il demeure rue Saint-Honoré, ayant quitté le Marais pour se rapprocher du Louvre. La maison de la rue Saint-Honoré fut célèbre en son temps pour sa décoration soignée, malgré son aspect austère, ce qui démarquer Sublet de Noyers de ses collègues dont les hôtels parisiens sont de taille largement supérieure et l’ornementation bien plus fastueuse.

En Normandie, Sublet de Noyers se détache quelque peu, à partir des années 1640, du château de Noyers construit par son père, pour résider plus volontiers à Dangu. Cette terre a été acquise lors d’un échange forcé avec les ducs de Montmorency, ce que Sublet de Noyers n’a pu obtenir que grâce à sa position de créature du cardinal de Richelieu.

Sublet de Noyers, de créature, devient progressivement un protecteur dont on recherche les faveurs. Dans l’armée, les jeunes nobles tendent à demander sa protection et son entremise pour obtenir des commandements. Ses commis lui font passer toutes sortes de requêtes. Mais Sublet de Noyers apparaît à ses contemporains par dessus tout comme le protecteur des artistes, peintres, sculpteurs et architectes. Il entretient autour de lui un cercle d’amitié et de réflexion, les Intelligents, qui veulent défendre le classicisme dans les arts.

François Sublet de Noyers est également le protecteur des religieux, en particulier des Jésuites. L’engagement de Sublet de Noyers en faveur de la Réforme catholique n’est pas un mystère. Sublet de Noyers peut obliger une ville à accepter un collège jésuite en son sein, quitte à la menacer de devoir loger des troupes. Sublet de Noyers entretient par ailleurs une correspondance avec le Général des Jésuites à Rome, qui le considère comme le protecteur de la Compagnie en France. S’il n’est pas question de parler de « parti dévot » autour de Sublet de Noyers, il faut souligner que le secrétaire d’État use de son pouvoir pour manifester sa foi et permettre le triomphe du catholicisme en France.

Chapitre II
L’apogée des Sublet, xvii e- xviii e siècles

La famille Sublet, au xvii e siècle, est nettement divisée entre les deux branches de Noyers et d’Heudicourt. Dès la première moitié du xvii e siècle, les Sublet d’Heudicourt abandonnent les carrières d’officiers pour se tourner vers le service du roi par l’épée. Le secrétaire d’État n’hésite d’ailleurs pas à user de son influence pour permettre à un cousin d’obtenir un régiment. La génération de François Sublet de Noyers et de ses cousins est encore fortement unie. Cela se voit dans la présence de nombreux membres de la famille au mariage des rejetons Sublet, mais aussi à la pratique de mariages entre enfants des deux branches. La parenté se consolide par les liens juridiques au fil du temps.

La branche aînée des Sublet de Noyers s’interrompt brusquement en 1673, à la mort de Guillaume Sublet de Noyers, fils unique du secrétaire d’État, qui meurt sans avoir été marié ni avoir eu d’enfants. François Sublet de Noyers a eu de son épouse une autre enfant, Madeleine, entrée tôt chez les Carmélites. Le secrétaire d’État n’a pas fondé de dynastie de serviteurs du roi – jamais il ne semble avoir tenté de pousser la carrière de son fils au service du roi –, mais il a fait en sorte d’attacher son nom à la fondation du Carmel de Gisors, qui devient un « lieu de mémoire » de la famille, où entrent de leur plein gré de nombreuses demoiselles Sublet. Les Sublet de Noyers se replient progressivement en Normandie et se retirent de la vie parisienne.

En revanche, la branche cadette des Sublet d’Heudicourt s’illustre dans les guerres menées par Louis XIV. Obtenant la protection de madame de Maintenon, Michel Sublet d’Heudicourt reçoit la charge de louvetier de France, qui reste dans la famille jusqu’au milieu du xviii e siècle. La famille est alors parvenue à son apogée, contractant des mariages avec la fine fleur de la noblesse d’épée française et même européenne, ce qui n’empêche pas les mauvaises langues de dénoncer parfois les origines roturières de la famille.

Chapitre III
De la fragilité à la disgrâce, de la disgrâce à la mort

François Sublet de Noyers est à l’apogée de son pouvoir en 1642. Il est avec Chavigny l’un des confidents les plus écoutés de Richelieu depuis la mort du père Joseph. La mort du cardinal, si elle le prive de son protecteur, lui laisse entrevoir la possibilité de devenir le principal ministre de Louis XIII, ce qui est d’autant plus probable que le roi semble désirer le conserver auprès de lui. L’affection du roi ne résiste pas à une cabale formée par les détracteurs de Sublet de Noyers, en particulier Chavigny et Mazarin.

Sublet de Noyers, avançant en âge et en dévotion, est au même moment pris dans les contradictions qu’éprouve l’homme dévot plongé dans le milieu de perdition qu’est la cour. Demandant son congé au roi, il l’obtient et quitte son poste précipitemment, en avril 1643. Il n’en donne point pour autant sa démission et se retire une première fois à Dangu. La mort de Louis XIII peu de temps après lui donnant de nouvelles espérances, Sublet de Noyers utilise son entregent, en particulier le réseau dévot, pour gagner la faveur d’Anne d’Autriche.

S’il ne retrouve pas sa place de secrétaire d’État, il demeure dans une disgrâce qui n’est qu’en partie réelle : on le voit continuer d’exercer ses fonctions de surintendant des Bâtiments pour le compte d’Anne d’Autriche. Lassé de devoir réclamer des charges et des compensations qu’il n’obtient pas, Sublet de Noyers finit par se retirer une seconde fois à Dangu où il meurt peu de temps après, le 20 octobre 1645, entouré d’un cercle d’amis et de parents proches. Selon une pratique courante, il fait enterrer son cœur dans l’église des Carmélites de Gisors et son corps dans la crypte du Noviciat des Jésuites de Paris, refusant par humilité toute épitaphe.


Conclusion

Sublet de Noyers meurt dans la disgrâce, admiré par les uns, moqué par les autres qui n’ont jamais vu son attitude dévote que sous l’angle de l’hypocrisie, et son attachement au cardinal que comme l’effet d’une ambition dévorante. Dès la seconde moitié du siècle, la figure de Sublet de Noyers est occultée par ses successeurs, Louvois et Colbert. C’est pourtant sous son ministériat que sont créées les conditions de réussite des ambitions militaires de Louis XIV et de ses ministres. La réussite sociale François de Sublet de Noyers et, à travers lui, de sa famille est représentative de la symbiose qui existe entre famille, noblesse et pouvoir. L’attachement au roi, à l’épreuve des troubles de religion, de la guerre de Trente ans, puis des guerres de Louis XIV, a favorisé leur réussite. L’activité de Sublet de Noyers va dans le sens de la gloire du roi et de la réussite de la mission royale, qui est de contribuer à l’établissement du règne de Dieu sur terre. Il faut une armée digne du roi de France, disciplinée, ordonnée et brillante, comme il faut des bâtiments majestueux dignes de l’image royale et qu’il faut contribuer à la construction d’églises nouvelles, magnifiques, à la mesure de la reconquête catholique. En ce sens, idées politiques et idéaux religieux se rejoignent. Les choix de carrière de Sublet de Noyers n’ont cependant pas dû se faire sans douloureux cas de conscience. Sa correspondance ne cesse d’évoquer une lassitude de la vie de cour et des mondanités, malgré une fierté perceptible de pouvoir contribuer aux victoires militaires. Premier vrai administrateur de l’armée et des Bâtiments du roi, organisant un véritable réseau de fidèles autour de lui, donnant par la multiplicité de ses attributions un lustre réel à chacune d’entre elles, il n’est ni l’homme d’une laïcisation de la politique, ni celui d’une bureaucratisation du gouvernement, mais celui du « régime de l’extraordinaire », détenant les clefs de la politique de gloire qui allait par la suite faire des rois de France des monarques aspirant à l’hégémonie sur l’Europe.


Annexes

Photographies (église et château de Noyers, château de Dangu, Nainville). — Reconstitutions généalogiques (Sublet, Bochart, Le Sueur). — Documents iconographiques divers (portraits, jetons, documents familiaux).


Pièces justificatives

Édition du ms. 3648 de la Biblioteka Narodowa : lettres et ordonnances relatives à l’intendance de Sublet de Noyers en Picardie et en Champagne (1633-1635). — Correspondance avec le cardinal de La Valette et avec le cardinal de Sourdis (1636-1640). — Correspondance avec Le Tellier (1640-1641). — Mémoire sur les monnaies (vers 1631). — Avis au roi sur le retour de la reine mère (1642).