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École des chartes » thèses » 2009

La religion du roi

Lieux et expression de la dévotion à la cour de Louis XIV (1643-1682)


Introduction

« Très-Chrétien » et « oint du Seigneur », le roi de France appuie en grande partie son autorité sur le caractère religieux de son titre. Engagé par le serment du sacre à protéger les chrétiens et les intérêts de l’Église, il doit également incarner au cours de ses dévotions quotidiennes un idéal de piété laïque. Ces postulats de base, théoriquement valables au moins pour l’ensemble de la période moderne, et malgré le caractère pérenne auquel aspire la royauté, portent cependant dans leur application la marque de leur temps : la religion du roi, concept inscrit dans la continuité de la monarchie catholique, a elle aussi une histoire.

Au-delà des choix de politique extérieure parfois contraires aux préceptes religieux défendus à l’intérieur du royaume, ou des conflits politiques opposant la France à la papauté durant le règne de Louis XIV, il s’agit plutôt ici d’étudier l’évolution que connaît au xvii e siècle l’image du roi Très-Chrétien. De l’avènement de Louis XIV à l’installation de la cour à Versailles, l’expression de la religion de la famille royale connaît en effet quelques changements, au même titre que la vie de cour dans sa globalité, dominée par l’émergence du cérémonial versaillais. La première partie du règne de Louis XIV apparaît ainsi comme une période particulièrement propice à une étude des pratiques religieuses de la cour : dans un contexte de réforme catholique et d’application des décisions du concile de Trente, la dévotion du roi subit l’influence du Siècle des saints, mais également des remous politiques que traverse la royauté ; le succès du pouvoir monarchique passe aussi par la religion.

Les innovations du règne de Louis XIV en matière de pratiques religieuses sont en grande partie le fait de la régence qui, succédant au règne du pieux mais discret Louis XIII, renouvelle la sacralité de la royauté en multipliant les actes de dévotions publiques, fondations religieuses ou pèlerinages, auxquels les journaux offrent un nouvel outil de publicité ; la régence se caractérise par une pratique religieuse itinérante, découlant du mode de fonctionnement traditionnel de la monarchie.

Au contraire, le début du règne personnel de Louis XIV fait le choix d’une plus grande stabilité géographique de la cour, et ce, avant même son installation à Versailles ; le lien avec les établissements religieux de la capitale en particulier se fait moins ressentir, tandis que se multiplient les projets de chapelles à l’intérieur des résidences royales. Enfin, l’essor du cérémonial de cour s’accompagne d’un développement de la liturgie royale, en particulier dans l’intérêt porté à la musique.

Sujet transversal, l’étude de la religion du roi demande l’intervention de l’historien, aussi bien que de l’historien de l’art et du musicologue. Les scènes de dévotion royale révèlent ainsi un pan total de la vie de la cour et mettent en valeur la particularité de ce microcosme, dont on a souvent négligé l’existence pré-versaillaise.


Sources

Les sources produites par les administrations curiales avant la fin du xvii e siècle ne sont que très partiellement conservées ; si les états des officiers du roi sont bien connus grâce aux copies de listes de personnels effectuées au xviii e siècle et conservées par la Cour des aides (Archives nationales, série Z1a), le fonctionnement des institutions religieuses proprement dites reste difficilement accessible, les fonds de la grande aumônerie étant inexistants avant les années 1700. Les fonds de la Maison du roi et des Menus Plaisirs (Archives nationales, série O1) ne présentent donc qu’un support partiel pour cette étude. De même, les grandes chroniques de la cour composées par Dangeau et le marquis de Sourches ne commencent guère avant 1682. Ce déséquilibre des sources semble d’ailleurs expliquer la grande faveur dont a bénéficié la période versaillaise auprès des historiens de la cour, à l’image de la grande étude consacrée par Alexandre Maral à la chapelle royale de Versailles. Avant cette date, les témoignages de Madame de Sévigné ou de Saint-Simon ne mentionnent que très ponctuellement l’activité religieuse de la cour. Seuls les récits de cérémonies compilés par Godefroy père et fils, puis par les maître des cérémonies Sainctot, et conservés sous forme de nombreuses copies, aux Archives nationales et à la Bibliothèque nationale notamment, offrent une source régulière dès le xvii e siècle.

Les sources imprimées offrent cependant un accès privilégié à l’étude de la première partie du règne de Louis XIV. Les périodiques apparus depuis le début du xvii e siècle, au premier rang desquels la Gazette de Renaudot et la Muse historique de Loret, permettent en effet le relevé quotidien des dévotions de la famille royale. L’utilisation systématique de ces sources permet ainsi la reconstitution fine de l’activité religieuse du roi, pour laquelle deux axes principaux ont été choisis : le temps, c’est-à-dire le calendrier de cette activité, et les lieux. Ces premiers supports ont en effet mis en lumière la caractéristique de la religion royale avant 1682, à savoir les liens privilégiés unissant la famille royale aux couvents parisiens. Ce premier constat a pu être confirmé par le recours aux fonds des établissements religieux de la capitale (Archives nationales, série L et LL), ainsi qu’aux registres du parlement de Paris, dans lesquels ont été systématiquement relevés les actes de création religieuse dans la capitale (Archives nationales, série X 1 a ). À partir des années 1670, les récits du Mercure Galant apparaissent comme complémentaires de ceux de la Gazette.

Les récits produits par les principaux historiens de la cour ont représenté une source de choix dans cette étude. Depuis Guillaume Du Peyrat et son Histoire ecclésiastique de 1645 jusqu’à l’abbé Oroux en 1776, en passant par le Cérémonial historique de l’abbé Chuperelle (archives départementales de la Seine-Maritime, 28 F 45 à 48), les récits les plus fiables concernant l’activité de la chapelle royale sont ainsi dus à d’anciens membres de cette institution, soucieux d’apporter eux-mêmes la preuve du prestige de leur corps.

Enfin, les sources iconographiques apportent un éclairage précieux sur l’organisation de la religion du roi, et sur le discours qui l’accompagne : la richesse de leur production et la récurrence de certains thèmes attestent d’une véritable construction autour de l’image du roi pieux.


Préambule
Autour de la chapelle royale :
les cadres religieux de la cour


L’histoire de la chapelle royale, au même titre que toutes les grandes charges de la cour, doit être considérée dans une perspective large : les fonctions domestiques rattachées au service privé du roi, apparues depuis le Moyen Âge, voient peu à peu leur champ de compétence élargi à l’ensemble du domaine royal, puis au royaume. La charge de grand aumônier du roi connaît cependant un parcours particulièrement mouvementé : chargé de célébrer la messe devant le roi et de gérer la caisse des aumônes royales, cet ecclésiastique voit certes ses prérogatives s’étendre depuis le xvi e siècle ; mais les changements de titulature de cet office sont les symptômes d’une difficulté à définir son statut, tant au niveau de la Maison du roi, qu’à l’échelle du royaume.

Les attributions des grandes charges de la chapelle royale sont en effet l’objet de contestations régulières de la part de l’ordinaire ecclésiastique à l’époque moderne : plusieurs tentatives de définition d’une juridiction de la chapelle sont esquissées à partir du xvii e siècle et se poursuivent jusqu’aux années 1720, sans que le débat ne trouve de conclusion satisfaisante. Les évolutions institutionnelles sont diverses : tandis que le maître de l’oratoire devient une charge purement honorifique, le grand aumônier lutte pour la reconnaissance de ses prérogatives, notamment par la production de libelles. Mais l’émergence d’un personnel administratif laïc spécialisé entraîne la perte d’autorité de la chapelle royale sur les fondations hospitalières et charitables du roi ; le grand aumônier perd sa fonction première de gestionnaire des aumônes royales, désormais confiées à un trésorier des offrandes.

La primauté du service religieux à la cour revient certes sans conteste au corps de la chapelle royale, principalement constituée de chapelains et d’aumôniers chargés d’assister le roi dans ses devoirs religieux ; la chapelle royale occupe même le premier rang au sein de la maison du roi. Mais l’organisation du culte à l’intérieur de la cour révèle une plus grande complexité. Outre les domestiques religieux attachés aux grands de la cour, d’autres structures se partagent le service du culte, tels les aumôniers de Saint-Roch, chargés de célébrer l’office devant les officiers royaux. À l’institution de la chapelle royale, rattachée à la personne du roi, s’ajoutent également les personnels des résidences royales : chaque chapelle royale est en effet desservie par un personnel local, qui peut entrer en concurrence avec les aumôniers du roi itinérants.

Mais malgré son statut ecclésiastique, le personnel qui compose les différentes institutions religieuses de la cour suit les mêmes règles que tout officier du roi, comme le montre une rapide étude du personnel musical de la chapelle royale. Les voies de recrutement et de rétribution sont ainsi similaires à celles de tout office royal. Mais pour prestigieux qu’il soit, le titre de membre de la chapelle royale offre des revenus insuffisants à ses détenteurs, forcés pour la plupart d’occuper des charges complémentaires en dehors de la cour.


Première partie
La mise en scène d’une dévotion baroque (1643-1660)


Chapitre premier
La religion du roi au Siècle des saints

Une étude de la religion royale au xvii e siècle ne saurait commencer abruptement avec l’avènement de Louis XIV. Elle s’ancre au contraire dans la continuité de pratiques établies dès le début du siècle, sous l’influence de la réforme catholique et du concile de Trente. Depuis Marie de Médicis, la principale expression de la dévotion du roi passe par sa participation à l’établissement de nouveaux couvents, en particulier dans la capitale. Les fondations réalisées par Louis XIII à Paris constituent ainsi les pôles autour desquels se cristallise la dévotion royale au moins jusqu’à la régence d’Anne d’Autriche.

Le patrimoine religieux de la monarchie comprend en outre un important réseau de fondations (prieurés, ermitages), souvent en contact étroit avec les résidences royales : celles-ci s’inscrivent ainsi dans une sacralité permanente, des congrégations religieuses y célébrant le culte en l’absence de la cour. Ce réseau s’étend théoriquement à l’ensemble du royaume, mais les saintes chapelles qui constellent le territoire connaissent au cours du siècle une nette désaffection de la part de la monarchie. Au contraire, les résidences royales de la région parisienne, Fontainebleau et Saint-Germain-en-Laye, se voient dotées par Louis XIII de nouvelles chapelles royales de goût baroque.

Également sous l’influence du père de Louis XIV, deux tendances dominent la dévotion royale. D’une part, la figure du roi est de plus en plus souvent assimilée à celle de saint Louis, en particulier dans la production iconographique. D’autre part, le vœu de consécration du royaume à la Vierge, prononcé par Louis XIII en 1638, associe définitivement la figure mariale au salut du royaume et, par extension, à la personne du futur Louis XIV, dont la naissance tardive est aussitôt interprétée comme miraculeuse. Annoncé par des visions dans l’ensemble du royaume, ce « miracle dynastique » est suivi de nombreuses fondations et pèlerinages associant la naissance du dauphin au vœu de Louis XIII.

Chapitre II
Les dévotions de la régente

Dès son mariage, Anne d’Autriche avait fait preuve d’une attitude de grande piété, conforme au rôle traditionnellement dévolu aux reines de France. Mais l’ouverture de la régence donne à son action une portée nouvelle. La mort de Louis XIII entraîne en effet le retour de la cour à Paris et permet le resserrement des liens établis entre la régente et les couvents de la capitale. L’activité d’Anne d’Autriche en termes de fondations religieuses reste certes limitée, puisque le Val-de-Grâce est sa principale, voire sa seule création. Mais la reine n’a de cesse de témoigner son soutien aux établissements parisiens, en particulier par sa participation aux cérémonies de consécration des nouveaux sanctuaires.

Sur le plan architectural, l’installation de la cour au Palais-Royal en 1643 a pour conséquence le quasi-abandon des chapelles royales situées hors de Paris. Au cours des travaux effectués dans sa nouvelle résidence, la régente fait le choix de lieux de dévotion privée ; elle se fait ainsi construire un oratoire personnel, tandis que la grande chapelle du palais n’accueille que rarement les dévotions royales. Anne d’Autriche choisit en effet les églises de la capitale, plutôt que sa chapelle palatiale, comme cadres de ses dévotions quotidiennes, fréquentant chaque jour plusieurs sanctuaires en fonction du calendrier liturgique. Adoptant l’attitude de tout pieux laïque, elle s’inscrit dans de nombreuses confréries parisiennes ; sa piété est ainsi érigée en modèle de manière d’autant plus efficace que chacun de ses gestes de dévotion est rapporté par la Gazette.

Au sortir des années troublées de la Fronde, l’exceptionnelle piété de la reine apparaît en effet comme un outil politique de premier ordre. En participant à l’établissement de nouvelles églises dans les faubourgs qui avaient bravé l’autorité monarchique, Anne d’Autriche parvient à donner une dimension sacrée à son action politique. La régente s’impose ainsi comme modèle de piété laïque en correspondance avec les nouvelles pratiques de la réforme catholique, et adopte des pratiques parfois spectaculaires : les vœux prononcés pour le roi et le royaume, les pèlerinages, mais aussi les actions privées telles que les fondations de messe et les retraites dans des couvents, sont l’expression d’une religion pragmatique, fondée sur une sensibilité réelle mais également destinée à édifier les foules. La diffusion des images de cette fidélité participe également à la construction de la figure de la « reine dévote » : les représentations de la reine en prière se multiplient.

Chapitre III
Mise en scène d’une piété baroque

Le rôle joué par la Gazette et les périodiques contemporains dans la diffusion de l’image pieuse de la reine est d’autant plus important qu’il ancre les dévotions royales dans un mouvement de continuité et de répétition, créant un phénomène routinier dans la lecture de ses articles. Mais la période de la régence est également propice à la réalisation de gestes plus spectaculaires, rapprochant la dévotion royale du domaine du sacré. Les cérémonies célébrées au jour anniversaire de la mort de Louis XIII constituent la première étape de cette sacralisation de la monarchie. Mais surtout, les vœux prononcés par Anne d’Autriche au cours des différentes maladies de Louis XIV et les cérémonies d’actions de grâces qui accompagnent l’annonce de sa guérison sont l’expression d’un phénomène de sacralisation du souverain. Au lendemain de la Fronde, cette tendance trouve son aboutissement dans la célébration du sacre de Louis XIV, en juin 1654. Perpétuant des pratiques pluriséculaires, cette cérémonie semble apporter un terme définitif aux troubles intérieurs du royaume.

À la fin des années 1650, la cour renouant avec le mode de vie itinérant qu’elle avait temporairement abandonné durant la régence, les manifestations de dévotion royale peuvent sortir de la capitale pour s’exprimer dans un cadre élargi. Les séjours de la cour dans la partie nord-est du royaume, à proximité du front, sont en effet pour Anne d’Autriche l’occasion de fréquenter d’autres sanctuaires et ainsi de donner à son action religieuse une envergure presque nationale. Les derniers grands voyages effectués par la cour au sud de la Loire, de 1658 à 1660, marquent cependant les limites de l’activité religieuse de la reine. En effet, les pèlerinages de la royauté ne suffisent jamais à justifier un déplacement de la cour, et les dévotions de la souveraine doivent au contraire s’adapter aux obligations politiques des déplacements royaux. Si la dévotion royale constitue bien un élément majeur de l’imaginaire monarchique, elle n’en reste pas moins subordonnée aux enjeux politiques.


Deuxième partie
De la dévotion du roi à la religion de la cour (1660-1682)


Chapitre premier
Vers une réorganisation de la religion royale ?

Les bouleversements politiques des années 1660-1661, la paix des Pyrénées et le mariage de Louis XIV, puis la mort de Mazarin, ne sont pas sans conséquence sur l’organisation de la religion royale. Les fondements de celle-ci ne sauraient cependant être remis en question ; la rencontre des cours française et espagnole met ainsi en valeur l’existence de pratiques cérémonielles nationales entre lesquelles aucune véritable confrontation n’est envisageable. La principale évolution que connaissent alors les dévotions royales est due à l’arrivée d’une nouvelle reine à laquelle devrait désormais revenir le rôle de guide spirituel de la cour. Mais les retraites de plus en plus nombreuses effectuées par Anne d’Autriche au Val-de-Grâce, au lieu de l’écarter de la cour, lui confèrent au contraire définitivement le premier rôle religieux. En effet, tandis que la nouvelle reine reproduit scrupuleusement les pratiques dévotionnelles de la monarchie, s’inscrivant dans les confréries parisiennes et fréquentant les églises fondées par ses prédécesseurs, Anne d’Autriche continue à dominer la scène religieuse de la cour. Elle est ainsi le pivot autour duquel s’organisent les dévotions pour la naissance du dauphin, en 1661. La mort d’Anne d’Autriche semble marquer l’apothéose de son action religieuse : à l’annonce de son agonie, les prières se multiplient dans tout le royaume et les oraisons funèbres se poursuivent durant plus d’un an après son décès. Les célébrations adoptées par le Val-de-Grâce en souvenir de sa fondatrice et principale bienfaitrice donnent pour la première fois à une souveraine un statut comparable à celui d’un souverain. En effet, alors que seule la mémoire des rois est entretenue par les religieux de Saint-Denis, le Val-de-Grâce offre à la mémoire d’Anne d’Autriche un exemple unique de commémoration monarchique féminine.

L’influence exercée par Anne d’Autriche sur les activités dévotionnelles de la cour s’essouffle cependant après sa disparition. Ici encore, le cadre de résidence de la cour joue un rôle primordial sur son activité religieuse. Louis XIV ayant quitté la capitale dès janvier 1666, les couvents parisiens perdent le contact direct qu’ils avaient pu entretenir avec la monarchie depuis 1643. Devenue seule souveraine de la cour, Marie-Thérèse ne parvient que partiellement à poursuivre l’action d’Anne d’Autriche. À Paris, son action se limite aux deux couvents carmélites de la capitale, ce qui semble témoigner de son attachement aux pratiques dévotionnelles espagnoles plutôt que d’une volonté fondatrice de grande envergure. Malgré quelques interventions en faveur des établissements de Saint-Germain-en-Laye, où vit désormais la cour, la dévotion de Marie-Thérèse ne peut faire oublier celle d’Anne d’Autriche.

Chapitre II
Les dévotions de Louis XIV

Réputé n’avoir manqué qu’une seule fois la messe, Louis XIV accomplit avec scrupule les devoirs religieux attachés à sa fonction. Il poursuit en de nombreux points les pratiques établies par ses prédécesseurs, notamment en matière de représentations iconographiques ; le thème de l’assimilation du souverain régnant au roi saint Louis, apparu sous Louis XIII, bénéficie d’un regain d’intérêt à partir du règne personnel de Louis XIV, d’autant plus remarquable qu’il se diffuse même dans les églises de province. À Paris, en revanche, la manifestation de la religion royale tend à disparaître, le roi ne résidant quasiment plus dans sa capitale. C’est pourtant à Paris, autour du chantier du Louvre, que la réflexion autour de la chapelle royale comme élément architectural majeur de l’ensemble palatial connaît sa plus grande évolution. En effet, Colbert ayant pris la suite des travaux entrepris par Mazarin au Louvre, un nouveau chantier se met en place à partir de 1664. Parmi les architectes français et italiens auxquels il fait appel, plusieurs proposent des solutions originales de chapelle palatiale ; de plan centré ou cruciforme, à un ou deux étages, elles offrent de nouvelles perspectives à la construction de la chapelle royale. Aucune ne verra finalement le jour, le chantier étant peu à peu abandonné au profit des projets versaillais du roi ; mais ces réflexions ont permis l’élaboration d’idées que reprendront les architectes de Versailles.

Ces réflexions autour du lieu de la religion royale sont à relier avec l’évolution du comportement religieux du roi. Désormais installée hors de Paris, la cour ne peut plus, comme durant la régence, varier à l’infini le lieu de ses dévotions. Tandis que la messe du roi se stabilise entre la chapelle palatiale et l’église paroissiale, le cérémonial tend lui aussi à gagner en rigueur. La stabilisation géographique de la cour, l’attention reportée sur la religion du roi au détriment de celle de la reine, encouragent en effet un regain d’intérêt porté au règlement de la messe du roi. Rompant avec le fonctionnement canonial établi par Henri III, Louis XIV reprend à son compte une innovation de Louis XIII : le roi abandonne définitivement son oratoire privé pour entendre la messe quotidienne dans la grande chapelle palatiale, entouré de toute la cour. L’accroissement de l’apparat qui accompagne l’office quotidien favorise les recherches autour du cérémonial ; alors que la dévotion d’Anne d’Autriche se caractérisait par une ferveur toute baroque, la religion de Louis XIV est la transposition, dans le domaine sacré, du nouvel ordre de la cour. Le Mercure Galant, qui apparaît régulièrement à partir de la fin des années 1670, reflète cette évolution en se spécialisant dans les récits de cérémonies de cour, tandis que les Almanachs offrent chaque année une représentation imagée de ces mêmes cérémonies. On assiste également à un renouvellement du genre du cérémonial : les maîtres des cérémonies en particulier, charge monopolisée par la dynastie des Sainctot, produisent des récits détaillés de cérémonie de nature privée (baptême et mariage) ; ces récits, toujours manuscrits, connaissent une énorme publicité, comme l’atteste le grand nombre de copies aujourd’hui conservées.

Chapitre III
Religion et musique à la cour de Louis XIV

Élément fondamental de l’apparat monarchique à l’intérieur de la chapelle royale, la chapelle-musique connaît durant les premières années du règne personnel de Louis XIV une véritable révolution institutionnelle.

Dans un premier temps, la croissance des effectifs répond à une réflexion contemporaine, issue du concile de Trente, sur le rôle à accorder à la musique dans la liturgie. Le xvii e siècle voit la musique religieuse française hésiter entre l’héritage grégorien et l’adoption de formes nouvelles. Si les efforts de Mazarin en matière d’implantation de musiciens italiens dans le royaume se fait surtout sentir dans le domaine profane, l’influence italienne est perceptible dans le recrutement des musiciens à partir des années 1670, lorsque les effectifs gagnent en importance – les castrats en particulier viennent d’Italie. Les témoignages de présence féminine à la Chapelle sont rares avant 1682, mais c’est autour de 1660-1670 que les instruments y font leur entrée. 1663 et 1683 sont les années des plus grands changements à la Chapelle, avec l’arrivée puis le départ des sous-maîtres auxquels on attribue le plus grand rôle dans le développement du petit motet : Pierre Robert et Henri Du Mont. La période voit également le remplacement des messes quotidiennes en plain-chant par des messes basses, le plain-chant étant réservé aux messes et vêpres des fêtes ; cette mesure, issue de la seule volonté de Louis XIV, est également fondamentale dans l’histoire du petit motet. Si le motet versaillais n’est pas encore élaboré, la publication des grands recueils par Ballard en 1684 (Lully, Du Mont, Robert), « sur ordre expres du Roy », annonce son aboutissement. Par ailleurs, les Motets et élévations de la Messe du Roy sont la principale, voire l’unique source musicale certifiée de la musique de la Chapelle ; la diffusion de ces créations musicales sous forme imprimée témoigne de la publicité dont bénéficie désormais la musique à l’intérieur de la chapelle royale.

Le formidable essor dont bénéficie la musique religieuse à la cour ne saurait donc être entièrement attribué, comme l’historiographie l’a souvent fait, à l’installation de la cour à Versailles en 1682. Dès les années 1660, Louis XIV procède à l’introduction de nouveaux effectifs instrumentaux dans la chapelle-musique. Les grandes créations musicales sont quant à elles le fait des grandes cérémonies dynastiques, en particulier le mariage du roi, puis le baptême du dauphin en 1668. Mais cette réforme de la Chapelle s’inscrit dans une évolution globale des institutions musicales de la cour. L’influence de Lully, bien que celui-ci n’ait jamais occupé de charge dans la Chapelle, est ainsi déterminante, puisque la réalisation de ses œuvres nécessite la réunion des effectifs musicaux de la Chambre et de la Chapelle. Il serait abusif de voir dans l’installation de la cour à Versailles l’élément déclencheur à partir duquel la chapelle-musique aurait été transformée. Au contraire, Versailles apparaît comme l’aboutissement d’un processus engagé depuis 1666, lors du départ de la cour hors de Paris : désormais éloignée du cadre public de la capitale, la religion du roi est peu à peu assimilée à l’apparat de cour et, à ce titre, nécessite de nouveaux moyens de mise en scène, dont la chapelle de Robert de Cotte en 1710 sera la consécration.


Conclusion

Les modes d’expression de la dévotion royale au second xvii e siècle se placent ainsi sous l’influence successive d’Anne d’Autriche et de Louis XIV. Alors que la piété baroque de la régente avait choisi comme ancrage les églises parisiennes, adoptant des pratiques dévotionnelles presque populaires, Louis XIV, en choisissant d’éloigner la cour de Paris, donne indirectement à sa dévotion un caractère plus solennel. La religion fait désormais partie intégrante du cérémonial de cour, ainsi que l’expriment architecturalement les différentes chapelles de Versailles.

La question des lieux apparaît en effet primordiale dans une étude des pratiques religieuses de la cour. Selon qu’elle se trouve à Paris ou dans une résidence royale éloignée, la monarchie doit adapter son comportement aux établissements placés à sa disposition. À Versailles, où n’existe aucun sanctuaire réputé avant que la monarchie ne s’y établisse, la chapelle royale s’impose comme principal voire unique lieu de dévotions royales. Cette domination, qui perdure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, explique que l’historiographie ait longtemps négligé la période antérieure, durant laquelle la religion du roi s’était exprimé dans un tout autre cadre. Il apparaît ainsi nécessaire de réhabiliter la période de la régence et du ministériat de Mazarin et leur influence sur le « système de cour », dont Versailles marque l’aboutissement, et non l’origine.


Annexes

Traitement iconographique de la religion du roi : images des dévotions d’Anne d’Autriche ; la Sainte-Famille, la famille royale et la Trinité ; la famille royale, les saints et les ordres religieux du royaume.

Géographie de la religion du roi : tableau synthétique des déplacements de la cour ; cartes de l’implantation religieuses dans les faubourgs de la capitale ; ornementation des chapelles royales parisiennes ; ornementation des chapelles royales hors de Paris.

Le temps de la religion royale : calendriers des fêtes fixes, des fêtes mobiles et des cérémonies extraordinaires célébrées en présence de la chapelle-musique.

Récit et mise en image du cérémonial religieux de la cour : le sacre de Louis XIV ; le baptême du dauphin.