Le livre d’heures en Italie septentrionale
Diffusion d’un instrument dévotionnel de l’Europe du Nord
Introduction
À la différence des livres d’heures français et flamands, les livres d’heures italiens ont été peu étudiés. Cette lacune tient probablement à leur moindre diffusion en Italie. En effet, le livre d’heures, c’est-à-dire un livre de prières à l’usage des fidèles laïques, a été un objet dévotionnel très répandu dans les pays de l’Europe septentrionale à partir du xiii e siècle et jusqu’à l’époque moderne, mais plus rare dans les pays de l’Europe méridionale.
Jusqu’à présent, les livres d’heures confectionnés en Italie et actuellement conservés dans les bibliothèques italiennes et étrangères n’ont fait l’objet d’aucun recensement précis, seulement d’études monographiques dédiées à leur aspect stylistique. Si on peut admettre que le livre d’heures n’a pas dominé le marché italien de la librairie à la fin de l’époque médiévale, l’absence d’un recensement systématique et d’une analyse exhaustive fausse la perspective et empêche d’avoir une connaissance quantitative précise de l’utilisation que les fidèles italiens firent de ce type de manuscrit.
Notre recherche se propose d’étudier, d’une part, le rôle et la fonction dévotionnelle que le livre d’heures avait dans les pratiques religieuses et spirituelles des laïcs italiens à la fin du Moyen Âge et, d’autre part, de donner une description générale de la structure textuelle et iconographique adoptée traditionnellement par les livres d’heures italiens. Cette dernière étude s’appuie sur l’analyse et la description de l’organisation d’une quinzaine de manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France et à la British Library de Londres. Le corpus des exemplaires examinés a été dressé à partir d’un répertoire de quelques deux cent vingt livres d’heures d’origine italienne, lui-même nourri par le dépouillement des catalogues imprimés et informatiques des bibliothèques italiennes, françaises et anglaises. Cet inventaire réunit les manuscrits réalisés dans les ateliers d’enluminure de l’Italie septentrionale – Lombardie, Vénétie, Emilie et Toscane – entre les xiii e et xvi e siècles. Sa compilation a été essentielle pour connaître les témoins parvenus jusqu’à aujourd’hui et pour bénéficier d’un aperçu général sur la commande de livres d’heures de la part des fidèles italiens.
Les principaux commanditaires semblent avoir été les membres des grandes familles princières – les Visconti-Sforza, les Gonzague, les Médicis et les familles patriciennes de Venise – qui commencèrent à les faire confectionner à partir de la deuxième moitié du xiv e siècle. Sauf quelques exemplaires émanant des milieux franciscains, toute production antérieure semble avoir été absente ; en effet, l’usage des livres d’heures se diffusa en Italie, à l’instar des modes courtoises françaises, à partir de la moitié du xiv e siècle, d’abord chez les membres de la cour des Visconti, grâce à l’arrivée de Blanche de Savoie, femme de Galéas II. À la différence des traditions religieuses de l’Europe septentrionale où le livre d’heures fut un support de la dévotion communément répandu parmi les fidèles, en Italie, il fut presque totalement réservé aux membres des classes sociales les plus favorisées. Le livre d’heures semble avoir été un objet rare parmi les autres instruments dévotionnels – retables, crucifix, poupons ayant la forme de l’enfant Jésus, estampes à sujet religieux – que les fidèles italiens utilisèrent pour l’exercice quotidien de leurs pratiques religieuses.
Sources
Une connaissance globale de l’utilisation et de la diffusion du livre d’heures en Italie impliquait au préalable de recenser les exemplaires italiens actuellement conservés dans les bibliothèques italiennes et étrangères, à partir des catalogues imprimés et électroniques. Parmi les catalogues informatiques, on notera l’intérêt du répertoire électronique compilé par l’Institut de recherche et d’histoire des textes, à Paris, qui a permis une approche complète des manuscrits enluminés conservés dans les bibliothèques municipales et universitaires de France. Les catalogues des bibliothèques italiennes n’offrent malheureusement pas un dépouillement complet et exhaustif de leurs manuscrits enluminés et cette lacune a constitué une limite importante à la recherche. Notre dépouillement a pris en compte sept critères : le lieu de conservation du manuscrit (ville et bibliothèque) ; sa cote ; l’époque de sa réalisation ; l’atelier d’enluminure ; le propriétaire-commanditaire ; le type de décoration et le titre sous lequel il est aujourd’hui communément connu.
Parmi ce corpus, ont été sélectionnés seize manuscrits italiens conservés à la Bibliothèque nationale de France (mss. lat. 757, 1342 et 1352 ; ms. Smith-Lesouëf 22) et à la British Library de Londres (mss. Additional 15625, 22567, 22569, 31836, 33997, 34294, 35316, 35317 et 38124 ; mss. Yates-Thompson 7, 23 et 30). Leur description textuelle et iconographique a mis en regard, d’une part, les éléments essentiels, secondaires et accessoires qui, conformément à la définition de l’abbé Victor Leroquais, composent la structure traditionnelle des livres d’heures, et, d’autre part, l’ordre des textes figurant dans les manuscrits et les images qui les illustrent. Cette confrontation a permis de dégager une structure d’organisation propre aux livres d’heures italiens.
Chapitre liminaire
Il a semblé important de revenir en préambule sur les principales caractéristiques du livre d’heures telles que les a définies l’abbé Leroquais, à partir de manuscrits de provenance surtout française et flamande conservés à la Bibliothèque nationale de France.
Le livre d’heures est un livre standardisé, indépendant du cycle liturgique annuel, divisé en différentes dévotions et dont la structure dérive de la prière de chœur, sans toutefois que les textes en soient contrôlés par l’Église. Le livre d’heures est donc la contrepartie du bréviaire, réservé au clergé, qui prévoit la récitation des prières tout au long de la journée, à heures fixes. Leur composante essentielle était l’office consacré à la vierge Marie et communément dénommé le « Petit office de Notre Dame » ; les autres éléments principaux furent empruntés au bréviaire : le calendrier, les petites heures de la vierge Marie, les sept psaumes pénitentiaux, les litanies, l’office des Défunts et les prières d’intercession aux saints, auxquels s’ajoutèrent d’autres textes. La combinaison de tous ces éléments – essentiels, secondaires et accessoires – pouvait varier, même si certains chercheurs, comme John Harthan, ont cru déceler un ordre particulier des textes.
Les premiers livres d’heures succédèrent au xiii e siècle au psautier comme support de la récitation des prières par les fidèles. Dès la deuxième moitié du xiii e siècle, avec l’extension graduelle de la pratique de la lecture dans les milieux laïques, les livres d’heures connurent une ample diffusion et s’imposèrent comme un instrument indispensable pour l’exercice de la dévotion. Si leur fonction primitive a été parfois réduite au rôle d’accessoire de la toilette féminine ou de sauf-conduit superstitieux, les témoignages sur la récitation quotidienne des « Heures » abondent. La récitation des prières devint une pratique individuelle qui encouragea les fidèles à vivre une expérience mystique et de contemplation plutôt qu’à participer à un rite liturgique communautaire. À une époque où la dévotion privée prit le pas sur la prière liturgique, l’homme médiéval décida de consacrer régulièrement une partie de sa journée à la prière ; lors de moments précis de la journée, dans la solitude et l’intimité de sa demeure, il était censé prier en utilisant son propre livre d’oraisons.
Chapitre premierLe rôle et la diffusion du livre d’heures dans la vie spirituelle en Europe à la fin du Moyen Âge
Le développement d’une nouvelle forme de dévotion laïque se répandit dès la fin du xiii e siècle lorsque l’Europe fut dominée par le désordre politique et la corruption des mœurs ecclésiastiques. Le comportement des clercs s’était éloigné de la morale chrétienne et, par conséquence, les fidèles modifièrent leur comportement ; on assista à l’adoption d’une conduite religieuse imitée du Christ, à une activité d’apostolat et de mise en acte des principes évangéliques et à l’apparition de nouvelles pratiques spirituelles à exercer dans la solitude et l’intimité comme, par exemple, la prière silencieuse. Ces idéaux et ces valeurs furent notamment exprimés dans l’activité de groupes et de confréries religieuses.
Au service de cette foi spontanée, sincère et prête à vivre une expérience mystique, la prière devint le moyen indispensable pour communiquer avec Dieu et pour obtenir son aide. La prière intime représenta l’expression la plus importante de la dévotion individuelle. À la différence de la prière de bouche que le fidèle récitait sans attribuer trop d’importance à l’intention intérieure, la prière de cœur permettait au fidèle de vivre une authentique expérience de contemplation et de méditation. Son développement fut étroitement lié à l’utilisation du livre d’heures, dont le succès fut lui-même rendu possible par la diffusion de la pratique de la lecture silencieuse.
Le fidèle trouva dans sa maison le lieu le plus approprié pour l’expression de sa propre dévotion. Dès le xiii e siècle, on y trouve un mobilier sacré qui rassemblait les icônes de la Vierge, les rameaux bénis, les livres d’heures, les reliquaires privés et, à partir de 1400, en Italie, les crucifix qui, au même titre que les Horae, servaient à la méditation pénitentielle ainsi que des prie-Dieu. La maison devint aussi le lieu où l’enfant pouvait recevoir sa première éducation spirituelle, transmise par sa mère.
La devotio moderna, mouvement spirituel qui connut une large propagation dans les pays de langue germanique à la fin du xiv e siècle et au début du siècle suivant, diffusa un message qui donna une grande valeur à la prière intime et à l’exercice d’une pratique religieuse individuelle. Ce fut dans ce contexte que l’Europe septentrionale connut une progressive mais large expansion des livres d’heures, qui devinrent l’instrument dévotionnel le plus répandu.
Chapitre IILa vie spirituelle italienne et la spécificité de l’Italie septentrionale
La société italienne de l’époque communale connut les mêmes difficultés politiques et religieuses que le reste de l’Europe. La réponse au déclin et à la corruption du pouvoir politique et religieux fut offerte par le message de saint François d’Assise qui, à une époque bien antérieure au mouvement de la devotio moderna, comprit que les fidèles italiens attendaient un renouvellement spirituel.
Saint François et ses confrères proposèrent le retour à la vie apostolique des origines et soutinrent la valeur de la pauvreté volontaire, comme celle de la vénération du Christ et de la vierge Marie. Grâce à son œuvre de prédication, à son activité pastorale et caritative et à l’organisation de congrégations pieuses, l’ordre franciscain exerça une forme de contrôle sur la vie religieuse des laïcs et orienta leurs pratiques religieuses.
En Italie, à la différence des pays de l’Europe septentrionale, le fidèle n’exerça pas sa religiosité d’une manière pleinement intime et individuelle. L’expression de sa foi fut constamment soumise à l’encadrement des ordres mendiants et des autorités publiques. Le contrôle exercé par l’autorité communale fut assez fort : il ne se limita pas à la mise en acte d’une liturgie communautaire centrée autour de la célébration du saint patron, comme à Milan, Venise ou Sienne, mais imposa aussi le respect d’une norme somptuaire qui limitait l’ostentation du luxe des vêtements et des objets de la liturgie privée.
En Italie, la vie religieuse des laïcs continua donc à être animée par les initiatives prises par les clercs, les ordres mendiants et les autorités communales et laissa moins de place à la dimension privée. L’expression de la religiosité des fidèles italiens entre les xiii e et xvi e siècles met donc en évidence une forme de dévotion qui ne se détacha jamais entièrement de l’institution ecclésiastique officielle. De ce fait les objets dévotionnels qui servaient à la méditation et à la prière individuelle, notamment le livre d’heures, ne connurent jamais le même niveau de propagation qu’en France et dans les pays flamands.
Ce désintérêt fut accentué par la prédilection qu’accordèrent les Italiens aux poupées ayant la forme de l’enfant Jésus. Ces objets de vénération répondaient aussi à une finalité didactique : en transmettant son affection au poupon qui figurait Jésus, la jeune italienne s’efforçait d’imiter la vierge Marie, qui offrait le modèle de comportement féminin le plus vertueux. Le poupon et le programme iconographique du livre d’heures, autour des scènes de la vie de Marie et des saintes, exhortaient la fonction première de la femme, celle de mère, tout en autorisant une foi qui s’exerçait concrètement au quotidien. Pour les jeunes filles italiennes, changer et parer de beaux habits et de bijoux le petit Jésus semble avoir eu le même rôle que réciter son livre d’heures pour les femmes du Nord de l’Europe.
Chapitre IIILa cour des Visconti-Sforza
En Italie, l’usage du livre d’heures se répandit à l’instar des modes courtoises françaises. Ces dernières commencèrent à exercer une large influence sur les traditions et les coutumes de l’Italie septentrionale au cours de la seconde moitié du xiv e siècle lorsque, à la cour de la famille Visconti, on célébra le mariage entre Galéas II et la princesse française Blanche de Savoie.
L’arrivée de Blanche de Savoie à la cour lombarde introduisit l’usage du livre d’heures pour la récitation quotidienne des prières, selon une coutume bien répandue parmi les femmes nobles vivant au-delà des Alpes. Les trousseaux que Blanche de Savoie et sa belle-fille, Isabelle de Valois, femme de Jean-Galéas Visconti, apportèrent à la cour lombarde comprenaient plusieurs livres d’heures richement décorés et reliés. De plus, Blanche de Savoie enrichit sa collection, en commandant la confection de nouveaux livres d’heures à des ateliers parisiens, mais aussi à l’atelier lombard de Giovanni di Benedetto da Como (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, ms. Clm. 23215).
Dès lors l’utilisation du livre d’heures connut un certain succès auprès des princesses de la famille Visconti, Caterina de Bernabò Visconti, seconde femme de Jean-Galéas, et Valentina Visconti, femme de Louis d’Orléans, et auprès de membres d’autres familles princières, comme les Gonzague : Eleonora Ippolita Gonzague della Rovere (Londres, British Library, Yates- Thompson, ms. 7 ; Oxford, Bodleian Library, ms. Douce 29), Cecilia Gonzague (New York, Pierpont Morgan Library, ms. 454) et Isabella d’Este, femme de Francesco II Gonzague (Chantilly, Musée Condé, Divers VI, 356-357).
Les princesses Visconti devinrent le modèle des goûts et des modes répandus en Europe dès le dernier quart du xiii e siècle, lorsque le livre d’heures devint l’un des accessoires plus appréciés, par les femmes comme par les hommes. Ce fut dans ce contexte que démarra la production des livres d’heures italiens dits offizioli : les premiers exemplaires furent réalisés pour les aristocrates et il faudra atteindre la seconde moitié du xv e siècle pour voir le livre d’heures toucher un public plus large, celui de la bourgeoisie. C’est ce public élargi qui suscita la production en série des ateliers florentins entre la seconde moitié du xv e siècle et la première moitié du siècle suivant, comme l’a démontré Annarosa Garzelli.
Chapitre IVLe livre d’heures d’origine italienne.
Sa structure textuelle et iconographique
La quinzaine d’exemplaires italiens qui font ici l’objet d’une analyse détaillée s’échelonnent entre la seconde moitié du xiv e siècle et le début du xvi e siècle et ont été réalisés en Lombardie, Vénétie et Toscane. Si l’on excepte la production florentine, qui date des années 1440 à 1525, le corpus remonte aux xiv e et xv e siècles.
Les commanditaires appartenaient, dans la plupart des cas, aux familles nobles de la région étudiée. L’importance du rang social des commanditaires des manuscrits transparaît au travers des armes de leur famille et de la figuration de leur portrait. Les armoiries et les monogrammes des noms des propriétaires apparaissent très fréquemment et deviennent une des composantes ornementales des encadrements, à la différence des portraits qui sont limités aux exemplaires les plus célèbres. Ces livres d’heures se distinguent par ailleurs par la complexité et l’abondance de la décoration enluminée.
Le premier groupe de textes qu’on trouve régulièrement à l’ouverture du livre d’heures en Italie est formé par un calendrier et par l’« Office de la vierge Marie » selon l’usage de Rome. Le calendrier est dit franciscain, car il contient la célébration des saints que cet ordre vénérait d’une manière toute particulière : saint François, sainte Claire, saint Bernardin de Sienne, saint Bonaventure et saint Antoine de Padoue. À la différence des exemplaires français et flamands, le calendrier du livre d’heures italien est très rarement décoré ; la seule exception est offerte par le livre d’heures de Laudomia de Médicis (Londres, British Library, Yates-Thompson 30). L’« Office de la vierge Marie » se distingue par son cycle iconographique, qui ne se limite pas à l’enfance de Jésus, mais contient aussi des scènes de la Passion. Il s’agit là d’une caractéristique importante, qui témoigne de l’influence que l’enseignement franciscain et, d’une manière plus particulière, le message de saint Bonaventure, qui avait exhorté le fidèle à la méditation sur les souffrances du Christ, exercèrent sur la réalisation de ce genre de manuscrit. La célébration de la vierge Marie est accompagnée d’autres textes – la « Messe en l’honneur de la Vierge » et plus rarement les deux prières « Obsecro te » et « O Intemerata » et les Sept joies de la Vierge –, qui n’occupaient pas une place fixe et pouvaient précéder ou suivre l’« Office de la Vierge ».
Après l’« Office de la Vierge », on observe un deuxième groupe de textes qui regroupe les « Sept psaumes de la Pénitence », les « Litanies » et l’« Office des Morts ». Ce groupe se caractérise par une uniformité textuelle et iconographique ; ainsi, les psaumes de la Pénitence sont-ils toujours introduits par l’image de « David qui prie », sans que l’on retrouve des variantes comme le « roi David jouant de la cithare » ou « David et Bethsabée » si fréquentes dans l’Europe septentrionale.
L’« Office de la Croix » et l’« Office de la Passion » forment le troisième groupe de textes. L’« Office de la Passion » attribué à saint Bonaventure apparaît très rarement dans les Horae françaises et flamandes, mais semble avoir été l’une des composantes caractéristiques des livres d’heures italiens. Dans le corpus étudié, il apparaît dans quatre exemplaires (Londres, BL, mss. Additional 31836, 34294, Yates-Thompson 23 ; Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. 1352). Sa singularité tient à la spécificité du cycle iconographique qui illustre le calvaire de Jésus : il met en avant le désespoir et la douleur, au travers notamment de gestes de deuil, et renonce à une acceptation calme et sereine de la mort et donc de la décision divine.
Le livre d’heures italien se concluait avec des prières à prononcer pendant la messe ou avant de se coucher (« Officium dormicionis ») et avec des textes plus particuliers comme, par exemple, les « Quinze psaumes graduels » et l’ « Officium viae ». Ces deux pièces se retrouvent dans la plupart des livres de prières de petit format, le plus souvent anonymes. Leur aspect plus simple donne à penser qu’ils furent probablement confectionnés pour des marchands qui, à l’occasion de leurs voyages, n’oubliaient pas de garder leur livre de prière avec eux (Londres, BL, mss. Add. 22567, 23774, 31836, 33997, Yates-Thompson 23, 30 ; Modena, Biblioteca Estense, ms. Latino 842=ά. R.7.3).
Conclusion
La vie religieuse du fidèle italien fut marquée, à partir de la deuxième moitié du xiii e siècle, par la diffusion du message franciscain. Saint François avait souligné l’importance de consacrer régulièrement une partie de la journée à la méditation et à la contemplation ; à ses yeux, la prière la plus authentique était la prière de cœur, dont les mots devaient s’accorder avec les intentions les plus sincères de l’âme. L’enseignement franciscain anticipait d’une certaine manière le message transmis par la devotio modernaà partir du xv e siècle en faveur d’une forme de religiosité plus personnelle, permise par la diffusion du livre d’heures. En Italie, la pratique d’une prière constante, certes défendue par les Franciscains et par les Dominicains, se tint à distance de toute forme d’individualisme religieux et se heurta à une religiosité collective et contrôlée par les communes. Ainsi, cette organisation publique de la vie religieuse peut-elle expliquer la moindre diffusion du livre d’heures en Italie.
Quoiqu’il en soit, l’enseignement de saint François d’Assise et les pratiques des confréries influencèrent le livre d’heures italien par le choix de textes illustrant la vie de la Vierge et la Passion de Christ, notamment l’« Office de la vierge Marie » et l’« Office des Morts », textes si caractéristiques des exemplaires italiens.
On peut donc distinguer deux milieux de réception du livre d’heures italien : un public lié aux ordres mendiants et qui attribuait une grande importance à la pratique d’une oraison constante ; un public de cour, influencé par les Visconti. Au premier groupe étaient destinés des livres d’heures de facture et de mise en page simples et modestes (par exemple, British Library, ms. Additional 15625 ; Bibliothèque nationale de France, ms. Lat. 1352). Cette production, la plus ancienne, ne contribua pas à diffuser largement le livre d’heures. En fait, ce sont les livres d’heures lombards, à la structure textuelle et ornementale bien plus complexe (par exemple British Library, ms. Additional, 34294 ; Bibliothèque nationale de France, mss. Latin 757 et Smith-Lesouëf, 22), qui répandirent largement ce type d’ouvrage dans les grandes familles nobles (les Gonzague de Mantoue, les Erizzo de Venise), à partir du foyer culturel milanais que représentait la cour des Visconti à la fin du xiv e siècle.
Annexes
Répertoire de deux cent vingt livres d’heures réalisés dans l’Italie septentrionale entre les xiv e et xvi e siècles. — Édition de passages tirés de livres d’heures significatifs. — Liste des livres d’heures ayant appartenu aux membres de familles aristocratiques. — Répertoire des symboles d’identification du propriétaire (armes, emblèmes, portrait).